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13/05/2025

Fête de l’Humanité 1945 : le goût de la liberté et de la paix retrouvées

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Interdite durant l’Occupation, la Fête de l’Humanité rouvre ses portes le 2 septembre 1945. Près d’un million de participants vont y savourer la paix retrouvée. Le journal célèbre sa republication au grand jour et le PCF, au cœur de la « bataille de la production », démontre sa puissance militante, à quelques semaines d’un scrutin décisif pour l’avenir politique du pays., l'Humanité

Il est juste 6 heures et, déjà, des foules immenses s’échappent par vagues des bouches de métro, accueillies par des diffuseurs du journal de Jaurès : « Deeeeemandez l’Humanité ! » Les campeurs installés la veille dans le bois de Vincennes attendent de pied ferme. En sommeil durant l’occupation, la Fête de l’Humanité va de nouveau ouvrir ses portes. Et renaître triomphalement. Ce 2 septembre 1945, près d’un million de personnes vont fouler les pelouses de Reuilly.

Huma45.jpgL’Humanité célèbre sa republication au grand jour. Les communistes, alors « parti des 75 000 fusillés », qui ont joué un rôle décisif dans la Résistance, démontrent leur puissance militante, à quelques semaines d’un scrutin décisif pour l’avenir politique du pays. Le 21 octobre, les Français vont voter pour les premières législatives depuis la fin de la guerre, et pour le référendum sur les pouvoirs de la nouvelle Assemblée, chargée de rédiger la future Constitution.

Franchi l’imposant portique d’entrée, le public remonte une immense « allée d’honneur » menant à la scène centrale, où le secrétaire général du PCF doit prononcer son discours dans l’après-midi. « Nos Champs-Élysées », se félicitera Maurice Thorez. S’y croisent des fanfares, des hommes à échasses, des uniformes soviétiques, des Espagnols en costume national.

Des jeux de chamboule-tout sur les visages de Hitler et Pétain

Après cinq années de souffrance, d’oppression et de deuil, un grand vent de liberté souffle dans les allées, chorégraphié par des lâchers de ballons et de pigeons. Dans les sous-bois s’improvisent des bals champêtres. On fait la queue pour une balade en barque sur le lac Daumesnil. Deux villages de stands s’étendent de la porte de Charenton à la piste municipale, où se tiendront une course de vélo et un match de football, organisés par la FSGT.

On croque la vie à pleines dents. En dépit des absents. Paul Éluard vient d’écrire Éternité de ceux que je n’ai pas revus : ses amis fusillés par les nazis ou déportés dans les camps d’extermination, Desnos, Politzer, Gabriel Péri. L’Union des femmes françaises tient un stand pour révéler l’horreur des camps de la mort. Les déportés témoignent. 

Deux mois plus tard se tiendra le procès de Nuremberg. Ici, au « tribunal du peuple », on assiste à la pendaison de Laval et on joue au chamboule-tout sur les visages de Hitler, Hirohito, Mussolini et Pétain.

Dans le prolongement esthétique du Front populaire, des fresques réalistes représentant la France au travail sont déployées dans les allées. Le Parti communiste est alors au cœur de la « bataille de la production », pour rendre à la France sa puissance et son indépendance économiques. Le slogan « Gagner la bataille de la production, c’est vaincre le fascisme, sauver la France et la démocratie » s’affiche en haut du stand de la Vie ouvrière, revue de la CGT. Les mineurs sont à l’honneur.

Maurice Thorez remet à un mineur la carte du millionième adhérent

Thorez.jpgC’est à l’un d’eux, « le camarade Pruvost », que Maurice Thorez remet solennellement au début de son discours la carte du millionième adhérent du Parti communiste.

On sait aujourd’hui le chiffre surévalué. Les historiens s’accordent sur plus de 500 000 adhérents en 1945.

