Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

22/02/2024

22 février 1944 : le poète Robert Desnos est arrêté, avant d'être déporté vers « Nuit et brouillard »

Desnos.jpgIl y a 80 ans, le résistant a été emmené pour un interrogatoire rue des Saussaies, à Paris, avant d’intégrer la prison de Fresnes. Ensuite le camp de Compiègne avant Auschwitz, puis Buchenwald, et encore les marches de la mort… pour finir à Terezin.

Par Olivier Barbarant, poète pour l'Humanité

Le téléphone est alors chose rare. Il vient d’être installé au 19, rue Mazarine. Il sonne fort tôt au matin de ce 22 février 1944, et une voix féminine put prévenir que la Gestapo sortait de la rédaction d’Aujourd’hui où elle pensait trouver Robert Desnos. Le poète contribue alors au journal depuis sa fondation, en septembre 1940, par Henri Jeanson, lequel a trouvé durant un bref automne le moyen d’y faire régner un esprit de liberté.

Jeanson vite écarté, Desnos a fait le choix d’y rester, glissant dans des chroniques apparemment anodines sur le cinéma, la musique ou la chanson un air plus pur que celui de la propagande, et souvent parfumé d’allusions. Il publie, anime des émissions de radio, travaille pour le cinéma, trouvant ainsi les moyens de subvenir aux besoins de sa compagne, Youki, mais aussi d’Alain Brieux, que le couple cache comme réfractaire à la loi du service du travail obligatoire (STO).

Desnos, le résistant

desnos2.pngCe 22 février, Desnos lui ordonne de s’enfuir en lui confiant un paquet à jeter à l’égout. Brieux racontera plus tard qu’il croise dans l’escalier les trois agents en civil. Après la fouille mettant à sac une bibliothèque que Desnos a pris soin d’expurger en janvier, il est interrogé rue des Saussaies, puis expédié à la prison de Fresnes.

Les motifs de l’arrestation ne manquent pas. Matricule P2 du réseau de résistance Agir, ajoutant des publications interdites sous pseudonyme aux contributions autorisées, hébergeant des clandestins, Desnos a parfois mêlé à l’action une certaine imprudence verbale. Une vieille polémique avec Céline dans Aujourd’hui en mars 1941, une plus violente querelle avec le secrétaire du collaborateur Alain Laubreaux avec lequel il en est venu aux mains au Harry’s Bar en 1942 ne sont que la part la plus parisienne d’autres audaces.

Il semble par exemple que les fusils cachés dans la cour, rue Mazarine, n’aient pas été trouvés par la Gestapo. Mais la suractivité artistique, militante et combattante de ces mois brouille les cartes. On peine à savoir ce que savaient les Allemands.

Il fallait l’aveuglement vitupérant des émules surréalistes de la Main à plume pour prétendre condamner en août 1943 « M. Desnos, collaborateur d’Aujourd’hui », quand le journal lui permettait d’accéder à des informations dont il glissait les transcriptions à son réseau…

Malgré ses incartades furieuses, la discrétion de Desnos lui fait taire aussi sa participation à la destruction d’un train de munitions en gare de Maintenon le 18 février 1944, où son camarade André Verdet affirme qu’il se trouvait. C’est le résistant Desnos qui est arrêté, peu après son chef Michel Hollard, torturé début février sans avoir lâché le moindre nom.

Commence alors un terrible chemin de croix. Transféré le 20 mars à Compiègne où il composera l’admirable poème Sol de Compiègne, comme un oratorio en amont des autres camps (« Craie et silex et herbe et craie et silex/Et silex et poussière et craie et silex »…), Desnos aurait pu être maintenu à Royallieu. Cette faveur arrachée par Youki auprès du responsable du camp est annulée par Laubreaux, qui a appris la nouvelle le 1er avril chez Maxim’s : « Pas déporté ! Vous devriez le fusiller. C’est un homme dangereux, un terroriste, un communiste. » L’assassin finira, lui, des jours tranquilles en 1968 dans l’Espagne de Franco…

Auschwitz et les marches de la mort

Arrivé le 30 avril à Auschwitz, réexpédié à Buchenwald le 12 mai, où l’on ajoute au tatouage d’identification le triangle rouge des politiques, transféré le 25 à Flossenbürg, Desnos trouve enfin le 2 juin sa destination dans la bureaucratie nazie tournant à plein régime : Flöha, où les détenus valides sont employés dans une usine d’armement. Par maladresse d’intellectuel ou sabotage (ils sont nombreux), Desnos est éloigné des machines et cantonné au balayage.

