09/10/2014
Déportation : la complicité du régime de Vichy
En France, le gouvernement mis en place à Vichy par le maréchal PÉTAIN, chef de l'État français qu'il a substitué à la République, n'a jamais eu pour objectif l'extermination des juifs, mais il n'en a pas moins été l'instrument efficace de la première étape du génocide.
En septembre 1940, à la suite de la 1ère ordonnance allemande prescrivant le recensement des Juifs en zone occupée, un fichier des Juifs a été établi dans chaque préfecture, fichier ensuite régulièrement et systématiquement mis à jour.
En octobre 1940, avec la promulgation du 1er statut des Juifs, la politique vichyste d'exclusion et de persécution, expression d'un antisémitisme et d'une xénophobie à la française, a défini, classé, marqué et isolé les Juifs résidant en France.
Le 3 octobre 1940, le 1er statut des Juifs a exclu les Juifs de tout poste dans la fonction publique, la presse et le cinéma, et défini comme juive « toute personne issue de 3 grands-parents de race juive ou de 2 grands-parents de même race si son conjoint lui-même est juif ».
À partir d'octobre 1940, les préfets pouvaient assigner à résidence les « étrangers de race juive » ou les interner dans des « camps spéciaux », et la police française faisait appliquer les ordonnances allemandes concernant l'obligation pour les Juifs de zone occupée d'avoir une carte d'identité portant la mention « Juif », et pour les entreprises commerciales juives d'afficher l'inscription « Entreprise juive ».
Le 29 mars 1941, a été créé le Commissariat général aux Questions juives, chargé de mettre en application la législation antisémite de Vichy.
Avec les3 000 Juifsmorts dans les camps français d'internement et le millier de Juifs exécutés ou fusillés comme otages, le bilan total avoisine les 80 000 victimes.
La propagande antisémite dans la France de Vichy
Le 14 mai 1941, 3 700 Juifs étrangers ont été arrêtés à Paris par la police française.
Le 2 juin 1941, le 2ème statut des Juifs a renforcé l'exclusion des Juifs des professions libérales, commerciales, artisanales et industrielles, et a prescrit aux Juifs de la zone non occupée de se faire recenser sous peine d'internement « dans un camp spécial même si l'intéressé est français ».
Le 22 juillet 1941, a été promulguée une loi concernant la liquidation des biens juifs et leur passage sous contrôle d'administrateurs non juifs. Cette tâche est confiée au Commissariat général aux questions juives qui, en 3 ans, « aryanise » plus de 70 000 entreprises juives.
Le 20 août 1941, a été ouvert le camp de Drancy, dans la région parisienne, placé sous le contrôle de la Gestapo, mais gardé par des gendarmes français.
En 1941, près de 40 000 juifs étrangers sont internés dans des camps en zone non occupée, c'est-à-dire sur un territoire qui est encore entièrement sous l'autorité du gouvernement de Vichy.
À partir de 1942, l'appareil d'État français, sous la direction de Pierre LAVAL, a apporté son concours à la mise en œuvre en France par les nazis de la « solution finale ».
Le 27 mars 1942 : Départ de Drancy et de Compiègne du premier convoi vers Auschwitz.
Le 28 mai 1942, une Ordonnance allemande a obligé les Juifs de plus de 6 ans à porter l'étoile jaune en zone occupée.
Au début du mois de juillet 1942, les nazis ont annoncé leur objectif : déporter 100 000 Juifs de France âgés de 16 à 40 ans. À la suite de négociations avec les responsables de la Gestapo, le secrétaire général à la Police, René BOUSQUET, qui avait été préfet de la Marne de 1940 à avril 1942, assura que la police française arrêterait les Juifs dans les deux zones, occupée et non occupée, et a obtenu en contrepartie que les rafles ne concernent que les Juifs étrangers. Quant aux enfants de moins de 16 ans - le plus souvent nés en France et donc français - le chef du gouvernement, Pierre LAVAL, proposa qu'ils soient déportés avec leurs parents.
Les 16 et 17 juillet 1942, la police française a arrêté en région parisienne 13 152 Juifs dont 4 115 enfants ; la plupart furent parqués au Vélodrome d'Hiver de Paris avant d'être internés à Pithiviers ou à Beaune-la-Rolande puis à Drancy et déportés à Auschwitz.
Le 7 août 1942, 10 000 Juifs étrangers ont été arrêtés en zone non occupée par la police française et livrés aux Allemands.
Le 31 juillet 1944 : départ du dernier convoi de Drancy pour Auschwitz.
Plus de 80 % des Juifs déportés de France ont été arrêtés par la police française.
En acceptant de livrer les juifs étrangers aux nazis pour affirmer la souveraineté de son gouvernement et tenter d'obtenir des concessions en faveur des Juifs français, LAVAL et BOUSQUET se sont engagés dans une politique de marchandage dangereuse et illusoire, parce que condamnée à toujours céder un peu plus aux nazis.
Au total, 76 000 Juifs ont été déportés de France vers les camps nazis, soit environ un quart de la population juive qui résidait dans notre pays en 1940.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, bien qu'il soit difficile de l'évaluer exactement, on considère que 330 000 Juifs, approximativement,résidaient en France et que la moitié d'entre eux était étrangère.
2 500 déportés juifs seulement ont échappé à l'extermination.
67 des 72 convois de déportés raciaux qui ont quitté la France pendant l'Occupation allemande ont été acheminés à Auschwitz.
Le développement du système concentrationnaire
dans les territoires annexés ou occupés par les nazis
162 000 déportés en France dont 76 000 juifs et 15 000 tziganes (95 % ne reviendront jamais des camps)
Deux catégories de déportés ont été acheminés vers ces camps :
- il y avait d'une part, les « déportés résistants et politiques », termes désignant , s'agissant des déportés français, les gaullistes, communistes et autres résistants accusés par le gouvernement de Vichy de se livrer à des activités qualifiées d'« antinationales » ;
- et puis d'autre part, il y avait les « déportés raciaux », c'est-à-dire les Juifs et les Tsiganes.
Pour distinguer ces différentes catégories de déportés, soumis tous au même régime, un triangle de tissu était cousu sur leur vêtement rayé :
- Triangle rouge pour les « politiques », porté par les opposants au nazisme, puis par tous les résistants d'Europe ;
- Triangle bleu pour les « apatrides »
- Triangle vert pour les « droits communs »
- Triangle violet pour les témoins de Jéhovah
- Triangle brun pour les Tsiganes
- Triangle noir pour les « asociaux »
- Triangle rose pour les homosexuels
- Triangle jaune pour les Juifs
17:59 Publié dans Actualité, Déportation, Deuxième guerre mondiale | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : déportation, auschwitz, juifs, france | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook |
28/04/2013
VEL D'HIV. Vincennes, 1942 : cent " disparus "
Maurice Rajsfus, historien et témoin nous parle de la rafle, telle qu'elle eut lieu dans une ville de la région parisienne.
Il avait quatorze ans à peine, sa soeur Jenny, seize, le jour où " ils " sont venus. Témoin " atrocement privilégié ", il continue de questionner l'histoire. Elle le renvoie à la sienne propre : Vincennes, 1942, 16 juillet.
Si les finances familiales excluaient tout projet de voyage au-delà du bois, c'était quand même les vacances, les enfants mangeaient à leur faim. " Ils sont venus. " Pas les Allemands. Toute la famille portait alors l'étoile jaune depuis " quarante jours ", la durée, dit-on, du Déluge. Cinq heures du matin n'avaient pas sonné quand la police de Pétain s'est mise à cogner du poing sur la porte du logis : vingt-cinq mètres carrés d'une maison des années trente ; non loin du bois d'où, dit-on, parfois sortent les loups. Mais ceux-là venaient de la ville.
Maurice Rajsfus (1) : " Le problème, pour mes parents comme pour tous les juifs immigrés et une grande partie des juifs français, c'est qu'en octobre 1940, après la première ordonnance allemande obligeant les juifs de la zone occupée à se déclarer dans les commissariats, ils ont obéi. Pourquoi ?
La réponse est simple : rien n'est pire, pour un étranger, que d'être en rupture avec la légalité. Ils ne pouvaient se soustraire, parce qu'ils étaient connus et reconnaissables, ne serait-ce qu'à leur accent : mon père avait fui la Pologne en 1923. Ils ont obéi, parce que ne pas se déclarer, cela voulait dire se cacher, avoir de l'argent (mon père travaillait sur un chantier de travaux publics, depuis qu'on lui avait interdit, en tant que juif, de tenir son commerce sur les marchés) ; se cacher, ça voulait dire changer d'identité, de localité. Ils ont obéi, parce qu'en octobre 1940 tout le monde, à peu près, avait le sentiment qu'on en avait pris pour cinquante ans.
Le malheur, c'est que cette déclaration a permis de constituer des listes qui, à leur tour, ont permis les arrestations de mai 1941, puis la rafle du Vél' d'Hiv'. Les nazis avaient demandé aux responsables de la collaboration de se saisir de 35 000 juifs étrangers. Pour tenir le chiffre, par zèle, ces responsables ont fait embarquer les enfants, ce qui ne figurait pas dans l'ordonnance nazie. " C'est ainsi qu'à Vincennes plus d'une centaine de personnes " disparurent " du jour au lendemain.
On les entassa quelques heures dans un petit pavillon, sorte de " camp de concentration miniature ", avant de les expédier à Drancy, direction Auschwitz.
Pour Maurice Rajsfus, ce fut comme si sa mère avait une seconde fois mis au monde, un autre monde, ses deux enfants : " C'était un centre de regroupement secondaire. Nous y avons passé la journée. Puis un gradé a dit que les enfants de plus de quatorze et de moins de seize ans pouvaient sortir. Ma mère nous fit comprendre qu'il fallait y aller. Son intuition fit que, sur la trentaine d'enfants entassés là, ma sour et moi nous fûmes les seuls à ressortir. Nous sommes partis comme poussés dehors, avec le pressentiment que mieux valait prendre du champ, et vite...