Un chiffre qui fait déjà du PCF l’un des partis communistes les plus puissants du monde, et le parti politique français aux effectifs les plus fournis. Quelques semaines après la fête, le 21 octobre, le parti de Maurice Thorez va arriver en tête et dépasser les 5 millions de voix, recueillant 26,2 % des suffrages. Il obtiendra 159 députés, deux fois plus qu’en 1936.

Sur l’immense scène centrale, entouré d’Étienne Fajon, Jacques Duclos et Marcel Cachin, directeur du journal, Maurice Thorez, en bras de chemise, est accueilli comme une rock star. « La classe ouvrière et le peuple dans son ensemble ont le sentiment que le Parti communiste est leur parti, assure-t-il. Un million d’hommes et de femmes dans les rangs de notre Parti, c’est le résultat de nos efforts pour organiser la bataille de la Résistance… Nous nous sommes dépensés pendant les longues années d’Occupation, organisant les sabotages, les grèves, la lutte contre les réquisitions. Nous avons organisé la lutte armée. Nous nous sommes dépensés pour la création des Francs-tireurs et partisans français, qui ont constitué plus tard les neuf dixièmes des Forces françaises de l’intérieur, dont on sait le rôle dans la libération de notre pays. »

Deux mois plus tard, cinq ministres communistes vont faire leur entrée dans le deuxième gouvernement du général de Gaulle, formé le 13 novembre 1945 : Maurice Thorez, Ambroise Croizat, François Billoux, Marcel Paul et Charles Tillon. Sécurité sociale, nationalisation des grandes entreprises, création des comités d’entreprise, statut de la fonction publique, grille des salaires, inscription du droit de grève dans la Constitution… Les ministres communistes vont mettre en place, avec le programme du CNR, parmi les plus grandes conquêtes sociales françaises du XXe siècle.

Succès des oranges vendues par les Républicains espagnols

Le meeting des dirigeants du PCF devient une institution, un rendez-vous incontournable des rentrées politiques. Face à la grande scène, des écorces d’orange jonchent le sol de la clairière. Le peuple de la Fête, qui a connu la faim et les privations, savoure à nouveau le jus des oranges, que les Républicains espagnols vendent au prix de 25 francs. De l’autre côté des Pyrénées survit encore le régime fasciste de Franco.

« Aux approches des heures de repas, la foule grossit, encore, si c’est possible, autour des stands de ravitaillement, raconte l’Humanité du 4 septembre. La Famille nouvelle est prise d’assaut. Il faut jouer des coudes pour déguster le délicieux « rancio » des CDH des Pyrénées-Orientales, ou se munir de cidre chez les Bretons émancipés ; on s’installe sous les tonnelles des Filles de France ou autour des nombreuses buvettes, on dévalise les marchands de crêpes et de frites. »

La presse de droite voit rouge. « Ce qui est grave, écrit le journal l’Époque, c’est que les facilités accordées aux organisateurs de cette foire (sic) par les pouvoirs publics, et la publicité qui lui fut faite par la radio et les actualités cinématographiques lui ont conféré à peu près le caractère d’une fête nationale. » La préfecture de police estimera à 930 000 le nombre de participants.

« Plus d’un million ! Jamais Paris ne vit une foule aussi grandiose et enthousiaste ! » titre l’Humanité, qui conte comment, déjà, « un orage de grêle qui se déclencha une demi-heure avant minuit dispersa les derniers visiteurs ». Le journal publie une liste d’objets trouvés, et regrette « de ne pouvoir qu’en deux mots ici remercier le magnifique dévouement des camarades de l’Humanité, qui se sont dépensés sans compter pour mettre au point l’organisation de cette fête grandiose ». « Grandiose », en effet, ce bouquet final du feu d’artifice qui clôtura cette édition, et s’éteignit « par une inscription dans le ciel en lettres de feu : VIVE L’HUMANITÉ ».

Huma45.jpgLe podcast à écouter}}}

11:17 Publié dans L'Humanité, Libération | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook |

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