ANGLETERRE : LE PAYS OU EST NE LE RUGBY
10/09/2023
Selon la légende, c’est à Rugby, au nord de Londres, que ce dérivé de la soule aurait vu le jour. On imagine ce sport issu des meilleures écoles anglaises offrant à la jeunesse dorée l’occasion de devenir des hommes sain de corps et d’esprit. Mais l’histoire n’est pas cousue de fil blanc.
Les clichés et images d’Épinal ont la vie dure, surtout lorsque l’on évoque le rugby en Angleterre. Commençons d’abord par la légende. L’histoire qui a fait que tout aurait débuté en novembre 1823 lors d’une partie de folk-football – variante de la soule – entre lycéens dans la ville de Rugby, dans le centre de l’Angleterre.
William Webb Ellis, alors un garçon frêle de 17 ans et sans grand talent sportif, se serait emparé du ballon avec les mains, au mépris des règles les plus élémentaires du jeu, puis aurait couru jusqu’à la ligne de but de ses adversaires.
Selon certains historiens britanniques, cette « légende » serait l’œuvre d’anciens élèves du collège de Rugby car d’autres témoignages indiquent que l’usage des mains était toujours interdit plus d’une décennie après le prétendu geste d’Ellis. Néanmoins, une pierre gravée et un monument commémorent ce geste sur le campus de l’école.
La tombe d’Ellis, dans le cimetière de Menton (Alpes-Maritimes), signale ainsi que « William Webb Ellis, avec un parfait mépris pour les règles du football tel que joué à son époque, a le premier pris le ballon dans les bras et couru avec, créant ainsi le caractère distinctif du rugby ».
L’histoire est donc belle ! Mais enjolivée. « D’abord, Webb Ellis n’a jamais prétendu être l’inventeur du jeu, explique Angus Gordon, le conservateur du musée de Rugby . Ensuite, il était un garçon frêle de 17 ans. Si jamais l’idée insensée lui était venue de prendre le ballon dans les mains, il aurait été massacré par ses aînés. » Dans les public schools – écoles privées et payantes –, sévissent bizutage et châtiments corporels et la transgression n’y est pas bien vue. Quoi qu’il en soit, il y a bien un fond de vérité dans tout cela. Le rugby a bien trouvé ses origines dans les milieux les plus aisés. Ce n’est pas parmi les classes populaires que le sport a grandi dans un premier temps.
Une lutte des castes
Reste qu’au début des années 1830, il se passe quelque chose à Rugby. Le collège, alors dirigé par un nouveau proviseur, Thomas Arnold, franc-maçon et humaniste, promeut les activités sportives, et en particulier ce qui deviendra officiellement le rugby, qui permet de canaliser la violence des étudiants.
Il n’y a pas de règles. Tout le monde joue. Les équipes se constituent ensuite par affinités. Puis le jeu de rugby acquiert sa vraie dimension quand les matchs opposent les différentes maisons (school houses) du collège, où les étudiants, tous pensionnaires, passent l’essentiel de leur temps. « L’orgueil devient collectif, explique Daniel Herrero dans son Dictionnaire amoureux du rugby. On n’aspire qu’à une chose, être digne de son équipe. »
La structure de la population du rugby en Angleterre semble donc être le produit de l’histoire de la discipline : protestant et aristocratique. Les public schools considèrent le rugby comme important pour la discipline, l’équité et la cohésion de la communauté. Il est censé créer des gentlemen et promouvoir une forte solidarité entre leurs membres tout au long de leur vie. L’engagement, la discipline, le respect, le travail et l’esprit d’équipe sont d’ailleurs des préceptes que l’on retrouve encore aujourd’hui gravés au pied de la monumentale statue à l’entrée du stade de Twickenham.
Dans leur étude sociologique Barbarians, Gentlemen and Players (1979), Eric Dunning et Kenneth Sheard expliquent clairement que les écoles les plus prestigieuses telles que Eton, Harrow, Rugby et tant d’autres avaient pour vocation la formation de « gentlemen chrétiens ». Pourtant, ce sport de combat collectif va très vite dépasser les portes de ces écoles du sud de l’Angleterre pour tracer sa voie vers un Nord en pleine révolution industrielle.
Ce sport de voyous ne sera pas seulement joué par des gentlemen. Ainsi, très vite dans le Lancashire, le Yorkshire, le Cumberland, mais aussi en Écosse dans la région textile des Borders, se constituent des équipes socialement composites. Au pays de Galles, le processus est similaire : le rugby est d’abord pratiqué à Newport puis se développe dans d’autres villes où les responsables des sociétés industrielles et des mines favorisent une pratique qui vise à mélanger les classes sociales afin de créer une supposée cohésion.
La querelle du professionalisme
Le ver est dans le fruit du rugby prôné par les public schools du Sud : un sport de riches pratiqué en amateur. Car, au Nord, la mixité sociale fait son chemin, des équipes créées autour des industries se multiplient et avec elles, l’idée de rémunérer un tant soit peu les pratiquants qui jouent le samedi, leur jour de repos. Ainsi va naître un conflit entre deux visions.
Les clubs du Sud voient, à travers leurs instances dirigeantes, d’un mauvais œil ce professionnalisme naissant et ceux du Nord, cette volonté affichée d’un indécrottable entre-soi. C’est ainsi que va naître le rugby à XIII dans le Nord, qui ne cache pas sa volonté de rémunérer les joueurs. Mais toutes ces questions – la monétisation du jeu, l’ouverture des compétitions aux clubs à recrutement populaire et le contrôle de l’organisation sportive – révèlent aussi d’autres tensions qui n’ont rien à voir avec le sport.
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