Camps de la mort. La déportation des Tsiganes du convoi Z
03/11/2018
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Tsiganes du nord de la France et de la Belgique ont connu le même destin tragique, car ils vivaient dans la « zone militaire rattachée à Bruxelles ». Les Allemands avaient imposé, en juin 1940, que ces deux territoires forment une seule zone. L’enjeu d’un tel découpage était stratégique, économique et militaire, mais correspondait également à la vision nazie d’une Europe nouvelle, d’un Reich avec des marches germaniques. Et les nazis purent s’appuyer en France et en Belgique sur des législations discriminatoires antérieures à l’invasion de mai 1940, qui furent mises au service de la politique raciale du IIIe Reich.
Au début du XXe siècle, tous les États européens avaient adopté une législation spécifique de contrôle, utilisant comme repoussoir le migrant étranger et particulièrement le « juif » et le « Bohémien ». La France avait créé une catégorie spécifique, celle des « nomades », afin d’identifier et de regrouper au moyen de carnets anthropométriques ceux qui étaient appelés indistinctement Bohémiens, Romanichels, Gitans, nomades. C’était la loi du 16 juillet 1912 relative à « l’exercice des professions ambulantes et à la réglementation de la circulation des nomades ». Leur mode de vie était assimilé au vagabondage, à la criminalité et l’asociabilité. Quelque 30 000 personnes relevaient de ce statut en 1924. En Belgique, les méthodes anthropométriques et dactyloscopiques venues de France furent appliquées pour identifier les étrangers, parmi lesquels les Tsiganes de passage. Cette méthode réservée aux étrangers criminels ou réputés dangereux fut généralisée après la Première Guerre mondiale. Les Tsiganes possédaient en outre une feuille de route renouvelable tous les trois mois.
La France de Vichy et la Belgique se mirent au diapason de la politique raciale nationale-socialiste. Entre octobre 1940 et mai 1946, plus de 6 500 nomades définis par la loi de 1912 furent internés en France dans une trentaine de camps créés sur décision allemande, mais gérés par les autorités françaises.
Le 7 août 1941, Himmler édita une circulaire qui faisait la distinction entre les Zigeuner (Tsiganes) et les Zigeunermischlinge (Tsiganes métissés) dans la logique des lois de Nuremberg de septembre 1935 sur « la citoyenneté du Reich » et « la protection du sang et de l’honneur allemands ». L’Allemagne nazie avait classé les Tsiganes dans le second volet des lois raciales, dans la catégorie des « criminels irrécupérables ». La déportation des communautés tsiganes d’Allemagne fut décidée par l’Auschwitz-Erlass du 16 décembre 1942, connu par son décret d’application du 29 janvier 1943. Ce fut le point culminant et l’aboutissement d’une tradition de ségrégation. Le Reich étendit cette mesure aux Tsiganes de toute l’Europe. En février 1943, démarra leur déportation à Auschwitz-Birkenau, dans le Zigeunerlager, camp des Tsiganes, qui était encore en construction et qui allait accueillir près de 23 000 détenus. Le 29 mars 1943, l’Office central de sécurité du Reich donna l’ordre de déporter les Tsiganes de la « zone rattachée à Bruxelles ». Les premières arrestations connues eurent lieu à Tournai, le 22 octobre 1943, et s’échelonnèrent jusqu’en décembre. Les familles furent transférées au camp de rassemblement pour juifs de Malines, ville flamande entre Anvers et Bruxelles. C’était l’équivalent de Drancy pour la France ; 352 Tsiganes de diverses nationalités furent déportés par le convoi Z du 15 janvier 1944. C’est le seul convoi de déportation collective à destination d’Auschwitz-Birkenau à partir de cette zone. Ils étaient vanniers, maquignons, étameurs, musiciens, forains ou artistes de cirque. La plus jeune n’avait que 38 jours et le plus âgé, 85 ans ; 266 femmes et enfants de moins de 15 ans constituèrent plus des trois quarts de ce transport.
À Birkenau, dans la nuit du 2 au 3 août 1944, 3 000 Tsiganes furent éliminés
À leur entrée à Birkenau, les Tsiganes ne furent pas triés, à la différence des juifs qui étaient sélectionnés dès leur arrivée dans ce centre de la mise à mort industrielle. Ils furent immatriculés, tatoués et internés dans le camp des familles, qui se révéla très vite un véritable mouroir : le pic des décès atteignit son point culminant en mars 1944. Entre le 17 janvier et le 31 juillet 1944, plus de la moitié du convoi avait succombé. Les Tsiganes de la « zone rattachée » arrivèrent à Birkenau à une période où leur extermination était quasiment décidée. C’est ainsi que les 3 000 Tsiganes restés dans le camp parce que jugés inaptes au travail furent éliminés dans la nuit du 2 au 3 août 1944. Les 68 Tsiganes du convoi Z qui avaient dépassé le cap de survie des trois mois avaient été transférés entre-temps dans les camps du Reich et leurs kommandos au service de l’économie de guerre : Buchenwald, Dora, Ellrich, Ohrdruf… pour les hommes ; Ravensbrück, Schlieben, Taucha, Altenburg… pour les femmes. Seuls 19 hommes et 13 femmes du convoi Z de Malines sur 352 ont survécu, soit moins de 10 %.
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