02/09/2016
L'HUMANITE SAISI ET INTERDIT
Alexandre Courban Historien, L'Humanité
En ce mois d’août 1939, à l’approche de la Fête de l’Humanité qui doit se tenir à Garches (Hauts-de-Seine), le journal commente la signature du pacte germano-soviétique. Ce sera le dernier numéro imprimé légalement jusqu’à la Libération. Le gouvernement Daladier interdit la plupart des titres communistes.
D’après le compte rendu de l’assemblée des Comités de défense de l’Humanité et des Amis de l’Humanité de la région parisienne qui s’est déroulée l’avant-veille de la parution de ce numéro du quotidien communiste, « la préparation de la Fête de l’Humanité, le 3 septembre 1939, à Garches (…) doit revêtir cette année une ampleur exceptionnelle ».
Quelques jours auparavant, la signature du pacte de non-agression germano-soviétique a provoqué la stupéfaction de la plupart des dirigeants des principales puissances ou des observateurs de la vie politique internationale. Quand éclate – telle est son expression – « l’orage du 23 août 1939 : la signature du pacte germano-soviétique », Gabriel Péri, responsable de la rubrique de politique étrangère de l’Humanité, est en vacances dans les Alpes. Son remplacement est assuré par Marius Magnien.
« Le communisme, voilà l’ennemi ! »
Ce samedi 26 août 1939, l’Humanité titre : « Union de la nation française contre l’agresseur hitlérien ». L’éditorial du rédacteur en chef adjoint du quotidien communiste « essaye d’examiner en face les événements et d’en tirer les éléments utiles à la défense de la patrie ». Pierre-Laurent Darnar est loin d’imaginer que ce numéro est le dernier à paraître légalement avant cinq ans.
Il ignore que cette édition départementale du quotidien communiste est sur le point d’être saisie, ce qui empêchera sa distribution. Après trente-six ans d’existence, le journal fondé par Jean Jaurès est sur le point d’être interdit par le ministre de l’Intérieur, Albert Sarraut, celui-là même qui s’était écrié à Constantine en avril 1927 : « Le communisme, voilà l’ennemi ! » Douze ans plus tard, il signe un décret « autorisant la saisie et la suspension des publications de nature à nuire à la défense nationale ».
Sur ordre de la Place Beauvau, des policiers se rendent à l’imprimerie du journal, 123, rue Montmartre, dans la soirée du vendredi 25 août 1939. Là, ils brisent les formes, déchirent les flancs et refondent les plombs de l’édition parisienne du 26 août 1939 imprimée plus tard dans la nuit.
à défaut d’interdire le Parti communiste, qui continue de défendre une ligne patriotique en dépit de la signature du pacte germano-soviétique – les députés communistes voteront les crédits de guerre le 1er septembre 1939 –, le gouvernement Daladier interdit la plupart des titres de la presse communiste.
Personne ne prendra connaissance du dernier article de l’enquête de Léa Maury consacrée à « la misère du taxi parisien ». Personne ne prendra connaissance non plus du dernier article d’André Chennevière sur « les difficultés intérieures de l’Allemagne ». L’un comme l’autre figurent parmi les employés de l’Humanité, morts pendant la Seconde Guerre mondiale en raison de leur engagement militant. Les lecteurs de l’Humanité qui suivaient les aventures du comte de Monte-Christo publiées en feuilleton dans le journal communiste avec des illustrations de Max Lingner devront se procurer le volume d’Alexandre Dumas pour lire la suite…
Le gouvernement refuse de recevoir les délégations venues protester
Dès l’annonce de la saisie puis de l’interdiction, la direction de l’Humanité prend une série d’initiatives en direction de ses confrères. Jean Dorval sollicite, dans la nuit du 25 au 26 août 1939, l’intervention du président de la Fédération nationale des journaux français. Alors que le gouvernement refuse de recevoir les délégations venues protester contre la suspension des quotidiens communistes, le directeur de l’Humanité croit savoir que cette mesure est provisoire et que le journal pourra bientôt paraître à nouveau, faisant ainsi écho aux rumeurs qui circulent dans les couloirs de la Chambre des députés.
Ce que le rédacteur en chef du quotidien s’empresse d’annoncer aussitôt à l’imprimeur. Marcel Cachin tient ces informations d’une délégation du Syndicat de la presse parisienne (SPP) auprès du ministère de l’Intérieur. L’optimisme de la direction du journal contraste avec la façon dont les principaux quotidiens parisiens annoncent l’interdiction de la presse communiste : à peine quelques lignes, sauf rares exceptions ; l’événement principal est ailleurs.
Dans l’Humanité du 26 août 1939 Par Pierre-Laurent Darnar « À l’heure grave que traversent notre pays et le monde, au moment où le gouvernement prend les mesures nécessaires à défendre la France contre l’agression fasciste, il ne s’agit pas, pour tous ceux qui veulent sauvegarder l’indépendance et l’avenir de la nation, de se prendre à partie sur l’interprétation diverse des événements. (...) Pour nous, en expliquant la situation créée par le pacte de non-agression entre l’Union soviétique et l’Allemagne, nous avons mis les points positifs. Rien qui contredise les accords conclus avec l’Union soviétique pour le maintien de la paix dans l’indépendance des peuples (...).
Le pacte franco-soviétique d’assistance mutuelle reste en vigueur. (...) Notre souci, en cet instant plus que jamais, est d’accroître encore les forces de défense et de sauvegarde. (...) L’heure est à l’union des Français. Si Hitler ose le geste qu’il médite, les communistes français, qui n’ont cessé de proclamer que la paix était indivisible et qui n’ont cessé de préconiser la fermeté contre toute agression fasciste, seront au premier rang des défenseurs de l’indépendance des peuples, de la démocratie et de la France républicaine menacée. Ils représentent – on ne peut pas ne pas en tenir compte – une force humaine, matérielle et morale, considérable, prête à remplir ses obligations et à tenir ses engagements. »
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18/08/2016
La guerre froide et le stalinisme
Frédérick Genevée Historien, L'Humanité
Dans les années 1950, le monde apparaît binaire. À la force du communisme à l’Est s’oppose un Ouest en crise. C’est la période du stalinisme, mais aussi de la répression maccarthyste.
Le 16 janvier 1953, la une de l’Humanité, organe central du Parti communiste français, nous plonge dans le communisme de guerre froide et le stalinisme. Tout y est et tout s’articule. On y apprend ainsi que Staline est présenté aux élections du soviet de Moscou, que dans le même pays des médecins ont été arrêtés pour avoir attenté à la vie de dirigeants soviétiques, c’est le début du fameux complot dit « des blouses blanches ». Plusieurs dizaines de médecins soviétiques dont le médecin personnel de Staline sont arrêtés. La répression s’abat sur eux en mêlant critique du sionisme et campagne antisémite. Ils ne devront leur survie qu’à la mort du dictateur peu de temps après, en mars de la même année.
En ce début 1953, la vision communiste du monde semble binaire. À la force du communisme qui se construit à l’Est s’oppose un Ouest en crise. La première page du journal met ainsi en exergue une grande photographie de Mao entouré de jeunes pionniers. Le dirigeant chinois est célébré parce qu’il vient d’annoncer la tenue d’élections générales. La seconde photographie est celle d’une délégation de ménagères conduite par le maire de Bagnolet pour protester contre l’impéritie des services préfectoraux du département de la Seine. Le journal annonce aussi que des licenciements sont prévus aux usines Renault.
L’affaire Ethel et Julius Rosenberg atteint son paroxysme
Démocratie d’un côté, crise de l’autre mais aussi répression. Nous sommes au temps où des dirigeants communistes et syndicaux sont envoyés en prison en France car accusés de complot. C’est ainsi le cas d’Alain Le Léap, dirigeant de la CGT : une pétition demandant sa libération a rassemblé 50 000 signatures de mineurs du Nord et du Pas-de-Calais. Plus grave encore, l’affaire Ethel et Julius Rosenberg atteint son paroxysme. Le couple d’Américains, accusé d’espionnage et condamné à mort, doit bientôt être exécuté – ils le seront effectivement en juin de la même année. Les manifestations pour les sauver se multiplient, et l’Humanité rend compte de celle qui vient de se tenir à New York. On s’interroge souvent sur les raisons de l’aveuglement des communistes sur les réalités de l’Union soviétique stalinienne et sur leur solidarité sans faille. Se poser cette unique question ne permet pourtant pas d’y répondre.
Le monde de la guerre froide est un jeu de miroirs qui plonge les militants dans plusieurs « réalités » simultanées. Des informations filtrées leur proviennent de l’Est, mais ils vivent aussi dans un monde où la répression contre leur parti pour fait d’opinion est fréquente. Il est ainsi question dans cette livraison du journal des poursuites contre Jacques Duclos à la suite du célèbre complot des pigeons. Les difficultés de la vie quotidienne ne sont pas non plus pure invention, comme ne l’est pas non plus le retour de la droite aux affaires – René Mayer vient d’être investi avec le soutien des élus du RPF de De Gaulle.
Jacques Duclos tente d’ailleurs une critique générale de la politique économique du nouveau gouvernement qu’il accuse d’être inféodé aux États-Unis. Une véritable relance serait d’ailleurs impossible sans l’affirmation de l’indépendance de la France prisonnière jusque-là du plan Marshall et des dépenses militaires. Il affirme alors qu’un gouvernement français parce que français, c’est-à-dire indépendant, conduirait une tout autre politique et une véritable relance au service du peuple. Cette orientation ne peut qu’avoir l’oreille des militants, huit années seulement après la fin de la Seconde Guerre mondiale où s’est joué le sort de la France. Pour comprendre la force du stalinisme, il ne faut jamais omettre cette mémoire de la guerre, ni oublier le rôle joué par l’URSS dans la victoire contre le nazisme.
L’orientation stalinienne et ouvriériste du PCF
Tous ces éléments font système et expliquent le stalinisme à la française, d’autant que la direction du PCF est déstabilisée : Maurice Thorez, malade, est en convalescence en URSS, la direction du PCF est entre les mains de Duclos et d’Auguste Lecœur qui exacerbe l’orientation stalinienne et ouvriériste. Faut-il en déduire que cette conception du monde et de la politique communiste n’était pas empreinte de contradictions ? Le principal titre en ce 16 janvier 1953 porte sur la découverte par les services secrets britanniques d’un complot nazi en Allemagne. Cela ne cadre pourtant pas avec la vision manichéenne qui se dégage des analyses que l’on peut faire de cette époque, celle d’un affrontement entre l’Ouest et l’Est. En effet, si les services britanniques luttent avec efficacité contre des résurgences du nazisme, cela signifie qu’ils ne sont pas que du mauvais côté de la barrière et que la grande alliance antinazie pourrait se reconstituer.
Le PCF n’est pas une secte stalinienne, c’est un grand parti implanté qui a joué un rôle majeur dans la Résistance et dans l’obtention des acquis sociaux qui font l’identité de la France. Il a été moteur dans le rassemblement du Front populaire, de la Résistance, et des luttes anticoloniales ; cela le marque définitivement. Dans les années 1950, malgré la guerre froide, il ne s’agit pas de revenir à l’isolement de la fin des années 1920. Le PCF aurait sombré s’il n’avait été qu’un simple soutien à l’URSS sans lien avec la société française. Bien sûr, cette solidarité sans faille – et son identification totale au camp socialiste – d’un atout est devenue par la suite un obstacle à son développement.
Sa critique globale du stalinisme a été effectivement tardive alors même que des voix se faisaient entendre à l’extérieur et en son sein, surtout après 1956, pour le dégager de ce soutien. Il aurait pu s’y engager plus tôt, mais n’ayons pas non plus à notre tour une vision manichéenne de cette époque.
Dans l’Humanité du 16 janvier 1953 « (…) En même temps que l’indignation contre les médecins terroristes et leurs maîtres américains étreint le cœur des Soviétiques, la nouvelle annonçant que le groupe assassin avait été démasqué est interprétée comme un coup terrible porté aux fauteurs de guerre. Leurs agents qui avaient pour tâche d’amoindrir la capacité de défense de l’URSS en assassinant les chefs militaires soviétiques ont été mis hors d’état de nuire. Leur plan a été détruit. (...) »
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27/07/2016
Le peuple de Paris mis en Seine
Marie-Noëlle Bertrand, L'Humanité
À l’heure où l’on parle de reconquérir les quais de Seine, deux chercheuses racontent les usages qui étaient ceux du fleuve au XVIIIe siècle.
Imaginez que nous sommes en 1791. Imaginez que vous êtes mitron, à Paris, chez un maître boulanger. Imaginez un dimanche. Enfin, imaginez qu’il fait beau. « Eh bien, c’est ici même, au pont Royal, que vous viendriez, avec votre bonne amie, prendre la galiote pour Saint-Cloud. » La galiote, c’est ce grand rafiot plat halé par des chevaux qui écumait la Seine du XVIIIe siècle et embarquait jusqu’à cent voyageurs pour les faire passer de Paris à autre part, et inversement.
Celui qui en raconte présentement les déambulations, d’une voix friande d’anecdotes certifiées historiques, c’est Christian Hecq, de la Comédie-Française. Avec d’autres, l’acteur prête son timbre à la balade qui nous occupe aujourd’hui. Elle nous fait courir le long de la Seine, donc, à une époque où les quais de la capitale grouillaient de monde et où le peuple parisien vivait de l’eau, tirant du fleuve ses ressources et ses rythmes, respirant à son flanc, se nourrissant de son écume, se divertissant de ses humeurs. Une époque où l’habitant était d’abord riverain, et où les usages que l’on faisait de la Seine ne se limitaient pas au seul transport de marchandises.
Une histoire faite de travailleurs et de métiers depuis longtemps évincés
Deux chercheuses – une historienne, Isabelle Backouche, et une sociologue, Sarah Gensburger –, épaulées par une directrice artistique – Michèle Cohen -, ont entrepris de l’exhumer et de la raconter au fil de l’eau et du Web. L’expérience s’appelle Gens de la Seine, et se retrouve sans peine à l’aide de tout bon moteur de recherche (1).
Ici, foin de focus sur le patrimoine architectural ou les grands hommes que la postérité a pris soin de porter plus haut que les autres. « Nous voulions mettre en scène une histoire sociale de la ville, ancrée dans un territoire et une proximité de vie », explique Isabelle Backouche, qui a fait du fleuve son terrain de recherche. Une histoire faite de travailleurs et de métiers depuis longtemps évincés, dont certains pourraient revenir à l’honneur, à l’heure où s’opère la reconquête de rives séquaniennes squattées par les automobiles.
Imaginez, donc. Vous êtes parisienne, touriste ou tout simplement internaute. Vous décidez de vous promener quai Voltaire, virtuellement ou en chair et en os, écouteurs aux oreilles. Là, vous cliquez sur cette zone de la carte indiquant le point où vous êtes. Et vous vous laissez emmener par le récit. « Il y aurait beaucoup de monde à l’embarquement, reprend le narrateur. Les matelots auraient fait le tour de toutes les auberges voisines pour appeler les clients.
On attendrait les retardataires avant de partir. » La galiote passerait les villages de Chaillot, de Passy et d’Auteuil, laissant sur sa gauche le moulin de Javelle, les îles verdoyantes couvertes de troupeaux, la plaine de Billancourt ou encore les collines de Meudon. « Au bout d’un moment tout le monde discute dans le bateau. Comme le dit fièrement son capitaine : “C’est dans ma galiote qu’il faut venir pour entendre les plus belles motions et les plus beaux discours sur la Révolution, sur la Constitution, sur les droits de l’homme, de la femme, des enfants et de leurs nourrices”. »
Vous quittez le quai Voltaire pour celui des Tuileries, là où les blanchisseuses tiennent le haut du pavé, enveloppées par l’odeur du savon et le bruit des rires et des coups de battoir. Si les bourgeois d’alors préfèrent envoyer laver leur linge sale en campagne, les petites gens, elles, leur confient le leur à moindres frais. « La présence des bateaux de lessive sera finalement dénoncée. Ils gênent la navigation. » Quant au linge qui sèche sous les fenêtres du Louvre et des Tuileries, on finira par le trouver choquant.
Les blanchisseuses seront chassées des bords de Seine et se replieront dans les lavoirs de la ville, tel « celui de la Goutte-d’Or, où l’on respirait, comme l’écrira Zola, l’étouffement tiède des odeurs savonneuses ».
Elles ne seront pas seules à se faire bouter loin des abords du fleuve. Les teinturiers, qui sont encore, au XVIIIe siècle, une dizaine installés quai de la Corse dans de vastes ateliers, bénéficiant, depuis Hugues Capet, du privilège de ne pas payer de taxe sur leur bateau, en seront eux aussi chassés, accusés de polluer l’eau.
Idem pour les tripiers, posés près de Chatelet, où se trouvaient alors les grandes boucheries et dont les déchets sanguinolents finiront par s’accumuler à tel point qu’ils entraveront la navigation. Les vendeuses de billets de loterie, comme la veuve Marchand, dont les archives témoignent qu’elle écrira au roi pour tenter de sauver son commerce, en 1785, se verront elles aussi expulsées, de même que celles de marrons ou d’oranges, ou que les échoppes de broderie et de quincaillerie.
Le port de Saint-Paul, le plus important du Paris de l’époque, où l’on venait acheter bois de chauffe, poissons, papier, vin ou eau-de-vie, et où croisaient bateaux coches et des bacs de voyageurs, est lui aussi sur cale depuis bien longtemps.
Seules perdurent les brigades de sauvetage qui venaient au secours des noyés, du temps où rares étaient ceux qui savaient nager. Leurs méthodes, heureusement, ont changé, quand on apprend que le kit de sauvetage de l’époque comprenait, outre de l’ammoniaque et une plume pour chatouiller le nez, « un mode d’emploi pour introduire dans le fondement des malheureux de la fumée de tabac en se servant de la machine fumigatoire ».
15:08 Publié dans L'Humanité, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paris, seine, peuple | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook |