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01/10/2018

Charles Aznavour: "Missak et Mélinée Manouchian étaient des amis intimes"

manouchian hors série.jpgDans le nouveau hors-série de l'Humanité consacré aux 70 ans de l'Affiche rouge et au groupe Manouchian, le chanteur nous raconte les liens étroits qui unissaient Missak et Mélinée Manouchian à la famille Aznavour. Extrait.

Durant la guerre, vos parents ont hébergé Missak et Mélinée Manouchian dans leur appartement parisien, rue de Navarin. Comment s’étaient-ils rencontrés?

Charles Aznavour : Nous avions autour de nous des gens comme Missak et Mélinée – jusqu’à ce qu’elle parte en Arménie – qui étaient des amis intimes. Il y avait un club qui s’appelait la JAF, la Jeunesse arménienne de France, dont Mélinée était la secrétaire. Ils étaient tous les deux orphelins. Cela les avait réunis.

Ils étaient devenus un vrai couple totalement engagé dans le Parti communiste et cela a engagé aussi ma famille. Est-ce que c’était uniquement politique ?

L’Arménie était dans le giron de la Russie communiste et les Arméniens ont eu une possibilité de vivre à peu près bien comme dans les autres pays satellites de la Russie. C’était très important pour nous. Ce que l’on faisait était simple, ma mère surtout. Mon père, je ne sais pas. Il a été obligé de fuir Paris parce qu’il était recherché. Ma mère partait avec la voiture d’enfant où des armes étaient dissimulées.

Les armes servaient, on les remettait dans la voiture, chacun quittait les lieux à toute allure et maman rentrait à la maison. Nous avons été des aides. La Résistance avait besoin d’aides qui avaient moins d’importance que d’autres, mais qui ont permis d’aider au moment où il fallait aider.

Vous étiez adolescent. Quel souvenir gardez-vous de la présence de Manouchian?

Charles Aznavour : Quand il était à la maison, il n’avait rien à faire. Il s’était amusé à m’apprendre à jouer aux échecs. Je suis resté joueur d’échecs longtemps dans ma vie. On était môme ma sœur et moi, souvent bloqué à la maison. Il y avait les rafles, la police qui venait.

On a vécu dans un immeuble au 22 rue de Navarin. Le concierge était gendarme ou policier, je ne me souviens plus. Il est certain qu’il savait ce qui se passait parce qu’il voyait des gens arriver en uniforme et repartir en civil. Au rez-de-chaussée, vivait un couple d’homosexuels juifs. Et ma sœur jouait des morceaux de musique juive pour eux. Chez nous, on connaissait la musique de toute la région, iranienne, arménienne, turque, juive. Je me souviens d’un autre couple qui a été fusillé. Ils habitaient Belleville. J’allais chez eux pour apprendre les mathématiques parce que je voulais rentrer à l’école centrale de TSF et que sans les maths, je ne pouvais pas. Je n’avais que le certificat d’études, ce n’était pas suffisant. Je crois qu’ils s’appelaient Aslanian, tous les deux engagés politiquement, tous les deux fusillés.

 
Entretien réalisé par Victor Hache

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24/09/2018

Révolution française. 1792. Robespierre, et la République

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Hervé Leuwers, l'Humanité

Histoire. Pour Maximilien Robespierre, au lendemain des 21 et 22 septembre 1792, la République et son exigence démocratique sont un idéal et une œuvre à accomplir.

La Révolution française a cette particularité, par rapport aux révolutions qu’ont connues à la fin du XVIIIe siècle les États-Unis, les Provinces-Unies (Pays-Bas) et les Pays-Bas autrichiens (Belgique), de ne pas s’être d’abord opérée par le rejet d’un prince ; au contraire, pendant plus de trois années, les députés de la Constituante (1789-1791), puis de la Législative (1791-1792), ont voulu conserver à Louis XVI certaines de ses prérogatives… Ce n’est qu’à l’issue de l’insurrection du 10 août 1792, dans les deux premières séances d’une nouvelle Assemblée, la Convention nationale, que la France est pour une première fois entrée en République.

Robespierre n’est pas étranger à l’événement. Sans l’avoir préparé, il l’a appelé de ses vœux. Alors que les armées étrangères menacent les frontières, que le roi est soupçonné de trahison, il s’indigne de la complaisance de la Législative pour le général de La Fayette, en qui il craint un Cromwell prêt à se saisir du pouvoir, ou un Monck capable de restaurer l’Ancien Régime. Le 29 juillet 1792, au club des Jacobins, il n’est pas seul à envisager une défaite militaire et un triomphe de la contre-révolution ; à la tribune, il succède au militant Legendre, qui vient d’appeler à l’insurrection.

« Les grands maux appellent les grands remèdes, commence Robespierre. Les palliatifs ne font que les rendre incurables. » En formules fortes, il appelle à la déchéance de Louis XVI, au renversement de la Constitution et à la convocation d’une Convention ; loin de vouloir être élu, il propose que les députés qui ont siégé à la Constituante ou qui œuvrent à la Législative renoncent à leur réélection. Il veut croire en des hommes « neufs, purs et incorruptibles » – ce sont les mots qu’il emploie.

Quelques semaines plus tard, élu premier député du Pas-de-Calais et premier député de Paris, il choisit de représenter la capitale. Le 21 septembre 1792, il assiste à la séance inaugurale de la Convention où, sur proposition de Collot d’Herbois, les représentants décrètent l’abolition de la royauté. Le lendemain, l’Assemblée décide « que tous les actes publics porteront dorénavant la date de l’an premier de la République française ».

Désormais, Robespierre se dit républicain. L’était-il avant l’été ? La question a été d’autant plus débattue qu’au printemps 1792, au moment de l’entrée en guerre, il a publié un journal intitulé le Défenseur de la Constitution. L’ancien député entend y soutenir celle de 1791, dont il continue pourtant à déplorer les défauts ; il croit en la Déclaration des droits qui l’ouvre, et considère que le texte constitutionnel protège contre de possibles abus de pouvoir de l’exécutif, des généraux ou de certains députés. L’essentiel, selon lui, n’est pas dans la forme du gouvernement : « J’aime mieux, écrit-il en mai 1792, voir une assemblée représentative populaire et des citoyens libres et respectés avec un roi, qu’un peuple esclave et avili sous la verge d’un Sénat aristocratique et d’un dictateur. »

Il n’oublie pas, pourtant, qu’il a un moment cru en l’abolition de la royauté. C’était moins d’un an auparavant, au temps de Varennes. Le soir même de l’annonce de la fuite de Louis XVI, le 21 juin 1791, n’a-t-il pas affirmé aux Jacobins : « Ce jour pouvait être le plus beau de la Révolution ; il peut le devenir encore, et le gain de 40 millions d’entretien que coûte l’individu royal serait le moindre des bienfaits de cette journée. » La Constituante en a cependant décidé autrement.

« La République est proclamée plutôt qu’établie »

Si l’élu s’est alors plié à ce choix, c’est que, au mot de « république », Robespierre préfère la chose. La démocratie qu’il espère ne se définit pas d’abord par un mode de gouvernement, mais par des principes, qui sont l’égalité politique et une pleine souveraineté de la nation, qui ne s’aliène jamais, les citoyens devant pouvoir débattre dans des assemblées librement réunies (sections, clubs), voter, émettre des vœux, voire révoquer un député avant la fin de son mandat.

Au lendemain des 21 et 22 septembre 1792, cette exigence démocratique, qui est aussi une exigence républicaine (au sens traditionnel du mot), n’a pas changé chez Robespierre. Pour le conventionnel, la République n’est pas achevée parce que décrétée. « La République est proclamée plutôt qu’établie, écrit-il en décembre 1792. Notre pacte social est à faire, et nos lois ne sont encore que le code provisoire et incohérent que la tyrannie royale et constitutionnelle nous a transmis. » Il attend une nouvelle Constitution, de nouvelles lois, mais aussi un Code civil et l’instauration d’une éducation nationale ; il attend aussi l’exécution de Louis XVI, par laquelle il entend « cimenter la République naissante »… Pour Robespierre, la République est un idéal, une quête, une œuvre à accomplir, souvent dans la douleur ; elle se mérite.

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06/03/2018

Ligue des champions. Le président oublié du Real Madrid

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Nicolas Guillermin, L'Humanité

ortega real_madrid.pngMilitant communiste et républicain, Antonio Ortega a dirigé le club en 1937 et 1938. Un nom que le Real, longtemps lié au franquisme, a fait disparaître de son histoire officielle.

Club le plus titré au monde et parmi les plus riches, le Real Madrid CF incarne à lui seul la version capitaliste globalisée du football. Toujours prompte à signer de juteux partenariats avec de nouveaux sponsors ou à recruter des joueurs « galactiques » pour des montants mirobolants, la Maison blanche, un de ses nombreux surnoms, est bien plus discrète lorsqu’il s’agit d’évoquer son histoire en dehors des terrains de football.

On connaissait le passé franquiste du club merengue (meringue), incarné par Santiago Bernabeu, ancien footballeur, combattant franquiste puis président qui sut utiliser sa proximité avec le régime dictatorial de Franco pour favoriser le Real durant son règne de 1943 à 1978. On savait moins que le Real Madrid avait eu à sa tête un président communiste en 1937 et 1938 issu du Front populaire, en la personne d’Antonio Ortega Gutierrez, condamné à mort après un procès sommaire dans une prison d’Alicante et exécuté le 15 juillet 1939 à l’âge de 51 ans.

Si l’information était connue en Espagne, elle s’est peu diffusée par-delà les Pyrénées durant toutes ces années. Il a fallu que Sapiens, un magazine catalan d’histoire, fasse sa une sur le dixième président du Real Madrid « assassiné par Franco » pour que l’information resurgisse via les réseaux sociaux. Dans leur enquête, l’historien Ramon Usall et le producteur de télé Frédéric Porta s’intéressent tout particulièrement à sa disparition de l’histoire officielle du club. D’Antonio Ortega, colonel communiste devenu président martyr, pas la moindre trace ne subsiste sur le site Internet du club. Juste un grand vide entre Rafael Sanchez Guerra, qui quitta la présidence au début de la guerre d’Espagne, et Adolfo Melendez, premier président après le conflit.

Le Real Madrid Club de Futbol, renommé Madrid Football Club

Originaire de la petite ville de Rabé de las Calzadas, dans la province de Burgos, rien ne prédestinait Ortega, né en 1888, à accéder aux plus hautes fonctions de ce club « royal ». Issu d’une famille modeste, Ortega commence sa carrière militaire en 1906 et grimpe les échelons. Lorsque la guerre d’Espagne éclate, il est lieutenant de carabiniers à Irun, au Pays basque. Peu de temps après, il devient gouverneur civil de Guipuzcoa et conduit les troupes républicaines dans le Nord. En mai 1937, le nouveau gouvernement républicain de Juan Negrin appelle ce militant communiste à Madrid, où il est nommé directeur général de la sécurité.

À cette époque, le Real Madrid Club de Futbol, renommé Madrid Football Club depuis 1931, date de la dissolution de la monarchie et de l’avènement de la Seconde République, a entamé sa mue. La couronne, symbolisant le titre royal accordé par Alphonse XIII en 1920, a disparu du blason et a été remplacée par une « bande de lilas » dont la couleur violette est une référence au drapeau républicain. En août 1936, quelques semaines après l’insurrection militaire, le club est saisi par le Front populaire, et la Fédération du sport ouvrier, représentée par Juan José Vallejo, prend la tête du conseil d’administration. C’est en sa qualité de directeur général de la sécurité qu’Ortega est désigné, peu après, comme président de transition afin de superviser le processus électoral qui doit mener Vallejo à la présidence.

Rapidement Ortega se prend au jeu. Dans une interview accordée au supplément de ABC, Blanc et Noir, le 15 novembre 1938, il dévoile sa vision du futur pour ce sport, loin du mercantilisme et centrée sur la formation : « Le football ne ressemblera en rien à celui qui était pratiqué avant le 18 juillet. Je veux parler de son organisation, bien sûr. Les joueurs ne seront plus échangés comme des jetons, ni les as, ni les jeunes. »

Pour le club, Ortega voit grand avec la construction d’un nouveau stade : « Madrid doit obtenir le meilleur terrain de sport en Espagne, le stade le plus important. » Une idée qui sera ensuite reprise à son compte par Bernabeu avec l’inauguration d’une nouvelle enceinte en 1947 qui prendra le nom d’Estadio Santiago Bernabeu en 1955. C’est également durant cette période que le conseil d’administration entérina le principe d’« un socio, une voix » lors des élections à la présidence du club. Mécanisme toujours en vigueur.

Alors comment expliquer l’absence de Vallejo et d’Ortega dans les annales du club ? La direction du club s’est toujours retranchée derrière les mêmes arguments selon lesquels « pendant la guerre civile, le football était paralysé » (le club n’a disputé aucune compétition entre 1936 et 1939) et que ces deux présidents n’ont pas été élus. Durant l’ère Bernabeu, la direction « madridiste » ira même jusqu’à dire que le violet est la couleur de la Castille et, au fil des années, le ton changera jusqu’à devenir bleu aujourd’hui.

Avec le temps, ce déni n’a guère évolué. Comme Sapiens le rappelle, en 2002 déjà, l’historien du football espagnol Bernardo Salazar déplorait dans le quotidien sportif AS que « dans le livre officiel du centenaire pas un mot n’est écrit sur la saisie du club par la Fédération du sport ouvrier ou la nomination d’Antonio Ortega comme président du Madrid FC ». Durant leur enquête, les deux auteurs n’ont jamais pu consulter les archives du club, trouvant porte close malgré leurs demandes répétées. Le Centre du patrimoine historique du Real Madrid « ne peut être visité, n’est pas ouvert au public », leur a-t-on expliqué.

Finalement, c’est le journaliste et écrivain de livres historiques Julian Garcia Candau qui dans Sapiens résume le mieux la vraie raison pour laquelle le Real Madrid a toujours refusé de reconnaître Ortega : « Parce qu’il est communiste, tout simplement. »