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27/11/2025

Thanksgiving : derrière l’histoire populaire des pèlerins et des « Indiens », de nombreux oubliés…

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La fête de Thanksgiving célèbre la générosité et le partage mais l’histoire des pèlerins n’est qu’une partie d’un récit bien plus complexe.


Neuf Américains sur dix se réunissent autour d’une table pour partager un repas à Thanksgiving. À un moment aussi polarisé, toute occasion susceptible de rassembler les Américains mérite qu’on s’y attarde. Mais en tant qu’historien des religions, je me sens tenu de rappeler que les interprétations populaires de Thanksgiving ont aussi contribué à diviser les Américains.

Ce n’est qu’au tournant du XXe siècle que la plupart des habitants des États-Unis ont commencé à associer Thanksgiving aux « pèlerins » de Plymouth et à des « Indiens » génériques partageant un repas présenté comme fondateur mais ces actions de grâce collectives ont une histoire bien plus ancienne en Amérique du Nord. L’accent mis sur le débarquement des pèlerins en 1620 et sur le festin de 1621 a effacé une grande partie de l’histoire religieuse et restreint l’idée de qui appartient à l’Amérique – excluant parfois des groupes comme les populations autochtones, les catholiques ou les juifs.

Croyances agraires et fêtes des récoltes

La représentation habituelle de Thanksgiving passe sous silence les rituels autochtones de gratitude, notamment les fêtes des récoltes. Les Wampanoag, qui partagèrent un repas avec les pèlerins en 1621, continuent de célébrer la récolte de la canneberge. Par ailleurs, des festins similaires existaient bien avant les voyages de Colomb.

Comme je le souligne dans mon ouvrage de 2025, Religion in the Lands That Became America, on se réunissait déjà pour un festin communautaire à la fin du XIe siècle sur l’esplanade de 50 acres de Cahokia. Cette cité autochtone, située de l’autre côté du fleuve, en face de l’actuelle Saint-Louis, était le plus grand centre de population au nord du Mexique avant la révolution américaine.

Les habitants de Cahokia et leurs voisins se rassemblaient à la fin de l’été ou au début de l’automne pour remercier les divinités, fumer du tabac rituel et consommer des mets particuliers – non pas du maïs, leur aliment de base, mais des animaux à forte valeur symbolique comme les cygnes blancs et les cerfs de Virginie. Autrement dit, ces habitants de Cahokia participaient à un festin « d’action de grâce » cinq siècles avant le repas des pèlerins.

Des jours « d’action de grâce »

La représentation habituelle atténue aussi la tradition consistant pour les autorités à proclamer des « Jours d’action de grâce », une pratique bien connue des pèlerins et de leurs descendants. Les pèlerins, qui s’installèrent dans ce qui correspond aujourd’hui à Plymouth, dans le Massachusetts, étaient des puritains séparatistes ayant dénoncé les éléments catholiques subsistant dans l’Église protestante d’Angleterre. Ils cherchèrent d’abord à fonder leur propre Église et communauté « purifiée » en Hollande.

Après une douzaine d’années, beaucoup repartirent, traversant l’Atlantique en 1620. La colonie des pèlerins, au sud-est de Boston, fut progressivement intégrée à la colonie de la baie du Massachusetts, fondée en 1630 par un groupe plus important de puritains qui, eux, ne s’étaient pas séparés de l’Église officielle d’Angleterre.

Comme l’ont souligné des historiens, les ministres puritains de l’Église congrégationaliste, reconnue par l’État du Massachusetts, ne prêchaient pas seulement le dimanche. Ils prononçaient aussi, à l’occasion, des sermons spéciaux d’action de grâce, exprimant leur gratitude pour ce que la communauté considérait comme des interventions divines – qu’il s’agisse d’une victoire militaire ou de la fin d’une épidémie.

La pratique s’est maintenue et étendue. Pendant la révolution américaine, par exemple, le Congrès continental déclara un Jour d’action de grâce pour commémorer la victoire de Saratoga en 1777. Le président James Madison proclama plusieurs jours d’action de grâce pendant la guerre de 1812. Les dirigeants des États-Unis comme ceux des États confédérés firent de même durant la guerre de Sécession.

Cette tradition a influencé des Américains comme Sarah Hale, qui plaida pour l’instauration d’un Thanksgiving national. Rédactrice en chef et poétesse surtout connue pour Mary Had a Little Lamb, elle réussit à convaincre Abraham Lincoln en 1863.

La fête des récoltes de 1621

La vision que beaucoup d’Américains se font du « premier Thanksgiving » ressemble à la scène représentée dans une peinture de J. L. G. Ferris portant ce titre. Réalisée vers 1915, elle est proche d’une autre image très populaire, The First Thanksgiving at Plymouth, peinte à la même époque par Jennie Augusta Brownscombe. Ces deux œuvres déforment le contexte historique et représentent de manière erronée les participants autochtones issus de la confédération Wampanoag toute proche. Les chefs amérindiens y portent des coiffes propres aux tribus des grandes plaines, et le nombre de participants autochtones est nettement sous-estimé.

Le seul témoignage oculaire qui subsiste est une lettre de 1621 du pèlerin Edward Winslow. Il y rapporte que Massasoit, le chef des Wampanoag, était venu avec 90 hommes. Cela signifie, comme le suggèrent certains historiens, que le repas partagé relevait autant d’un événement diplomatique scellant une alliance que d’une fête agricole célébrant une récolte.

La peinture de Ferris laisse aussi entendre que les Anglais avaient fourni la nourriture. Les habitants de Plymouth apportèrent de la « volaille », comme Winslow s’en souvenait – probablement de la dinde sauvage – mais les Wampanoag ajoutèrent cinq daims qu’ils venaient d’abattre. Même la récolte de « maïs indien » dépendit de l’aide autochtone. Tisquantum, dit Squanto, le seul survivant du village, avait prodigué des conseils vitaux en matière de culture comme de diplomatie.

La scène enjouée de l’image masque aussi à quel point la région avait été bouleversée par la mort. Les pèlerins perdirent près de la moitié de leur groupe à cause de la faim ou du froid durant leur premier hiver. Mais, après les premiers contacts avec des Européens, un nombre bien plus important de Wampanoag étaient morts lors d’une épidémie régionale qui ravagea la zone entre 1616 et 1619. C’est pour cela qu’ils trouvèrent le village de Squanto abandonné, et que les deux communautés furent disposées à conclure l’alliance qu’il facilita.

La primauté des pèlerins

Les pèlerins sont arrivés tard dans l’histoire de Thanksgiving. La proclamation de 1863 de Lincoln, publiée dans Harper’s Monthly, évoquait « la bénédiction des champs fertiles », mais ne mentionnait pas les pèlerins. Ils n’apparaissaient pas non plus dans l’illustration du magazine. La page montrait villes et campagnes, ainsi que des esclaves émancipés, célébrant la journée par une prière « à l’autel de l’Union ». Pendant des années avant et après cette proclamation, d’ailleurs, de nombreux Sudistes se sont opposés à Thanksgiving, qu’ils percevaient comme une fête abolitionniste, venue du Nord.

L’absence des pèlerins s’explique, puisqu’ils n’étaient pas les premiers Européens à débarquer sur la côte est de l’Amérique du Nord – ni à y rendre grâce. Des catholiques espagnols avaient ainsi fondé Saint-Augustin en 1565. Selon un témoignage de l’époque, le chef espagnol demanda à un prêtre de célébrer la messe le 8 septembre 1565, à laquelle assistèrent des Amérindiens, et « ordonna que les Indiens soient nourris ».

Deux décennies plus tard, un groupe anglais avait tenté, sans succès, de fonder une colonie sur l’île de Roanoke, en Caroline du Nord – incluant un ingénieur juif. Les Anglais eurent davantage de succès lorsqu’ils s’installèrent à Jamestown, en Virginie en 1607. Un commandant chargé de mener un nouveau groupe en Virginie reçut pour instruction de marquer « un jour d’action de grâce au Dieu tout-puissant » en 1619, deux ans avant le repas de Plymouth.

Mais au fil des ans, les pèlerins de Plymouth ont lentement gagné une place centrale dans ce récit fondateur de l’Amérique. En 1769, les habitants de Plymouth firent la promotion de leur ville en organisant un « Forefathers’ Day » (« Jour des Pères fondateurs »). En 1820, le politicien protestant Daniel Webster prononça un discours à l’occasion du bicentenaire du débarquement à Plymouth Rock, louant l’arrivée des pèlerins comme « les premiers pas de l’homme civilisé » dans la nature sauvage. Puis, dans un ouvrage de 1841, Chronicles of the Pilgrim Fathers, un pasteur de Boston réimprima le témoignage de 1621 et décrivit le repas partagé comme « le premier Thanksgiving ».

L’essor de l’immigration

Entre 1880 et 1920, les pèlerins se sont imposés comme les personnages centraux des récits nationaux sur Thanksgiving et sur les origines des États-Unis. Il n’est pas surprenant que cette période corresponde au pic de l’immigration aux États-Unis, et de nombreux Américains considéraient les nouveaux arrivants comme « inférieurs » à ceux qui avaient débarqué à Plymouth Rock.

Les catholiques irlandais étaient déjà présents à Boston lorsque le volume Pilgrim Fathers parut en 1841, et davantage encore arrivèrent après la famine de la pomme de terre dans les années suivantes. La population étrangère de Boston augmenta lorsque la pauvreté et les troubles politiques poussèrent des catholiques italiens et des juifs russes à chercher une vie meilleure en Amérique.

La même situation se produisait alors dans de nombreuses villes du Nord, et certains protestants étaient inquiets. Dans un best-seller de 1885 intitulé Our Country, un ministre de l’Église congrégationaliste avertissait que « La grandeur de bien des villages de Nouvelle-Angleterre est en train de disparaître, car des hommes, étrangers par leur sang, leur religion et leur culture, s’installent dans des foyers où ont grandi les descendants des pèlerins. »

Lors du 300ᵉ anniversaire du débarquement et du repas, célébré en 1920 et 1921, le gouvernement fédéral émit des timbres commémoratifs et des pièces de monnaie. Des responsables organisèrent des spectacles, et des hommes politiques prononcèrent des discours. Environ 30 000 personnes se rassemblèrent à Plymouth pour entendre le président Warren Harding et le vice-président Calvin Coolidge louer « l’esprit des pèlerins ».

Bientôt, les inquiétudes xénophobes concernant les nouveaux arrivants, en particulier les catholiques et les juifs, amenèrent Coolidge à signer le Immigration Act de 1924, qui allait largement fermer les frontières américaines pendant quatre décennies. Les Américains continuèrent de raconter l’histoire des pèlerins même après que la politique migratoire des États-Unis devint de nouveau plus accueillante en 1965, et beaucoup la relaieront encore l’année prochaine à l’occasion du 250ᵉ anniversaire des États-Unis. Compris dans son contexte complet, c’est un récit qui mérite d’être raconté. Mais il convient de rester prudent, car l’histoire nous rappelle que les histoires sur le passé spirituel du pays peuvent soit nous rassembler, soit nous diviser.

Professor Emeritus of American Studies and History, University of Notre Dame

11:10 Publié dans Actualité, Colonies, Etats Unis, Peinture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : thanksgiving, usa | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook |

19/06/2023

Le crime d’État contre les Rosenberg

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États-Unis Il y a soixante-dix ans, après un procès inique, le couple de militants communistes, accusé d’avoir transmis des secrets atomiques à l’Union soviétique, périssait sur la chaise électrique.

Le 19 juin 1953, les époux Ethel et Julius Rosenberg sortent de leur cellule de la sinistre prison de Sing Sing dans l’État de New York. Ils sont dirigés vers la chaise électrique où ils périront, après d’interminables convulsions. Leur faute officielle : avoir transmis les secrets de fabrication de la bombe atomique états-unienne à l’Union soviétique. Dignes face à la mort, ils refuseront jusqu’au bout de reconnaître cette culpabilité et de voir fissurer leur amour en se désolidarisant l’un de l’autre, comme on le leur suggérait, en échange d’avoir la vie sauve. Ethel écrit une « lettre à (s)es fils », un texte poignant adressé à ses deux enfants âgés alors de 6 et 10 ans pour leur recommander d’être heureux et de poursuivre son combat.

Deux ans plus tôt, le procès du couple, mené par un juge aux mains de la CIA, avait été une parodie de justice. Les deux militants communistes de 36 ans et 33 ans y avaient été accablés et condamnés à la peine capitale en dépit d’un manque caractérisé de preuves. De multiples recours et un immense mouvement de solidarité internationale ne pourront rien y changer : les autorités politiques et judiciaires états-uniennes resteront inflexibles.

Le crime d’État visait rien de moins que d’installer la géopolitique états-unienne de la guerre froide en faisant taire toute résistance intérieure. Ethel et Julius se battaient depuis des années contre le fascisme, pour la paix et la justice sociale. Et ils soutenaient l’URSS, alors encore auréolée de sa révolution et de sa résistance au nazisme. Il n’en fallait pas plus pour qu’ils soient fichés, surveillés, inscrits parmi « les subversifs » de cette 5e colonne dont le maccarthysme voulait « nettoyer le pays ».

Le tort principal de ces « suspects parfaits » aura été d’avoir lutté de toutes leurs forces militantes contre la stratégie de suprématie militaire globale du Pentagone. La bombe nucléaire, dont l’efficacité pratique avait pu être démontrée sur l’échelle de l’immonde, quelques années plus tôt à Hiroshima et à Nagasaki, en était la clé. Le couple Rosenberg était convaincant. Il fallait le discréditer, le faire taire. Pour l’exemple.

Une Chasse aux sorcières menée par McCarthy

Les familles juives d’Ethel et Julius avaient fui l’Europe centrale et ses pogroms pour se réfugier à New York, dans la ville-monde et ses promesses de liberté. Citoyen des États-Unis, le couple a subi la déraison d’État orchestrée par le sénateur Joseph McCarthy. Soixante-dix ans après, cette mémoire demeure un énorme enjeu. Une chronique s’invite régulièrement dans les médias pour tenter de faire la démonstration de la « culpabilité » du couple, ou pointer insidieusement son rôle. En guise d’argument suprême, certains brandissent, comme le fit jadis l’accusation, les paroles du frère d’Ethel, David Greenglass. Ce personnage était devenu, durant le procès, l’un des principaux témoins à charge. Lui qui avait été arrêté et avait reconnu appartenir à un réseau d’espionnage au service de l’URSS constituait une cible de choix pour les procureurs. Même s’il ne jouait d’évidence qu’un rôle de second plan, il fut longuement « cuisiné » par le FBI. À la suite de quoi il déclara au procès avoir vu sa sœur taper à la machine des documents issus de la base atomique de Los Alamos.

Sordide règlement de comptes intrafamilial, aveux extorqués contre une peine fortement allégée, ou les deux à la fois ? La vérité allait resurgir cinquante ans plus tard, en 2001. Dans une interview télévisée, David Greenglass avouait avoir menti sous serment sur l’activité de sa sœur, tout en précisant curieusement « ne rien regretter ». La figure des Rosenberg comme maîtres espions nucléaires s’écroulait. Elle n’avait, il est vrai, jamais été vraiment prise au sérieux par nombre d’observateurs avertis. Le physicien britannique d’origine allemande Klaus Fuchs ne fut-il pas reconnu, entre-temps, comme l’indiscutable « orchestrateur » des « fuites » atomiques vers l’Union soviétique ?

En 2016, Barack Obama refuse leur réhabilitation

Ignorant ces révélations, de nombreux serviteurs d’une histoire conformiste s’efforcent, jusqu’à aujourd’hui, si ce n’est de justifier le bourreau, au moins de lui reconnaître des circonstances atténuantes. Quant aux autorités états-uniennes, elles continuent de se refuser à la moindre révision d’un procès si manifestement truqué. Les deux orphelins du couple Rosenberg auront tout tenté, leur vie durant, pour obtenir sa réhabilitation. Fin 2016, le plus âgé des deux, à 73 ans, frappe à la porte de la Maison-Blanche dont le locataire est encore un certain Barack Obama. En vain.

L’engagement des Rosenberg au service de la paix était incompatible avec une géopolitique de la guerre froide, redevenue malheureusement si actuelle. Outre la missive à ses enfants, Ethel Rosenberg a écrit juste avant de s’asseoir sur la chaise électrique : « Je ne suis pas seule et je meurs avec honneur et dignité, en sachant que mon mari et moi, nous serons réhabilités par l’Histoire. » Ce combat-là se poursuit, soixante-dix après leur monstrueux assassinat d’État.

23/12/2019

A Tulsa, le plus important lynchage de l’histoire américaine sort de l’oubli

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Des fouilles menées par des archéologues visent à faire la lumière sur le massacre de centaines de Noirs en mai 1921 dans cette ville de l’Oklahoma ; un drame occulté pendant des décennies.

Le drame enfoui dans la terre de Tulsa (Oklahoma) il y a près de 100 ans va-t-il livrer ses secrets et trouver dans l’histoire des Etats-Unis la place qu’il mérite ?

Une équipe d’archéologues est sur le point de mettre au jour ce qu’ils soupçonnent être deux fosses communes abritant les corps des victimes du plus important lynchage jamais mené sur le sol américain. Longtemps occulté par les autorités de la ville, à peine évoqué dans les livres d’histoire des écoles américaines jusqu’au début des années 2000, le massacre perpétré durant deux jours en mai 1921 constitue pourtant le paroxysme des tensions raciales dans l’Amérique ségréguée du début du XXe siècle.

Bombes incendiaires

Comme souvent dans ces affaires, l’histoire commence par une rumeur à caractère sexuel entre un homme noir et une femme blanche. Un matin de ce début de printemps, un jeune cireur de chaussures de la ville pénètre dans l’immeuble abritant les seules toilettes du quartier autorisées aux Noirs. En entrant dans l’ascenseur, il aurait malencontreusement écrasé le pied de l’opératrice, Blanche, qui officiait ce jour-là, selon une enquête de l’Oklahoma Historical Society.

Les cris de la jeune femme, l’accusation vite répandue d’une agression sexuelle, tout s’enchaîne très vite. Dick Rowland est prestement arrêté et conduit au tribunal où se rassemble bientôt une foule de Blancs en colère. Des Afro-Américains, « dont des anciens combattants de la première guerre mondiale », précisent les archives, s’y rendent aussi pour protéger le jeune homme. Des coups de feu éclatent. Le journal local titre son éditorial : « Lynchage d’un nègre ce soir ».

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Commence alors un déchaînement de violences contre le quartier noir de la ville. Peuplé d’une classe moyenne plutôt prospère, le lieu est connu sous le nom de Black Wall Street, en référence au quartier des affaires de New York.

Après deux jours d’attaques, de pillages, de mises à mort expéditives et de dévastation – des avions utilisés pour l’épandage agricole ont même été transformés en armes de guerre, larguent des bombes incendiaires sur les maisons –, trois cents victimes sont comptabilisées. Selon des témoins, des corps sont chargés sur des trains et jetés dans la rivière Arkansas du haut des ponts.

Racisme institutionnalisé

Mais la plupart des morts sont enterrés à la hâte dans des fosses communes, que l’histoire s’efforcera d’oublier. Au total, plus de 1 000 habitations et commerces seront détruits, mettant à la rue quelque 8 000 des 11 000 Noirs vivant alors à Tulsa.

Aucun des responsables blancs n’est poursuivi, plusieurs Noirs accusés d’avoir provoqué les violences sont, eux, condamnés, la plupart des survivants doivent déménager : l’époque, marquée par le racisme institutionnalisé, n’est guère propice aux droits des Afro-Américains. Malgré l’ampleur du drame, le silence et le déni s’abattent sur la ville durant des décennies.

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Les fouilles, qui pourraient déboucher au printemps sur des exhumations, visent à rendre hommage aux morts et à donner à leurs descendants des clés pour mieux connaître le sort de cette communauté noire décimée. Le jeune maire blanc de Tulsa, G. T. Bynum, élu en 2016, souhaite inscrire cette tuerie dans le patrimoine mémoriel de la ville et, plus largement, dans la violente histoire des relations raciales dans le pays.

Depuis une vingtaine d’années, les tentatives pour commémorer cet événement et faire droit aux victimes ou à leurs descendants ont fait long feu. En 1999, un habitant blanc de la ville, âgé de 10 ans à l’époque des faits, indique un endroit où, selon ses souvenirs d’enfant, seraient enterrées les victimes. Les recherches tournent court.

« Une centaine de corps »

En 2001, un rapport de la commission de l’Oklahoma chargée d’étudier les événements de mai 1921 fournit une description précise des pertes subies par les habitants et recommande que soient délivrées des réparations sous forme de chèques, de bourses d’études ou de subventions à la communauté noire. La création d’un mémorial est aussi encouragée. Mais le rapport est enterré et les descendants se tournent vers la justice pour obtenir des dommages et intérêts. En vain.

En 2018, le maire a ordonné la reprise des fouilles pour identifier les sites des fosses communes. « On le doit aux victimes et à leurs familles », estimait-t-il alors. Le 18 décembre, les archéologues ont annoncé la découverte dans le sol de cavités pouvant abriter « une centaine de corps ». Aujourd’hui, le quartier meurtri il y a cent ans est en cours de gentrification et seuls une dizaine de bâtiments en briques rouges reconstruits juste après le massacre subsistent de cette époque.

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En octobre, au détour d’une série culte, les téléspectateurs américains ont pu se (re)plonger dans ces événements dramatiques. Le premier épisode de la série fantastique Watchmen (Les Gardiens), tirée du roman graphique d’Alan Moore et Dave Gibbons et diffusée sur HBO, s’est ouvert sur la reconstitution des violences, bien réelles, de mai 1921, à Tulsa.

20:25 Publié dans Actualité, Etats Unis, International, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tulsa, usa, noirs, lynchage | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook |