Jean Meslier, curé, athée, matérialiste, communiste au XVIIIe siècle (24/01/2016)
Avant 1789, ce curé des Ardennes, hors normes, avance des théories révolutionnaires en totale rupture avec son temps. Précurseur du communisme, il prône la guerre des classes et dénonce la propriété privée comme source d’inégalité et de domination. Il est temps de le redécouvrir.
« Unissez-vous donc, peuples, si vous êtes sages ! »
« La matière ne peut avoir été créée. Elle a d’elle-même son être et son mouvement. »
Jean Meslier (1664-1729) sort aujourd’hui de l’ombre. Il étonne et il fascine. Il y a de quoi ! Ce curé de campagne du petit village d’Étrépigny dans les Ardennes françaises est le fondateur de l’athéisme. Et le seul penseur révolutionnaire en France avant la Révolution… La place qu’il occupe dans l’histoire des idées est donc unique : il est d’abord et avant tout le premier penseur à réunir et à articuler en une seule conception du monde et de la vie l’athéisme, le matérialisme, l’égalitarisme communiste et la pensée révolutionnaire. Pas moins !
Avec le volumineux mémoire qu’il laisse à sa mort, le curé Jean Meslier offre une philosophie complète de la nature et de la société humaine en rupture radicale avec la pensée religieuse et philosophique et avec les idées sociales et politiques de son temps. Il s’affirme comme un précurseur des Lumières, qu’il dépasse en profondeur et en radicalité en tant de domaines.
Seul et solitaire pour mener cette gigantesque entreprise, il dénonce à la fois la tyrannie des puissants et l’imposture religieuse qui la bénit. « La religion, écrit-il, soutient le gouvernement politique si méchant qu’il puisse être et, à son tour, le gouvernement politique soutient la religion si vaine et si fausse qu’elle puisse être. »
En le démontrant, Meslier s’affirme comme le premier théoricien systématique de l’athéisme à se lancer dans une attaque exhaustive et radicale de la croyance en un Dieu, le premier à sortir l’athéisme de sa culture élitaire et à le revendiquer pour les masses populaires, le premier athée communiste – et, de même, le premier communiste athée – connu dans l’histoire universelle de la pensée. Le premier philosophe à vouloir « transformer le monde » donc !
Il est également le premier matérialiste systématique et conséquent depuis l’Antiquité. Il expose longuement le point de vue que la matière ne peut avoir été créée, que le mouvement lui est indissolublement lié, que « la matière a d’elle-même son mouvement ».
Prônant l’égalitarisme communiste, il est aussi le premier à vouloir fonder une société sans classes par l’action révolutionnaire qu’il conçoit comme une action populaire de masse : à la différence de tant d’autres auteurs de son temps qui l’envisagent au travers de l’imagination utopique, Meslier décrit peu les formes politiques de la société future, mais il forge en revanche un projet et un programme révolutionnaires pour la réaliser.
Il est de même le premier critique social à considérer la religion comme le produit et la preuve de l’oppression et de l’exploitation sociales, à voir dans la propriété privée la cause de l’inégalité et de la domination, à reconnaître que toutes les richesses viennent du travail, et à avancer l’idée de la grève générale. Le premier à prôner l’idée de la dictature des opprimés (il revendique ouvertement d’« opprimer tous les oppresseurs » !) et à se prononcer pour la transformation de la guerre des nations en guerre des classes.
Précurseur du féminisme, sans être aucunement libertin (le libertinage est un courant élitiste méprisant des masses), il se prononce contre l’indissolubilité des mariages et ses conséquences néfastes pour les hommes comme pour les femmes, et pour leurs enfants. Il défend l’union libre et s’indigne que l’Église condamne ce qu’il appelle si joliment « ce doux et violent penchant de la nature ».
Comme s’il exprimait l’irruption du peuple paysan brandissant sa misère au sein des salons philosophiques, Meslier doit sa radicalité à son expérience pratique de la vie paysanne d’Ancien Régime qu’aucun autre penseur de son temps ne connaît comme lui. Il est, avant la Révolution, le seul penseur à concevoir l’athéisme, non comme un privilège des puissants, mais comme une arme pour libérer les masses asservies.
Pour que la pensée accède à nouveau en un seul mouvement à la conjonction de ces quatre domaines que sont la négation de Dieu, la matière, le communisme et la révolution, il faudra attendre Marx et Engels, c’est-à-dire plus d’un siècle de transformations profondes de la société, parmi lesquelles la Révolution française et la révolution industrielle, le triomphe de la bourgeoisie et la constitution du prolétariat industriel.
Ainsi mesure-t-on l’avance que Jean Meslier avait sur son temps, et ce qui en fait un penseur d’exception, trop injustement méconnu aujourd’hui.
repères15 juin 1664. Naissance de Jean Meslier à Mazerny (Ardennes). Curé d’Étrépigny où il meurt à l’été 1729. 1762. Publication par Voltaire, sous le titre de Testament de J. Meslier, d’un écrit qu’il présentait comme un extrait d’un texte beaucoup plus volumineux, retrouvé chez lui. 1864. Rudolf C. d’Ablaing Van Gissenburg et le milieu librepenseur hollandais publient une première édition complète en trois volumes du Testament.
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