FEMME PEINTRE CELEBRE - TAMARA DE LEMPICKA
24/08/2023
La jeunesse en Russie
Tamara Rozalia Górska est née le 16 mai 1898 à Varsovie, capitale polonaise, qui était à l’époque rattachée à la Russie. Fille de Boris Górski, un avocat russe de confession juive, et de Malwina Dekler, une mondaine polonaise qui passe la majeure partie de sa vie à l’étranger, Tamara fréquente brièvement un pensionnat de Lausanne en 1911.
Sa grand-mère l’emmène ensuite en voyage en Italie où elle découvre les chefs-d’œuvre de la Renaissance. Après le divorce de ses parents en 1912, elle vit avec sa tante Stefa à Saint-Pétersbourg et y rencontre en 1915 un riche avocat polonais, Tadeusz Łempicki (1888-1951). Elle l’épouse en 1916 à Saint-Pétersbourg. Leur vie luxueuse est bousculée par la Révolution russe de 1917. Lempicki est arrêté, mais Tamara obtient sa libération en faisant intervenir le consul de Suède. Le couple s’exile : Copenhague, Londres puis Paris.
L’exil à Paris
Les Lempicki sont recueillis pas des cousins de Tamara qui avaient également trouvé refuge à Paris. Leur fille Maria-Krystyna, dite Kizette, naît en 1919. Tadeusz Łempicki ne parvenant pas à s’adapter professionnellement à la France, Tamara décide de devenir peintre. En 1920, elle s’inscrit, à l’académie Ranson et également à l'académie de la Grande Chaumière. Dans la première, elle a pour professeur Maurice Denis (1870-1943), peintre du mouvement nabi, et dans la seconde André Lhote (1885-1962), l’un des représentants du cubisme. Cet enseignement déterminera le style très original qui est le sien, brillante synthèse du maniérisme du 16e siècle italien et du cubisme du début du 20e siècle. Ses premières peintures sont des natures mortes et des portraits de sa fille Kizette.
L’artiste célèbre
La carrière de Tamara de Lempicka démarre vraiment en 1925. Elle présente quelques œuvres à l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes qui se tient à Paris en 1925 et qui lancera le style Art déco. La même année, le comte Emmanuele Castelbarco (1884-1964) organise à Milan une exposition de ses œuvres. Elle peint 28 tableaux en quelques mois en vue de cette exposition et rencontre à plusieurs reprises l’écrivain Gabriele d’Annunzio (1863-1938) dans sa villa du lac de Garde. Ses tableaux, en harmonie avec le style Art déco qui connaît son heure de gloire dans les années 1920, sont de plus en plus appréciés. En 1927, elle remporte le premier prix à l’Exposition Internationale des Beaux-Arts de Bordeaux pour son portrait de Kizette au balcon.
Désormais célèbre, Tamara de Lempicka participe à la vie mondaine parisienne. En 1929, elle acquiert rue Méchain, dans le 14e arrondissement de Paris, un appartement-atelier situé dans un immeuble conçu par l'architecte français Robert Mallet-Stevens (1886-1945). La décoration de style Art déco est réalisée par Mallet-Stevens et la propre sœur de Tamara de Lempicka, Adrienne Gorska (1899-1969). Depuis 1984, cet immeuble est inscrit à l’Inventaire des Monuments historiques.
Tamara de Lempicka se rend pour la première fois aux États-Unis en 1929 pour peindre un portrait de la fiancée du magnat américain du pétrole américain Rufus T. Bush. Elle expose également ses œuvres avec succès au Carnegie Institute de Pittsburgh.
Elle divorce en 1928 puis se remarie en 1933 avec le baron Raoul Kuffner (1886-1961). Tamara de Lempicka est considérée comme bisexuelle. Elle ne cachait pas son attirance pour les femmes, ce qui paraissait à l’époque particulièrement scandaleux. On lui prête des relations avec l’écrivaine française Colette (1873-1954), la chanteuse Suzy Solidor (1900-1983), les écrivaines anglaises Violet Trefusis (1894-1972) et Vita Sackville-West (1892-1962).
Les États-Unis et le Mexique
Au cours de l’hiver 1939, après le déclenchement de la seconde guerre mondiale, Tamara de Lempicka, d’origine juive, et son mari émigrent vers les États-Unis. Ils s’installent d’abord à Los Angeles, puis à New York en 1943. Les expositions et la vie mondaine très active se poursuivent. Mais son style Art déco n’est plus au goût du jour lorsque de nouvelles tendances picturales apparaissent, orientées vers l’abstraction ou une figuration beaucoup plus provocante.
Le baron Kuffner meurt en 1961. Tamara de Lempicka s’installe alors à Houston, au Texas, où vit sa fille Kizette, qui a épousé un géologue texan, Harold Foxhall. En 1974, l’artiste part vivre à Cuernavaca, au Mexique, à 80 kilomètres de Mexico. Cuernavaca, située à une altitude moyenne, bénéficie d’un climat doux toute l’année et a été surnommée la ville de l’éternel printemps. Elle accueille à cette époque de nombreuses célébrités. Kizette y rejoint sa mère en 1979, après la mort de son mari.
Tamara de Lempicka meurt dans son sommeil le 18 mars 1980, à l’âge de 81 ans. Suivant ses souhaits, ses cendres sont dispersées sur le volcan Popocatépetl.
Tamara de Lempicka était une forte personnalité à l’activité débordante. Sa vie entière le montre et en particulier sa capacité à affronter l’adversité. Fuyant la Révolution russe, elle arrive à Paris en 1917 et devient une artiste connue dès 1925. N’ayant pas pratiqué la peinture dans sa prime jeunesse, elle avait tout à apprendre, mais aussi une volonté de fer de réussir. Sa fille Kizette, dans des interviews en anglais évoque d’ailleurs « une personne tellement dynamique que cela ne favorise pas vraiment la proximité. ». Et elle ajoute : « Elle était stricte avec les autres, mais également avec elle-même. On n’avait pas le droit d’être fatigué, on n’avait pas le droit de remettre au lendemain. »
Œuvre
L’œuvre de Tamara de Lempicka se rattache au mouvement Art déco qui prend naissance en Belgique avant la Première guerre mondiale. Il s’internationalise dans les années 1920 et 1930 puis décline. Il s’agit d’un mouvement artistique global qui concerne aussi l’architecture, la sculpture, la décoration. Influencé par le cubisme, il se caractérise par des formes géométriques arrondies, car les angles droits sont proscrits, et un goût pour l’ornementation répétitive.
Le style de Tamara de Lempicka est accueilli avec enthousiasme dans la période des années folles (décennie 1920) car il exprime picturalement la sensibilité Art déco. Cette artiste n’est pas une grande innovatrice mais une remarquable technicienne utilisant les acquis des siècles précédents pour les adapter à l’état d’esprit du moment. Venant d’un milieu favorisé dans lequel la vie mondaine a une importance primordiale, elle comprend vite ce que souhaite la haute société parisienne de l’entre-deux-guerres.
Ses plus grands succès sont des portraits qui restent classiques par le dessin apparent, la surface parfaitement lissée, les ombrages appuyés. Ingres, le dernier grand portraitiste académique, utilisait la même technique. Les fonds, tout en nuances de gris, contrastent puissamment avec les couleurs vives habillant les figures.
Le modelé des étoffes et des visages est travaillé avec soin, comme le faisaient les artistes de la Renaissance. Mais l’influence cubiste apparaît nettement dans l’assemblage des formes géométriques (ci-dessus, les immeubles en arrière-plan) et dans le refus de la convention perspectiviste. La composition rappelle le baroque, avec un plan rapproché sur le personnage, qui déborde généralement du cadre.
Mais au-delà de son style, Tamara de Lempicka fait évoluer l’image de la femme. Cheveux courts, regard assuré, corps libéré, sensualité revendiquée, tout cela correspond au climat années folles dans les hautes sphères de la société et débouchera après la seconde guerre mondiale sur une réflexion (Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe) et de nombreux mouvements de libération des femmes dans les pays occidentaux. Tamara de Lempicka propose donc une lecture nouvelle de la féminité, d’autant que sa bisexualité assumée constitue un acte de liberté rarissime à cette époque.
Classicisme stylistique mâtiné de cubisme et rupture sémantique sur l’univers féminin feront la fortune de Tamara de Lempicka. Ses commanditaires, aristocrates et bourgeois aisés, ne sont pas heurtés par son langage pictural et peuvent s’imaginer que leur image se situe à la pointe des évolutions artistiques. Les plus grands artistes ont souvent été rejetés mais les artistes simplement talentueux, intelligents et habiles parviennent à se faire admettre s’ils trouvent le compromis acceptable pour leur clientèle potentielle. Ce fut le cas de Tamara de Lempicka pendant une quinzaine d’années, de 1925 à 1940.
Par la suite, elle ne semble plus être en adéquation avec l’époque. Elle tente brièvement l’abstraction, le trou noir pictural de la fin du 20e siècle. Elle ne s’y perdra pas comme certains. Ses productions classiques restent en définitive les plus convaincantes, comme cette nature morte qui aurait pu être peinte par Zurbarán au 17e siècle.
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