Tous les survivants racontent comment le poète, à chacune de ces destinations, est pour ses compagnons de malheur un soleil. Chansons, improvisations poétiques, organisation des séances d’épouillage sont opposées à l’enfer, tant qu’il en eut la force, la voix « chaude et joyeuse et résolue » du Veilleur du Pont-au-Change. Mais c’est roué de coups, les lunettes brisées après un conflit avec le kapo cuisinier que Desnos, épuisé, sera jeté sur les routes de l’évacuation des camps devant l’avancée des troupes alliées, du 14 avril au 7 mai 1945.

À Terezín enfin rejoint, où il est identifié par deux étudiants en médecine tchèques qui l’accompagneront jusqu’à sa fin, Desnos figure sur une photographie datée du 8 mai 1945. Celui qui peut donc apprendre la victoire, crâne rasé, maigre à faire peur, offre pout tout sourire à l’objectif qu’il peine à discerner une douloureuse grimace. Le typhus aura raison de ce qui lui reste de forces le 8 juin, à 5 h 30 du matin. Le Bain avec Andromède, publié clandestinement en 1944, avait su prédire le dernier mot : « Plus loin le monstre fuit./ Le ciel est dépassé ».

23/04/2022

Pio La Torre, une vie à combattre la Mafia

pio.jpg

Il était la voix forte du Parti communiste italien en Sicile et le premier à avoir dénoncé et combattu la mainmise de Cosa Nostra jusque sur la péninsule. Le 30 avril 1982, le député Pio La Torre était abattu en pleine rue. Prémices d’un électrochoc pour la société et les institutions, sa mort marque un tournant décisif dans la lutte contre la mafia.

Le 30 avril 1982 au matin, Pio La Torre, député et secrétaire régional du Parti communiste italien (PCI), est abattu avec son chauffeur Rosario Di Salvo en plein Palerme par Cosa Nostra, la Mafia sicilienne. Cette exécution s’inscrit dans un contexte particulier. Bien que divisée par une guerre interne qui cause un millier de morts entre 1978 et 1983, la Mafia mène en parallèle une terrible offensive contre l’État italien, en assassinant une quinzaine de ses représentants (membres des forces de l’ordre, magistrats, hommes politiques). L’année 1982 constitue l’apogée de ce déchaînement de violence mafieuse : Cosa Nostra élimine Pio La Torre puis, trois mois plus tard, le préfet de Palerme, Carlo Alberto Dalla Chiesa.

La Sicile fait figure de laboratoire

Né à la périphérie de Palerme, en 1927, dans une famille de paysans, Pio La Torre s’engage au PCI dès 1945 et participe aux luttes paysannes qui ont marqué le climat social de l’après-guerre en Sicile. Il se heurte d’emblée à Cosa Nostra et le refus de se soumettre à la domination mafieuse devient alors le fil rouge de toute sa vie militante. En tant que dirigeant de la CGIL (Confederazione Generale Italiana del Lavoro, syndicat proche du PCI), il mène la bataille de l’occupation des terres non cultivées pour libérer les paysans du joug de la Mafia qui contrôle le territoire et les travailleurs pour le compte des grands propriétaires terriens.

En pleine guerre froide, la Sicile fait figure de laboratoire. Le succès des forces de gauche aux élections régionales de 1947 risque de compromettre l’équilibre international des blocs (1). En Sicile, Cosa Nostra est utilisée comme bras armé par le gouvernement démocrate chrétien local – avec le soutien logistique de la CIA qui fournit des armes et favorise la réactivation de réseaux néofascistes – pour réprimer le mouvement paysan. Une quarantaine de syndicalistes sont assassinés mais La Torre s’investit pleinement, ce qui lui confère un grand prestige auprès des militants et de la population. Accusé à tort d’avoir frappé un policier lors d’une manifestation, il est emprisonné pendant un an et demi, jusqu’en août 1951, puis reprend son engagement politique.

