19/04/2024
21 avril 1944 : les femmes obtiennent le droit de vote, et le suffrage devient universel
Le 21 avril 1944, l’amendement présenté par le communiste Fernand Grenier est adopté : « Les femmes seront électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes. »
La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, publiée en 1791 par Olympe de Gouges affirme que « la femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune ». En 1909, après la Ligue française pour le droit des femmes, pionnière dans la lutte pour le suffrage féminin, l’Union française pour le suffrage des femmes est créée. Les revendications se limitent cependant aux élections municipales.
À l’image de plusieurs pays européens, l’après-Première Guerre mondiale aurait pu être le tournant que les femmes étaient en droit d’attendre, mais la France s’y refuse, notamment sous la pression des radicaux-socialistes. Le rôle des femmes avait été pourtant décisif à ce qui a été si mal nommé « l’arrière », faisant tourner le pays et les foyers pendant que les hommes étaient sur le front de la guerre. En 1916, Maurice Barrès dépose une proposition de loi pour accorder le droit de vote aux veuves et mères de soldats tués à la guerre, au nom du « suffrage des morts ». Le cynisme de la proposition ne nous échappera pas : la femme est une suppléante.
« Trois hirondelles ne font pas le printemps. »
Aux élections municipales de 1925, une femme est élue sans en avoir vraiment le droit : Joséphine Pencalet, communiste ouvrière des conserveries de Douarnenez, une « Penn sardin » qui a participé à la célèbre grève victorieuse. Cette élection est rendue possible parce que les députés s’étaient prononcés favorablement. Mais, à la suite de l’opposition des sénateurs, l’annulation de l’élection de Joséphine Pencalet est prononcée. Elle en gardera tout au long de sa vie une profonde amertume.
Aux élections municipales de Montmartre, en 1935, puis aux législatives de 1936, Louise Weiss, présidente de l’association la Femme nouvelle, se présente pour bousculer l’opinion et organise plusieurs actions militantes notamment en direction des sénateurs.
Lors du Front populaire, le gouvernement de Léon Blum, formé en juin 1936, nomme trois femmes sous-secrétaires d’État : Irène Joliot-Curie à la Recherche scientifique, Cécile Brunschvicg, présidente de l’Union française pour le suffrage des femmes, à l’Éducation nationale, et Suzanne Lacore à la Protection de l’enfance. Les attentes sont fortes envers Léon Blum, mais la déception l’est tout autant… Louise Weiss déclarera : « Trois hirondelles ne font pas le printemps. »
Le militantisme féministe, l’évolution de la place des femmes dans le monde du travail et l’enseignement obligatoire ont bien évidemment été des conditions de possibilité de la crédibilité de la revendication d’un droit de vote des femmes. La Seconde Guerre mondiale marque une étape irréversible. L’engagement politique des femmes a pris une ampleur qui ne peut plus être ignorée.
Dès 1936, la dirigeante communiste et résistante Danielle Casanova écrivait : « Il n’est plus possible à la femme de se désintéresser des problèmes politiques, économiques et sociaux que notre époque pose avec tant de force (…), la conquête du bonheur est pour la femme liée à son libre épanouissement dans la société, cet épanouissement est une condition nécessaire du développement du progrès social. »
Une injustice réparée par les communistes
André Tollet, syndicaliste résistant, président du Comité parisien de la Libération, écrivait lors du colloque sur les femmes et la Résistance en 1975 : « C’est ainsi que les femmes ont gagné de haute lutte leur droit de vote. Qui aurait pu le leur refuser alors qu’elles avaient défendu la patrie aussi bien et mieux que certains hommes ? C’est un droit qu’elles ne doivent à personne qu’à leur prise de conscience. La Libération, c’est aussi le point de départ d’une participation toujours en progression des femmes à la vie sociale et politique et aujourd’hui nul n’oserait leur contester le droit de s’intéresser aux affaires du pays. »
Ainsi que le relate Fernand Grenier : « C’était ainsi, “la concrétisation du droit de vote des femmes en France prend sa source lors de l’Assemblée constituante provisoire installée à Alger. Les femmes seront électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes”. C’était clair et net. Après une discussion courtoise mais passionnée, l’amendement communiste fut voté par 51 voix contre 16 sur 67 votants. C’est de cette séance du 24 mars 1944 que date en fait le vote des femmes de France. »
L’injustice dénoncée par les communistes est ainsi réparée : le 21 avril 1944, il est déclaré que « les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ». Il faut attendre les municipales du printemps 1945 pour que les premiers bulletins de femmes soient légitimement placés dans l’urne. En 1946, le préambule de la Constitution de la IVe République stipule que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ».
Quatre-vingts ans après, certaines femmes n’ont pas encore accès à ce droit fondamental. La crise sanitaire a mis en lumière l’essentialité et la pénibilité du travail des femmes notamment dans les secteurs du soin et du lien. Qu’en est-il du droit de vote des femmes dites sans papiers, qui occupent nombre de ces emplois et n’ont pourtant pas la possibilité d’exercer leur souveraineté ? La question des nouveaux pouvoirs à conquérir pour celles qui font tenir le pays se pose.
Shirley Wirden
Responsable de la commission droits des femmes et féminisme du PCF
20:23 Publié dans Deuxième guerre mondiale, Libération, PCF, Politique, Résistance, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : droit de vote des femmes, pcf, fernand grenier | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook |
30/07/2023
La bataille de Koursk. La Wechmacht ne se remettra pas de cette défaite imposée par l'armée Rouge
Cinquante jours : c’est le temps qu’a duré la bataille de Koursk, opposant la Wehrmacht à l’Armée rouge du 5 juillet au 23 août 1943. La plus grande bataille de chars de l’histoire – et une des plus importantes dans les airs –, avec ses pertes humaines et matérielles gigantesques, est moins connue que celle de Stalingrad. Elle n’en est pas moins décisive en cet été 1943, où la Seconde Guerre mondiale bascule.
Si elle a duré beaucoup moins longtemps que la bataille de Stalingrad (six mois et vingt-deux jours, du 11 juillet 1942 au 2 février 1943), la bataille de Koursk (cinquante jours, du 5 juillet au 23 août 1943) n’en a pas moins été décisive – elle l’a même peut-être été davantage. Stalingrad marquait un tournant plus politique que militaire, mais les Allemands gardaient leurs capacités offensives et demeuraient à l’initiative, comme le montra la contre-offensive de von Manstein sur Kharkov en février-mars 1943.
Après leur défaite à Koursk, les nazis perdirent cette capacité d’initiative et furent contraints de reculer. Il fallut encore deux longues années avant que le drapeau rouge ne flotte sur le Reichstag, mais, en août 1943, Hitler avait déjà perdu la guerre. C’est ce qu’écrivit le journaliste Alexander Werth, correspondant britannique en URSS pendant le conflit mondial, dans son magistral « la Russie en guerre. De Stalingrad à Berlin » (1) : « En gagnant la bataille de Koursk, la Russie avait gagné la guerre. »
Après la reddition de von Paulus à Stalingrad en février 1943, Hitler et ses généraux cherchèrent à prendre leur revanche et à frapper un grand coup à l’est, afin de redonner le moral aux Allemands et plus particulièrement à l’armée.
La défaite soviétique à Kharkov avait conduit à la formation d’un saillant (2) sur le front à Koursk. Il mesurait 200 kilomètres de large et s’avançait vers l’ouest jusqu’à 150 kilomètres. Les troupes soviétiques des fronts centre et de Voronej qui s’y trouvaient menaçaient les flancs et l’arrière des groupes d’armées allemands du centre et du sud. À leur tour, ces groupements ennemis, occupant les têtes de pont d’Orel et de Belgorod-Kharkov, pouvaient infliger de puissantes attaques de flanc aux troupes soviétiques à Koursk.
Opération Citadelle
Dès le mois de mars 1943, les Allemands lancèrent les préparatifs d’une grande offensive estivale. L’opération (nom de code « Citadelle ») prévoyait des frappes dans des directions convergentes du nord et du sud sur les flancs du saillant de Koursk. Ensuite, il était prévu de frapper à l’arrière du front sud-ouest (opération « Panther ») et de lancer une offensive en direction du nord-est afin d’atteindre l’arrière profond du groupe central des troupes soviétiques et de créer une menace pour Moscou. Les meilleurs généraux de la Wehrmacht et les troupes les plus prêtes au combat furent mobilisés. Au total, 900 000 hommes, environ 10 000 canons et mortiers, jusqu’à 2 700 chars et canons d’assaut, et environ 2 050 avions. Cela représentait près de 70 % des chars dont disposaient les forces du Reich, jusqu’à 30 % des divisions motorisées et plus de 20 % des divisions d’infanterie, ainsi que plus de 65 % de tous les avions de combat opérant sur le front soviéto-allemand.
