15/11/2017
EVRY 16 NOVEMBRE 1943 ARRESTATION DE MISSAK MANOUCHIAN ET DE JOSEPH EPSTEIN
Cet évènement est en fait l’épisode terminal de trois filatures.
La première avait visé, en janvier 1943, l’organisation politique de la jeunesse juive et le filet s’était refermé le 18 mars sur 57 jeunes gens qui furent déportés. Parmi eux, le futur syndicaliste, Henri Krasucki.
Une deuxième filature aboutira, en juin 1944 à l’arrestation de la plupart des membres du 2 ème détachement de la FTP-MOI, dit aussi détachement juif. Sur plus de 150 militants filés, 71 seront arrêtés et eux aussi en grande partie déportés.
Quant à la troisième filature, qui s’acheva ici-même, elle sera le fait de la Brigade spéciale et durera cent jours pour permettre l’arrestation de 68 militants de la FTP-MOI sous la forme d’un vaste coup de filet.
Missak et Joseph se retrouvaient chaque mardi pour échanger des informations et la police le savait.
Ce mardi 16 novembre, le commissaire Barrachin est en personne sur le terrain, assisté de quatre inspecteurs.
Ils suivent Missak depuis la gare de Lyon et descendent tout comme lui à la petite gare d’Evry-Petit-Bourg. Quand Joseph aperçoit Missak, il commence à marcher en direction de la Seine. Ils se suivent à une cinquantaine de mètres. Joseph est convaincu d’être filé.
Il descend toutefois sur la berge, grasse et détrempée en ce mois de novembre, et Missak le suit. Lorsqu’il aperçoit les policiers, Joseph se met à courir. L’inspecteur Chouffot tire alors à plusieurs reprises et finit par le neutraliser en le menottant, malgré une forte résistance. Et c’est bientôt le tour Missak : il ne fera pas usage du 6.35 qu’il cachait dans son manteau et se rendra à la 2 ème sommation.
Les 68 personnes arrêtées seront remises par les policiers français aux autorités d’occupation. 45 d’entre elles seront déportées en Allemagne. Pour les autres, un procès se tiendra le 16 février 1944 devant une cour martiale.
Les 22 participants seront condamnés à mort et fusillés le 21 février au Mont Valérien. Joseph Epstein le sera à son tour le 11 avril.
La seule femme du groupe, Olga Bancic, sera quant à elle déportée en Allemagne où elle subira la décapitation le 10 mai 1944.
Avant d’être fusillés, certains militants de la FTP-MOI purent écrire une courte missive à leur famille.
En voici quelques extraits pour le moins émouvants :
«Je voudrais que mon fils ait une belle instruction». Celestino Alfonso, fusillé à 28 ans.
«Il n’est rien de plus beau que de mourir pour la France». Georges Cloarec fusillé à 21 ans.
«Je n’ai jamais manqué de rien et vous avez toujours été pour moi le Paradis, c’est pourquoi j’ai sacrifié ma vie…j’embrasse tout Argenteuil du commencement à la fin…envoie le bonjour et l’adieu à tout le Red Star». Rino Delle Negra, fusillé à 21 ans.
«Vous ne devez pas vous attrister mais être gais au contraire, car pour vous viennent les lendemains qui chantent». Thomas Elek, fusillé à 19 ans.
«Je vous écris ces derniers mots de ma main pour vous dire mes adieux à la vie que je voulais plus belle qu’elle n’a été». Maurice Fingercwejg, fusillé à 21 ans.
«Je m’étais engagé dans l’armée de la libération et je meurs quand la victoire éclate…Je garde le maillot de papa pour que le froid ne me fasse pas trembler ». Spartaco Fontano, fusillé à 22 ans.
«Je n’ai pas peur de mourir. Je trouve quand même que c’est un peu trop tôt. Comme cadeau d’anniversaire, c’est réussi, n’est-ce pas ?...Vive la France. Léon Goldberg, fusillé à 20 ans.
«Jusqu’au dernier moment, je me conduirai comme il convient à un ouvrier juif;». Szlomo Grzywacz, fusillé à 35 ans.
«Je meurs pour la Liberté». Stanislas Kubacki, fusillé à 36 ans.
«J’aime tout le monde et vive la vie». Marcel Rayman, fusillé à 21 ans.
«Je meurs en soldat de la Libération et en Français patriote…Vive la France». Roger Rouxel, fusillé à 19 ans.
«Les derniers trois jours après ma condamnation, j’ai été avec deux jeunes Français ensemble et j’ai appris à aimer le France davantage». Willy Szapiro, fusillé à 34 ans.
