La guerre froide et le stalinisme
18/08/2016
Frédérick Genevée Historien, L'Humanité
Dans les années 1950, le monde apparaît binaire. À la force du communisme à l’Est s’oppose un Ouest en crise. C’est la période du stalinisme, mais aussi de la répression maccarthyste.
Le 16 janvier 1953, la une de l’Humanité, organe central du Parti communiste français, nous plonge dans le communisme de guerre froide et le stalinisme. Tout y est et tout s’articule. On y apprend ainsi que Staline est présenté aux élections du soviet de Moscou, que dans le même pays des médecins ont été arrêtés pour avoir attenté à la vie de dirigeants soviétiques, c’est le début du fameux complot dit « des blouses blanches ». Plusieurs dizaines de médecins soviétiques dont le médecin personnel de Staline sont arrêtés. La répression s’abat sur eux en mêlant critique du sionisme et campagne antisémite. Ils ne devront leur survie qu’à la mort du dictateur peu de temps après, en mars de la même année.
En ce début 1953, la vision communiste du monde semble binaire. À la force du communisme qui se construit à l’Est s’oppose un Ouest en crise. La première page du journal met ainsi en exergue une grande photographie de Mao entouré de jeunes pionniers. Le dirigeant chinois est célébré parce qu’il vient d’annoncer la tenue d’élections générales. La seconde photographie est celle d’une délégation de ménagères conduite par le maire de Bagnolet pour protester contre l’impéritie des services préfectoraux du département de la Seine. Le journal annonce aussi que des licenciements sont prévus aux usines Renault.
L’affaire Ethel et Julius Rosenberg atteint son paroxysme
Démocratie d’un côté, crise de l’autre mais aussi répression. Nous sommes au temps où des dirigeants communistes et syndicaux sont envoyés en prison en France car accusés de complot. C’est ainsi le cas d’Alain Le Léap, dirigeant de la CGT : une pétition demandant sa libération a rassemblé 50 000 signatures de mineurs du Nord et du Pas-de-Calais. Plus grave encore, l’affaire Ethel et Julius Rosenberg atteint son paroxysme. Le couple d’Américains, accusé d’espionnage et condamné à mort, doit bientôt être exécuté – ils le seront effectivement en juin de la même année. Les manifestations pour les sauver se multiplient, et l’Humanité rend compte de celle qui vient de se tenir à New York. On s’interroge souvent sur les raisons de l’aveuglement des communistes sur les réalités de l’Union soviétique stalinienne et sur leur solidarité sans faille. Se poser cette unique question ne permet pourtant pas d’y répondre.
Le monde de la guerre froide est un jeu de miroirs qui plonge les militants dans plusieurs « réalités » simultanées. Des informations filtrées leur proviennent de l’Est, mais ils vivent aussi dans un monde où la répression contre leur parti pour fait d’opinion est fréquente. Il est ainsi question dans cette livraison du journal des poursuites contre Jacques Duclos à la suite du célèbre complot des pigeons. Les difficultés de la vie quotidienne ne sont pas non plus pure invention, comme ne l’est pas non plus le retour de la droite aux affaires – René Mayer vient d’être investi avec le soutien des élus du RPF de De Gaulle.
Jacques Duclos tente d’ailleurs une critique générale de la politique économique du nouveau gouvernement qu’il accuse d’être inféodé aux États-Unis. Une véritable relance serait d’ailleurs impossible sans l’affirmation de l’indépendance de la France prisonnière jusque-là du plan Marshall et des dépenses militaires. Il affirme alors qu’un gouvernement français parce que français, c’est-à-dire indépendant, conduirait une tout autre politique et une véritable relance au service du peuple. Cette orientation ne peut qu’avoir l’oreille des militants, huit années seulement après la fin de la Seconde Guerre mondiale où s’est joué le sort de la France. Pour comprendre la force du stalinisme, il ne faut jamais omettre cette mémoire de la guerre, ni oublier le rôle joué par l’URSS dans la victoire contre le nazisme.
L’orientation stalinienne et ouvriériste du PCF
Tous ces éléments font système et expliquent le stalinisme à la française, d’autant que la direction du PCF est déstabilisée : Maurice Thorez, malade, est en convalescence en URSS, la direction du PCF est entre les mains de Duclos et d’Auguste Lecœur qui exacerbe l’orientation stalinienne et ouvriériste. Faut-il en déduire que cette conception du monde et de la politique communiste n’était pas empreinte de contradictions ? Le principal titre en ce 16 janvier 1953 porte sur la découverte par les services secrets britanniques d’un complot nazi en Allemagne. Cela ne cadre pourtant pas avec la vision manichéenne qui se dégage des analyses que l’on peut faire de cette époque, celle d’un affrontement entre l’Ouest et l’Est. En effet, si les services britanniques luttent avec efficacité contre des résurgences du nazisme, cela signifie qu’ils ne sont pas que du mauvais côté de la barrière et que la grande alliance antinazie pourrait se reconstituer.
Le PCF n’est pas une secte stalinienne, c’est un grand parti implanté qui a joué un rôle majeur dans la Résistance et dans l’obtention des acquis sociaux qui font l’identité de la France. Il a été moteur dans le rassemblement du Front populaire, de la Résistance, et des luttes anticoloniales ; cela le marque définitivement. Dans les années 1950, malgré la guerre froide, il ne s’agit pas de revenir à l’isolement de la fin des années 1920. Le PCF aurait sombré s’il n’avait été qu’un simple soutien à l’URSS sans lien avec la société française. Bien sûr, cette solidarité sans faille – et son identification totale au camp socialiste – d’un atout est devenue par la suite un obstacle à son développement.
Sa critique globale du stalinisme a été effectivement tardive alors même que des voix se faisaient entendre à l’extérieur et en son sein, surtout après 1956, pour le dégager de ce soutien. Il aurait pu s’y engager plus tôt, mais n’ayons pas non plus à notre tour une vision manichéenne de cette époque.
Dans l’Humanité du 16 janvier 1953 « (…) En même temps que l’indignation contre les médecins terroristes et leurs maîtres américains étreint le cœur des Soviétiques, la nouvelle annonçant que le groupe assassin avait été démasqué est interprétée comme un coup terrible porté aux fauteurs de guerre. Leurs agents qui avaient pour tâche d’amoindrir la capacité de défense de l’URSS en assassinant les chefs militaires soviétiques ont été mis hors d’état de nuire. Leur plan a été détruit. (...) »
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