LA CATASTROPHE DE COURRIERES : JUSTICE, L'EDITORIAL DE JEAN JAURES DANS L'HUMANITE (10/03/2016)

jaures2.jpgLe coeur se serre de douleur et d’angoisse devant la catastrophe de la mine de Courrières. Quel est le nombre des victimes ? On ne le saura sans doute que dans un ou deux jours ; mais c’est toute une région qui est frappée au coeur. Est-il possible d’établir des responsabilités ? Il faudra les rechercher sans parti pris, mais sans faiblesse.

Est-il vrai que le rapport parlementaire sur les mines signalait l’insuffisante aération de la mine de Courrières ? Je n’ai pas eu le temps de m’en assurer. Il se peut après tout qu’il y ait encore, dans le maniement des forces naturelles, une part de fatalité que la raison de l’homme n’a pu réduire. Il se peut que, même exploitées collectivement, sans âpre souci immédiat du dividende, les mines puissent être encore parfois surprises et ravagées par l’explosion sauvage des forces aveugles.

Mais du moins la société humaine aura fait alors tout ce qui dépend d’elle pour assurer aux ouvriers mineurs un destin tolérable. Aujourd’hui, elle ne le fait point.
Quelle est, pour les ouvriers de la mine, la récompense de tant de fatigues et de tant de périls ? Ils n’ont pas dans la mine des droits certains, ou ils n’ont que des rudiments de droits. Ils peinent, ils souffrent, ils meurent, et une large part du produit de leur travail va gonfler le capital oisif.

courmort.jpgIls creusent les galeries profondes ; ils déchaînent au contact de leur pic ou de leur lampe les forces de destruction qui ensevelissent sous la terre éboulée ou dans les flammes jaillissantes des centaines d’hommes ; et ils peuvent être renvoyés par le caprice d’un porion. Ils n’ont pas la joie de se dire : « Cette mine est à nous tous ; elle est à la nation des travailleurs ; et dans la perpétuité de la propriété sociale, nos fils et les fils de nos fils trouveront à jamais une garantie de liberté, de bien-être, de dignité. »

Non, ils ne peuvent pas dire cela. Car la mine appartient au capital, elle n’appartient pas à la communauté et au travail. Cette mine où ils peinent et où ils succombent, cette mine qui est un dur chantier toujours et parfois un sinistre tombeau, ils l’aiment malgré tout ; parce que l’homme aime ce à quoi il se donne.
Mais comme ils l’aimeraient, comme ils l’adoreraient si elle était la cité souterraine du travail libre et de la justice sociale ! Même les catastrophes seraient moins cruelles si elles étaient imputables à la seule nature et si l’humanité avait fait tout l’effort qu’elle peut faire pour les prévenir.

Ce qui est terrible, c’est de se dire, devant ces morts, que la société n’a pas été juste pour eux ; qu’elle n’a pas respecté et glorifié en eux la dignité de la vie, qu’elle les a laissés à l’état de salariés, c’est-à-dire dans une condition inférieure.

Ils ont disparu avant d’avoir connu ce degré plus haut de vie matérielle et morale que l’organisation communiste assurerait à tous. Et pourtant cette organisation est possible dès aujourd’hui. La résistance des égoïsmes, la routine des préjugés s’y opposent encore ; mais dès maintenant les groupements ouvriers, fédérés dans la nation, pourraient prendre en main la grande production. Combien de temps encore permettrons-nous que la mort fauche des salariés ?
Ce sera ennoblir la mort même que d’offrir à ses coups des hommes vraiment et pleinement libres, fiers de la justice sociale enfin conquise.

Maintenant, ce sont des foules à demi pliées par la servitude qui entrent en rampant dans le tombeau. Demain, ce seront des hommes de liberté qui entreront debout jusque dans la mort.

Par quelle tragique et significative rencontre la catastrophe de Courrières coïncide-t-elle avec les combinaisons de la crise ministérielle ?
Du fond des fosses embrasées, c’est une sommation de justice sociale qui monte vers les délégués politiques de la nation.

C’est la dure et douloureuse destinée du travail qui, une fois de plus, se manifeste à tous. Et l’action politique serait-elle autre chose que le triste jeu des ambitions et des vanités si elle ne se proposait pas la libération du peuple ouvrier, l’organisation d’une vie meilleure pour ceux qui travaillent ?

C’est sous ce signe terrible que naîtra le gouvernement de demain. Comprendra-t-il ce formidable avertissement des choses ?

Par Jean Jaurès
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