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03/11/2018

Camps de la mort. La déportation des Tsiganes du convoi Z

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Arrêtés dans le nord de la France et en Belgique à partir du 22 octobre 1943, 352 hommes, femmes et enfants de diverses nationalités furent déportés le 15 janvier 1944 vers Auschwitz-Birkenau. Seulement 32 ont survécu.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Tsiganes du nord de la France et de la Belgique ont connu le même destin tragique, car ils vivaient dans la « zone militaire rattachée à Bruxelles ». Les Allemands avaient imposé, en juin 1940, que ces deux territoires forment une seule zone. L’enjeu d’un tel découpage était stratégique, économique et militaire, mais correspondait également à la vision nazie d’une Europe nouvelle, d’un Reich avec des marches germaniques. Et les nazis purent s’appuyer en France et en Belgique sur des législations discriminatoires antérieures à l’invasion de mai 1940, qui furent mises au service de la politique raciale du IIIe Reich.

Au début du XXe siècle, tous les États européens avaient adopté une législation spécifique de contrôle, utilisant comme repoussoir le migrant étranger et particulièrement le « juif » et le « Bohémien ». La France avait créé une catégorie spécifique, celle des « nomades », afin d’identifier et de regrouper au moyen de carnets anthropométriques ceux qui étaient appelés indistinctement Bohémiens, Romanichels, Gitans, nomades. C’était la loi du 16 juillet 1912 relative à « l’exercice des professions ambulantes et à la réglementation de la circulation des nomades ». Leur mode de vie était assimilé au vagabondage, à la criminalité et l’asociabilité. Quelque 30 000 personnes relevaient de ce statut en 1924. En Belgique, les méthodes anthropométriques et dactyloscopiques venues de France furent appliquées pour identifier les étrangers, parmi lesquels les Tsiganes de passage. Cette méthode réservée aux étrangers criminels ou réputés dangereux fut généralisée après la Première Guerre mondiale. Les Tsiganes possédaient en outre une feuille de route renouvelable tous les trois mois.

La France de Vichy et la Belgique se mirent au diapason de la politique raciale nationale-socialiste. Entre octobre 1940 et mai 1946, plus de 6 500 nomades définis par la loi de 1912 furent internés en France dans une trentaine de camps créés sur décision allemande, mais gérés par les autorités françaises.

Le 7 août 1941, Himmler édita une circulaire qui faisait la distinction entre les Zigeuner (Tsiganes) et les Zigeunermischlinge (Tsiganes métissés) dans la logique des lois de Nuremberg de septembre 1935 sur « la citoyenneté du Reich » et « la protection du sang et de l’honneur allemands ». L’Allemagne nazie avait classé les Tsiganes dans le second volet des lois raciales, dans la catégorie des « criminels irrécupérables ». La déportation des communautés tsiganes d’Allemagne fut décidée par l’Auschwitz-Erlass du 16 décembre 1942, connu par son décret d’application du 29 janvier 1943. Ce fut le point culminant et l’aboutissement d’une tradition de ségrégation. Le Reich étendit cette mesure aux Tsiganes de toute l’Europe. En février 1943, démarra leur déportation à Auschwitz-Birkenau, dans le Zigeunerlager, camp des Tsiganes, qui était encore en construction et qui allait accueillir près de 23 000 détenus. Le 29 mars 1943, l’Office central de sécurité du Reich donna l’ordre de déporter les Tsiganes de la « zone rattachée à Bruxelles ». Les premières arrestations connues eurent lieu à Tournai, le 22 octobre 1943, et s’échelonnèrent jusqu’en décembre. Les familles furent transférées au camp de rassemblement pour juifs de Malines, ville flamande entre Anvers et Bruxelles. C’était l’équivalent de Drancy pour la France ; 352 Tsiganes de diverses nationalités furent déportés par le convoi Z du 15 janvier 1944. C’est le seul convoi de déportation collective à destination d’Auschwitz-Birkenau à partir de cette zone. Ils étaient vanniers, maquignons, étameurs, musiciens, forains ou artistes de cirque. La plus jeune n’avait que 38 jours et le plus âgé, 85 ans ; 266 femmes et enfants de moins de 15 ans constituèrent plus des trois quarts de ce transport.

