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30/04/2019

Léonard de Vinci, dans l’atelier d’Icare

léonard de vinci

Leonard de Vinci.jpgMort il y a cinq cents ans au château du Clos Lucé à Amboise, l’auteur de la Joconde ne cesse de fasciner ses admirateurs dans le domaine des arts et des sciences. Parcours dans l’atelier d’un créateur hors du commun issu de la terre et des ateliers d’artisans de la Toscane du Quattrocento.

D’après le mythe grec, Icare, fils de l’architecte athénien Dédale et de Naupacté, esclave crétoise, périt pour s’être approché trop près du Soleil alors qu’il agitait les ailes confectionnées pour lui par son père afin de fuir, avec lui, le piège du labyrinthe. « Carpe viam ! », « suis ta voie ! » indiqua Dédale à son fils, raconte Ovide dans ses Métamorphoses. « Me duce ! », « en me prenant pour guide ! ». Poète, musicien, chanteur, sculpteur, architecte, urbaniste, organisateur de fêtes, dessinateur et peintre admiré par ses contemporains et dans la suite des siècles ; mécanicien, ingénieur, géologue, botaniste, anatomiste, physicien, philosophe… mais plus sage qu’Icare, l’esprit s’élevant aux sommets de la technique, de la science et de l’art, c’est en suivant le conseil de son grand-père Antonio – « Po l’occhio ! », « ouvre l’œil » en son patois toscan – que Léonard de Vinci a découvert l’atelier englouti du fils de Dédale en descendant par la pensée et l’expérience au sein des tourbillons, des profondeurs des fleuves et de l’intimité humaine.

Né le 15 avril 1452 en Toscane, trois ans avant l’impression de la première bible de Gutenberg, un an avant la fin de la guerre de Cent Ans et la prise de Constantinople, Leonardo s’éteint au château du Clos Lucé à Amboise, le 2 mai 1519, dans les bras, selon la légende élaborée par Giorgio Vasari, du jeune roi François I er. Entre ces deux dates, le fils illégitime de Piero da Vinci, notaire puis chancelier et ambassadeur de la République florentine, et de Caterina di Meo Lippi, selon l’historien de l’art britannique Martin Kemp (1), paysanne du Chianti, de Chataria, fille d’un marchand de soie du nord de l’Inde, selon Henriette Chardak (2), vécut soixante-sept années. Elles furent celles d’un bouleversement de l’histoire européenne, marquée, entre autres, par la prise de Grenade, ce qu’on appelle les Grandes Découvertes, l’engagement des guerres d’Italie et, en 1517, la publication des quatre-vingt-quinze thèses de Luther. Une période de la Renaissance italienne qui vit s’épanouir les œuvres de Botticelli, Luca Pacioli, Bramante, Michel-Ange, Le Titien, Giorgione et Raphaël, après celles de Masaccio, Lorenzo Ghiberti, Donatello, Brunelleschi, Fra Angelico, Domenico Veneziano ou encore Piero della Francesca dans la première moitié du Quattrocento.

Élevé par son grand-père qui le recueillit dans la maison familiale de Vinci après que la mère de Leonardo s’est mariée à un paysan d’Anchiano – son père ayant convolé en justes noces, conformément à ses ambitions de classe, avec Albiera degli Amadori, une jeune fille de bonne famille et s’étant installé à Florence –, Leonardo eut une enfance bercée par la campagne Toscane. Il apprend l’abaco à l’école du village, le b.a.-ba des artisans et des négociants, et rencontre les muses au creux des chemins du Montalbano peuplé d’oliviers, d’amandiers et de figuiers, ainsi que sur les rives tourbillonnantes de l’Arno, bordées de lys, de joncs et d’iris.

On sait peu de chose sur cette période de la vie de Leonardo mais il semble – e la pulce d’acqua che lo sa` – que toutes les sœurs d’Apollon – la cigale Aède, Thelxinoé la chrysomèle, l’abeille Mélété, la sauterelle Terpsichore, la demoiselle Melpomène – l’aient fait sauter sur leurs genoux et lui aient appris quelques secrets avant qu’il n’entre, à l’âge de 14 ans, dans l’atelier d’Andrea del Verrocchio, l’un des plus fameux botteghe de Florence.

Dans cet atelier d’artisan où son père le fait embaucher après avoir remarqué en lui ses talents pour le dessin, l’apprenti brille en effet par sa gaieté, son esprit, son intelligence, sa voix, son talent, sa beauté et son insatiable curiosité. Il en apprend tous les métiers – menuiserie, ébénisterie, ferronnerie, sculpture, peinture –, mais cet humaniste sans lettres qui n’apprit le latin qu’à l’âge de 40 ans et jamais le grec ne sera pas autorisé à rentrer à l’université. Constamment en maraude dans les ateliers et les chantiers de Florence, il s’efforce de quitter son état de compagnon de corporation pour devenir maître. En 1478, après deux ans de silence à la suite d’un scandale qui le vise et qui vise, à travers lui, les Médicis, il devient peintre indépendant. Ses succès dans ce domaine seront ternis par sa difficulté à achever ses commandes et à se plier à ses commanditaires.

Issu d’une classe intermédiaire entre le populo grasso et le popolo minuto florentin lui imposant une lutte constante pour la reconnaissance, Leonardo quitte Florence pour Milan en 1482 en qualité d’ingénieur au service de Ludovic Sforza, charge dont il s’acquittera pendant près de vingt ans. C’est la période de sa vie pendant laquelle il développe ses compétences techniques en mécanique, hydraulique, fonderie et ingénierie, jusqu’à l’excellence.

Après la fuite de Ludovic Sforza face aux troupes françaises de Louis XII, Leonardo quitte Milan pour Mantoue et Venise en 1499. Il s’épuise en aller-retours pendant la quinzaine d’années qui précèdent son départ définitif pour la France, en 1516, entre Rome, Milan, Bologne et Florence. Ces cités et ses cours, dont celle de César Borgia – le modèle du Prince de Machiavel qui fait de lui son ingénieur principal –, sont autant d’étapes, mais trop brèves, où se mêlent espoirs et déceptions pour l’homme qui, passé la cinquantaine, est tantôt employé comme peintre et sculpteur, tantôt comme ingénieur civil ou militaire, tantôt comme metteur en scène de spectacles dans une Italie bousculée par les guerres intestines et la Furia francese.

Quand Leonardo arrive en France, il emporte avec lui quelques tableaux, dont la Joconde, en laissant derrière lui des œuvres aussi saisissantes que rares, dont une vingtaine peuvent lui être attribuées de manière certaine. Elles témoignent, tels le Cratère du Peintre des Niobides ou les Demoiselles d’Avignon de Picasso, d’un tournant dans l’histoire de l’art. Il emporte aussi ses Carnets. Publiés pour la plupart à la fin du XIX e siècle, ils seront considérés, selon l’air du temps marqué par le scientisme positiviste, comme des expressions de l’individualisme et de l’esprit de rupture qui marqueraient la période de la Renaissance dans le domaine scientifique. La reconnaissance, par l’historiographie moderne, de leur inscription dans une tradition qui les fait passer par la science et les techniques médiévales, comme le montra Pierre Duhem à la suite de Marcellin Berthelot et comme le montrent aujourd’hui Pascal Brioist, par son inscription dans la tradition des ingénieurs de la Renaissance ou, jusqu’à ses racines arabo-musulmanes, Dominique Raynaud, ne dégrade en rien mais complexifie l’image de Léonard, évoluant sur la pointe fine d’une intelligence collective qui s’épanouit à l’époque, plus que du génie solitaire dans le domaine des sciences et des techniques, en le dégageant de quelques mythes.

« Un bon nombre des inventions attribuées à Léonard de Vinci – le char d’assaut, le sous-marin ou le parachute – qui ont été mises en avant à l’époque de Jules Verne, où on veut à tout prix chercher des prédécesseurs et illustrer le mythe du progrès, sont des inventions de ses contemporains », explique Pascal Brioist. « Ce qui ne veut pas dire, précise-t-il, que Léonard n’invente rien dans le domaine mécanique, mais ce n’est pas dans ces machines qu’il faut le rechercher, c’est dans les machines textiles, dans les pompes qui sont les ancêtres des pompes de Thomas Newcomen, voire des pompes à pétrole modernes. » « Les machines volantes sont aussi un bon exemple de machines inventées par Léonard, personne avant lui n’étant allé aussi profondément dans l’imitation des oiseaux », conclut le professeur d’histoire et spécialiste de Léonard de Vinci.

Il voulait donner à l’œil « l’acuité du jugement ». « Léonard a le souci de la preuve mais substitue à la preuve mathématique un autre régime de preuve qui est une preuve visuelle », explique Dominique Raynaud concernant la méthode de l’auteur de la Vierge aux rochers dans le domaine de l’optique en particulier. « Quand on regarde Léonard, on est frappé par le fait que, souvent, une idée purement spéculative est développée qu’il ne cherche pas à contrôler mathématiquement. »

De fait, si la place de Léonard dans l’histoire des sciences s’est précisée, sa valeur – et la valeur de sa méthode qui nous fait rencontrer, par leurs défauts mathématiques même – mais Leonardo est attaché au concret, à « una più grassa Minerva », selon l’expression d’Alberti –, les travaux de Faraday par exemple – reste peut-être à mieux évaluer. Elle s’est révélée en tout cas hautement créatrice dans le domaine des sciences naturelles, en physiologie, en anatomie ou encore en géologie.

La fréquentation de ses Carnets est une source vive. À cinq cents ans d’écart, ils nous font aussi plonger dans l’univers d’une Terra incognita et d’un labyrinthe toujours ouvert à notre investigation avec en tête le conseil du grand-père universel qu’est devenu pour nous Leonardo : « Po l’occhio ! » Sur le dos d’une libellule volant au-dessus d’un torrent de Toscane où s’entretiennent les chevesnes et les gardons, « mobilis in mobili » – « mobile dans l’élément mobile » –, celle et celui de l’homme.

(1) Martin Kemp, Mona Lisa. The People and the Painting, avec Giuseppe Pallanti, Oxford, 2017.

(2) Henriette Chardak, Léonard de Vinci : l’indomptable, De Boree, Vents d’histoire, 2019.

12:05 Publié dans Biographie, L'Humanité, Peinture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : léonard de vinci | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook |

12/03/2019

Douarnenez Ces sardinières qui ont su tenir tête à leurs patrons

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En 1924, une immense grève éclata à Douarnenez. Les « Penn Sardin », ouvrières des usines de conserverie de sardines, ont bataillé pour obtenir une augmentation de salaire. Elles ne lâchèrent rien, malgré les nombreuses intimidations 
des patrons.

Douarnenez (Finistère, Bretagne), envoyée spéciale. 

À ces mots, la France du début du XXe siècle imagine un lieu de conformisme où les familles vivent de l’exploitation des champs et où règne un certain conservatisme. Pourtant, cette commune de 12 259 habitants étonnera lors des municipales de 1921 en élisant le premier maire communiste de France, Sébastien Velly. Mais un autre souvenir marque également la mémoire collective. Car, trois ans plus tard, une formidable grève qui, dans son domaine n’avait pas de précédent, va éclater. Les sardinières, ouvrières travaillant dans les usines de conserverie, vont se soulever violemment contre leurs patrons. Penn Sardin (Tête de sardine) était leur surnom.

Munies de sabots et de coiffes bretonnes, pas pour le folklore mais bien par mesure d’hygiène, elles travaillaient jour et nuit. « Quand le poisson débarquait, les ouvrières devaient accourir jusqu’à l’usine pour le traiter rapidement », se souvient Michel Mazéas, maire PCF de Douarnenez pendant vingt-quatre ans, dont la mère fut l’une d’entre elles. Et, pour le savoir, des jeunes filles couraient à travers la ville en criant « À l’usine ! À l’usine ! » Douarnenez comptait alors 21 conserveries. Les rues vivaient au rythme de l’arrivée des poissons. À ce moment-là, la majorité des femmes travaillent, excepté les épouses de notables. Les « petites filles de douze ans » prennent aussi le chemin de l’usine, écrit Anne-Dénès Martin dans son livre Ouvrières de la mer. « Aucune législation du travail n’était respectée, pour les patrons cela ne comptait pas », renchérit Michel Mazéas. Et si la pêche était bonne, les femmes pouvaient travailler jusqu’à soixante-douze heures d’affilée !

Pour se donner du courage, elles chantaient. « Saluez, riches heureux / Ces pauvres en haillons / Saluez, ce sont eux / Qui gagnent vos millions. » Certaines sont licenciées pour avoir fredonné ce chant révolutionnaire dans l’enceinte de leur usine. Conditions de travail déplorables, flambées des prix, salaires de misère, c’en est trop. Le 20 novembre 1924, les sardinières de la fabrique Carnaud vont décider de se mettre en grève. Elles demandent 1 franc de l’heure, alors que le tarif de rigueur est de 80 centimes. Les patrons refusent. « L’ambiance est tendue », écrit Jean-Michel Boulanger, dans un livre consacré à une figure locale qui deviendra mythique par son engagement auprès des sardinières : Daniel Le Flanchec, maire communiste de 1924 à 1940. « Pour cette classe sociale très à part, il n’était pas envisageable d’entamer des discussions avec les ouvriers. C’était même en accord avec le préfet », raconte encore Michel Mazéas.

Trois jours plus tard, un comité de grève est mis en place. Le lendemain, ce sont les 2 000 sardinières qui arrêtent le travail et marchent dans les rues de Douarnenez. Une pancarte est dans toutes les mains : « Pemp real a vo » (« Ce sera 1,25 franc »).

Aux côtés des femmes, Daniel Le Flanchec. Ce « personnage éloquent, tonitruant », comme le décrit Michel Mazéas, et que les sardinières appellent leur « dieu », leur « roi », accompagne le mouvement. Un meeting se tient début décembre sous les Halles. Il réunit plus de 4 000 travailleurs et des élus. Le 5 décembre 1924, l’Humanité titre : « Le sang ouvrier a coulé à Douarnenez ». Le journaliste raconte comment une « charge sauvage commandée par le chef de brigade de Douarnenez piétina vieillards et enfants ». Ordre venant du ministre de l’Intérieur. L’élu communiste, en voulant s’interposer devant l’attaque des gendarmes, sera suspendu de ses fonctions pour « entrave à la liberté du travail ».

La tension monte, les patrons ne veulent toujours pas négocier, des casseurs de grève s’immiscent dans le mouvement. Dans le même temps, des représentants syndicaux et politiques de la France entière se joignent aux grévistes. C’est dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier que tout va basculer : des coups de feu retentissent. Des cris se font entendre : « Flanchec est mort ! » Il est retrouvé blessé dans la rue. La colère explose. L’hôtel des casseurs de grève est saccagé. Un chèque y sera retrouvé, signé de la main d’un des patrons d’usine. Les conservateurs, qui ont tenté d’assassiner l’élu, avoueront plus tard qu’ils voulaient « seulement combattre le communisme ». Finalement, le 8 janvier, après près de cinquante jours de bataille acharnée, les patrons céderont. Les sardinières obtiendront 1 franc horaire, avec heures supplémentaires et reconnaissance du droit syndical. L’une d’entre elles sera même élue au conseil municipal. Mais, les femmes n’ayant pas encore le droit de vote, la liste sera invalidée. « Cet épisode aura un impact énorme en France. On en parlait partout : à la Troisième Internationale, à l’Assemblée nationale.

Des vivres et de l’argent arrivaient de tous les coins de l’Hexagone », raconte Michel Mazéas. Daniel Le Flanchec, déporté pour avoir refusé de retirer le drapeau français du fronton de la mairie, périra dans un camp nazi. Aujourd’hui, des vingt et une conserveries que comptait Douarnenez, il n’en reste que trois. Et leur production est pourtant mille fois supérieure à celles d’alors.

Les sardinières au XXIe siècle

À Douarnenez, le port-musée de la ville est ouvert tout l’été 
et consacre deux parties de son exposition permanente 
à l’histoire de cette industrie. Informations sur 
www.port-musee.org. On trouve au musée des Beaux-Arts 
de Quimper la peinture d’Alfred Guillou sur les Sardinières 
de Concarneau. À voir, le film les Penn Sardines (2004), 
de Marc Rivière, fiction qui a pour toile de fond cette révolte. Enfin, Claude Michel, chanteuse locale, a consacré quant à elle des albums à ces airs fredonnés alors dans les usines.

11:44 Publié dans L'Humanité, Résistance | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : douardenez, penn sardin | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook |

28/12/2018

Biographie. Conseil de guerre pour institutrice féministe

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1918 Hélène Brion. Une institutrice féministe devant le conseil de guerre Daniel Flamant Éditions Raison et passions, 187 pages, 18 euros
Militante de la SFIO et de la CGT, Hélène Brion rejoint dès 1915 le combat pacifiste et sera suspendue sans traitement du 27 juillet 1917 au 16 janvier 1925.

L’anniversaire de l’armistice donne l’occasion de faire revivre une figure assez méconnue du féminisme et du pacifisme, celle d’Hélène Brion (1882-1962). L’écrivain Daniel Flamant propose une biographie de l’institutrice axée essentiellement sur deux périodes, d’abord celle de son procès pour propagande défaitiste après cinq mois d’incarcération. Mais les soutiens d’Hélène, personnalités prestigieuses et témoins de moralité, proches et collègues, sont nombreux. L’institutrice est brillante, ses arguments convaincants, l’accusation sans fondement. Dans un contexte politique défavorable où Clemenceau pourfend le moindre fléchissement du bellicisme, le sursis lui est accordé par le tribunal militaire. La seconde période couvre la vie militante après la Première Guerre mondiale.

Daniel Flamant trace un portrait attachant et émouvant d’une femme dont les activités militantes furent multiples et très intenses. Hélène Brion fut secrétaire générale de la Fédération nationale des instituteurs, affiliée à la CGT, en 1914, et membre de la SFIO. D’abord ralliée à l’Union sacrée au début de la Grande Guerre, elle rejoint dès 1915 la majorité pacifiste des instituteurs syndicalistes, et soutient sans faille leur combat, qu’elle lie aux luttes féministes. En tant qu’institutrice, elle est très appréciée dans son milieu professionnel, ce qui ne l’empêchera pas d’être suspendue sans traitement du 27 juillet 1917 au 16 janvier 1925. L’arrivée au pouvoir du Cartel des gauches permettra sa réintégration.

Tous les combats qu’elle a menés sont encore d’actualité

Le fil rouge de l’engagement d’Hélène Brion demeure le féminisme. La militante ne renonce pas pour autant à s’inscrire dans une perspective politique plus globale ; en février et mars 1921, elle est déléguée en Russie soviétique au comité pour l’adhésion à la Troisième Internationale. Elle en revient enthousiaste et en tire un récit lyrique, exalté, qui ne paraîtra jamais. Il semble que son engouement pour la Russie rouge ait été de courte durée, peut-être en raison de la primauté qu’elle accorde au féminisme.

Après sa retraite dans un village des Vosges, elle poursuit avec obstination une Grande Encyclopédie féministe, débutée en 1902, où elle s’efforce d’arracher à l’anonymat une foule de femmes remarquables dans tous les domaines. Témoins d’une ambition considérable, celle de sortir de l’ombre une moitié de l’humanité, les cahiers s’empilent, mais le manque de méthode complique la tâche et l’entreprise demeure inédite.

Le biographe campe avec talent et vivacité une personnalité d’envergure qui a tenté de concilier syndicalisme, engagement politique et féminisme, et a dénoncé les contradictions du mouvement ouvrier, par exemple chez les typographes qui refusaient l’accès de leur profession aux femmes, ou chez les membres de la SFIO qui militaient pour des candidatures féminines mais refusaient de « sacrifier » des circonscriptions où elles auraient eu des chances de l’emporter. Tous les combats qu’elle a menés sont encore d’actualité, souligne un auteur qui nous offre de feuilleter une captivante page d’histoire.