Eric Zemmour était naguère un souverainiste plus ou moins original. Il s’est ensuite changé en publiciste nationaliste, machiste et anti-musulman. Il a continué sa course en polémiste fruste abonné des studios, qui dénonce le «politiquement correct» de la gauche pour asséner à tous les micros le politiquement correct lepéniste. Le voici désormais pétainiste. C’est la suite logique…
Pétain a sauvé des juifs,dit-il dans une émission. A partir de quelques éléments véridiques, Zemmour en vient à proférer une énormité qui transforme avec une mauvaise foi abyssale des éléments historiques connus depuis toujours en provocation grossière et trompeuse.
Pour des motifs qui n’avaient rien d’humanitaire, le régime de Vichy a cherché à défendre sa souveraineté. Il a livré les juifs étrangers, hommes, femmes, enfants, vieillards et malades, ce qui devrait d’ailleurs suffire à démontrer son ignominie, de manière à montrer qu’il pouvait, dans certains cas, protéger ses nationaux. A partir de là, Zemmour met en marche une machine à slogans qui détourne totalement la vérité historique.
Dans ses déclarations à l’emporte-pièce, comme dans le chapitre consacré à ce sujet dans son livre, il néglige plusieurs faits essentiels :
— Le régime de Vichy, qu’il présente au spectateur candide en «sauveur de juifs», a promulgué dès 1940, sans pression particulière des Allemands, un statut des juifs discriminatoire et honteux, qui a facilité ensuite la tâche des nazis dans leur répression anti-juive. C’est ce qu’a montré le livre de Robert Paxton, et beaucoup d’autres, que Zemmour rejette, alors qu’il a permis de mieux comprendre la nature du régime de Vichy. Celui-ci n’était pas seulement fondé sur l’idée d’une acceptation réaliste de la défaite. Il a aussi mis en place un système autoritaire, xénophobe et antisémite, qui effaçait tous les acquis républicains.
— Le régime de Vichy a facilité la tâche des Allemands au moment des grandes rafles et n’a jamais élevé la moindre protestation contre le traitement inhumain réservé aux juifs qu’il livrait, pour l’essentiel des juifs étrangers, dont il savait fort bien, après 1942, qu’il étaient voués à un sort barbare. Le gouvernement Pétain a continué de collaborer jusqu’à la fin, sans jamais se démarquer sérieusement de la politique nazie, même quand elle réduisait à néant la souveraineté française et les principes les plus élémentaires de la vie humaine. Zemmour n’en souffle mot, ni dans son émission, ni dans son livre.
— Si beaucoup de juifs français ont été sauvés, bien plus qu’en Hollande et en Belgique, c’est aussi et sans doute surtout parce que la population les a souvent aidés, comme le montre le livre de Jacques Sémelin et aussi pour une raison géographique : la position de la France ouvrait aux fuyards deux frontières relativement poreuses, celle de la Suisse et de l’Espagne, où les personnes menacées par le Reich, gaullistes, résistants, juifs ou pilotes alliés, trouvaient un refuge. Cette possibilité était fermée aux fuyards de Hollande et de Belgique, dont les frontières jouxtaient des territoires allemands ou occupés par les nazis.
— Il est vrai, enfin, que l’existence du régime de Vichy a sans doute atténué, à certains égards, le sort des Français, par rapport à ce qu’aurait été une administration directe de la totalité du pays par la Wehrmacht. Mais la collaboration Pétain-Hitler a aussi facilité la tâche de l’armée allemande dans la guerre en reportant sur la police française une grande partie des tâches de maintien de l’ordre.
Elle a prolongé la guerre et donc laissé plus de temps aux nazis pour mener à bien leurs projets exterminateurs. Elle a contraint beaucoup de Français à des actes infamants, qui consistaient à livrer des hommes, des femmes et des enfants à la barbarie nazie. D’autres Français ont refusé ces choix impossibles et cette déchéance. Ce sont les résistants. Ceux-là défendaient vraiment la France, non les séides du Maréchal, à qui Zemmour trouve de si belles excuses.
— Autrement dit, en faisant l’éloge de Vichy sur la question des juifs, Zemmour, par nationalisme imbécile, prend finalement le parti de la collaboration. Il avalise la vieille thèse selon laquelle Pétain fut un bouclier pour les Français, thèse qui néglige le fait fondamental : fallait-il, dans l’espoir d’adoucir quelque peu le sort de la population française, collaborer avec les nazis ?
Zemmour, implicitement, répond oui. Ainsi il répudie sans le dire, au nom de la défense de l’identité française, l’action de la Résistance et de la France libre, qui ont refusé tout compromis avec Hitler. En préconisant la poursuite de la guerre dès le 18 juin 1940, De Gaulle mettait l’honneur du pays avant la sauvegarde de sa population. Il appelait les Français à se rebeller contre l’occupant, quels que soient les risques. Zemmour, en assénant sans aucune précaution et sans aucune nuance que «Pétain a sauvé des juifs» justifie au fond la position du Maréchal dans sa querelle historique avec De Gaulle.
— Ainsi, pour choquer, pour faire de l’audience, pour vendre son livre et pour pousser ses idées xénophobes, il piétine implicitement le gaullisme et prend le parti de Vichy. C’est l’aboutissement inéluctable de son ignorance des réalités, de son oubli des principes républicains, et de la négation du travail des historiens depuis vingt ans. C’est l’oeuvre de son obsession anti-gauche et de sa pathologie xénophobe. Zemmour était un agent lépeniste. Le voici avocat des collabos. Quo non descendam ?
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