La Stavka – le quartier général soviétique – reçut de diverses sources des renseignements sur les préparatifs des nazis. Les agents du renseignement soviétique opérant à l’étranger obtinrent des informations sur l’offensive allemande. Le groupe du communiste hongrois Alexandre Sandor Rado, en Suisse, transmit des indications précises, jusqu’à la date et l’heure de l’offensive. En Grande-Bretagne, sous la houlette du général de division Sklyarov, les officiers du renseignement avaient obtenu un rapport analytique préparé pour Churchill et intitulé « Évaluation des intentions et actions allemandes possibles dans la campagne russe de 1943 ». Les partisans soviétiques, à l’arrière, livraient aussi des informations sur les convois d’hommes et de chars qui confirmaient les préparatifs allemands.
Pour Joukov, il faut « saigner l’ennemi »
Le commandement soviétique était confronté à un choix difficile : attaquer ou défendre. Joukov, maréchal chef de l’état-major soviétique, et son adjoint le maréchal Vassilievski proposèrent de « saigner l’ennemi » dans une bataille défensive, puis de passer à la contre-offensive. Un certain nombre de chefs militaires s’y opposèrent – Vatoutine, Malinowski, Timochenko, Vorochilov –, mais Staline soutint la proposition de Joukov et Vassilievski. La décision finale fut prise fin mai-début juin. La date de l’attaque était fixée au 5 juillet 1943.
Du côté soviétique, les fronts du centre et de Voronej comptaient, à la veille de l’assaut, 1 300 000 hommes, plus de 19 000 canons et mortiers, 3 444 chars et canons automoteurs, 2 172 avions. La défense soviétique reposait sur un échelonnement de lignes défensives comprenant mines, pièces d’artillerie, lance-roquettes et chars. Ces lignes étaient disposées en profondeur, jusqu’à 250 à 300 kilomètres. Le tout était soigneusement dissimulé.
Les troupes soviétiques étaient dirigées par des commandants célèbres tels que Joukov, Vatoutine, Koniev, Rokossovsk. Ils étaient opposés à des généraux allemands non moins expérimentés – Man-stein, Model, Goth.
Prévenus que l’attaque allemande aurait lieu le 5 juillet à 3 heures du matin, les quartiers généraux des fronts centre (commandant Rokossovski) et Voronej (commandant Vatoutine) décidèrent de mener une contre-préparation d’artillerie dans la nuit. Elle commença à 1 h 10. Les Allemands subirent des pertes et durent retarder le début de leur offensive de trois heures.
En quelques jours, les chars allemands réussirent à pénétrer de 10 à 12 kilomètres sur la face nord du saillant de Koursk et jusqu’à 35 kilomètres sur la face sud. En matière de chars, la Wehrmacht avait la supériorité sur l’Armée rouge, non pas en nombre mais en qualité des équipements. Le T-34 soviétique n’avait qu’un canon de 76 mm et le T-70 un canon de 45 mm ; le char lourd allemand T-VI Tiger avait un canon de 88 mm qui pouvait percer le blindage du « Trente-Quatre » – son surnom – à une distance pouvant atteindre 2 kilomètres. Le canon du T-34 ne pouvait pénétrer le blindage des chars Tiger et Panther qu’à une distance de 300 à 400 mètres, c’est-à-dire au corps-à-corps. C’est ce qui se produisit au cours de cette première et gigantesque bataille de chars, notamment près de Prokhorovka.
Des pertes gigantesques
Le matin du 12 juillet, les chars soviétiques concentrés là passèrent à l’attaque. Ils étaient plus nombreux que ceux des Allemands – 3 contre 2 environ. Les chars soviétiques allèrent à la rencontre des chars allemands au plus près, à bout portant. Les formations de combat des adversaires étaient si mélangées que les Tiger et les Panther exposaient leur blindage latéral, qui n’était pas aussi solide que le frontal, au feu des canons soviétiques.
Lorsque la bataille commença finalement à se calmer vers la fin de la journée du 13 juillet, on put compter les pertes. Elles étaient gigantesques. La 5e armée de la garde soviétique avait pratiquement perdu sa puissance de combat. Les Allemands, de leur côté, n’avaient plus que 250 chars en état de service. Ils disposaient encore du 24e Panzer Corps, mais l’envoyer au combat signifiait perdre la dernière réserve. Le potentiel du côté soviétique était incommensurable. Le 15 juillet, la Stavka décida de déployer les forces du front de la steppe du général Koniev sur l’aile sud du saillant de Koursk. Les chars soviétiques furent concentrés à la hâte au nord-est de Prokhorovka et reçurent l’ordre, le 17 juillet, de passer à l’offensive. Les unités allemandes, cependant, avaient commencé à s’éloigner du champ de bataille.
Des deux côtés, jusqu’à 1 200 chars et canons automoteurs participèrent à la bataille de Prokho- rovka. Les pertes en matériel des troupes soviétiques s’élevèrent à 500 chars, sur les 800 engagés (soit 60 % de la composition d’origine) ; les Allemands avaient perdu 300 chars sur 400 (75 %). Mais la bataille de Koursk ne fut pas seulement une bataille de chars. L’aviation y joua aussi un grand rôle. Les pilotes français du régiment Normandie-Niémen s’y distinguèrent particulièrement (3). Le 14 juillet 1943, les Français exécutèrent 25 missions et remportèrent 3 victoires dues au commandant Pouyade et aux lieutenants Albert et Castelain. Mais, ce même soir, le sous-lieutenant Jean de Tedesco manquait à l’appel, abattu dans la région de Bolkhov. Au total, le groupe déplorera 6 morts et remportera 17 victoires homologuées.
Après Prokhorovka, la phase offensive de la bataille commença du côté de l’Armée rouge. Le 3 août, après que les troupes des fronts de Voronej et des steppes eurent repoussé l’ennemi vers leurs positions d’origine sur l’aile sud du saillant de Koursk, l’opération « Belgorod-Kharkov » commença (opération « Roumiantsev »). Le 5 août, l’Armée rouge libéra Orel et Belgorod. Le soir même, sur ordre de Staline, le premier salut d’artillerie fut donné à Moscou – 12 salves tirées par 124 canons – en l’honneur des libérateurs. « Oui, le temps des salves victorieuses avait commencé », note Alexander Werth (4). Le 23 août 1943, l’Armée rouge libéra Kharkov. C’était la fin de la bataille de Koursk. Les Soviétiques avaient repoussé l’ennemi vers l’ouest de 140 à 150 kilomètres.
La Wehrmacht perdit 30 divisions, dont 7 de chars, 1 500 tanks, plus de 3 000 avions, 3 000 canons et environ 500 000 soldats furent tués, blessés ou portés disparus. Les pertes des troupes soviétiques furent encore plus importantes : 860 000 tués ; plus de 6 000 chars et canons automoteurs, 5 000 canons et mortiers, 1 500 avions. Néanmoins, l’équilibre des forces au front avait changé en faveur de l’Armée rouge. Elle disposait d’un nombre incomparablement plus élevé de nouvelles réserves que la Wehrmacht.
La victoire soviétique près de Koursk, puis dans la bataille du Dniepr (24 août-23 décembre 1943) acheva un tournant radical dans la Grande Guerre patriotique. La stratégie offensive de la Wehrmacht subit une faillite définitive. À la fin de 1943, 37 pays étaient en guerre contre les puissances de l’Axe. L’effondrement du bloc fasciste avait commencé.
En novembre-décembre 1943, lors de la conférence de Téhéran, première rencontre entre Staline, Roosevelt et Churchill, la décision finale fut prise d’un débarquement allié en Normandie en 1944. « À la fin de l’année 1943, l’Armée rouge avait libéré la moitié du territoire occupé par les Allemands en 1941-1942 », note l’historien américain Geoffrey Roberts (5).
La bataille de Koursk donne encore matière à réflexion : c’est une leçon à la fois tactique et stratégique pour les militaires du monde entier. Elle fut l’une des plus grandes batailles de l’histoire de l’humanité.
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04/06/2020
Disparition. Raymond Gurême, la voix des Tziganes s’est éteinte
« Toujours debout, jamais à genoux. » Cette phrase, qu’il répétait souvent, résume à elle seule Raymond Gurême. À 94 ans, ce militant contre l’injustice, dernier témoin de l’internement des nomades en France pendant la Seconde Guerre mondiale, est mort le 24 mai dernier. « C’était un personnage très proche des gens, qui avait beaucoup d’humour, de joie de vivre et qui dégageait un charisme et une énergie extraordinaires », se souvient Saimir Mile, porte-parole de la Voix des Roms, dont Gurême était le président d’honneur. Malgré son âge, il était encore présent, le 16 mai dernier, lors du rassemblement annuel en mémoire de l’insurrection tzigane du camp d’Auschwitz-Birkenau, en 1944. Avec son éternel chapeau sur la tête, le petit homme sec aux yeux pétillants y invitait encore les jeunes à « ne pas avoir peur, parce que la peur n’évite pas le danger ».
Témoin d’une histoire oubliée, il n’a cessé, des écoles de France jusqu’au Conseil de l’Europe, de raconter avec humour et générosité ce douloureux passé. « Raymond disait,“ Je ne me bats pas pour une ethnie, mais pour la justice sociale. ” C’est quelqu’un qui n’a jamais accepté d’être opprimé et qui a toujours trouvé le moyen de se libérer », se souvient François Lacroix, membre du Collectif pour la mémoire de l’internement à Linas-Montlhéry. Pour Anina Ciuciu, avocate et auteure de Je suis tzigane et je le reste, « Raymond Gurême voyait l’antitziganisme comme faisant partie d’un tout. C’était quelqu’un du peuple. La misère sociale et toutes les formes de racisme le révoltaient ».
Des évasions à répétition
La vie de Raymond Gurême tient du roman d’aventures. Les premières années de ce fils de forains, né en 1925, évoquent la chanson d’Aznavour, Viens voir les comédiens. La roulotte familiale sillonne la France avec son petit cirque et son cinéma ambulant. « Quand on arrivait dans un village, tous les gosses couraient vers nous en criant joyeusement, “V’là le cirque, v’là le cinéma.” Mon père demandait la permission au maire de s’installer (…) et pas un ne refusait. À cette époque, nous apportions la civilisation dans les petites villes et les villages », a raconté le militant à la journaliste Isabelle Ligner, avec qui il a écrit le récit de sa vie, Interdit aux nomades. Lui aidait son père à rembobiner les films et faisait le clown et l’acrobate.
Mais, le 4 octobre 1940, tout bascule. Des policiers français débarquent chez les Gurême pour appliquer le décret adopté en avril, avant l’occupation allemande, interdisant la libre circulation des nomades. « Ils ont dit : “Remballez votre matériel et suivez-nous.” Et voilà, la misère a commencé. » Ses parents sont pourtant français depuis des générations, son père a même fait la guerre de 1914-1918. Mais la famille est transférée sans ménagement au camp de Darnétal, près de Rouen, puis à Linas-Montlhéry. Un dernier voyage effectué dans des wagons à bestiaux, puis à pied, sous les coups de crosses. « Ça a été terrible. Nous n’avions plus rien, ni pour manger, ni pour nous chauffer dans les baraques. Les gosses tombaient malades, des bébés mouraient… »
De cet enfer, Raymond Gurême s’évadera deux fois. La première, il est rattrapé sur dénonciation du maire de sa commune natale, à qui il avait demandé de l’aide. Après une nouvelle évasion, il file en Bretagne et trouve un emploi de travailleur agricole. Malgré le risque, il voyage plusieurs fois jusqu’à Linas pour apporter à manger à sa famille. Naturellement, il s’engage dans la Résistance, est arrêté, puis envoyé en Allemagne. Là encore, il multiplie les évasions et parvient à rejoindre la France, en 1944, où il réintègre la Résistance et participe à la libération de Paris. Mais, pour le résistant Gurême, il n’y aura ni médaille ni reconnaissance.
Une chape de plomb sur l’histoire
Alors que les derniers camps nomades ne ferment qu’en juin 1946, Raymond a perdu sa famille de vue. Il lui faudra attendre les années 1950 pour retrouver les siens, partis en Belgique. Quant aux rescapés des camps, l’État français leur a tout pris. Ils n’auront aucune compensation et plongeront dans la misère. « Il n’y a jamais eu un centime de dédommagement. C’est quelque chose qui a créé un passif entre les familles et l’État », analyse François Lacroix. En France, une chape de plomb tombe sur l’histoire des camps tziganes . « En 1976, quand j’ai entendu parler de Linas-Montlhéry pour la première fois par des familles roms, j’ai commencé à poser des questions. Le maire n’était pas au courant et disait qu’il n’y avait aucune archive », se souvient François Lacroix, qui pointe « le silence de la police et des politiques ».
C’est ce silence que Raymond Gurême a voulu rompre. « Mais personne ne voulait nous entendre », disait-il. Au début des années 2000, peu à peu, les archives s’ouvrent et des historiens commencent à travailler sur ces heures sombres. Avec François Lacroix, ils obtiennent la mise en place d’une stèle et d’une cérémonie annuelle sur le site de l’ancien camp d’internement de Linas-Montlhéry, en face duquel Raymond Gurême a choisi de s’installer. Il faudra attendre octobre 2016 pour que François Hollande reconnaisse la responsabilité de la France dans l’internement de 6 500 Tziganes de France. Dans la foulée, la loi les obligeant à avoir un titre de circulation spécifique est abrogée. « Ce ne sont pas les Allemands qui m’ont ramassé. C’est la police française », n’avait de cesse de rappeler Raymond Gurême. L’ancien résistant, lui, n’a reçu qu’une seule récompense de la part de son pays : en 2012, après la sortie de son livre témoignage, il est fait chevalier des Arts et des Lettres, pour son combat contre les discriminations.
14:46 Publié dans Biographie, Déportation, Deuxième guerre mondiale, Libération, Occupation | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : raymond gureme, déportation, nomade | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook |