Claude Bernard, philosophe et médecin malgré lui
03/11/2013
Il rêvait de devenir auteur dramatique, il devint médecin. Claude Bernard, né il y a deux siècles, passionné de poisons et d’expérimentations, a révolutionné la médecine. Il est le père de la méthode expérimentale Oheric : observation, hypothèse, expérimentation, résultat, interprétation, conclusion.
L ’année 2013 marque le bicentenaire de la naissance de Claude Bernard. Du grand physiologiste, né le 12 juillet 1813, le nom est à chacun familier. Il a été donné à de nombreux hôpitaux, rues, écoles, facultés… Pourtant, beaucoup ignorent son œuvre. Voici donc l’occasion de rafraîchir nos mémoires. Scientifiques et philosophes se mobilisent pour tirer de l’oubli l’auteur de l’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale. Partout en France, et tout particulièrement à Lyon, où il a travaillé, et dans son village natal de Saint-Julien (Rhône), dans le Beaujolais, cet automne les vendanges s’annoncent sur ce plan particulièrement riches.
Mais qui était Claude Bernard ?
Le 10 février 1878, lors des funérailles nationales de Claude Bernard, 4 000 personnes suivent sa dépouille jusqu’au prestigieux cimetière du Père-Lachaise. Quelle consécration posthume pour ce fils de modestes viticulteurs dont les découvertes ont arraché la biologie au Moyen Âge !
Académicien, professeur à la Sorbonne et au Collège de France, mondialement connu, il est resté toute sa vie attaché à son Beaujolais natal. À Saint-Julien, en 1860, il acquiert le manoir jouxtant la maison familiale, siège du beau musée qui lui est aujourd’hui dédié. Mais avant d’en arriver là, le jeune Claude Bernard, peu motivé par ses études chez les jésuites, et recalé au bachot, est apprenti pharmacien à Vaise (Lyon).
Il y vend la fameuse thériaque, potion miraculeuse concoctée par Galien au IIe siècle et combinant soixante-dix ingrédients : plantes rares, opium et venin de vipère. Cette panacée sert surtout à enrichir M. Millet, l’apothicaire. Disciple de Descartes, le jeune apprenti ose manifester des doutes sur la pharmacothérapie en vigueur à son époque.
Dans la soupente du père Millet, Claude Bernard se rêve auteur dramatique. Sa comédie Rose du Rhône ayant eu quelque succès à Lyon, et son patron l’ayant licencié, il « monte à Paris » avec, en poche, une tragédie en cinq actes, Arthur de Bretagne. Hélas, il se heurte au critique Saint-Marc Girardin, qui lui conseille la médecine. Bon conseil, puisque dès sa rencontre avec Magendie, véritable coup de foudre intellectuel, le « médecin malgré lui » va révéler son génie !
« As du bistouri », et docteur en médecine en 1843, Claude Bernard choisit la recherche et pratique l’expérimentation sur le vivant. Afin de pouvoir poursuivre ses recherches, il accepte un mariage arrangé avec Fanny Martin, fille unique d’un médecin fortuné. Ce mariage va tourner au cauchemar : sa femme, cofondatrice de la SPA, l’accable de reproches, dénonçant partout l’usage de la vivisection. En outre, les deux garçons du couple mourront en bas âge, tandis que les deux filles sont dressées contre leur père. Le couple se sépare après des années de déchirements.
Cependant, le chercheur vole de découverte en découverte ! Les trois domaines où il s’est illustré de la manière la plus novatrice sont le mode d’action des poisons, et notamment du curare, la notion de milieu intérieur et la fonction glycogénique du foie.
Claude Bernard s’est toute sa vie passionné pour les poisons, et notamment pour le curare. On lui doit la précieuse découverte de ses pouvoirs anesthésiants. Le concept de milieu intérieur prépare la découverte de l’homéostasie, ce pouvoir de l’organisme de maintenir – en maintes occasions – son propre équilibre.
Quant à la fonction glycogénique du foie, elle désigne le fait que le foie « fabrique » du sucre, en fait le synthétise, au lieu de simplement le stocker. Jusqu’à Claude Bernard et à sa spectaculaire expérience du « foie lavé », la théorie régnante était celle de Lavoisier, selon laquelle seuls les végétaux fabriquaient du sucre, les animaux, dont l’homme, jouant les parasites. Ce sucre ensuite était stocké dans l’organisme, en particulier dans le foie, les poumons « brûlant » le sucre en excès. Le diabète était vu comme une maladie pulmonaire, les poumons échouant à exercer cette élimination.
Un petit fait expérimental, la présence de glycogène après lavage du foie prélevé sur un chien, va ruiner la belle théorie. Claude Bernard proclame : « Quand le fait que l’on rencontre ne s’accorde pas avec une théorie, il faut accepter le fait et abandonner la théorie. » Ses travaux font faire un pas de géant à la compréhension du diabète, même s’il reconnaît n’en avoir trouvé ni la cause ni le remède. C’est grâce à ses travaux que, onze ans après sa mort, des chercheurs allemands découvriront le rôle du pancréas et le remède au diabète : l’insuline.
Philosophe, continuateur de Descartes, Claude Bernard reste aussi, et peut-être surtout, le fondateur de la méthode expérimentale Oheric (observation, hypothèse, expérimentation, résultat, interprétation, conclusion), qui, selon François Dagognet, « n’a perdu ni son feu ni même sa validité ».
L’actualité du bicentenaire
- Pour connaître de façon plus complète la vie et l’œuvre de Claude Bernard, on pourra lire avec profit le petit livre très vivant Je suis… Claude Bernard, d’Odile Nguyen-Schoendorff (préface de François Dagognet, illustrations de Max Schoendorff, photographies d’Yves Neyrolles), 10 euros, chez Jacques André éditeur, 5, rue Bugeaud, 69006 Lyon.
- La visite du musée Claude Bernard à Saint-Julien (Rhône) est toujours d’actualité.
Odile Nguyen-Schoendorff, professeure de philosophie pour l'Humanité
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