À Birkenau, dans la nuit du 2 au 3 août 1944, 3 000 Tsiganes furent éliminés

À leur entrée à Birkenau, les Tsiganes ne furent pas triés, à la différence des juifs qui étaient sélectionnés dès leur arrivée dans ce centre de la mise à mort industrielle. Ils furent immatriculés, tatoués et internés dans le camp des familles, qui se révéla très vite un véritable mouroir : le pic des décès atteignit son point culminant en mars 1944. Entre le 17 janvier et le 31 juillet 1944, plus de la moitié du convoi avait succombé. Les Tsiganes de la « zone rattachée » arrivèrent à Birkenau à une période où leur extermination était quasiment décidée. C’est ainsi que les 3 000 Tsiganes restés dans le camp parce que jugés inaptes au travail furent éliminés dans la nuit du 2 au 3 août 1944. Les 68 Tsiganes du convoi Z qui avaient dépassé le cap de survie des trois mois avaient été transférés entre-temps dans les camps du Reich et leurs kommandos au service de l’économie de guerre : Buchenwald, Dora, Ellrich, Ohrdruf… pour les hommes ; Ravensbrück, Schlieben, Taucha, Altenburg… pour les femmes. Seuls 19 hommes et 13 femmes du convoi Z de Malines sur 352 ont survécu, soit moins de 10 %.

Dernier ouvrage paru : Des Tsiganes vers Auschwitz. Le convoi Z du 15 janvier 1944, éditions Tirésias-Michel Reynaud.

06/03/2018

Ligue des champions. Le président oublié du Real Madrid

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Nicolas Guillermin, L'Humanité

ortega real_madrid.pngMilitant communiste et républicain, Antonio Ortega a dirigé le club en 1937 et 1938. Un nom que le Real, longtemps lié au franquisme, a fait disparaître de son histoire officielle.

Club le plus titré au monde et parmi les plus riches, le Real Madrid CF incarne à lui seul la version capitaliste globalisée du football. Toujours prompte à signer de juteux partenariats avec de nouveaux sponsors ou à recruter des joueurs « galactiques » pour des montants mirobolants, la Maison blanche, un de ses nombreux surnoms, est bien plus discrète lorsqu’il s’agit d’évoquer son histoire en dehors des terrains de football.

On connaissait le passé franquiste du club merengue (meringue), incarné par Santiago Bernabeu, ancien footballeur, combattant franquiste puis président qui sut utiliser sa proximité avec le régime dictatorial de Franco pour favoriser le Real durant son règne de 1943 à 1978. On savait moins que le Real Madrid avait eu à sa tête un président communiste en 1937 et 1938 issu du Front populaire, en la personne d’Antonio Ortega Gutierrez, condamné à mort après un procès sommaire dans une prison d’Alicante et exécuté le 15 juillet 1939 à l’âge de 51 ans.

Si l’information était connue en Espagne, elle s’est peu diffusée par-delà les Pyrénées durant toutes ces années. Il a fallu que Sapiens, un magazine catalan d’histoire, fasse sa une sur le dixième président du Real Madrid « assassiné par Franco » pour que l’information resurgisse via les réseaux sociaux. Dans leur enquête, l’historien Ramon Usall et le producteur de télé Frédéric Porta s’intéressent tout particulièrement à sa disparition de l’histoire officielle du club. D’Antonio Ortega, colonel communiste devenu président martyr, pas la moindre trace ne subsiste sur le site Internet du club. Juste un grand vide entre Rafael Sanchez Guerra, qui quitta la présidence au début de la guerre d’Espagne, et Adolfo Melendez, premier président après le conflit.

Le Real Madrid Club de Futbol, renommé Madrid Football Club

Originaire de la petite ville de Rabé de las Calzadas, dans la province de Burgos, rien ne prédestinait Ortega, né en 1888, à accéder aux plus hautes fonctions de ce club « royal ». Issu d’une famille modeste, Ortega commence sa carrière militaire en 1906 et grimpe les échelons. Lorsque la guerre d’Espagne éclate, il est lieutenant de carabiniers à Irun, au Pays basque. Peu de temps après, il devient gouverneur civil de Guipuzcoa et conduit les troupes républicaines dans le Nord. En mai 1937, le nouveau gouvernement républicain de Juan Negrin appelle ce militant communiste à Madrid, où il est nommé directeur général de la sécurité.

À cette époque, le Real Madrid Club de Futbol, renommé Madrid Football Club depuis 1931, date de la dissolution de la monarchie et de l’avènement de la Seconde République, a entamé sa mue. La couronne, symbolisant le titre royal accordé par Alphonse XIII en 1920, a disparu du blason et a été remplacée par une « bande de lilas » dont la couleur violette est une référence au drapeau républicain. En août 1936, quelques semaines après l’insurrection militaire, le club est saisi par le Front populaire, et la Fédération du sport ouvrier, représentée par Juan José Vallejo, prend la tête du conseil d’administration. C’est en sa qualité de directeur général de la sécurité qu’Ortega est désigné, peu après, comme président de transition afin de superviser le processus électoral qui doit mener Vallejo à la présidence.

