Cinéma. Madagascar 1947, récits d’une insurrection contre le joug colonial
31/01/2019
Tout commence, dans cette forêt qui abrita les insurgés, par une prière aux invisibles. Le regard humide, un vieil homme fouille dans sa mémoire, pèse chaque souvenir, chaque parole et tire le fil d’une histoire de rébellion écrasée dans le sang. Dans ce documentaire consacré au massacre colonial qui répondit au soulèvement des Malgaches en 1947, Marie-Clémence Andriamonta-Paes convoque les derniers témoins, dont elle recueille la parole encore incandescente. Les récits se succèdent et s’emboîtent, sur le ton du conte ou de la légende, brossant une épopée à l’issue tragique.
Il est minuit, ce 29 mars 1947, lorsque plusieurs centaines d’insurgés, colonne de paysans pauvres, armés de vieux fusils, de sagaies et de talismans, s’attaquent à un camp militaire. Ces fahavalo (« ennemis » de la France) donnent le signal d’une insurrection qui va embraser, pendant près de deux ans, la colonie française de Madagascar, au large des côtes africaines de l’océan Indien.
Une sanglante répression
La création, quelques mois plus tôt, d’une assemblée élue, aux pouvoirs limités, n’a pas suffi à éteindre la flamme nationaliste qui s’est allumée sur l’Île rouge, vaste comme la France et la Belgique, longtemps théâtre de la rivalité franco-britannique avant d’être placée, en 1896, sous la tutelle coloniale française. Le retour des tirailleurs malgaches enrôlés en métropole durant la Seconde Guerre mondiale, les conditions de vie misérables des populations indigènes et l’activisme de mouvements nationalistes et de sociétés secrètes attisent l’aspiration indépendantiste et précipitent le déclenchement de l’insurrection. La répression est sanglante.
Elle fait des dizaines de milliers de victimes jusqu’en 1958. Les autorités françaises envoient d’abord à Madagascar un corps expéditionnaire de 18 000 militaires. Très vite, les effectifs atteignent 30 000 hommes. L’armée coloniale se montre impitoyable : exécutions sommaires, torture, regroupements forcés, incendies de villages. La France expérimente une nouvelle technique de guerre « psychologique » : des suspects sont jetés, vivants, depuis des avions afin de terroriser les villageois dans les régions d’opérations.
Le long d’une voie ferrée qu’utilisèrent alors les rebelles, aujourd’hui dévorée par la végétation, prend corps cette mémoire du tabataba, le grand vacarme – c’est par ce mot que l’on désigne, à Madagascar, la grande insurrection contre le joug colonial. L’histoire s’énonce au fil de cheminements singuliers. Ici, celui de Rambony, dont le nom veut dire « né dans la forêt ». Là, celui de Jean Kando, qui n’a d’héritage que ce nom laissé par un père sénégalais, tirailleur mobilisé par la mère patrie pour les besoins de la répression. Ailleurs encore, les déboires de Boto Service, ainsi surnommé en mémoire d’un accident meurtrier survenu dans un tunnel lors de la construction de la ligne de chemin de fer sur laquelle il travaillait.
La carte de combattant de 1947 de ce fahavalo a fini en mille morceaux, déchirée par le maire de sa commune en raison d’une dispute portant sur un lopin de terre. Privé du précieux sésame, le vieil homme ne peut prétendre à une pension. Les anciens racontent le travail forcé, la morgue des colons, la soif de liberté, les sortilèges anti-balles, dérisoires protections contre l’impitoyable machine de guerre coloniale. À l’appui de ces témoignages, des images d’archives inédites, filmées dans les années 1940, joliment entrelacées aux scènes de vie d’aujourd’hui. Fahavalo pose un regard sensible sur cet épisode longtemps tu de résistance à l’oppression coloniale.
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