Collusions entre  Cosa Nostra  et la Démocratie chrétienne

En 1952, La Torre est élu pour la première fois au conseil municipal de Palerme, où il siège jusqu’en 1966, et devient secrétaire général de la CGIL en 1959. Il dirige le PCI sicilien de 1962 à 1967, puis intègre en 1969 la direction centrale du PCI. En 1963, il obtient son premier mandat à l’assemblée régionale de Sicile (ARS).

Au conseil municipal de Palerme et à l’ARS, il révèle l’ampleur des collusions entre Cosa Nostra et la Démocratie chrétienne, parti largement majoritaire en Sicile jusqu’à sa dissolution en 1994. En échange du soutien électoral que la Mafia garantit au parti grâce au contrôle qu’elle exerce sur le territoire, les élus centristes lui permettent d’infiltrer l’économie légale en obtenant des appels d’offres pour les travaux du plan d’urbanisme de la ville.

La Torre brise ainsi l’omerta en dénonçant sans relâche le système politico-mafieux qui permet à la Mafia de blanchir l’argent sale issu du trafic de stupéfiants grâce à la spéculation immobilière.

Lien avec le pouvoir politique depuis 1943

Élu au Parlement en 1972, Pio La Torre intègre la commission parlementaire anti-Mafia. Il préface et cosigne le premier rapport de la minorité publié en 1976, intitulé « Mafia et politique », dans lequel il analyse le lien que Cosa Nostra a tissé avec le pouvoir politique depuis le débarquement allié en 1943 et dénonce le système de pouvoir mis en place au niveau local par la DC. Ce document est précieux car il retrace également l’évolution des activités de Cosa Nostra, qui passe en quelques décennies de mafia agraire à mafia urbaine, suivant ainsi les mutations de l’économie régionale.

Fort de cette fine connaissance du phénomène mafieux acquise sur le terrain, La Torre dépose, en mars 1980, une proposition de loi prévoyant l’institution d’un délit d’association mafieuse. En octobre 1981, en pleine guerre de la Mafia, il revient en Sicile pour diriger la section régionale du PCI. La bataille pour la paix – et contre l’ouverture d’une base de l’Otan – qu’il engage à Comiso vise également à empêcher Cosa Nostra de s’implanter dans la région de Raguse.

En mars 1982, il insiste auprès du président du Conseil, Giovanni Spadolini (premier non-démocrate-chrétien à ce poste depuis la Libération) pour que son projet de loi soit enfin discuté à la Chambre. La seule concession qu’il obtient est la nomination au poste de préfet de Palerme du général Carlo Alberto Dalla Chiesa, héros national de la lutte contre le terrorisme pour avoir arrêté les principaux chefs des Brigades rouges. Cependant, La Torre ne peut en mesurer les effets : il est assassiné quelques jours avant sa prise de fonction.

Une lutte ouverte contre la Mafia

La Torre n’a eu de cesse de revendiquer sa conception globale et salvatrice de la lutte contre la Mafia qui s’intègre dans un projet de développement économique, social et démocratique de la Sicile. C’est donc l’omniprésence de Cosa Nostra dans la société et l’économie siciliennes qui a transformé son combat politique pour le peuple sicilien en lutte ouverte contre la Mafia.

L’exécution de Pio La Torre et Rosario Di Salvo donne lieu à une mobilisation citoyenne importante mais cantonnée à la seule sphère militante. Ce n’est qu’après l’assassinat du préfet Dalla Chiesa, de sa femme Emanuela Setti Carraro et de leur policier d’escorte Domenico Russo, le 3 septembre 1982, qu’elle prend de l’ampleur et que l’État italien réagit.

La loi visionnaire imaginée par La Torre, adoptée en urgence le 13 septembre 1982 et qui porte son nom, marque un tournant dans la lutte contre la Mafia. Elle institue le délit d’association mafieuse en fournissant une définition précise du phénomène (entre autres, la force du lien associatif, le contrôle du territoire par la violence et le rapport congénital à la politique pour infiltrer l’économie) et met en place une mesure révolutionnaire, la confiscation des biens.

