Lorsque Amelia Earhart entreprend son tour du monde, elle a près de 40 ans et une solide expérience de l’aviation. Cette pionnière – elle est seulement la seizième Américaine à obtenir son brevet de pilote – a même déjà plusieurs records à son actif. En 1922, elle vole à l’altitude de 4300 mètres, encore jamais atteinte par une aviatrice, ce qui lui apporte un début de renommée. En 1928, on lui propose de prendre place à bord d’un avion qui va survoler l’océan Atlantique. Reléguée à la tenue du journal de bord, tandis qu’un homme est aux commandes, elle décrira plus tard son rôle comme celui d’un «sac de patate». Elle n’en devient pas moins la première femme à traverser l’Atlantique à bord d’un avion. Et se promet qu’un jour elle reproduira la prouesse en tant que pilote; ce qu’elle fera en 1932, en solitaire de surcroît.
Une chronique évoquant Amelia Earhart: La disparition, une torture pour l’esprit
Un défi à sa mesure
Ces exploits font d’Amelia Earhart une star. Elle écrit des livres, donne des conférences, fréquente des célébrités, dont Eleanor Roosevelt, l’épouse du président américain. Elle crée même sa propre ligne de bagages et de vêtements – des modèles conformes à son image, c’est-à-dire élégants, mais aussi simples et faciles à entretenir. On imagine en effet mal Amelia s’obstinant avec un fer à repasser. Depuis qu’elle est toute petite, dit-on, elle s’intéresse plus à l’aventure qu’à la bonne tenue du foyer. On peut voir des photos d’elle enfant, en culotte bouffante et non en robe comme les autres fillettes, entraînant sa sœur dans des jeux téméraires. En 1931, lorsqu’elle se marie avec son éditeur, George Putnam, elle lui fait parvenir une lettre dans laquelle elle explique qu’elle n’entend pas exiger de sa part – ni respecter elle-même – le code de fidélité traditionnellement attaché au mariage.
Bien décidée à repousser les limites de ce que peut entreprendre une femme de son temps, Amelia Earhart trouve un défi à sa mesure dans l’idée d’un tour du monde. Certes, d’autres aviateurs l’ont déjà fait, mais pas comme elle l’entend: elle veut suivre l’itinéraire le plus long, autour de l’équateur. Elle devra couvrir des dizaines de milliers de kilomètres, avec de nombreuses étapes.
Une première tentative échoue, en raison d’avaries techniques, et un de ses coéquipiers jette l’éponge. Pas Amelia. Le 1er juin 1937, elle se relance depuis Miami, avec comme seul membre d’équipage le navigateur et aviateur Fred Noonan, chargé de l’orientation de l’aéronef. Le voyage se passe d’abord plutôt bien. Le tandem effectue des arrêts en Amérique du Sud, en Afrique, en Inde et en Asie du Sud-Est, avant d’atteindre Lae, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Les trois quarts du trajet sont alors derrière eux. Mais le dernier tronçon, qui doit les amener à Hawaï en leur faisant survoler l’océan Pacifique, est risqué.
Bruit, inconfort et incertitudes
Il faut essayer de se représenter une telle épopée, à une époque où l’aéronautique n’en est encore qu’à ses débuts. La durée des trajets, l’exiguïté de la cabine, l’inconfort, le bruit… Mais aussi les incertitudes liées à l’orientation, puisque les GPS n’existaient pas. Fred Noonan navigue à l’estime, recourt à une boussole et observe les étoiles pour ajuster la trajectoire de l’avion. Une méthode qui laisse la porte ouverte aux imprécisions. Or, sur la dernière partie de leur trajet, Earhart et Noonan n’ont guère droit à l’erreur: ils doivent se poser sur la petite île de Howland, à quelque 4000 kilomètres de Lae. Un confetti dans l’océan Pacifique, où ils pourront se ravitailler avant de reprendre leur envol en direction d’Hawaï.
A proximité de Howland, un navire des gardes-côtes américains les attend. Mais le temps passe et aucun avion n’apparaît à l’horizon. Sur leur radio, les gardes-côtes entendent finalement Amelia Earhart. Elle les recherche: «Nous devrions être au-dessus de vous, mais nous ne vous voyons pas. Le carburant commence à baisser», dit-elle. Les opérateurs lui parlent mais l’aviatrice ne les entend apparemment pas. Et l’avion reste toujours invisible. «Nous cherchons vers le nord et vers le sud», indique encore l’aviatrice sur sa radio. Le ciel reste cependant désespérément vide. Les gardes-côtes doivent se rendre à l’évidence: le Lockheed L-10 Electra est en difficulté et n’atterrira pas à l’endroit prévu. Ils partent à sa recherche. Durant deux semaines, des navires et des hydravions écument les environs. Mais on ne retrouvera aucune trace de l’avion et de ses occupants.
«Cet avion existe. Ce n’est pas le monstre du Loch Ness, et il va être trouvé»
Robert Ballard, explorateur, découvreur de l’épave du Titanic
Selon l’hypothèse la plus vraisemblable, Earhart et Noonan ont dévié de leur trajectoire et se sont égarés. A court de carburant, leur avion se serait écrasé dans l’océan, loin de toute terre. D’autres théories plus ou moins fantaisistes, voire complotistes ont circulé: Amelia aurait été enlevée par les Japonais, ou serait en mission dans le Pacifique pour les espionner (il y avait alors déjà de vives tensions entre les Etats-Unis et le Japon dans cette région du monde); ou encore, elle serait retournée incognito aux Etats-Unis pour y vivre sous une identité d’emprunt. Une autre possibilité enfin, légèrement moins farfelue, voudrait que les deux aviateurs se soient trompés de cap et se soient retrouvés non pas aux abords de Howland, mais de l’atoll Nikumaroro (qui appartient aujourd’hui aux Kiribati), à quelque 600 kilomètres plus au sud, où ils auraient pu poser le Lockheed L-10 Electra.
Etranges artefacts
Plusieurs éléments viennent appuyer cette hypothèse. D’abord, il y a une photo aérienne de cet atoll inhabité, prise en 1940 par un officier anglais, où l’on peut distinguer une forme évoquant les restes de l’appareil. Par ailleurs, des ossements humains et des traces d’un campement ont été retrouvés sur Nikumaroro, quelques années après la disparition d’Amelia Earhart (ces restes ont depuis été égarés, empêchant toute analyse ADN). Sur la base de ces indices, une organisation de passionnés américains, le Groupe international pour la récupération d’avions historiques (The International Group for Historic Aircraft Recovery, Thigar), a mené plusieurs campagnes de prospection sur Nikumaroro. Ils y ont mis la main sur d’étranges artefacts pouvant être reliés à l’aviatrice: des instruments de navigation, un morceau de tôle et même un pot de crème pour le visage.
S’il est bien possible que son avion ne soit jamais retrouvé, ce n’est pas pour autant qu’il ne reste rien d’Amelia Earhart. Belle, courageuse et affranchie, elle a été une source d’inspiration pour de nombreuses femmes
De quoi convaincre l’explorateur américain Robert Ballard, connu notamment pour avoir retrouvé l’épave du Titanic, de lancer une campagne de recherche autour de Nikumaroro, sur les traces du Lockheed et de ses occupants. «Cet avion existe. Ce n’est pas le monstre du Loch Ness, et il va être trouvé», a déclaré le célèbre «chasseur d’épaves» au New York Times. Sponsorisées par la National Geographic Society, qui en a tiré un documentaire, les recherches ont eu lieu en août 2019, pendant deux semaines. A bord d’un navire équipé d’un sonar, Robert Ballard et son équipe ont cartographié les fonds marins autour de l’atoll. Des robots sous-marins ont aussi été envoyés de par le fond, à la recherche d’indices, tandis que des drones faisaient des relevés aériens sur les récifs entourant Nikumaroro. En vain. L’épave du Lockheed n’a pas refait surface.
S’il est bien possible que son avion ne soit jamais retrouvé, ce n’est pas pour autant qu’il ne reste rien d’Amelia Earhart. Belle, courageuse et affranchie, elle a été une source d’inspiration pour de nombreuses femmes et continue aujourd’hui de fasciner: des ouvrages, films et chansons lui sont consacrés. Elle apparaît même dans un épisode des Simpson, dans lequel Monsieur Burns reconnaît avoir commandité l’abattage de son avion. Une hypothèse de plus…
Le premier vol
A voir: Le documentaire «Expédition Amelia» retrace l’expédition de Robert Ballard autour de l’atoll Nikumaroro en août 2019. A voir sur National Geographic TV. Disponible en replay sur Mycanal.
A lire: Amelia Earhart était elle-même une auteure à succès. Elle a notamment publié «20 Hrs., 40 Min.» en 1928, dans lequel elle raconte sa première traversée de l’Atlantique en tant que passagère, et «The Fun of It», un essai sur les femmes dans l’aviation, en 1932.