Fives. Le quartier ouvrier de Lille qui connaît la chanson…
26/08/2013
Le groupe industriel Fives doit son nom à un quartier de Lille. C’est cette entreprise qui licencia Pierre Degeyter (photo de droite, à gauche Eugène Pottier qui a écrit les paroles) pour avoir composé la musique de l’Internationale. Il finit par abandonner le Nord pour prospérer… à l’international !
L’information est tombée à la mi-juillet de cette année. Deux semaines après son remplacement à la tête du Medef par Pierre Gattaz, Laurence Parisot vient d’intégrer (entre autres) le conseil de surveillance de Fives. Un groupe d’ingénierie industrielle français qui compte 60 implantations, dans trente pays, sur quatre continents, spécialisé dans les équipements de lignes de production et d’usines clés en main. À cinquante-quatre ans, reconversion rapide et réussie, donc, pour l’ex-présidente de l’organisation patronale.
Le Groupe Fives a réalisé un chiffre d’affaires de 1 508 millions d’euros en 2012 dans les secteurs de l’acier, de l’aluminium, du ciment, de l’énergie, de la logistique… Un record pour la marque qui se gargarise d’employer 6 100 salariés de par le monde. Ce n’est jamais que le nombre de salariés qu’employa l’usine nordiste implantée dans le quartier de Lille qui lui donna son nom, à elle seule, dans les années 1950 ! Un quartier qui reste populaire, ouvrier, mais qui ne vit plus au rythme des sirènes de l’usine, officiellement fermée en 1997. Un pan cruel de la désindustrialisation du Nord-Pas-de-Calais.
Les ateliers de l’usine Fives Lille avaient été créés en 1861. Ils furent d’abord dévolus à la construction de voies de chemin de fer et de locomotives. Au gré de fusions d’entreprises, c’est aussi sous le nom de Fives-Cail-Babcock (FCB) que la liste des matériels produits traduit l’ampleur, la notoriété et la qualité du travail des ingénieurs et ouvriers : les premières locomotives à vapeur et plus tard les fameuses « BB » électriques, les premières locos sans foyer pour tramway, des sucreries, des viaducs… Pour Paris, les ouvriers du Nord ont créé les ascenseurs hydrauliques de la tour Eiffel, une partie du pont Alexandre-III qui enjambe la Seine, les charpentes métalliques de la gare d’Orsay devenue musée… Fives Lille, c’est aussi le pont riveté Boieldieu à Rouen…
La centaine d’hectares pollués, laissés en friche est, depuis 2010 et jusqu’en 2020, l’objet d’un programme de renouvellement urbain (Bourse du travail, logements, piscine, lycée hôtelier, parking…) auquel sont associées la région, la ville et la communauté urbaine de Lille. Mais l’avenir pourra-t-il se construire là sans industrie ?
Sylviane Delacroix, adjointe PCF au maire de Lille, en doute : « Les activités tertiaires et de services ne se développent vraiment que là où il y a de l’emploi industriel et des salariés bien rémunérés », assure-t-elle. Rétorquant à ceux qui excluent désormais d’implanter des unités industrielles en ville « parce que c’est moche et que ça pue » qu’il est « possible de penser l’industrie autrement qu’au XIXe siècle » ! Le Groupe Fives, lui-même, a le culot de communiquer sur ses capacités à produire « durable » ! « En attendant, le savoir-faire de milliers de métallurgistes de ce secteur nordiste s’étiole », s’inquiète Sylviane Delacroix.
C’est notamment autour d’une place que Fives a entamé sa reconversion. Une place inaugurée au cœur du quartier en avril 2007, baptisée Pierre-Degeyter. Dans un dossier très complet sur l’histoire de Fives-Cail, publié en novembre dernier, le journal Liberté Hebdo raconte : « Le 17 juillet 1888, devant ses camarades attroupés à la sortie de l’usine, Pierre Degeyter teste une chanson dont il a composé la musique. Celle-ci soulève d’emblée l’enthousiasme.
C’est Gustave Delory, compagnon de Jules Guesde et futur maire de Lille, qui a demandé à Pierre, membre du Parti ouvrier de France (POF) comme lui, de mettre en musique un texte qu’il a ramené de Paris, du communard Eugène Pottier. Degeyter fait partie de ces milliers de Flamands contraints par la misère à quitter leur pays et à venir s’installer à Lille. Durant toute une semaine, l’ouvrier musicien peaufine sa partition. Une ultime répétition a lieu le samedi 22 juillet au soir, au 21, rue de la Vignette, à Lille, à l’Estaminet de la liberté, siège de la société chantante, la Lyre des travailleurs. Le lendemain, lors d’une sortie carnavalesque organisée par la chambre syndicale des marchands de journaux, la Lyre entonne pour la première fois devant un large public ce chant, l’Internationale, sans imaginer une seconde qu’il sera adopté par tous les révolutionnaires du monde ! Une partition sera immédiatement éditée par le POF à 6 000 exemplaires.
Le nom de Degeyter (nom répandu à l’époque parmi l’immigration flamande) y apparaît, mais pas le prénom afin d’éviter les représailles. Vaine précaution : Pierre Degeyter sera licencié de l’usine de Fives, où il était modeleur. Inscrit sur les listes noires du patronat, il ne retrouvera nulle part de travail, et devra se résoudre à quitter Lille en 1901 pour la région parisienne. » Cette histoire ne figure pas sous l’onglet « Histoire » du site Internet du Groupe Fives. Tout comme le groupe se garde bien de rappeler que les ouvriers de l’usine de Fives furent de toutes les grandes luttes prolétariennes, parfois au péril de leur emploi ou de leur vie (28 noms – dont ceux de 16 communistes – figurent sur un monument dédié aux membres du personnel fusillés par les nazis ou morts en déportation). Et c’est, par exemple là, dans l’usine de Lille, qu’après « de longues discussions » entre les délégués et le ministre communiste Ambroise Croizat, fut signé l’accord Dyot-Lemesle en 1945, qui donnera naissance aux comités d’entreprise dans tout le pays. Des bâtisseurs de progrès, ces métallos.
Bientôt Une appli IPhone sur L’Usine de FIVES. « Les murs ont des voix », c’est le nom de l’application gratuite pour iPhone et iPod que développent actuellement les éditions fivoises de la Contre-Allée en partenariat avec Book d’oreille. Un parcours au cœur de la friche Fives-Cail-Babcock. Une immersion dans le patrimoine industriel, une expérience interactive à partir de textes de l’écrivain Lucien Suel sur des paysages sonores de David Bausseron. Lancement pour les Journées européennes du patrimoine, les 14 et 15 septembre 2013, à vivre in situ ou de chez soi.
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