Rapidement Ortega se prend au jeu. Dans une interview accordée au supplément de ABC, Blanc et Noir, le 15 novembre 1938, il dévoile sa vision du futur pour ce sport, loin du mercantilisme et centrée sur la formation : « Le football ne ressemblera en rien à celui qui était pratiqué avant le 18 juillet. Je veux parler de son organisation, bien sûr. Les joueurs ne seront plus échangés comme des jetons, ni les as, ni les jeunes. »

Pour le club, Ortega voit grand avec la construction d’un nouveau stade : « Madrid doit obtenir le meilleur terrain de sport en Espagne, le stade le plus important. » Une idée qui sera ensuite reprise à son compte par Bernabeu avec l’inauguration d’une nouvelle enceinte en 1947 qui prendra le nom d’Estadio Santiago Bernabeu en 1955. C’est également durant cette période que le conseil d’administration entérina le principe d’« un socio, une voix » lors des élections à la présidence du club. Mécanisme toujours en vigueur.

Alors comment expliquer l’absence de Vallejo et d’Ortega dans les annales du club ? La direction du club s’est toujours retranchée derrière les mêmes arguments selon lesquels « pendant la guerre civile, le football était paralysé » (le club n’a disputé aucune compétition entre 1936 et 1939) et que ces deux présidents n’ont pas été élus. Durant l’ère Bernabeu, la direction « madridiste » ira même jusqu’à dire que le violet est la couleur de la Castille et, au fil des années, le ton changera jusqu’à devenir bleu aujourd’hui.

Avec le temps, ce déni n’a guère évolué. Comme Sapiens le rappelle, en 2002 déjà, l’historien du football espagnol Bernardo Salazar déplorait dans le quotidien sportif AS que « dans le livre officiel du centenaire pas un mot n’est écrit sur la saisie du club par la Fédération du sport ouvrier ou la nomination d’Antonio Ortega comme président du Madrid FC ». Durant leur enquête, les deux auteurs n’ont jamais pu consulter les archives du club, trouvant porte close malgré leurs demandes répétées. Le Centre du patrimoine historique du Real Madrid « ne peut être visité, n’est pas ouvert au public », leur a-t-on expliqué.

Finalement, c’est le journaliste et écrivain de livres historiques Julian Garcia Candau qui dans Sapiens résume le mieux la vraie raison pour laquelle le Real Madrid a toujours refusé de reconnaître Ortega : « Parce qu’il est communiste, tout simplement. »

15/11/2017

EVRY 16 NOVEMBRE 1943 ARRESTATION DE MISSAK MANOUCHIAN ET DE JOSEPH EPSTEIN

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Cet évènement est en fait l’épisode terminal de trois filatures.

La première avait visé, en janvier 1943, l’organisation politique de la jeunesse juive et le filet s’était refermé le 18 mars sur 57 jeunes gens qui furent déportés. Parmi eux, le futur syndicaliste, Henri Krasucki.

Une deuxième filature aboutira, en juin 1944 à l’arrestation de la plupart des membres du 2 ème détachement de la FTP-MOI, dit aussi détachement juif. Sur plus de 150 militants filés, 71 seront arrêtés et eux aussi en grande partie déportés.

Quant à la troisième filature, qui s’acheva ici-même, elle sera le fait de la Brigade spéciale et durera cent jours pour permettre l’arrestation de 68 militants de la FTP-MOI sous la forme d’un vaste coup de filet.

Missak et Joseph se retrouvaient chaque mardi pour échanger des informations et la police le savait.

Ce mardi 16 novembre, le commissaire Barrachin est en personne sur le terrain, assisté de quatre inspecteurs.

Ils suivent Missak depuis la gare de Lyon et descendent tout comme lui à la petite gare d’Evry-Petit-Bourg. Quand Joseph aperçoit Missak, il commence à marcher en direction de la Seine. Ils se suivent à une cinquantaine de mètres. Joseph est convaincu d’être filé.

Il descend toutefois sur la berge, grasse et détrempée en ce mois de novembre, et Missak le suit. Lorsqu’il aperçoit les policiers, Joseph se met à courir. L’inspecteur Chouffot tire alors à plusieurs reprises et finit par le neutraliser en le menottant, malgré une forte résistance. Et c’est bientôt le tour Missak : il ne fera pas usage du 6.35 qu’il cachait dans son manteau et se rendra à la 2 ème sommation.

Les 68 personnes arrêtées seront remises par les policiers français aux autorités d’occupation. 45 d’entre elles seront déportées en Allemagne. Pour les autres, un procès se tiendra le 16 février 1944 devant une cour martiale.

Les 22 participants seront condamnés à mort et fusillés le 21 février au Mont Valérien. Joseph Epstein le sera à son tour le 11 avril.

La seule femme du groupe, Olga Bancic, sera quant à elle déportée en Allemagne où elle subira la décapitation le 10 mai 1944.

Avant d’être fusillés, certains militants de la FTP-MOI purent écrire une courte missive à leur famille.

En voici quelques extraits pour le moins émouvants :

«Je voudrais que mon fils ait une belle instruction». Celestino Alfonso, fusillé à 28 ans.

«Il n’est rien de plus beau que de mourir pour la France». Georges Cloarec fusillé à 21 ans.

«Je n’ai jamais manqué de rien et vous avez toujours été pour moi le Paradis, c’est pourquoi j’ai sacrifié ma vie…j’embrasse tout Argenteuil du commencement à la fin…envoie le bonjour et l’adieu à tout le Red Star». Rino Delle Negra, fusillé à 21 ans.

«Vous ne devez pas vous attrister mais être gais au contraire, car pour vous viennent les lendemains qui chantent». Thomas Elek, fusillé à 19 ans.

«Je vous écris ces derniers mots de ma main pour vous dire mes adieux à la vie que je voulais plus belle qu’elle n’a été». Maurice Fingercwejg, fusillé à 21 ans.

«Je m’étais engagé dans l’armée de la libération et je meurs quand la victoire éclate…Je garde le maillot de papa pour que le froid ne me fasse pas trembler ». Spartaco Fontano, fusillé à 22 ans.

«Je n’ai pas peur de mourir. Je trouve quand même que c’est un peu trop tôt. Comme cadeau d’anniversaire, c’est réussi, n’est-ce pas ?...Vive la France. Léon Goldberg, fusillé à 20 ans.

«Jusqu’au dernier moment, je me conduirai comme il convient à un ouvrier juif;». Szlomo Grzywacz, fusillé à 35 ans.

«Je meurs pour la Liberté». Stanislas Kubacki, fusillé à 36 ans.

«J’aime tout le monde et vive la vie». Marcel Rayman, fusillé à 21 ans.

«Je meurs en soldat de la Libération et en Français patriote…Vive la France». Roger Rouxel, fusillé à 19 ans.

«Les derniers trois jours après ma condamnation, j’ai été avec deux jeunes Français ensemble et j’ai appris à aimer le France davantage». Willy Szapiro, fusillé à 34 ans.

«Bientôt la vie sera plus belle ». Robert Witchitz, fusillé à 20 ans.

«Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter à la douceur de la Liberté et de la Paix de demain». Missak Manouchian, fusillé à 38 ans.

Il y aura bien sûr aussi les poignants écrits de Missak à son épouse Mélinée et la si belle lettre de Joseph à son petit garçon.

Lettre d'Olga Bancic, décapitée à l’âge de 32 ans destinée à sa fille «Ma chère petite fille, mon cher petit amour, ta mère écrit la dernière lettre, ma chère petite, demain à 6 heures, le 10 mai, je ne serai plus. Mon amour, ne pleure pas, ta mère ne pleure pas non plus. Je meurs avec la conscience tranquille et avec toute la conviction que demain tu auras une vie et un avenir plus heureux que ta mère. Tu n’auras plus à souffrir. Sois fière de ta mère, mon petit amour. J’ai toujours ton image devant moi. Je vais croire que tu verras ton père, j’ai l’espérance que lui aura un autre sort. Dis-lui que j’ai toujours pensé à lui comme à toi. Je vous aime de tout mon cœur. Tous les deux vous m’êtes chers. Ma chère enfant, ton père est, pour toi, une mère aussi. Il t’aime beaucoup. Tu ne sentiras pas le manque de ta mère. Ma chère enfant, je finis ma lettre avec l’espérance que tu seras heureuse pour toute ta vie avec ton père, avec tout le monde. Je vous embrasse de tout mon cœur, beaucoup, beaucoup. Adieu mon amour. Ta mère.»

Jacques Longuet Historien d'Evry

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