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01/09/2014

JEAN JAURES : LETTRE AUX ENSEIGNANTS DE FRANCE !

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Jean Jaurès (3 septembre 1859 - 31 juillet 1914) s’est engagé en politique afin de suivre les traces des principes républicains défendus par Jules Ferry. Fervent admirateur et défenseur de l’école publique et de ses « hussards noirs » de la République, il considère l’éducation des citoyens comme le socle de la consolidation républicaine ainsi qu’une valeur essentielle au socialisme. Lui qui fut également professeur rend de nombreux hommages à cette profession – rouage, à ses yeux, d’une société future plus juste et plus égalitaire.

La Dépêche de Toulouse, 15 janvier 1888.

ecole1902.jpgVous tenez en vos mains l'intelligence et l'âme des enfants ; vous êtes responsables de la patrie.

Les enfants qui vous sont confiés n'auront pas seulement à écrire, à déchiffrer une lettre, à lire une enseigne au coin d'une rue, à faire une addition et une multiplication. Ils sont Français et ils doivent connaître la France, sa géographie et son histoire : son corps et son âme. Ils seront citoyens et ils doivent savoir ce qu'est une démocratie libre, quels droits leur confèrent, quels devoirs leur impose la souveraineté de la nation. Enfin ils seront hommes, et il faut qu'ils aient une idée de l'homme, il faut qu'ils sachent quelle est la racine de nos misères : l'égoïsme aux formes multiples ; quel est le principe de notre grandeur : la fermeté unie à la tendresse.

Il faut qu'ils puissent se représenter à grands traits l'espèce humaine domptant peu à peu les brutalités de la nature et les brutalités de l'instinct, et qu'ils démêlent les éléments principaux de cette oeuvre extraordinaire qui s'appelle la civilisation. Il faut leur montrer la grandeur de la pensée ; il faut leur enseigner le respect et le culte de l'âme en éveillant en eux le sentiment de l'infini qui est notre joie, et aussi notre force, car c'est par lui que nous triompherons du mal, de l'obscurité et de la mort.

Eh ! Quoi ? Tout cela à des enfants ! - Oui, tout cela, si vous ne voulez pas fabriquer simplement des machines à épeler... J'entends dire : « À quoi bon exiger tant de l'école ? Est-ce que la vie elle-même n'est pas une grande institutrice ? Est-ce que, par exemple, au contact d'une démocratie ardente, l'enfant devenu adulte, ne comprendra pas de lui-même les idées de travail, d'égalité, de justice, de dignité humaine qui sont la démocratie elle-même ? » - Je le veux bien, quoiqu'il y ait encore dans notre société, qu'on dit agitée, bien des épaisseurs dormantes où croupissent les esprits. Mais autre chose est de faire, tout d'abord, amitié avec la démocratie par l'intelligence ou par la passion. La vie peut mêler, dans l'âme de l'homme, à l'idée de justice tardivement éveillée, une saveur amère d'orgueil blessé ou de misère subie, un ressentiment ou une souffrance. Pourquoi ne pas offrir la justice à nos cœurs tout neufs ? Il faut que toutes nos idées soient comme imprégnées d'enfance, c'est-à-dire de générosité pure et de sérénité.

Comment donnerez-vous à l'école primaire l'éducation si haute que j'ai indiquée ? Il y a deux moyens. Tout d'abord que vous appreniez aux enfants à lire avec une facilité absolue, de telle sorte qu'ils ne puissent plus l'oublier de la vie, et que dans n'importe quel livre leur oeil ne s'arrête à aucun obstacle. Savoir lire vraiment sans hésitation, comme nous lisons vous et moi, c'est la clef de tout....Sachant bien lire, l'écolier, qui est très curieux, aurait bien vite, avec sept ou huit livres choisis, une idée très haute de l'histoire de l'espèce humaine, de la structure du monde, de l'histoire propre de la terre dans le monde, du rôle propre de la France dans l'humanité. Le maître doit intervenir pour aider ce premier travail de l'esprit ; il n'est pas nécessaire qu'il dise beaucoup, qu'il fasse de longues leçons ; il suffit que tous les détails qu'il leur donnera concourent nettement à un tableau d'ensemble.

De ce que l'on sait de l'homme primitif à l'homme d'aujourd'hui, quelle prodigieuse transformation ! Et comme il est aisé à l'instituteur, en quelques traits, de faire, sentir à l'enfant l'effort inouï de la pensée humaine ! Seulement, pour cela, il faut que le maître lui-même soit tout pénétré de ce qu'il enseigne. Il ne faut pas qu'il récite le soir ce qu'il a appris le matin ; il faut, par exemple, qu'il se soit fait en silence une idée claire du ciel, du mouvement des astres ; il faut qu'il se soit émerveillé tout bas de l'esprit humain qui, trompé par les yeux, a pris tout d'abord le ciel pour une voûte solide et basse, puis a deviné l'infini de l'espace et a suivi dans cet infini la route précise des planètes et des soleils ; alors, et alors seulement, lorsque par la lecture solitaire et la méditation, il sera tout plein d'une grande idée et tout éclairé intérieurement, il communiquera sans peine aux enfants, à la première occasion, la lumière et l'émotion de son esprit. Ah ! Sans doute, avec la fatigue écrasante de l'école, il est malaisé de vous ressaisir ; mais il suffit d'une demi-heure par jour pour maintenir la pensée à sa hauteur et pour ne pas verser dans l'ornière du métier. Vous serez plus que payés de votre peine, car vous sentirez la vie de l'intelligence s'éveiller autour de vous.

Il ne faut pas croire que ce soit proportionner l'enseignement aux enfants que de le rapetisser. Les enfants ont une curiosité illimitée, et vous pouvez tout doucement les mener au bout du monde. Il y a un fait que les philosophes expliquent différemment suivant les systèmes, mais qui est indéniable : « Les enfants ont en eux des germes de commencements d'idées. » Voyez avec quelle facilité ils distinguent le bien du mal, touchant ainsi aux deux pôles du monde ; leur âme recèle des trésors à fleur de terre ; il suffit de gratter un peu pour les mettre à jour. Il ne faut donc pas craindre de leur parler avec sérieux, simplicité et grandeur.

Je dis donc aux maîtres pour me résumer : lorsque d'une part vous aurez appris aux enfants à lire à fond, et lorsque, d'autre part, en quelques causeries familières et graves, vous leur aurez parlé des grandes choses qui intéressent la pensée et la conscience humaine, vous aurez fait sans peine en quelques années œuvre complète d'éducateurs. Dans chaque intelligence il y aura un sommet, et, ce jour-là, bien des choses changeront.

10:43 Publié dans Culture, Livre, Sciences, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : école, jean jaurès, enseignants | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook |

03/11/2013

Claude Bernard, philosophe et médecin malgré lui

histoire,hôpital,lyon,maladie,medecins,claude bernard,françois dagognetIl rêvait de devenir auteur dramatique, il devint médecin. Claude Bernard, né il y a deux siècles, passionné de poisons et d’expérimentations, a révolutionné la médecine. Il est le père de la méthode expérimentale Oheric : observation, hypothèse, expérimentation, résultat, interprétation, conclusion.

L ’année 2013 marque le bicentenaire de la naissance de Claude Bernard. Du grand physiologiste, né le 12 juillet 1813, le nom est à chacun familier. Il a été donné à de nombreux hôpitaux, rues, écoles, facultés… Pourtant, beaucoup ignorent son œuvre. Voici donc l’occasion de rafraîchir nos mémoires. Scientifiques et philosophes se mobilisent pour tirer de l’oubli l’auteur de l’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale. Partout en France, et tout particulièrement à Lyon, où il a travaillé, et dans son village natal de Saint-Julien (Rhône), dans le Beaujolais, cet automne les vendanges s’annoncent sur ce plan particulièrement riches.

Mais qui était Claude Bernard ?

Le 10 février 1878, lors des funérailles nationales de Claude Bernard, 4 000 personnes suivent sa dépouille jusqu’au prestigieux cimetière du Père-Lachaise. Quelle consécration posthume pour ce fils de modestes viticulteurs dont les découvertes ont arraché la biologie au Moyen Âge !

histoire,hôpital,lyon,maladie,medecins,claude bernard,françois dagognetAcadémicien, professeur à la Sorbonne et au Collège de France, mondialement connu, il est resté toute sa vie attaché à son Beaujolais natal. À Saint-Julien, en 1860, il acquiert le manoir jouxtant la maison familiale, siège du beau musée qui lui est aujourd’hui dédié. Mais avant d’en arriver là, le jeune Claude Bernard, peu motivé par ses études chez les jésuites, et recalé au bachot, est apprenti pharmacien à Vaise (Lyon).

Il y vend la fameuse thériaque, potion miraculeuse concoctée par Galien au IIe siècle et combinant soixante-dix ingrédients : plantes rares, opium et venin de vipère. Cette panacée sert surtout à enrichir M. Millet, l’apothicaire. Disciple de Descartes, le jeune apprenti ose manifester des doutes sur la pharmacothérapie en vigueur à son époque.

Dans la soupente du père Millet, Claude
Bernard se rêve auteur dramatique. Sa comédie Rose du Rhône ayant eu quelque succès à Lyon, et son patron l’ayant licencié, il « monte à Paris » avec, en poche, une tragédie en cinq actes, Arthur de Bretagne. Hélas, il se heurte au critique Saint-Marc Girardin, qui lui conseille la médecine. Bon conseil, puisque dès sa rencontre avec Magendie, véritable coup de foudre intellectuel, le « médecin malgré lui » va révéler son génie !

« As du bistouri », et docteur en médecine en 1843, Claude Bernard choisit la recherche et pratique l’expérimentation sur le vivant. Afin de pouvoir poursuivre ses recherches, il accepte un mariage arrangé avec Fanny Martin, fille unique d’un médecin fortuné. Ce mariage va tourner au cauchemar : sa femme, cofondatrice de la SPA, l’accable de reproches, dénonçant partout l’usage de la vivisection. En outre, les deux garçons du couple mourront en bas âge, tandis que les deux filles sont dressées contre leur père. Le couple se sépare après des années de déchirements.

Cependant, le chercheur vole de découverte en découverte ! Les trois domaines où il s’est illustré de la manière la plus novatrice sont le mode d’action des poisons, et notamment du curare, la notion de milieu intérieur et la fonction glycogénique du foie.

Claude Bernard s’est toute sa vie passionné pour les poisons, et notamment pour le curare. On lui doit la précieuse découverte de ses pouvoirs anesthésiants. Le concept de milieu intérieur prépare la découverte de l’homéostasie, ce pouvoir de l’organisme de maintenir – en maintes occasions – son propre équilibre.

Quant à la fonction glycogénique du foie, elle désigne le fait que le foie « fabrique » du sucre, en fait le synthétise, au lieu de simplement le stocker. Jusqu’à Claude Bernard et à sa spectaculaire expérience du « foie lavé », la théorie régnante était celle de Lavoisier, selon laquelle seuls les végétaux fabriquaient du sucre, les animaux, dont l’homme, jouant les parasites. Ce sucre ensuite était stocké dans l’organisme, en particulier dans le foie, les poumons « brûlant » le sucre en excès. Le diabète était vu comme une maladie pulmonaire, les poumons échouant à exercer cette élimination.

Un petit fait expérimental, la présence de glycogène après lavage du foie prélevé sur un chien, va ruiner la belle théorie. Claude Bernard proclame : « Quand le fait que l’on rencontre ne s’accorde pas avec une théorie, il faut accepter le fait et abandonner la théorie. » Ses travaux font faire un pas de géant à la compréhension du diabète, même s’il reconnaît n’en avoir trouvé ni la cause ni le remède. C’est grâce à ses travaux que, onze ans après sa mort, des chercheurs allemands découvriront le rôle du pancréas et le remède au diabète : l’insuline.

Philosophe, continuateur de Descartes, Claude Bernard reste aussi, et peut-être surtout, le fondateur de la méthode expérimentale Oheric (observation, hypothèse, expérimentation, résultat, interprétation, conclusion), qui, selon François Dagognet, « n’a perdu ni son feu ni même sa validité ».

L’actualité  du bicentenaire

- Pour connaître de façon plus complète la vie et l’œuvre de Claude Bernard, on pourra lire avec profit le petit livre très vivant Je suis… Claude Bernard, d’Odile Nguyen-Schoendorff (préface de François Dagognet, illustrations de Max Schoendorff, photographies d’Yves Neyrolles), 10 euros, chez Jacques André éditeur, 
5, rue Bugeaud, 69006 Lyon.

- La visite du musée Claude Bernard à Saint-Julien (Rhône) est toujours d’actualité.

Odile Nguyen-Schoendorff, professeure de philosophie pour l'Humanité

21/09/2013

Le jour où la Provence tremblera

provence1.jpgSéismes . Un siècle après le tremblement de terre de Lambesc, les études montrent que, dans cette région, à magnitude égale, le nombre de victimes et les dégâts seraient dix fois plus importants.

" Les montagnes se fendent par le milieu (…) de sorte que les pauvres gens ne peuvent être sûrs d'avoir retraite salutaire aux champs ni aux villes. " Cet extrait d'une lettre envoyée au comte de Tende par le fils de Nostradamus est l'un des rares documents écrits en possession des historiens à propos du terrible séisme de 1564 dans les Alpes du Sud, qui provoqua la mort d'environ huit cents personnes, chiffre épouvantable pour l'époque.
Trois villages de montagne furent rayés de la carte dont un noyé dans les eaux d'une rivière dont le cours fut stoppé par les éboulements provoqués par la secousse tellurique. Sur la côte, les témoins décrivent un tsunami : les ports d'Antibes notamment furent mis à sec avant qu'une gigantesque vague ne déferlât sur les jetées, écrasant tout sur son passage.

ttprovence.jpgDes microséismes quotidiens
Depuis, le Sud-Est a été régulièrement affecté par les tremblements de terre. On dénombra 630 morts en Ligurie italienne et 10 morts sur la Côte d'Azur après la secousse de 1887 et 46 morts dans la région d'Aix-en-Provence en 1909 (lire ci-dessous).

De nombreux Provençaux ont encore en mémoire l'angoisse ressentie le 19 juillet 1963 lorsque se produisit un séisme de magnitude 5,8, accompagné d'un petit raz de marée. Ou encore pendant celui du 21 avril 1995, au large des côtes, de magnitude 4,7. Mais c'est quasi quotidiennement que cette région est sujette à des microséismes.
Le chevauchement des plaques tectoniques eurasienne et africaine (responsable de la formation des Alpes) se poursuit inexorablement… Et comme le dit Wolfgang Jalil, de l'Association française du génie parasismique, lors d'un colloque scientifique à Aix-en-Provence marquant, le 11 juin dernier, le centième anniversaire du séisme de Lambesc, " là où un séisme passe une fois, il repasse, mais on ne sait jamais quand… ".
Personne n'a pourtant osé imaginer les conséquences précises d'une telle catastrophe dans cette Provence aujourd'hui urbanisée à outrance et connaissant une forte poussée démographique, notamment dans l'arrière- pays. Un essai de simulation a toutefois été réalisé en 1982 par le conseil régional Provence-Alpes-Côte d'Azur à partir des données plus ou moins précises du séisme de Lambesc. Il situait le nombre probable de morts à un millier, le nombre de blessés entre 2 000 et 6 000 et le total des dégâts matériels à 5 milliards de francs.

Vingt-cinq ans après, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a mené une étude similaire mais pour le seul département des Bouches-du-Rhône. Elle fait apparaître qu'en cas de secousse de magnitude 5,5 près de 730 logements subiraient des dommages graves et deviendraient inhabitables, 2 500 autres habitations devant être temporairement évacuées, ce qui générerait des dizaines de milliers de sans-abri. Le nombre de morts pourrait s'élever jusqu'à 400 et l'on compterait un millier de blessés. Des chiffres comparables à ceux du récent séisme de L'Aquila (Italie centrale) qui a fait 300 morts et près de 60 000 sans-abri.

préserver l'image de marque de la région…
Pendant longtemps, ces mises en garde des scientifiques ont été ignorées, voire tournées en ridicule par des autorités politiques locales soucieuses avant tout de préserver l'image de marque touristique de la région.
On se souvient de Jacques Médecin expliquant, sans rire, au lendemain d'un tremblement de terre dévastateur en Californie, que la région de Nice " était préservée d'une grande secousse grâce aux volcans italiens qui font office de soupape de sécurité ", ou traitant Haroun Tazieff, ministre délégué aux Risques majeurs, de " photographe de volcans ", au lendemain d'une conférence scientifique de ce dernier à l'université.
Depuis quelques années, malgré tout, et depuis que la gauche est aux affaires dans cette région, les mentalités semblent avoir évolué. Un " plan séisme " est mis en oeuvre depuis 2007 qui vise pour l'essentiel à informer objectivement le public dans un but de prévention, et à améliorer la prise en compte du risque sismique dans les constructions. Comme le dit Claire Arnal, chargée de mission au conseil régional PACA : " Ce n'est pas le séisme qui tue, c'est le bâti. "

En la matière, c'est la petite principauté de Monaco qui a montré l'exemple puisque, depuis 1966, toutes les constructions sont conçues pour faire face à un séisme de magnitude 7.
Certains promoteurs immobiliers en ont même fait un argument de vente. En revanche, chez le grand frère voisin, on a vite fait le tour des bâtiments et des ouvrages d'art où sont appliquées les normes parasismiques. Les ponts de l'A8, quelques hôpitaux, les derniers palais des congrès construits dans la région ou encore certaines résidences privées de prestige comme Marina Baie des Anges, à Villeneuve-Loubet, sont équipés pour résister à une secousse qui ne manquera pas de se produire.
" Dans le bâti récent cela va mieux, mais il est vrai que sur le bâti très ancien, non renforcé, on a une fragilité ", admet Claire Arnal. Une fragilité dont souffriraient, notamment, la plupart des immeubles HLM de la Provence parce que, à l'époque de leur construction, le surcoût du parasismique - de 5 % à 8 % du coût total - avait été jugé trop élevé.

Philippe Jérôme, pour l'Humanité