LA GRANDE GUERRE EXPOSEE AUX INVALIDES (11/11/2014)

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Dessin de Georges Scott

Écrivains et artistes furent souvent les témoins directs d’un affrontement sans précédent, bouleversé par la technique. Une exposition au musée de l’Armée aux Invalides nous restitue leur regard.

C’est une petite aquarelle et gouache de François Flameng, un de ces peintres ou artistes qui n’ont pas marqué l’histoire mais en furent les témoins étonnés, parfois comme fascinés par ce monde entré dans un autre temps.

guerre3.JPGElle représente des soldats allemands debout dans une tranchée, équipés de leur casque et d’un masque à gaz, de cuirasses en métal. Ils semblent venus d’ailleurs, d’une autre planète.

On se dit que les créateurs du masque de Dark Vador se sont inspirés d’images semblables. C’est à cette mutation profonde de la guerre elle-même que l’on est confronté avec l’exposition en cours au musée de l’Armée aux Invalides, à Paris, « Écrivains et artistes face à la Grande Guerre », et d’abord parce que le lieu ne fait qu’accentuer le contraste, l’incroyable décalage entre la Première Guerre mondiale et celles qui l’ont précédée. Non qu’elles ne furent pas sanglantes.

Il y eut parfois jusqu’à 35 000 tués et blessés en une seule bataille napoléonienne, mais la guerre de 14-18 n’avait jamais mis autant d’hommes face à face durant si longtemps avec une révolution sans précédent de la technique et de la puissance de feu, l’entrée sur la scène de l’histoire de l’aviation, des chars, des cuirassés, des sous-marins, des gaz asphyxiants…

Ainsi, traversant les salles adjacentes à celles de l’exposition, passe-t-on entre des centaines de sabres et de fusils dans des vitrines qui semblent encore relever, si l’on ose dire, des formes élémentaires du combat d’homme à homme, entre des portraits en pied de généraux glorieux, parfois la représentation d’une bataille avec au premier plan quelques blessés mais sans plus. Mais là, avec cette exposition, le regard change.

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Dessin de Maurice Bichet

« Pas plus cubiste qu’une guerre comme celle-ci »

C’est que peintres et artistes ne sont plus invités à une représentation de commande de la guerre, mais parce que la mobilisation est générale, parce que nombre d’entre eux se retrouvent au front, ils en sont les témoins, aux premières loges. Ainsi nombre de leurs peintures sont comme un zoom avant sur le feu, les blessés, comme avec Georges Scott, Effet d’un obus dans la nuit (1915), Karl Lotze, Attelage dans une explosion d’obus (1915).

Pour d’autres, ou les mêmes, de nouveaux sujets apparaissent, en rupture avec toute la tradition. Avions, mitrailleuses sous le pinceau de Christopher Nevinson ou encore, de François Flameng, Retour d’un vol de nuit sur avions Voisin de bombardement (1918). Ils tentent de les saisir aussi avec toutes les ressources de ce qui, avant la guerre, était déjà l’art moderne, mais que ce « spectacle » radical va amplifier.

Fernand Léger, qui fut au front, dira ceci de ses peintures abstraites : « Ceux qui ont connu la guerre comprendront ma peinture. » Il écrit à sa femme : « À tous ces ballots qui se demandent si je serai encore cubiste en rentrant, tu peux leur dire bien plus que jamais. Il n’y a pas plus cubiste qu’une guerre comme celle-ci qui te divise plus ou moins proprement un bonhomme en plusieurs morceaux et qui l’envoie aux quatre points cardinaux. »

En retour, le commandement militaire va faire appel aux peintres cubistes comme André Mare et bien d’autres pour dessiner des décors de camouflage. Vallotton, avec Verdun (1917), va traduire remarquablement le chaos du champ de bataille avec un ciel troué par les projecteurs. D’autres vont, à la manière des futuristes italiens, tenter d’exprimer dans la forme le chaos, la vitesse, les charges. Pour Otto Dix, dans les tranchées, George Grosz, dans la proximité des blessés dans les hôpitaux, c’est la peinture de l’horreur qui l’emporte, avec toutes les ressources d’un expressionnisme qui semble exacerber Goya, Bosch, Grünewald.

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Dessin Félix Valloton

On peint donc la mort, les destructions, la souffrance. La gloire est absente, elle sera ailleurs, plus tard, dans les discours et les commémorations. Jean-Galtier Boissière, en 1919, a peint, pour les fêtes de la victoire, le défilé des mutilés. En 1917, Vallotton peint, comme à l’infini, les croix du cimetière militaire de Châlons. Avec quelque cinq cents œuvres et pièces d’archives, c’est d’abord ce parcours dans les images de la Grande Guerre qui est proposé aux Invalides, mais c’est aussi une invitation à penser comment la grande boucherie fut en quelque sorte la matrice du XXe siècle en art, dans la littérature et la pensée, avec la naissance du dadaïsme puis celle du surréalisme. Nombre d’ouvrages, le Feu (Barbusse), les Croix de bois (Dorgelès), À l’ouest, rien de nouveau (Remarque), Orages d’acier (Jünger), vont changer à jamais l’image de la guerre, quoique…

Jusqu’au 25 janvier. Musée des Invalides
Maurice Ulrich : http://www.humanite.fr/zoom-avant-sur-la-grande-guerre-557099
 
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