1917, une histoire soviétique
14/04/2017
Jean-Paul Piérot, l'Humanité
En 1919, les troupes cosaques des Blancs lors de la guerre civile, en Sibérie. Bettman Archives/Getty Images
.Le centenaire de la révolution d’Octobre est l’occasion d’une riche production éditoriale. Parmi les nombreux ouvrages, ceux des deux historiens Marc Ferro et Jean-Jacques Marie.
Les Russes. L’esprit d’un peuple, éditions Tallandier, 222 pages, 19,90 euros. La Guerre des Russes blancs. 1917-1920 de Marc Ferro. de Jean-Jacques Marie. éditions Tallandier, 528 pages, 24,90 euros
L’histoire est une matière à risques. Marc Ferro ressuscite des souvenirs de jeunesse, lorsqu’il préparait, en URSS, sa thèse de doctorat au début des années 1960. Le livre, écrit à la première personne, fourmille d’anecdotes qui traduisent l’esprit d’une époque, une ambiance politique, la vie quotidienne. Le temps est alors à l’espoir : la dénonciation en 1956 par Nikita Khrouchtchev du culte de la personnalité de Staline, les premiers pas de la détente, la consommation participent de la confiance qu’incarne Youri Gagarine, héros de la conquête spatiale. Les zones d’ombre maintenues sur certaines pages du passé ne sont pas une spécialité soviétique – l’histoire du colonialisme français ne manque pas d’exemples, de Sétif à Madagascar – mais à Moscou, on continue de gommer des photos les personnages « négatifs ». Khrouchtchev lui-même n’y échappera pas.
En 1991, l’URSS s’effondre dans une quasi-indifférence de la population
Marc Ferro aborde le débat sur les deux révolutions de 1917, celle de février, qui entraîne la chute du tsar, et celle d’octobre, qui consacre l’accession du parti bolchevik au pouvoir. « La haine de l’autocratie, explique Marc Ferro, la misère du plus grand nombre constituaient un mélange explosif. » Privés de terres, sortis depuis un demi-siècle du servage, les paysans commencèrent à se saisir des propriétés. Dans l’armée, les galonnés qui envoyaient les soldats à la mort voulaient perpétuer l’ancien ordre. Lénine fut l’un des seuls dirigeants à « encourager la violence venue d’en bas » pour que « la dissolution de l’ancienne société s’accomplisse », ajoute l’historien. « À force de s’interroger sur la filiation entre Lénine et Staline, on a fini par ne plus prendre en considération l’appartenance de tous ces théoriciens à un courant plus large, qui entendait substituer l’État savant à l’État-nation ou à l’État de droit », estime Marc Ferro.
Quand bien des années plus tard, en 1985, Mikhaïl Gorbatchev lance le chantier de la perestroïka, a-t-il en vue de faire une « révolution sous la table » car l’opinion en savait encore moins qu’elle en savait auparavant sur les plans du régime soviétique ? La suite est connue : en 1991, l’URSS s’effondre dans une quasi-indifférence de la population. Le nouvel homme fort du Kremlin, Boris Eltsine, se soumet entièrement aux néolibéraux. Libération des prix, spoliation de l’épargne, hyperinflation ont paupérisé l’ensemble de la population. Une totale humiliation. Il n’y a pas d’autres explications à l’adhésion quelques années plus tard au discours nationaliste et autoritaire de Vladimir Poutine.
Mais revenons à l’automne 1917, quand le tout jeune gouvernement bolchevique est confronté à la guerre intérieure déclenchée par les généraux monarchistes déterminés à restaurer l’ordre ancien. Les conjurés – les Dénikine, Koltchak, Wrangel parmi les plus célèbres – sont appuyés par les forces occidentales d’intervention de l’Entente. Les alliés sont convaincus qu’un danger les menace, qui ne viendrait pas de l’extérieur, mais de l’intérieur de leurs propres pays, sous la forme d’une révolution sociale. S’ensuivront trois années effroyables pour les peuples de l’ex-empire des Romanov. La Sainte Alliance antibolchevik échouera à écraser la révolution. Le livre de Jean-Jacques Marie déroule un récit passionnant sur cette période trop méconnue de l’histoire de l’Union soviétique.
Cette tentative de restauration, qui sera plus tard le thème de l’épopée romanesque le Don paisible, de l’écrivain soviétique Mikhaïl Cholokhov, part du sud de la Russie. Les Cosaques forment le fer de lance de cette « armée des volontaires » mise sur pied par un triumvirat comprenant les généraux Kornilov, qui a déjà ourdi une tentative de putsch contre le gouvernement provisoire, Alexeïev et Dénikine.
La férocité de la guerre civile, explique Jean-Jacques Marie, a de multiples causes. La Première Guerre mondiale, en envoyant des millions d’hommes au carnage, a enlevé tout prix à la vie humaine. « Elle a accumulé dans le cœur des victimes une haine profonde pour ceux qui en étaient à leurs yeux les coupables. » Les ouvriers paysans et soldats exècrent les « bourgeois » ; les soldats paysans détestent les officiers qu’ils assimilent aux propriétaires. Le mépris des représentants de l’ancien régime vaincu vis-à-vis du peuple est immense. Pourquoi les Blancs ont-ils perdu ? L’auteur pointe l’absence de réponses aux aspirations sociales. Les chefs Blancs, souligne Jean-Jacques Marie, ne voient les bolcheviks que comme des meneurs, d’une « populace » méprisée et jamais n’évoquent les mesures prises par leurs adversaires : la socialisation de la terre, le droit de vote pour les femmes, la constitution d’une banque centrale, les nationalisations, l’interdiction du travail de nuit dans l’industrie pour les femmes et les jeunes de moins de 16 ans, l’annulation de la dette
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