Le maxi-procès de 474 mafieux en 1986-1987

Grâce à ce formidable instrument juridique qui permet de sanctionner la seule appartenance à la Mafia, la magistrature palermitaine, emmenée par les juges Giovanni Falcone et Paolo Borsellino, se lance dans une instruction tentaculaire qui débouche sur le maxi-procès de 1986-1987, où 474 mafieux sont renvoyés à la barre. La condamnation à perpétuité des principaux chefs mafieux constitue la première victoire judiciaire de l’État italien.

La confirmation de ce verdict en cassation, en janvier 1992, déclenche la vengeance de Cosa Nostra. Les attentats spectaculaires qui coûtent la vie aux juges Falcone et Borsellino ainsi qu’à leurs escortes, respectivement le 23 mai et le 19 juillet 1992 (2), suscitent l’effroi en Sicile comme dans la péninsule.

Le mouvement anti-Mafia actuel s’est forgé à la suite des assassinats retentissants de 1982 et de 1992. Le message anonyme « C’est ici qu’est mort l’espoir des Palermitains honnêtes », retrouvé sur le lieu de l’assassinat de Dalla Chiesa le lendemain, marque le début d’une prise de parole par une partie, certes encore très mince et largement minoritaire, de la société palermitaine.

Une première nationalisation de la mobilisation a lieu grâce à un appel à la grève générale lancé par tous les syndicats et à l’organisation d’une grande manifestation à Palerme en octobre 1982. Les étudiants venant des autres régions du Sud gangrenées par la Mafia (Campanie et Calabre) y découvrent de nouvelles formes d’action collective (marches aux flambeaux, séminaires de réflexion) qu’ils vont importer dans leurs régions d’origine.

Dans les années 1980, de concert avec les enseignants, les veuves et les filles de victimes interviennent auprès des jeunes dans les écoles, notamment en Sicile et à Milan. Des fondations sont créées à la mémoire des victimes, des collectifs citoyens apparaissent et on assiste à une première tentative de structuration du mouvement anti-Mafia. Cette mobilisation citoyenne, qui se renouvelle à chaque anniversaire, est l’embryon de la mobilisation massive qui se vérifie après les massacres de 1992.

Rupture entre les représentants politiques et les citoyens

Sensibilisée à la question mafieuse, la génération qui a grandi dans le climat de violence des années 1980 donne ainsi vie à une mobilisation anti-Mafia collective et citoyenne d’une ampleur inédite dans les années 1990. L’année 1992 est d’autant plus cruciale que l’opération « Mains propres », menée par la magistrature milanaise, met au jour un système de corruption qui touche, dans des mesures différentes, tous les partis politiques et entraîne leur dissolution. Discréditée, la classe politique n’apparaît pas légitime pour défendre les idéaux de justice et de légalité incarnés par les victimes de la Mafia. Lors des obsèques des juges Falcone et Borsellino, on assiste ainsi à une véritable rupture entre les représentants politiques et les citoyens qui s’approprient dès lors les valeurs des défunts.

L’association Libera, créée en 1995 par le prêtre Luigi Ciotti, regroupe les proches de victimes et promeut la mémoire de celles-ci auprès des jeunes, notamment en organisant chaque 21 mars la « Journée de la mémoire et de l’engagement en souvenir des victimes des mafias ». Colonne vertébrale du mouvement anti-Mafia citoyen, Libera est désormais un réseau présent dans toute la péninsule qui rassemble plus de 1 600 associations (fondations en mémoire des victimes, syndicats de travailleurs et d’élus, associations cultuelles et environnementalistes locales et nationales, coopératives).

Selon Nando Dalla Chiesa (3), il s’agit de « la meilleure expression du “Made in Italy” sur le plan citoyen », qui tente de faire bouger les lignes aussi à l’international grâce à son réseau Libera Internazionale auquel adhèrent près de 80 associations d’Europe, d’Afrique et d’Amérique latine. En 1996, l’organisation lance une pétition pour la réutilisation sociale des biens confisqués aux mafieux qui recueille un million de signatures et contraint l’État à légiférer en ce sens.

À travers sa branche Libera Terra, elle aide des jeunes à créer des coopératives agricoles sur les terrains confisqués. Elle montre ainsi qu’une alternative à la criminalité est possible en promouvant un modèle économique solidaire et vertueux capable de supplanter le modèle mafieux. Les produits, commercialisés sous l’étiquette « Les saveurs de la légalité » pour inciter à la consommation critique, sont la concrétisation de l’engagement anti-Mafia social qui a guidé la vie de Pio La Torre.

(1) Les États-Unis font alors pression sur le gouvernement d’unité nationale, composé des partis issus de la Résistance, en conditionnant l’aide du plan Marshall à l’exclusion des partis de gauche de la majorité gouvernementale. Dès lors, la DC détient la majorité absolue et le PCI, bien qu’étant le Parti communiste le plus fort d’Europe, sera toujours relégué dans l’opposition. (2) Le 23 mai 1992, les policiers d’escorte Antonio Montinaro, Rocco Dicillo, Vito Schifani et l’épouse du magistrat, Francesca Morvillo, sont tués aux côtés de Giovanni Falcone lors du massacre de Capaci où 500 kg d’explosifs éventrent une autoroute ; cinquante-sept jours plus tard, Agostino Catalano, Emanuela Loi, Walter Cosina, Vincenzo Li Muli, Claudio Traina meurent avec Paolo Borsellino dans l’attentat à la voiture piégée en plein Palerme. (3) Sociologue spécialiste du phénomène mafieux, militant des premiers collectifs anti-Mafia à la suite de l’assassinat de son père, le préfet Dalla Chiesa, sénateur et secrétaire d’État dans les années 2000, il est président d’honneur de Libera.

Source l'Humanité

20:34 Publié dans Biographie, Etats Unis, L'Humanité, Résistance | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pio la torre, mafia, pci | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook |

20/03/2021

Histoire. La Commune. Mars 1871, l’insurrection algérienne d’El Mokrani

Algerie commune.jpg

D’innombrables révoltes ont secoué l’Algérie dès l’aube de la colonisation française. L’une des plus importantes, conduite par le cheikh El Mokrani, s’est étendue aux trois quarts du pays avant son sanglant écrasement.

REPÈRES HISTORIQUES

1832-1837 Abd El Kader s’élève contre l’occupation coloniale française, ce qui aboutit au traité de la Tafna.

1848 Après la reddition d’Abd El Kader, l’Algérie est officiellement proclamée « territoire français ».

1850-1870 Révoltes dans les Aurès et en Kabylie, réprimées dans le sang. La famine ravage l’Algérie.

Mars-avril 1871 L’insurrection kabyle conduite par El Mokrani et cheikh Aheddad s’étend aux régions voisines.

La liberté est le plus contagieux des désirs et, lorsqu’un peuple se soulève, il allume toujours, ailleurs, le feu de la révolte. Ainsi la Commune fut-elle contemporaine d’une insurrection qui aurait pu mettre un coup d’arrêt à l’entreprise coloniale française en Algérie. En mars 1871, à la faveur de l’instabilité créée par la défaite de Sedan et du climat insurrectionnel qui gagnait Paris, de l’autre côté de la Méditerranée, en Kabylie, les confédérations de tribus s’organisèrent pour déclencher une véritable guerre contre l’occupant. L’insurrection, la plus importante par son ampleur et son issue tragique depuis le début de la conquête en 1830, fut conduite par un chef énigmatique et craint, le cheikh El Mokrani, de son vrai nom Mohand Aït Mokrane.

Un « grand seigneur d’épée »

Fils d’un chef coutumier de la Medjana, sur les hautes plaines, El Mokrani, né en 1815, n’avait pas toujours incarné la rébellion contre les envahisseurs français. Les siens refusèrent même, en 1830, de se ranger sous la bannière de l’émir Abd El Kader. L’historiographie coloniale brosse d’El Mokrani le portrait d’un « grand seigneur d’épée » à la « bravoure chevaleresque », disposant « en maître souverain de toutes les contrées avoisinant son commandement », dont la France chercha d’abord sinon l’appui, du moins la neutralité. La barbarie des conquérants, l’arbitraire et l’injustice de l’ordre colonial se chargèrent de briser ce pacte tacite de non-agression. Soumise en 1857 après avoir résisté à 14 campagnes successives, au prix d’une dévastation d’une rare brutalité, la Kabylie ne s’était en fait jamais résignée à la domination coloniale.

De la misère naît la rébellion

De nombreuses révoltes avaient déjà éclaté en réaction à l’humiliation, à la confiscation des terres, aux déplacements des populations, au démantèlement de l’organisation sociale. Surtout, la misère à laquelle était réduite la population, les famines, en particulier la grande famine de 1857, attisèrent la rébellion. « C’en était fait de ces révoltes. Jusqu’au moment où la guerre contre la Prusse allait de nouveau réveiller les idées d’indépendance des indigènes », relate Just-Jean Étienne Roy en 1880, dans son Histoire de l’Algérie. « Aussi bien, pour nous faire respecter, nous n’avions plus d’armée en Afrique. L’occasion était donc trop favorable pour que ces populations, qui ont toujours supporté notre domination avec impatience et ne se sont jamais soumises que pour reprendre des forces en attendant de se soulever de nouveau, ne cherchassent pas à en profiter », rapporte l’Illustration dans son récit de l’insurrection.

Une armée de 10 000 hommes

L’effervescence s’était emparée des communautés villageoises l’année précédente : malgré l’interdiction formelle des autorités coloniales, des tijmaain, des assemblées de village, avaient été élues. Dès le 12 juin 1869, le maréchal Mac Mahon alertait Paris : « Les Kabyles resteront tranquilles aussi longtemps qu’ils ne verront pas la possibilité de nous chasser de leur pays ! » C’est El Mokrani, à la tête d’une armée de 10 000 hommes, qui donna, le 15 mars 1871, le signal de l’insurrection. Mais celle-ci prit une ampleur spectaculaire à partir du 8 avril, avec l’appel au soulèvement du vieux cheikh Aheddad, chef spirituel de la confrérie rahmaniya, auquel répondirent 250 tribus capables d’aligner plusieurs dizaines de milliers de combattants.

L’insurrection s’étendit comme une traînée de poudre à l’est et au sud du pays, gagna le littoral, s’empara du Constantinois. À l’ouest, les insurgés parvinrent jusqu’aux portes d’Alger. Mais l’écrasement de la Commune devait perdre les insurgés algériens. Le peuple de Paris massacré, l’autorité militaire avait les mains libres pour reconstituer une puissante armée d’Afrique : l’amiral Gueydon mobilisa 100 000 soldats et un dispositif militaire supérieur à celui qui avait permis d’asservir la Kabylie en 1857.

Tués, déportés, enrôlés de force...

Le 5 mai, El Mokrani fut abattu. Avec lui disparaissait l’âme de l’insurrection. Celle-ci se poursuivit pourtant, neuf mois durant, et avec elle une répression impitoyable : plusieurs dizaines de milliers d’insurgés furent tués, toute la population fut prise pour cible. Des villages entiers furent détruits, des familles décimées ou jetées sur les chemins de l’errance. La rébellion écrasée, 450 000 hectares de terres furent confisqués et distribués aux nouveaux colons que l’on fit venir d’Alsace-­Lorraine. Plus de 200 chefs insurgés furent traduits devant la cour d’assises de Constantine, en 1873, et condamnés à la déportation dans les bagnes de Cayenne ou de Nouvelle-­Calédonie, où ils retrouvèrent les communards. « Nous vîmes arriver, dans leurs grands burnous blancs, les Arabes déportés pour s’être eux aussi soulevés contre l’oppression. Ces Orientaux (…) étaient simples et bons et d’une grande justice. Aussi ne comprenaient-ils rien à la façon dont on avait agi avec eux », écrit Louise Michel dans ses mémoires (1).

Des hommes ayant pris part à l’insurrection furent enrôlés de force pour la campagne de Madagascar. Au nom de la « responsabilité collective des tribus insurgées », la Kabylie se vit infliger une amende de 36 millions de francs or. Meurtries, les communautés villageoises vécurent alors une véritable tragédie, dont la mémoire fut transmise de génération en génération par la littérature et la poésie orale.

(1) La Commune, histoire et souvenirs, de Louise Michel, la Découverte
 
Diego DIAZNombre de pages : 4415 €
Format(s) : Papier PDF EPUB MOBI

12:33 Publié dans Colonies, L'Humanité, La Commune | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : la commune, algérie | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook |