Histoire. 1860, Nice et Savoie, rattachement ou annexion ?
26/03/2020
La bataille fait rage, ce 24 juin 1859 à Solférino, entre les troupes franco-piémontaises de Napoléon III et celles de l’empereur François-Joseph d’Autriche. Toujours en Lombardie, près du lac Majeur, des « Chasseurs des Alpes » harcèlent le flanc droit de l’occupant. À leur tête, Giuseppe Garibaldi, nommé général par le roi de Piémont-Sardaigne, Victor-Emmanuel II. Le héros des deux mondes a mis sa conscience républicaine en veilleuse : « Je m’étais convaincu que l’Italie devait marcher avec le roi pour se libérer de la domination étrangère. » Il sera ainsi de tous les combats pour réaliser l’unité de cette Italie, charcutée depuis le traité de Vienne de 1815 en trois duchés et cinq États régionaux.
Le pacte secret entre Napoléon III et le ministre de Piémont-Sardaigne, Camille Cavour
En Lombardie, les Piémontais et leurs alliés prennent le dessus sur les Autrichiens qui se replient en Vénétie. Encouragés en sous-main par l’empereur français qui craint une intervention de la Prusse, ils signent l’armistice, le 11 juillet 1859. Ce, au grand dam de Camille Cavour, ministre bourgeois de Piémont-Sardaigne qui, se disant trahi par Napoléon III, donne sa démission.
C’est que l’empereur français et le ministre italien avaient, en juillet 1858, conclu un pacte, complété en janvier 1859 à Plombières (Vosges) par un volet secret : Napoléon III aiderait le roi de Piémont-Sardaigne à se débarrasser de l’occupant à condition que l’Autriche tire le premier coup de feu. En récompense de quoi, le duché de Savoie et le comté de Nice seraient cédés à la France.
Mais l’armistice accordé par Napoléon sauvait la mise à François-Joseph. C’est donc logiquement que le nouveau gouvernement piémontais dénonce le pacte secret. Néanmoins, durant cette période confuse, le parti francophile se renforce, autant à Nice qu’en Savoie. Journal fondé par un banquier, Augustin Carlone, l’Écho des Alpes-Maritimes effectue, en français, un efficace travail de propagande pour le retour du comté à la France. La bourgeoisie commerçante s’inquiète de la mutation du port, soumis depuis 1852 aux règles douanières ordinaires, donc à la concurrence de Gênes, alors que depuis deux siècles c’était un port franc. Elle tourne donc des regards intéressés vers cette France en pleine révolution industrielle.
En janvier 1860, Cavour reprend le pouvoir à Turin. Pragmatique, il sait que le voisin français est l’allié indispensable d’une Italie en devenir. Mais il doit composer avec une opinion publique devenue très antifrançaise après la trahison de Napoléon III. Il va donc discrètement donner des gages à la France catholique, en empêchant le diable rouge Garibaldi de se lancer à l’assaut de Rome et des États pontificaux.
Giuseppe Garibaldi, contre l’annexion, dit non au « parti de l’ordre », clérical et royaliste
« Vous m’avez fait étranger dans mon propre pays ! » s’exclame, amer et déçu, le député de Nice, en parlant, le 12 avril 1860, du « caractère italien » de sa ville natale, devant le Parlement de Turin. Lequel entérine finalement le traité de cession signé le 24 mars précédent. Les 15 et 16 avril, un plébiscite se solde dans le comté de Nice par 25 743 « oui » (soit 83 % des inscrits) au « rattachement » à la France. En Savoie, la semaine suivante, c’est « oui » à 96 % ! Dans une dernière lettre adressée au Parlement turinois, Garibaldi s’indigne : « À Nice, les prêtres et quelques hommes vendus ou égarés ont conduit les foules ahuries à l’urne. L’annexion de Nice fut par conséquent un délit… »
Cette réaction virulente de Garibaldi a des raisons sentimentales. « Peppino » a passé son enfance sur les quais du port de Nice. Anita, sa première épouse brésilienne, morte, en 1849, alors qu’elle était enceinte de six mois, est enterrée à Nice. Mais le fond de son refus est, bien sûr, politique. Car, avant d’être niçois, italien ou français, le franc-maçon Garibaldi est profondément républicain. Il ne vote « non » qu’à une certaine France, celle du second Empire autocratique, celle de la diplomatie fourbe de Napoléon III, celle du « parti de l’ordre », clérical et royaliste.
Son refus de « l’annexion » ne le fait pas basculer dans le camp irrédentiste. Tout au contraire, c’est au secours de la France, mais de la France républicaine, que ce grand ami de Victor Hugo se porta, pendant la guerre de 1870, à la tête d’une troupe formée, entre autres, des Ours de Nantes et des bataillons de l’Égalité de Marseille… C’est encore au nom d’une certaine idée de la France que Garibaldi prit position en 1871, depuis son île de Caprera (Sardaigne), pour le socialisme naissant « contre le triple despotisme des monarchies, des prêtres et du privilège » et aussi en faveur de la Commune « parce qu’elle proclame la fraternité des hommes quelle que soit la nation à laquelle ils appartiennent ».
Quelques repères
3 mai 1859. Le royaume de Piémont-Sardaigne provoque une déclaration de guerre de l’Empire autrichien qui occupe le nord-est de l’actuelle Italie. Napoléon III à la rescousse. 24 juin 1859. Bataille décisive de Solferino (Lombardie). 11 juillet 1859. Armistice de Villafranca. 10 novembre 1859. Traité de Zurich. L’Autriche cède la Lombardie à la France qui la rétrocède au Piémont-Sardaigne. 24 mars 1860. Traité de Turin. 14 juin 1860. Alpes-Maritimes, Savoie et Haute-Savoie deviennent des départements français.
Encadré
Création de 3 nouveaux départements : Savoie, Haute-Savoie et Alpes-Maritimes. Le traité de Turin a pour conséquence politique la création en France de trois départements, annoncée officiellement le 14 juin 1860. Le duché de Savoie, qui forma le département du Mont-Blanc après son annexion en 1792, est découpé en Savoie (préfecture Chambéry) et Haute-Savoie (Annecy). L’arrondissement de Grasse, pris au département du Var, est ajouté au comté de Nice pour former les Alpes-Maritimes (préfecture Nice), département qui retrouve ainsi sa configuration de 1793.
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