De retour au logement, j'ai voulu récupérer les clés. La concierge n'y était pas. J'ai grimpé à l'étage, trouvé la porte ouverte, la concierge était chez nous. Elle "faisait" les placards. " C'est ainsi qu'à l'automne 1944, le lycéen Maurice Rajsfus ne retrouva pas les bancs d'une classe. Apprenti joaillier, il passa des billes de verre colorées aux pierres précieuses, ce qui n'était pas précisément sa vocation ; tandis que Jenny, sa sour, poursuivait des études qui, évidemment, ne rapportaient pas un centime de salaire...
Plus tard, en 1980, il se mit à écrire. Un nombre assez impressionnant d'ouvrages. Dans les trois derniers publiés, il relate des souvenirs, retourne des archives. Au registre des bons souvenirs, citons une belle tranche de gruyère reçue en pourboire et une rencontre avec l'acteur Michel Simon.
Parmi ceux qui tiennent du cauchemar, il faut citer le jour où il croisa le chemin d'un diamantaire antisémite (Maurice portait toujours l'étoile jaune), qui finit, en guise de " cadeau de Noël " par écraser sur le crâne de l'adolescent affamé un ouf ; et cet autre jour où un " bon Français ", avisant son insigne, lui ordonna de quitter la voiture du métro dans laquelle il s'était engouffré, pressé, pour monter dans la dernière, réservée aux juifs.
Citons, enfin, le crachat reçu d'un officier allemand inconnu, en pleine rue. Maurice Rajsfus, aujourd'hui : " Celui-là, il était plus dans son rôle que le salaud de lapidaire avec son ouf ! " Il évoque aussi la commande reçue un jour par son patron pour une dizaine de bagues en platine ornée de croix gammées en saphirs... Ça réveille en lui sa colère contre les acteurs économiques et industriels profiteurs de guerre : " Ils faisaient comme si la guerre n'était pas passée par là, comme si les Allemands n'étaient pas là.
J'ai retrouvé un document par lequel une célèbre entreprise textile offrait ses services pour la production de 5 000 mètres de tissu destiné à la confection des étoiles jaunes. J'ai aussi retrouvé trace du fondeur qui prépara la forme, et celle de l'imprimeur. Alors que le travail de nuit était interdit sous l'Occupation, j'ai mis la main sur une demande de dérogation envoyée par ces gens-là, pour cause de " commande urgente " !...
Maurice a une pensée particulière pour les personnes qui, non juives, ont porté l'étoile, en signe de solidarité, et se sont retrouvées à Drancy, avec une véritable étoile jaune cousue sur leur vêtement, assortie de la mention " amis des juifs " : " C'était un acte véritable de résistance !
L'un d'eux, Michel Reyssat, m'a prêté un portrait de lui réalisé à Drancy, au mois d'août 1942, par un artiste, David Brainin, disparu en déportation. " Évidemment, Maurice Rajsfus ne porte pas la police française dans son cour : " Ils ont volé des années de vie à mes parents.
Tous ont participé aux rafles quand ils étaient requis. Pratiquement pas un seul n'a démissionné. Si la police française ne s'était pas mise aux ordres, jamais il n'y aurait eu autant de dégâts. Il y a eu 250 000 déportés de France, dont 76 000 juifs, les autres étant, pour l'essentiel, des communistes et des gaullistes... Et que dire de ce policier qui, rendant compte à la préfecture de sa mission, ose écrire, le 22 juillet : " Le Vél' d'Hiv' est évacué. Il restait 50 juifs malades et des objets perdus, le tout a été transféré à Drancy ." Maurice Rajsfus a aussi des colères présentes. "
On commémore, certains à tour de bras, mais on oublie. Surtout, on évite de tirer les leçons, de voir ce qui se passe aujourd'hui. Il y en a, ce qui les intéresse, c'est un certain passé, mais pas le présent. Cela dit sans nier les spécificités. " Maurice Rajsfus continue de questionner l'histoire. Passionnément. Depuis 1942. Ses questions peuvent se résumer en une seule : " M'man, p'pa, pourquoi ? " Elle a des tas de réponses. Aucune n'épuise la question.
Jean Morawski
Maurice Rajsfus a publié trois livres : en janvier, dans la collection Que sais-je ? (PUF), la Rafle du Vél' d'Hiv' ; en février, Paris, 1942, chronique d'un survivant (éditions Noesis, collection Moisson rouge), et Opération étoile jaune, suivi de Jeudi noir (éditions du Cherche Midi).
Témoignage publié dans l’Humanité du 16 juillet 2002
10:01 Publié dans L'Humanité, Occupation, Résistance | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : résistance, occupation, rafle, juifs, vel d'hiv | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook |