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23/07/2017

Pour Louis Antoine Saint-Just, le roi « doit régner ou mourir »

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Olfa Ayed, L'Humanité

Les grands discours de la République (4/34). 13 novembre 1792 à la Convention nationale

L’unique but du comité fut de vous persuader que le roi devait être jugé en simple citoyen ; et moi, je dis que le roi doit être jugé en ennemi (…). Les mêmes hommes qui vont juger Louis ont une République à fonder : ceux qui attachent quelque importance au juste châtiment d’un roi ne fonderont jamais une République (…).

Nous nous jugeons tous avec sévérité, je dirais même avec fureur ; nous ne songeons qu’à modifier l’énergie du peuple et de la liberté, tandis qu’on accuse à peine l’ennemi commun et que tout le monde, ou rempli de faiblesse, ou engagé dans le crime, se regarde avant de frapper le premier coup. Nous cherchons la liberté, et nous nous rendons esclaves l’un de l’autre ! Nous cherchons la nature, et nous vivons armés comme des sauvages furieux ! Nous voulons la République, l’indépendance et l’unité, et nous nous divisons, et nous ménageons un tyran ! (…)

Pour moi, je ne vois point de milieu : cet homme doit régner ou mourir (…) il doit mourir pour assurer le repos du peuple, puisqu’il était dans ses vues d’accabler le peuple pour assurer le sien. L’on vous propose de le juger civilement, tandis que vous reconnaissez qu’il n’était pas citoyen, et qu’au lieu de conserver le peuple, il ne fit que sacrifier le peuple à lui-même (…).

On ne peut point régner innocemment : la folie en est trop évidente. Tout roi est un rebelle et un usurpateur. Les rois mêmes traitaient-ils autrement les prétendus usurpateurs de leur autorité ? Ne fit-on pas le procès à la mémoire de Cromwell ? Et, certes, Cromwell n’était pas plus usurpateur que Charles Ier, lorsqu’un peuple est assez lâche pour se laisser mener par des tyrans, la domination est le droit du premier venu, et n’est pas plus sacrée ni plus légitime sur la tête de l’un que sur celle de l’autre.

Citoyens, le tribunal qui doit juger Louis n’est point un tribunal judiciaire : c’est un conseil, c’est le peuple, c’est vous ; et les lois que nous avons à suivre sont celles du droit des gens (…).

Je ne perdrai jamais de vue que l’esprit avec lequel on jugera le roi sera le même que celui avec lequel on établira la République. La théorie de votre jugement sera celle de vos magistratures, et la mesure de votre philosophie, dans ce jugement, sera aussi la mesure de votre liberté dans la Constitution.

Je le répète, on ne peut point juger un roi selon les lois du pays, ou plutôt les lois de cité. Le rapporteur vous l’a bien dit ; mais cette idée est morte trop tôt dans son âme ; il en a perdu le fruit. Il n’y avait rien dans les lois de Numa pour juger Tarquin ; rien dans les lois d’Angleterre pour juger Charles Ier : on les jugea selon le droit des gens ; on repoussa la force par la force ; on repoussa un étranger, un ennemi. Voilà ce qui légitima ces expéditions, et non point de vaines formalités, qui n’ont pour principe que le consentement du citoyen, par le contrat. Tout ce que j’ai dit tend à vous prouver que Louis XVI doit être jugé comme un ennemi étranger. J’ajoute qu’il n’est pas nécessaire que son jugement à mort soit soumis à la sanction du peuple ; car le peuple peut bien imposer des lois par sa volonté, parce que ces lois importent à son bonheur ; mais le peuple même ne pouvant effacer le crime de la tyrannie, le droit des hommes contre la tyrannie est personnel ; et il n’est pas d’acte de la souveraineté qui puisse obliger véritablement un seul citoyen à lui pardonner (…).

Louis a combattu le peuple : il est vaincu. C’est un barbare, c’est un étranger prisonnier de guerre. Vous avez vu ses desseins perfides ; vous avez vu son armée ; le traître n’était pas le roi des Français, c’était le roi de quelques conjurés. Il faisait des levées secrètes de troupes, avait des magistrats particuliers ; il regardait les citoyens comme ses esclaves ; il avait proscrit secrètement tous les gens de bien et de courage. Il est le meurtrier de la Bastille, de Nancy, du Champ-de-Mars, de Tournai, des Tuileries. Il doit être jugé promptement. Peuple, si le roi est jamais absous, souviens-toi que nous ne serons plus dignes de ta confiance, et tu pourras nous accuser de perfidie.

Face aux 749 députés de la Convention nationale, le plus jeune élu de l’assemblée évoque la nécessité d’ouvrir le procès de Louis XVI, devant aboutir à son exécution pour en finir complètement avec la royauté.

Depuis le renversement de la monarchie le 10 août 1792 et la proclamation de la République le 21 septembre qui suivit, Louis XVI n’est plus roi de France. Dans ce discours emprunt de véhémence, le député de l’Aisne Louis Antoine Saint-Just profite de son manque de popularité pour se positionner comme le porte-parole du peuple trahis. En effet, ce Montagnard, proche de Robespierre, insiste sur les récentes erreurs de Louis XVI : il ne doit pas être jugé comme un citoyen mais comme l’« ennemi étranger » qui a créé une troupe de gardes suisses sans le consentement de l’Assemblée nationale.

Face à une confiance délitée du peuple envers le roi, sa simple incarcération semble inimaginable pour Saint-Just. Cette décision serait une menace pour la République et pour la liberté, estime l’élu qui insiste : le roi doit « régner ou mourir ».

Le discours du jeune député, pour qui la décision de la Convention reflétera le niveau de liberté qu’elle souhaite pour la République, aura un impact considérable pour la suite. Le procès de Louis XVI débute en décembre 1792. Sa tentative de fuite à Varennes, le 21 juin 1791, ainsi que l’utilisation des fonds publics pour financer la contre-révolution et la création d’une troupe de gardes étrangers, lui sont reprochés. Deux mois plus tard, le 21 janvier 1793, Louis XVI est guillotiné.

18:59 Publié dans Biographie, Révolution | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : saint just, discours | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook |

01/12/2013

Louis-Antoine Saint-Just, la conscience de la Révolution

Saint_just.jpg1767-1794 . Par son désir d’un ordre social juste, par son talent d’orateur, par l’acuité de sa pensée, Louis-Antoine Saint-Just mérite bien mieux que cette image d’Épinal de nostalgiques de la monarchie qui ont brossé de lui le portrait d’un « archange de la mort ».

Souvent, Saint-Just est représenté sous les traits d’un exalté. D’une sorte de vampire assoiffé de sang, ou, dans le meilleur des cas, d’un puriste à la limite de la folie et de la neurasthénie. Exemple avec le Danton, de Wajda, ou encore avec le personnage de Lambert Wilson dans les Chouans.
 Pourtant, hormis sa jeunesse, rien dans le parcours éclair de Louis-Antoine Saint-Just ne justifie cette iconographie. Fougueux, le jeune homme l’était sans doute : à tout juste vingt-cinq ans, en 1792, il est le plus jeune député de la Convention. Il en est aussi l’un de ses orateurs les plus brillants. Une sorte de rêveur, pour qui la Révolution est un moyen de concrétiser une utopie : une société plus équitable. En le tuant, la Convention s’est privée de celui qui aura incarné l’avenir.

On possède peu d’éléments sur sa vie avant la Révolution. On sait qu’il est né le 25 août 1767 à Decize, dans la Nièvre. Son père était un ancien militaire, qui avait obtenu le grade de capitaine et la distinction de chevalier de l’ordre de Saint-Louis en récompense de ses services. Lorsqu’il quitte l’armée, en 1777, il prend possession, avec sa famille (deux filles et Louis Antoine), d’une demeure dont il vient d’hériter, à Blérancourt, dans l’Aisne.
Mais il meurt alors que son fils n’est encore qu’un enfant de douze ans. La mère de l’adolescent l’envoie en pension chez les Oratoriens de Soissons, avant qu’il ne fasse son droit à Reims, à la même époque que Brissot et Danton.
Jusque-là, son parcours était plutôt linéaire. Mais lorsqu’il revient à Blérancourt, tout bascule : en 1787, tout juste âgé de vingt ans, et désoccupé, le jeune homme fait une fugue à Paris en « empruntant » l’argenterie familiale. Ce qui n’est guère du goût de sa mère : elle obtient une lettre de cachet qui le fait interner durant quelques mois dans la maison de correction de Picpus. C’est peut-être là, selon les historiens, qu’est née chez lui la haine de l’arbitraire et de la toute-puissance.

En prison, en 1789, il écrit son premier ouvrage Organ, une sorte de poème érotico-blasphématoire qui condamne, déjà, la monarchie. Ce qui n’est pas anodin dans un système où le roi a un pouvoir absolu. Même si les huit mille vers d’Organ restent anecdotiques, ils dénotent déjà un tempérament prompt à la rébellion.

Quand éclate la révolution, Saint-Just a à peine vingt-deux ans, il est aux premières loges, à Paris. Lorsqu’il regagne Blérancourt, il s’engage à fond : dès juillet 1789, il est lieutenant-colonel de la Garde nationale. Et il fera partie de l’escorte qui raccompagne le roi de Varenne à Paris. Mais les frontières de sa province ne lui suffisent pas. En1790, il écrit à Robespierre une lettre de supplique où il l’informe de problèmes d’impôts à Blérancourt. Mais une lettre aussi qui transpire l’admiration et qui ne laisse pas Maximilien Robespierre indifférent.
 Qui commence par « Vous que je ne connais comme Dieu que par des merveilles, je m’adresse à vous. » L’engagement de Saint-Just est tel qu’il est élu, en septembre 1791, à l’Assemblée législative. Mais il est trop jeune et doit reprendre le chemin de sa province. C’est l’année suivante simplement, en 1792, qu’il est élu député de l’Aisne à la Convention nationale. Il rallie aussitôt les Montagnards, dont il devient très vite un des plus brillants orateurs. C’est le procès du roi, en novembre 1792, qui rend Saint-Just célèbre. Alors que le débat fait rage, Saint-Just, avec ses formules lapidaires, le ramène à l’essentiel : « Pour moi, je ne vois point de milieu : cet homme doit régner ou mourir », dit-il. « On ne peut régner innocemment : la folie en est trop évidente. Tout roi est un rebelle et un usurpateur », continue-t-il. « Lorsqu’un peuple est assez lâche pour se laisser mener par des tyrans, la domination est le droit du premier venu, et n’est pas plus sacrée ni plus légitime sur la tête de l’un que sur celle de l’autre », assène-t-il devant un auditoire médusé et vite conquis. Sa conclusion est presque visionnaire sur la façon dont on nous fait pleurer depuis deux cents ans sur Louis XVI et Marie-Antoinette : « Louis a combattu le peuple : il est vaincu. C’est un barbare, c’est un étranger prisonnier de guerre. Vous avez vu ses desseins perfides ; vous avez vu son armée ; le traître n’était pas le roi des Français, c’était le roi de quelques conjurés. (…) Il doit être jugé promptement : c’est une espèce d’otage que conservent les fripons. On cherche à remuer la pitié. On achètera bientôt des larmes ; on fera tout pour nous intéresser, pour nous corrompre même. Peuple, si le roi est jamais absous, souviens-toi que nous ne serons plus dignes de ta confiance et tu pourras nous accuser de perfidie. »

Il joue ensuite un rôle important dans la rédaction de la Constitution de 1793. Membre du Comité de salut public, avant Robespierre, il travaille à un projet montagnard de Constitution. En s’opposant frontalement à Condorcet et Héraut de Seychelles. « Tous les tyrans avaient les yeux sur nous, lorsque nous jugeâmes un de leurs pareils : aujourd’hui que, par un destin plus doux, vous méditez la liberté du monde, les peuples, qui sont les véritables grands de la Terre, vous contemplent à leur tour », dit-il à la Convention en avril 1793. « Si vous vous voulez la République, attachez-vous au peuple et ne faites rien que pour lui. La forme de son bonheur est simple, et le bonheur n’est pas plus loin des peuples qu’il n’est loin de l’homme privé. Un gouvernement simple est celui où le peuple est indépendant sous des lois justes et garanties, et où le peuple n’a pas besoin de résister à l’oppression, parce qu’on ne peut point l’opprimer », préconise-t-il. La Constitution de l’An I, finalement, ne sera jamais appliquée. Mais d’emblée Saint-Just essaie de lui donner une inflexion sociale et égalitaire très forte. Avec Robespierre et Couthon, il forme au sein du Comité de salut public une sorte de triumvirat. C’est d’ailleurs le même Comité de salut public qui l’envoie sur le front comme représentant aux armées du Rhin et du Nord. L’année 1793 a été épouvantable pour les Français : la Vendée s’est soulevée, les Anglais ont pris Toulon… et la France est en très mauvaise posture.

revomarseillaise.jpgÀ Strasbourg, il montre à la fois son courage physique, et ses aptitudes militaires. La situation est périlleuse. Le Comité de salut public a une devise : vaincre ou mourir. Saint-Just va se montrer inflexible : il fait fusiller les déserteurs, il congédie les officiers responsables de défaites. Il galvanise les troupes, aussi. À Strasbourg, il applique la terreur mais fait aussi arrêter l’accusateur public. Les victoires militaires de Landau, puis de Fleurus (26 juin 1794), lui doivent beaucoup.

Dans le même temps, Saint-Just se retrouve dans tous les procès des factions de l’époque, des Girondins aux Hébertistes et aux Indulgents. C’est cet acharnement qui lui vaut le nom d’ange exterminateur. C’est oublier un peu rapidement que le même homme préconisait de redistribuer les fortunes des riches aux plus indigents, comme il propose dans ses deux ouvrages, l’Esprit de la révolution et les Fragments sur les institutions républicaines. Michel Vovelle estime à son sujet qu’il « est l’un de ceux qui poussent le plus loin la réflexion sociale de la Montagne ».
Il présente d’ailleurs le 8 ventôse an II des lois pour redistribuer les biens des suspects aux indigents : « Les malheureux sont les puissances de la Terre, ils ont le droit de parler en maîtres aux gouvernements qui les négligent. » C’est Robespierre qui rappelle Saint-Just à Paris, pendant ses campagnes militaires. Le jeune homme trouve son ami très isolé au sein du Comité. Il tente des réunions de conciliation, en vain. Il prend alors le parti de Robespierre.

 Le 9 Thermidor, il tente de lire à l’Assemblée un texte beaucoup moins sévère que celui prononcé la veille par Robespierre. Il est interrompu au bout de deux paragraphes et n’essaie même pas de reprendre la parole. Il reste d’ailleurs d’un calme olympien et d’un mutisme total jusqu’à l’échafaud le lendemain. Il avait laissé, dans le préambule de ses fragments, une sorte de défi : « Je méprise la poussière qui me compose et qui vous parle. On pourra la persécuter et faire mourir cette poussière ! Mais je défie que l’on m’arrache cette vie indépendante que je me suis donnée dans les siècles et les cieux. » Ni ange de la mort ni forcené, Saint-Just était juste un homme qui a mis sa vie au service de la Révolution. Un utopiste idéaliste ?

Pour qui « la révolution doit s’arrêter à la perfection du bonheur ».

Caroline Constant, pour l'Humanité