Encyclopédie de Diderot et d'Alembert : définition du mot "étranger" (17/09/2013)
ETRANGER, s. m. (Droit polit.) celui qui est né sous une autre domination & dans un autre pays que le pays dans lequel il se trouve.
Les anciens Scythes immoloient & mangeoient ensuite les étrangers qui avoient le malheur d'aborder en Scythie. Les Romains, dit Cicéron, ont autrefois confondu le mot d'ennemi avec celui d'étranger : peregrinus antea dictus hostis. Quoique les Grecs fussent redevables à Cadmus, étranger chez eux, des sciences qu'il leur apporta de Phénicie, ils ne purent jamais sympathiser avec les étrangers les plus estimables, & ne rendirent point à ceux de cet ordre qui s'établirent en Grece, les honneurs qu'ils méritoient.
Ils reprocherent à Antisthene que sa mere n'étoit pas d'Athenes ; & à Iphicrate, que la sienne étoit de Thrace : mais les deux philosophes leur répondirent que la mere des dieux étoit venue de Phrygie & des solitudes du mont Ida, & qu'elle ne laissoit pas d'être respectée de toute la terre. Aussi la rigueur tenue contre les étrangers par les républiques de Sparte & d'Athenes, fut une des principales causes de leur peu de durée.
Alexandre au contraire ne se montra jamais plus digne du nom de grand, que quand il fit déclarer par un édit, que tous les gens de bien étoient parens les uns des autres, & qu'il n'y avoit que les méchans seuls que l'on devoit réputer étrangers.
Aujourd'hui que le commerce a lié tout l'univers, que la politique est éclairée sur ses intérêts, que l'humanité s'étend à tous les peuples, il n'est point de souverain en Europe qui ne pense comme Alexandre. On n'agite plus la question, si l'on doit permettre aux étrangers laborieux & industrieux, de s'établir dans notre pays, en se soûmettant aux lois. Personne n'ignore que rien ne contribue davantage à la grandeur, la puissance & la prospérité d'un état, que l'accès libre qu'il accorde aux étrangers de venir s'y habituer, le soin qu'il prend de les attirer, & de les fixer par tous les moyens les plus propres à y réussir. Les Provinces-unies ont fait l'heureuse expérience de cette sage conduite.
D'ailleurs on citeroit peu d'endroits qui ne soient assez fertiles pour nourrir un plus grand nombre d'habitans que ceux qu'il contient, & assez spacieux pour les loger. Enfin s'il est encore des états policés où les lois ne permettent pas à tous les étrangers d'acquérir des biens-fonds dans le pays, de tester & de disposer de leurs effets, même en faveur des régnicoles ; de telles lois doivent passer pour des restes de ces siecles barbares, où les étrangers étoient presque regardés comme des ennemis.
Art. de M. le Chevalier DE JAUCOURT.
Le Chevalier de Jaucourt
Philosophe français (1704-1779), un des principaux rédacteurs de L'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers de Diderot et d'Alembert. D'après une compilation récente, il serait l'auteur de près de 18 000 des 72 000 articles de L'Encyclopédie, sans compter les articles signés conjointement avec Daubenton et d'Argenville.
On le surnommait d'ailleurs l'"esclave de L'Encyclopédie". D'Alembert reconnaissait la dette des encyclopédistes à son égard: «La médecine, non moins nécessaire que la jurisprudence, la physique générale, et presque toutes les parties de la littérature, doivent dans ce volume un très-grand nombre de morceaux à M. De Jaucourt.» Médecin de formation, il avait connu Boerhaave à Leyde, de même que Tronchin. Il s'était résolu à ne pratiquer sa science qu'auprès des pauvres.
Il avait même fait don de ses biens, pour vivre en toute sobriété. Ses biographes soulignent unanimement les valeurs de l'homme et cette culture immense appuyée par un jugement sain et équilibré, qui l'a maintenu à l'écart des controverses philosophiques entourant l'Encyclopédie. «L'honnête homme n'est jamais éclipsé par l'auteur; il fait aimer la vertu en imprimant à ses moindres ouvrages le caractère d'une âme droite et sensible» nous dit Jean-Jacques Weiss (Dict. Michaud). Mais son oeuvre personnelle n'ayant pas l'éclat et l'originalité de celle de Diderot ou d'Alembert, sa contribution à L'Encyclopédie, aussi importante qu'elle puisse l'être, est éclipsée par la gloire de ces derniers.
Description historique de l'Encyclopédie.
L'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une Société de Gens de lettres a été éditée entre 1751 et 1772 sous la direction de Diderot. Elle contient 17 volumes de texte et 11 volumes de planches. Parmi les rédacteurs, on trouve les plus éminents philosophes du dix-huitième siècle, tels que Voltaire, Rousseau, d'Alembert, Marmontel, d'Holbach ou Turgot, pour n'en citer que quelques-uns.
Ces grands esprits (ainsi que quelques autres de moindre importance) ont collaboré dans le but de réunir et de diffuser en prose claire et accessible les fruits de la connaissance et du savoir accumulés. Contenant 72.000 articles écrits par plus de 140 collaborateurs, l'Encyclopédie était un travail de référence massif pour les arts et pour les sciences, mais aussi une machine de guerre qui a servi à propager les idées des Lumières.
En raison des problèmes de censure, les volumes successifs de l'Encyclopédie ont paru à un rythme irrégulier. Les sept premiers volumes ont été publiés entre 1751 et 1757, au rythme d'un par an. La publication des dix derniers volumes a eu lieu en 1766. Les volumes de planches, relativement peu touchés par la censure, ont été publiés de 1761 à 1772, à la cadence d'un par an. La première édition de l'Encyclopédie a été tirée à 4.000 exemplaires environ.
L'impact de l'Encyclopédie a été énorme, non seulement sous la forme de son édition originale, mais également sous celle des multiples réimpressions de plus petits formats et des adaptations postérieures dont elle a été l'objet. L'ouvrage a été salué comme étant la somme de la connaissance moderne et le monument du progrès de la raison au dix-huitième siècle. c'est pour cette raison qu'il a été condamné. Par sa tentative de classer les connaissances et d'ouvrir tous les domaines de l'activité humaine à ses lecteurs, l'Encyclopédie a révélé plusieurs courrants intellectuels et sociaux de son temps.
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