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Après avoir pris connaissance de la tribune « La Sécurité sociale, une création communiste, vraiment ? » de M. Thouvenel, ancien vice-président de la CFTC dans le JDD du 21 août, je me sens obligé d’apporter quelques précisions.
Évoquant Ambroise Croizat, M. Thouvenel explique qu’il n’a pas désavoué le pacte germano-soviétique. C’est effectivement le cas de la grande majorité des communistes à cette période. Et c’est facile à comprendre quand on connaît les raisons profondes qui ont amené Staline à conclure ce pacte. Entre autres, les atermoiements et tergiversations diplomatiques des gouvernements anglais et français pour conclure des alliances de défense mutuelle avec l’Union soviétique, et la signature des accords de Munich par les mêmes.
Quelque temps après, Croizat est arrêté avec d’autres députés communistes par les autorités de la IIIe République et embastillé pour une durée qui s’étendra d’octobre 1939 à février 1943, soit quasiment trois ans et demi, dont presque deux au bagne.
La première chose que je voudrais rappeler à M. Thouvenel, c’est que les députés communistes ont été destitués, condamnés et emprisonnés par ceux qui avaient en 1936 refusé le soutien à l’Espagne républicaine, les mêmes qui ont signé avec Hitler les accords de Munich, qui ont permis à l’Allemagne nazie de dépecer et d’occuper la Tchécoslovaquie avec qui nous avions des accords de défense militaire réciproque, et qui permettaient à l’occupant d’utiliser l’industrie de ce pays pour réaliser ses ambitions d’expansion territoriale, et toujours les mêmes qui s’apprêtaient à se vautrer dans la collaboration en confiant les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Seuls 80 d’entre eux ont refusé de les voter.
Ces élus du peuple déchus arbitrairement par ceux qui sont devenus des collabos
Et quand M. Thouvenel évoque avec beaucoup de légèreté cette période de détention, il ne semble pas apprécier pleinement les conditions dans lesquelles les députés ont été détenus. Ils vont séjourner dans plusieurs prisons d’abord en France métropolitaine. Dans les courriers qu’il envoie à son épouse, Croizat décrit l’extrême précarité des conditions de détention. Les députés sont privés d’accès aux journaux, l’hygiène est déplorable, les cellules sont glacées l’hiver et étouffantes en été, la ration alimentaire est limitée à sa portion congrue. Ils ont faim.
Début avril 1941, ils vont être transférés par bateau, à fond de cale et boulets aux pieds, de Marseille en Algérie. On les envoie au bagne de Maison-Carrée dans la banlieue d’Alger. Leur situation va encore se dégrader au point qu’ils tombent malades les uns après les autres, atteints par la malnutrition, le typhus, la dysenterie, attaqués de toutes parts par les vermines en tout genre et pourchassant les rats qui viennent leur courir dessus pendant leur sommeil.
L’objectif recherché est clairement de les faire mourir d’épuisement à petit feu. Quand Croizat sortira du bagne en février 1943, trois mois après le débarquement allié, il sera comme tous ses camarades terriblement affaibli physiquement et aura perdu 30 kilos.
Et quand M. Thouvenel se permet de dire que, « comme déporté et résistant, on a connu mieux », je pense qu’il ne mesure pas la dureté du calvaire qu’on a fait subir à ces élus du peuple déchus arbitrairement par ceux qui sont devenus des collabos. Ce commentaire méprisant est une honte absolue et digne d’une bouche d’égout.
J’ai été aussi particulièrement accablé par la manière dont M. Thouvenel évoque la création et la mise en place de la Sécurité sociale. Il explique qu’Ambroise Croizat n’est pas ministre quand les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 font leur apparition et que cela valide une participation minimale de celui-ci. Mais quand on relate des faits historiques, la moindre des choses conduisant à l’honnêteté consiste à prendre connaissance du rôle qu’ont tenu les uns et les autres dans l’élaboration de ces ordonnances.
« L’ordonnance du 4 octobre 1945 (…) a été le produit d’une année de travail »
Le texte qui leur donnera naissance a été discuté à l’Assemblée consultative provisoire. Et dans celle-ci, la commission du Travail et des Affaires sociales, dont Croizat était le président, a pesé de tout son poids pour que ces ordonnances soient conformes à ses orientations.
Je ne puis m’empêcher de partager ce que le ministre Croizat en avait dit lui-même dans un discours à l’Assemblée, prononcé le 8 août 1946 : « L’ordonnance du 4 octobre 1945, à laquelle est à juste titre attaché le nom d’un ami qui nous est commun à tous, M. Alexandre Parodi, a été le produit d’une année de travail au cours de laquelle des fonctionnaires, des représentants de tous les groupements et de toutes les organisations intéressées, des membres de l’Assemblée consultative provisoire, dont certains font partie de la présente Assemblée, ont associé leurs efforts pour élaborer un texte que le gouvernement de l’époque a en définitive consacré conformément à l’avis exprimé par 194 voix contre 1 à l’Assemblée consultative. »
Je conseille également à M. Thouvenel la lecture du livre Ambroise Croizat. Justice sociale et humanisme en héritage, d’Emmanuel Defouloy (le Geai bleu, 2025), qui relate avec maintes précisions et documents à l’appui l’influence de Croizat et de la commission du Travail et des Affaires sociales sur le contenu de ces ordonnances, pour l’éclairer dans ses connaissances de l’histoire sociale de notre pays.
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Quant au rôle central qu’a tenu M. Pierre Laroque, personne n’en disconvient. Mais je dois rappeler à M. Thouvenel qu’un haut fonctionnaire est au service d’un ministre, que ce soit Alexandre Parodi ou Ambroise Croizat, qu’ils ont agi de concert dans cette construction avec bien d’autres (je pense notamment aux conseillers qui entouraient Croizat comme Henri Raynaud, Henri Jourdain, maître Marcel Willard…), et que la mobilisation des militants de la CGT a été déterminante pour donner une réalité concrète et physique à cette œuvre civilisatrice qu’est la Sécurité sociale.
« Cette Sécurité sociale appartient et doit appartenir à tous »
Toujours dans ce discours à l’Assemblée du 8 août 1946 : « Le plan de Sécurité sociale est une réforme d’une trop grande ampleur, d’une trop grande importance pour la population de notre pays pour que quiconque puisse en réclamer la paternité exclusive. Cette Sécurité sociale, née de la terrible épreuve que nous venons de traverser, appartient et doit appartenir à tous les Français et toutes les Françaises sans considérations politiques, philosophiques ou religieuses. C’est la terrible crise que notre pays subit depuis plusieurs générations qui lui impose ce plan national et cohérent de sécurité. »
M. Thouvenel pourra constater que Croizat sait prendre de la hauteur et mettre en valeur l’importance du collectif, ce dont il ferait bien de s’inspirer tant il semblerait que cette qualité lui soit étrangère. En être dépourvu en matière de syndicalisme confine à une usurpation de la fonction.
À la fin de votre article, M. Thouvenel, vous attribuez à Georges Bidault un rôle d’inspirateur du programme du CNR « Les jours heureux », qui a préconisé la création de la Sécu. Je veux bien vous croire sur parole, bien qu’en matière d’inspiration ma référence se porte plutôt sur Pierre Villon. Mais, en aucun cas, cela n’a été suivi d’effet par la CFTC, qui, au contraire, s’est opposée vigoureusement à ce que le ministre Croizat mettait en œuvre avec son équipe. Certainement plus préoccupée par la disparition des caisses confessionnelles d’avant-guerre que par l’intérêt général, elle est allée jusqu’à refuser, par dépit, de présenter des candidats aux premières élections des administrateurs de la Sécurité sociale.
Et cela M. Thouvenel, ce sont des faits historiques, loin d’élucubrations partisanes et malsaines fortement teintées d’anticommunisme et desquelles suinte cet insipide salmigondis dont vous nous avez grassement abreuvés et saturés jusqu’au dégoût.
Le marigot bolchevique ne vous adresse pas ses salutations et pense que vous êtes mûr pour passer vos vacances à Saint-Raphaël dans le Var, ville dans laquelle le maire vient d’ériger une stèle en mémoire des victimes du communisme. Montrez-lui votre article, il vous accueillera les bras ouverts et votre succès contribuera à flatter vos petites ambitions de rayonnement médiatique.
Le 22 juin 1941, l’armée allemande envahit le sol soviétique. S’ensuivent 47 mois de conflit d’une violence inouïe avec plus de 20 millions de morts côté soviétique. Le front russe sera déterminant dans la capitulation de l’Allemagne nazie.
La Pravda du 9 mai 1945 exulte. « Le peuple soviétique n’oubliera jamais ce jour. Comme il n’oubliera jamais le 22 juin 1941 ! Entre ces deux dates, on aurait dit qu’un siècle s’était écoulé (…) Nous attendions avec impatience le jour où le coup final viendrait abattre le monstre noir qui insultait la vie. Et nous avons porté ce coup (…) Et le ciel nocturne de Moscou semble refléter la joie qui emplit le pays soviétique. Nous avons été témoins d’événements qui pourraient remplir des volumes. Mais aujourd’hui, nous pouvons tous les résumer en un seul mot : victoire ! »
Cette victoire est fêtée le 24 juin 1945 avec un grand défilé des troupes couronnées de gloire sur la place Rouge à Moscou. Après la parade, Staline reçoit au Kremlin 2 500 généraux et officiers de l’Armée rouge. À la surprise générale, ce n’est pas à eux qu’il adresse son toast mais aux millions de citoyens soviétiques de l’arrière sans l’engagement et l’abnégation desquels la victoire eut été impossible.
L’URSS représente 85 % des pertes alliées en Europe
En attaquant l’URSS le 22 juin 1941, les Allemands comptaient sur la division entre les diverses nationalités que comptait l’Union soviétique et sur l’effondrement du régime lui-même. Il n’en fut rien : l’État multinational a résisté, mis à part quelques milliers, voire centaines de milliers de collaborateurs nationalistes dans les pays Baltes (annexés en 1940) et en Ukraine, qui ont prêté leur concours aux nazis dans les massacres de juifs, les représailles contre les populations civiles et les partisans. Les Soviétiques dans leur majorité ont fait bloc avec leur gouvernement, leur armée et le PCUS.
De 1941 à 1944, l’URSS est bien seule à supporter le poids de la guerre. Du 22 juin 1941 au 9 mai 1945, les pertes militaires soviétiques s’élèvent à 11 444 100 personnes, selon les statistiques russes de 2009. Le nombre de morts civils s’élevait à plus de 13 684 000. Parmi ces derniers, 7 420 370 ont été délibérément exterminés dans les territoires occupés, 4 100 000 personnes sont mortes des conditions cruelles du régime d’occupation (faim, maladie), 2 164 313 personnes dans les camps de travail forcé en Allemagne.
Les pertes militaires de l’Union soviétique représentent 85 % du total des pertes alliées en Europe (Royaume-Uni 3,7 %, France 2,9 %, États-Unis 2,6 %). Enfin, le front ouvert en juin 1944 en France a eu, militairement, environ 11 mois d’existence, contre 47 mois pour le front russe depuis juin 1941.
La gigantesque mobilisation des travailleurs soviétiques
L’Armée rouge a retenu sur son front jusqu’à 80 % des forces terrestres allemandes ; elle a dû faire face à 190 divisions en 1941, à 268 au moment de la bataille de Stalingrad, et à 189 au début de 1945 alors qu’elle avait déjà porté des coups décisifs à l’ennemi. À titre de comparaison, les Anglo-Américains n’ont eu à combattre que 15 divisions en 1941-1942 et de 60 à 75 après le débarquement en Normandie.
Au total, 1 700 villes, 70 000 villages et 32 000 entreprises industrielles furent rasés. Entre Brest (Biélorussie) à l’ouest et Moscou à l’est, entre Leningrad au nord et Sébastopol au Sud, le pays n’était plus qu’un champ de ruines. Une gigantesque mobilisation des travailleurs soviétiques avait permis, dès l’été 1941, d’évacuer des usines entières.
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Démontées et transportées en Sibérie ou dans l’Oural, elles continuent à produire des armes et des équipements essentiels dès l’automne 1941. Elles ont permis d’approvisionner les troupes qui ont repoussé les Allemands devant Moscou et jouer un rôle crucial dans la capacité de l’Union soviétique à soutenir un effort de guerre tout au long du conflit.
La tardive ouverture d’un « second front »
Dès les mois d’août-septembre 1941, Staline avait réclamé sans répit – mais en vain – l’ouverture d’un « second front » occidental à l’Ouest, en France par exemple. Il ne l’obtint qu’en juin 1944, alors qu’il était clair que Hitler avait perdu la guerre et que rien ne pouvait plus arrêter l’Armée rouge dans sa poussée à l’Ouest. L’opération « Bagration », du 22 juin – jour d’anniversaire de l’attaque allemande de 1941 – au 19 août 1944 en estun exemple.
Visant à libérer la Biélorussie et à éliminer le groupe d’armées Centre de la Wehrmacht, elle fixe aussi à l’Est des divisions allemandes qui, sans cela, se seraient portées au-devant des Alliés qui venaient de débarquer en Normandie. L’Armée rouge y enregistre là 178 507 tués et 587 308 blessés. Mais elle parvient à parcourir de 500 à 600 km, libérer la Biélorussie, terre de partisans mais aussi terre martyre aux 628 « Oradour ». Elle atteint la Vistule, en Pologne, libère Sandomierz et surtout Lublin, où va siéger le Comité polonais de libération nationale (PKWN).
Le 19 août 1944, l’Armée rouge est devant Varsovie. Elle n’est plus, alors, qu’à 600 km de Berlin. Ce même jour, à 1 500 km de là, l’insurrection parisienne commençait avec l’occupation de la préfecture de police dans l’île de la Cité, à plus de 1 000 km de la capitale du Reich.
Historique ! Le 3 mai 1936, Cyprien Quinet l’emporte avec 63 % des voix au second tour face au conservateur Arthur Caullet dans la 5ᵉ circonscription de Béthune (Pas-de-Calais). Il avait remporté 41 % des voix au premier tour, devançant le socialiste Raoul Evrard qui s’était désisté, conformément aux accords entre partis de gauche.
Qui était Cyprien Quinet ?
Né en 1897 à Fouquières-les-Lens, Cyprien Quinet descendit à la mine dès l’âge de douze ans. Incorporé en 1916, il s’installe à Carvin à la fin de la guerre et reprend son métier de mineur. Il adhère au syndicat des mineurs de la CGT et à la SFIO à l’occasion de la grève du printemps 1919. Lors de la scission qui suit le congrès de Tours, il choisit la CGTU et le Parti communiste.
Ses responsabilités locales de secrétaire de la section syndicale unitaire des mineurs de la fosse 4 d’Ostricourt et de délégué mineur suppléant de son puits de travail à partir de 1925 lui permettent d’entrer au comité exécutif du syndicat CGTU des mineurs du Pas-de-Calais qu’il représente lors de plusieurs congrès. En 1929, il est promu secrétaire permanent du syndicat unitaire des mineurs du Pas-de-Calais. Entre juin 1930 et juillet 1931, il est envoyé comme élève à l’École léniniste internationale de Moscou (ELI).
À son retour de Moscou, il peut accéder à des responsabilités nationales en devenant l’un des secrétaires de la Fédération CGTU des travailleurs du Sous-sol. Il intègre par la suite en 1934 la commission exécutive de la CGTU tout en assumant le secrétariat de l’Union locale unitaire d’Hénin-Liétard jusqu’à la réunification de 1936.
Cyprien Quinet rejoint alors le bureau du syndicat unifié des mineurs du Pas-de-Calais. Secrétaire administratif d’un syndicat qui reste dominé par les dirigeants d’obédience socialiste, Quinet plaide inlassablement pour l’unité dans ses éditoriaux de la Tribune des mineurs.
Du secrétariat de cellule à la députation
Parallèlement à sa carrière syndicale, Cyprien Quinet gravit les échelons du Parti communiste. Secrétaire de la cellule de la fosse 4 d’Ostricourt à Carvin, Quinet échoue aux élections cantonales de 1928, aux municipales de 1929 à Carvin ainsi qu’aux législatives de 1932. Membre du bureau régional du Parti communiste, ses responsabilités syndicales nationales lui permettent d’être élu membre suppléant du comité central du PCF en 1932.
Quinet décroche son premier mandat électif à l’occasion d’une élection cantonale partielle dans le canton de Carvin en avril 1935. Dans le contexte du rassemblement populaire, il l’emporte avec plus de 63 % des voix au second tour face au candidat conservateur à la suite du désistement du socialiste Raoul Evrard.
L’année suivante, Quinet est élu député de la 5ᵉ circonscription de Béthune. Il perd néanmoins son poste au comité central du PCF.
Membre du bureau de la région communiste du Pas-de-Calais dès sa reformation en 1936, Quinet est un député actif. Vice-président de la commission des Mines et de la Force motrice, il est à l’origine de plusieurs propositions de loi visant à l’amélioration de la condition minière.
Déchu de ses mandats en 1939 pour être resté fidèle au PCF, arrêté et plusieurs fois interné, il s’évade du camp de Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn) en 1943 pour rejoindre le Pas-de-Calais et la résistance communiste clandestine. À nouveau arrêté par la police française et condamné pour son évasion, il est livré aux Allemands qui l’envoient à Dachau.
Dirigé sur le camp d’Allach où il est contraint de travailler pendant plusieurs semaines aux usines de BMW, il est à nouveau transféré vers le camp d’Hersbruck. Tombé d’épuisement lors de l’appel, Cyprien Quinet meurt le 2 décembre 1944, roué de coups par les SS et déchiqueté par leurs chiens.