«Bientôt la vie sera plus belle ». Robert Witchitz, fusillé à 20 ans.
«Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter à la douceur de la Liberté et de la Paix de demain». Missak Manouchian, fusillé à 38 ans.
Il y aura bien sûr aussi les poignants écrits de Missak à son épouse Mélinée et la si belle lettre de Joseph à son petit garçon.
Lettre d'Olga Bancic, décapitée à l’âge de 32 ans destinée à sa fille «Ma chère petite fille, mon cher petit amour, ta mère écrit la dernière lettre, ma chère petite, demain à 6 heures, le 10 mai, je ne serai plus. Mon amour, ne pleure pas, ta mère ne pleure pas non plus. Je meurs avec la conscience tranquille et avec toute la conviction que demain tu auras une vie et un avenir plus heureux que ta mère. Tu n’auras plus à souffrir. Sois fière de ta mère, mon petit amour. J’ai toujours ton image devant moi. Je vais croire que tu verras ton père, j’ai l’espérance que lui aura un autre sort. Dis-lui que j’ai toujours pensé à lui comme à toi. Je vous aime de tout mon cœur. Tous les deux vous m’êtes chers. Ma chère enfant, ton père est, pour toi, une mère aussi. Il t’aime beaucoup. Tu ne sentiras pas le manque de ta mère. Ma chère enfant, je finis ma lettre avec l’espérance que tu seras heureuse pour toute ta vie avec ton père, avec tout le monde. Je vous embrasse de tout mon cœur, beaucoup, beaucoup. Adieu mon amour. Ta mère.»
Jacques Longuet Historien d'Evry
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02/11/2017
Jules Durand : de la peine de mort à la folie
En 1910, une vague de grèves déferle sur la ville du Havre. Ces grèves, soutenues par la Bourse du Travail propre à la ville industrialo-portuaire, se soldent en majorité par de belles victoires pour les ouvriers.
Le syndicat des charbonniers, nouvellement reconstitué, en prend acte et décide de faire valoir, à son tour, ses revendications. Démunis, alcooliques pour la plupart (90% d’alcooliques chez les charbonniers), touchés par le chômage et la pauvreté, les charbonniers sont isolés, déclassés. Bon nombre d’entre eux vivent sur les quais, dorment dans des wagons désaffectés avec femme et enfants.
La misère comme seul bagage, les charbonniers havrais voient leur emploi précaire menacé sérieusement, dès l’été 1910, par l’installation sur le port d’un nouvel appareil de levage, surnommé le « Tancarville », créé par l’ingénieur Clarke. Cet engin révolutionnaire remplaçait le travail de près de 150 ouvriers.
Avec l’appui de la Bourse du Travail, le syndicat des charbonniers se lance à la conquête de ses revendications salariales et sociales. Or, les portes du patronat restent closes. Jules Durand, alors secrétaire du syndicat des charbonniers, ne désespère pas et multiplie les réunions syndicales. La grève est déclarée le 18 août 1910.
Un climat de tensions s’installe très vite. Les pressions patronales se s’intensifient et le travail des non-grévistes, « des jaunes », met à mal l’action entreprise par les charbonniers en lutte. Le 9 septembre 1910, un non gréviste dénommé Louis Dongé, fortement alcoolisé, prend à partie des charbonniers grévistes, tout aussi alcoolisés que lui au sein d’un bistrot, quai d’Orléans. Il les provoque, sort même un pistolet de sa poche, une rixe s’en suit. Dongé est désarmé et roué de coups par ses adversaires. Il meurt le lendemain matin à l’hôpital.
Le 10 septembre, une enquête sommaire est menée sur le port et, le 11 septembre au matin, la police vient chercher Jules Durand à son domicile ainsi que les frères Boyer, c’est-à-dire tous les responsables du syndicat des charbonniers. Menottes aux poignets, les prévenus ne connaissent pas les raisons de leur arrestation.
En réalité, les autorités les accusent d’avoir fait voter le meurtre du non gréviste Dongé lors d’une réunion syndicale à la Bourse du Travail et d’avoir organisé un guet-apens afin d’y arriver. La machination débute alors. Des témoins à charge sont achetés, les jurés sont influencés par une presse conservatrice qui forge l’opinion, l’indépendance du juge d’instruction n’est pas respectée, des témoins à décharge ne sont pas tous entendus… Dès lors, les ouvriers charbonniers, pris sur le fait en train de frapper Dongé, écopent de peines allant de 8 à 12 ans de bagne. Les frères Boyer, eux, sont acquittés. La peine la plus lourde est réservée au jeune anarchiste Jules Durand. En effet, le secrétaire du syndicat est accusé d’avoir une responsabilité morale dans le meurtre de Dongé et est condamné à mort, le 25 novembre 1910, malgré son innocence.
À l’annonce du verdict, Jules Durand tombe en syncope et est pris de convulsions. L’innocent vient d’être condamné à avoir la tête tranchée sur l’une des places publique de Rouen. Le choc est tel qu’il ne reprend connaissance qu’au sein de sa cellule où on l’a revêtu d’une camisole de force. Libéré de ses liens seulement le lendemain, il intègre le quartier réservé aux condamnés à mort où une cellule austère, éclairée de jour comme de nuit, l’attend.
Des chaînes lui sont tout de suite mises aux pieds et une cagoule noire lui est imposée à chacune de ses sorties de cellule. Les autorités prennent en effet le parti de préserver au mieux la vie des condamnés afin de la leur ôter, plus tard, grâce à la guillotine républicaine. Dans les premiers temps de son enfermement, Jules Durand garde espoir et malgré une crise de larmes le premier jour, affirme son courage.
René Coty, son avocat, a déposé un pourvoi en cassation pour annuler la cruelle sanction dont son client est frappé. Tous les espoirs résident dans cette ultime action. Le 22 décembre, le pourvoi en cassation est rejeté. Jules Durand est désemparé, il casse tout dans sa cellule. La liberté lui est enlevée, sa vie bientôt… La camisole de force l’étreint une nouvelle fois, et ce, jusqu’à Noël. Jules Durand aura plusieurs crises dans sa cellule, illustrant son désespoir, même après que le président Fallières ait commué sa peine en sept ans d’emprisonnement le 31 décembre 1910. Sept ans de prison pour un innocent, c’est toujours sept ans de trop…
Ses défenseurs prennent conscience de cet état de fait et redoublent d’efforts, en urgence, afin de faire sortir l’innocent de prison avant qu’il ne soit trop tard.
La mobilisation autour de cette affaire soulève les masses, on parle alors de « l’Affaire Dreyfus du pauvre ».
Grâce à une lutte effrénée et à une mobilisation de premier ordre, Jules Durand est enfin libéré le 16 février 1911.
À sa sortie, Jules Durand apparaît à ses camarades venus le chercher et à la foule qui l’acclame, telle une bête apeurée. Il flotte dans les vêtements qui lui ont été remis. Il ne les avait pas portés depuis son transfert à Rouen. Blême, dégarni, amaigri, Durand est marqué par la malnutrition, la folie, la dureté du régime carcéral.
Hébété, il éprouve des difficultés à parler et remercie du bout des lèvres les personnes qui expriment leur joie lors de sa libération. Au Havre, un meeting a été organisé en urgence pour accueillir le héros havrais. La foule est en liesse à la gare, les rues du cours de la République sont bondées. Le rendez-vous est donné à la Maison du Peuple. Jules Durand paraît perdu. Porté à la tribune, il bafouille quelques remerciements puis se retire. La fatigue l’étreint.
La justice n’est jamais allée aussi loin afin de punir un militant syndicaliste au Havre. Certes les arrestations et l’enfermement des mois entiers font presque partie du quotidien des militants et responsables syndicaux au Havre : Camille Geeroms, secrétaire général de la Bourse du Travail, Gaston Laville, son prédécesseur, en font la dure expérience, par exemple. Ici, le secrétaire du syndicat des charbonniers est condamné à mort, le verdict est un véritable traumatisme. Transparaît véritablement le désir des autorités de punir la voie révolutionnaire et syndicale. Jules Durand est un syndicaliste anarchiste, il devient le martyr du syndicalisme havrais.
La reconnaissance tardive de son innocence, le 18 juin 1918, et la lutte virulente de la population ouvrière portée par les syndicalistes havrais, par certains parlementaires (notamment le radical-socialiste Paul Meunier) et par la Ligue des Droits de l’Homme, ne permettront pas au « martyr du syndicalisme » de retrouver ses esprits. Si ce n’est pas la guillotine aiguisée par la justice française de la IIIe République qui fit perdre la tête à Jules Durand, la folie s’en chargea.
Il finira sa vie, aliéné, en 1926, à l’âge de 46 ans.
13:33 Publié dans Biographie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jules durand, syndicaliste, le havre | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook |