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29/11/2016

Fidel Castro : un géant du XXe siècle

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l'Humanite.fr Un récit de José Fort.

Rarement un révolutionnaire, un homme d’Etat aura provoqué autant de réactions aussi passionnées que Fidel Castro. Certains l’ont adoré avant de le brûler sur la place publique, d’autres ont d’abord pris leurs distances avant de se rapprocher de ce personnage hors du commun. Fidel Castro n’a pas de pareil. 

Il était « Fidel » ou le « Comandante » pour les Cubains et les latino-américains, pas le « leader maximo », une formule ânonnée par les adeptes européo-étatsuniens du raccourci facile. Quoi qu’ils en disent, Fidel Castro restera un géant du XXe siècle.

Le jeune Fidel, fils d’un aisé propriétaire terrien, né il y a 90 ans à Biran dans la province de Holguin, n’affiche pas au départ le profil d’un futur révolutionnaire. Premières études chez les Jésuites, puis à l’université de La Havane d’où il sort diplômé en droit en 1950. Il milite dans des associations d’étudiants, tape dur lors des affrontements musclés avec la police dans les rues de la capitale, puis se présente aux élections parlementaires sous la casaque du Parti orthodoxe, une formation se voulant « incorruptible » et dont le chef, Chivas, se suicida en direct à la radio. Un compagnon de toujours de Fidel, Alfredo Guevara, fils d’immigrés andalous et légendaire inspirateur du cinéma cubain, dira de lui : « Ou c’est un nouveau José Marti (le héros de l’indépendance), ou ce sera le pire des gangsters ». 
 
Le coup d’Etat du général Fulgencio Batista renverse le gouvernement de Carlos Prio Socarras et annule les élections. Voici le jeune Castro organisant l’attaque armée de la caserne Moncada, le 26 juillet 1953. Un échec. Quatre-vingts combattants sont tués. Arrêté et condamné à 15 ans de prison, Fidel rédige « l’Histoire m’acquittera », un plaidoyer expliquant son action et se projetant sur l’avenir de son pays. Libéré en 1955, il s’exile avec son frère Raul au Mexique d’où il organise la résistance à Batista. Son groupe porte le nom « Mouvement du 26 juillet ». Plusieurs opposants à la dictature rejoignent Fidel. Parmi eux, un jeune médecin argentin, Ernesto Rafael Guevara de la Serna. Son père me dira plus tard : « Au début, mon fils le Che était plus marxiste que Fidel ».
 
Fidel communiste ? Fidel agent du KGB ? Fidel Castro à cette époque se définit comme un adversaire acharné de la dictature, un adepte de la philosophie chère à Thomas Jefferson, principal auteur de la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis, et adhère au projet de Lincoln de coopération entre le capital et le travail. Raul et plusieurs de ses compagnons sont nettement plus marqués à gauche.
 
Le 2 décembre 1956, Fidel monte une expédition avec 82 autres exilés. Venant du Mexique à bord d’un bateau  de plaisance, le « Granma », ils débarquent après une traversée mouvementée dans la Province Orientale (sud-est de Cuba). La troupe de Batista les y attend. Seuls 12 combattants (parmi lesquels Ernesto Che Guevara, Raul Castro, Camilo Cienfuegos et Fidel) survivent aux combats et se réfugient dans la Sierra Maestra. Commence alors une lutte de guérilla avec le soutien de la population. Fidel Castro apparaît au grand jour dans les journaux nord-américains et européens, accorde des interviews, pose pour les photographes, parle sur les radios. A Washington, on ne s’en émeut guère lassés des frasques d’un Batista peu présentable.
 
Après l’entrée de Fidel dans La Havane, le 9 janvier 1959, on observe avec intérêt ce « petit bourgeois qui viendra à la soupe comme tout le monde », ricane-t-on au département d’Etat. Même le vice-président Nixon mandaté pour le recevoir afin de vérifier s’il est communiste soufflera à Eisenhower : « C’est un grand naïf, nous en ferons notre affaire ».  Tant que Fidel ne s’attaque pas à leurs intérêts économiques, les dirigeants étasuniens ne s’alarment pas. Lorsque la révolution commence à exproprier des industries nord-américaines, la United Fruit par exemple, la donne change brutalement.
 
Le premier attentat dans le port de La Havane, le 4 mars 1960, sonne le prélude à une longue liste d’actes terroristes : le cargo battant pavillon tricolore, La Coubre, qui avait chargé des munitions à Hambourg, Brème et Anvers explose dans le port de La Havane faisant plus de cent morts, dont six marins français. Ulcéré, le général de Gaulle donne l’ordre d’accélérer la livraison des locomotives commandées du temps de Batista. Elles font l’objet d’étranges tentatives de sabotage. Les dockers CGT du port du Havre surveilleront le matériel jusqu’au départ des navires.
 
Une opération de grande envergure se préparait du côté de Miami : le débarquement de la Baie des Cochons. En avril 1961, au lendemain de l’annonce par Fidel de l’orientation socialiste de la révolution, le gouvernement des Etats-Unis missionne la CIA pour encadrer 1400 exilés cubains et mercenaires latino-américains en espérant, en vain, un soulèvement populaire. Fidel en personne dirige la contre-attaque. La tentative d’invasion se solde par un fiasco.
 
Les Etats-Unis signent là leur déclaration de guerre à la révolution cubaine. Pendant des dizaines d’années, ils utiliseront toute la panoplie terroriste pour tenter d’assassiner Fidel, jusqu’à la combinaison de plongée sous-marine enduite de poison, faciliteront le débarquement de groupes armés, financeront et manipuleront les opposants, détruiront des usines, introduiront la peste porcine et des virus s’attaquant au tabac et à la canne à sucre. Ils organiseront l’asphyxie économique de l’île en décrétant un embargo toujours en vigueur. « El Caballo » (le cheval) comme l’appelaient parfois les gens du peuple, ce que Fidel n’appréciait pas, aura survécu à Eisenhower, Kennedy, Johnson, Nixon, Reagan, Ford et assisté aux départs à la retraite de Carter, Bush père et Clinton. Il dira de Bush fils « celui là, il finira très mal. »  
 
Tant d’années d’agressions, tant d’années de dénigrement et de coups tordus, tant d’années de résistance d’un petit pays de douze millions d’habitants face à la première puissance économique et militaire mondiale. Qui fait mieux ? Lorsqu’on évoque le manque de libertés à Cuba, ne faudrait-il pas d’abord se poser la question : un pays harcelé, étranglé, en guerre permanente, constitue-t-il le meilleur terreau pour favoriser l’épanouissement de la démocratie telle que nous la concevons en occident et que, à l’instar de George Bush, certains souhaiteraient calquer mécaniquement en d’autres endroits du monde, particulièrement dans le Tiers monde? Lorsque dans les salons douillets parisiens, on juge, tranche, condamne, sait-on au juste de quoi on parle ?
 
La crise des fusées ? Lorsque l’URSS dirigée par Nikita Khrouchtchev décide en 1962 d’installer à Cuba des missiles afin, officiellement, de dissuader les Etats-Unis d’agresser l’île, la « patrie du socialisme » répond à une demande de Raul Castro mandaté par Fidel. La direction soviétique fournit déjà à Cuba le pétrole que lui refuse son proche voisin.
 
Elle met deux fers au feu : dissuader les Etats-Unis d’agresser Cuba, afficher un clair avertissement à Washington sur l’air de « nous sommes désormais à proximité de vos côtes ». La tension atteint un point tel qu’un grave conflit mondial est évité de justesse. Les missiles soviétiques retirés, Fidel regrettera que le représentant de l’URSS à l’ONU n’ait pas reconnu la réalité des faits. « Il fallait dire la vérité », disait-il. Il fut bien obligé de se plier à la décision finale de Moscou même si dans les rues de La Havane des manifestants scandaient à l’adresse de Khrouchtchev : « Nikita, ce qui se donne ne se reprend pas. »
 
Entre Moscou et La Havane, au-delà des rituels, les relations ont toujours été conflictuelles. Pas seulement, pure anecdote, parce que des « responsables » soviétiques ignorants faisaient livrer des chasse-neige à la place des tracteurs attendus. Les Soviétiques voyaient d’un mauvais œil le rôle croissant de Fidel dans le mouvement des non alignés, l’implication cubaine aux côtés des mouvements révolutionnaires latino-américains puis l’aide à l’Afrique. Ils ne supportaient pas la farouche volonté d’indépendance et de souveraineté de La Havane et ont été impliqués dans plusieurs tentatives dites « fractionnelles » reposant sur des prétendus « communiste purs et durs », en fait marionnettes de  Moscou, pour tenter de déstabiliser Fidel. Une fois l’URSS disparue, les nouveaux dirigeants russes ont pratiqué avec le même cynisme abandonnant l’île, coupant du jour au lendemain les livraisons de pétrole et déchirant les contrats commerciaux.
 
Quel autre pays aurait pu supporter la perte en quelques semaines de 85% de son commerce extérieur et de 80% de ses capacités d’achat ?  L’Espagne, ancienne puissance coloniale, a laissé à Cuba un héritage culturel, les Etats-Unis son influence historique et ses détonants goûts culinaires comme le mélange de fromage et de confiture. Mais la Russie ? Rien, même pas le nom d’un plat ou d’un cocktail.
 
L’exportation de la révolution ?  Fidel n’a jamais utilisé le mot « exportation ». Ernesto Che Guevara, non plus. Ils préféraient évoquer la « solidarité » avec ceux qui se levaient contre les régimes dictatoriaux, créatures des gouvernements nord-américains. Doit-on reprocher ou remercier Fidel d’avoir accueilli les réfugiés fuyant les dictatures du Chili et d’Argentine, de Haïti et de Bolivie, d’avoir ouvert les écoles, les centres de santé aux enfants des parias de toute l’Amérique latine et, plus tard, aux enfants contaminés de Tchernobyl ?
 
Doit-on lui reprocher ou le remercier d’avoir soutenu les insurrections armées au Nicaragua, au Salvador et d’avoir sauvé, face à l’indifférence des dirigeants soviétiques, l’Angola fraîchement indépendante encerclée par les mercenaires blancs sud-africains fuyant, effrayés,  la puissance de feu et le courage des soldats cubains, noirs pour la plupart ? Dans la mémoire de millions d’hommes et de femmes d’Amérique latine et du Tiers monde, Fidel et le Che sont et resteront des héros des temps modernes.
 
Les libertés ? Fidel, un tyran sanguinaire ? Il y eut d’abord l’expulsion des curés espagnols qui priaient le dimanche à la gloire de Franco. Complice de Batista, l’église catholique cubaine était et demeure la plus faible d’Amérique latine alors que la « santeria », survivance des croyances, des divinités des esclaves africains sur lesquels est venue se greffer la religion catholique, rassemble un grand nombre de noirs cubains.
 
Les relations avec l’Eglise catholique furent complexes durant ces longues années jusqu’au séjour de Jean Paul II en 1998 annoncée trop rapidement comme l’extrême onction de la révolution. Ce n’est pas à Cuba que des évêques et des prêtres ont été assassinés, mais au Brésil, en Argentine, au Salvador, au Guatemala et au Mexique.
 
Il y eut la fuite de la grande bourgeoisie, des officiers, des policiers qui  formèrent, dès la première heure, l’ossature de la contre révolution encadrée et financée par la CIA. Il y eut ensuite les départs d’hommes et de femmes ne supportant pas les restrictions matérielles. Il y  eut l’insupportable marginalisation des homosexuels.
 
Il y eut les milliers de balseros qui croyaient pouvoir trouver à Miami la terre de toutes les illusions. Il y eut la froide exécution du général Ochoa étrangement tombé dans le trafic de drogue. Il y eut aussi ceux qui refusaient la pensée unique, la censure édictée par la Révolution comme « un acte de guerre en période de guerre », les contrôles irritants, la surveillance policière.
 
Qu’il est dur de vivre le rationnement et les excès dits « révolutionnaires ». Excès? Je l’ai vécu, lorsque correspondant de « l’Humanité » à La Havane, l’écrivain Lisandro Otero, alors chef de la section chargée de la presse internationale au Ministère des Affaires étrangères, monta une cabale de pur jus stalinien pour tenter de me faire expulser du pays. 
 
Ceux qui osent émettre une version différente d’un « goulag tropical » seraient soit des « agents à la solde de La Havane », soit victimes de cécité. Que la révolution ait commis des erreurs, des stupidités, des crimes parfois n’est pas contestable. Mais comment, dans une situation de tension extrême, écarter les dérives autoritaires? 
 
A Cuba, la torture n’a jamais été utilisée, comme le reconnaît Amnesty international. On tranchait les mains des poètes à Santiago du Chili, pas à la Havane. Les prisonniers étaient largués en mer depuis des hélicoptères en Argentine, pas à Cuba. Il  n’y a jamais eu des dizaines de milliers de détenus politiques dans l’île mais un nombre trop important qui ont dû subir pour certains des violences inadmissibles. Mais n’est-ce pas curieux que tous les prisonniers sortant  des geôles cubaines aient été libérés dans une bonne condition physique ?
 
Voici un pays du Tiers monde où l’espérance de vie s’élève à 75 ans, où tous les enfants sont scolarisés et soignés gratuitement. Un petit pays par la taille capable de produire des universitaires de talent, des médecins et des chercheurs parmi les meilleurs au monde, des sportifs raflant les médailles d’or, des artistes, des créateurs.  Où, dans cette région du monde, peut-on présenter un tel bilan ?
 
Fidel aura tout vécu. La prison, la guérilla, l’enthousiasme révolutionnaire du début, la défense contre les agressions, l’aide internationaliste, l’abandon de l’URSS, une situation économique catastrophique lors de la « période spéciale », les effets de la mondialisation favorisant l’explosion du système D. Il aura (difficilement) accepté l’adaptation économique avec un tourisme de masse entraînant la dollarisation des esprits parmi la population au contact direct des visages pâles à la recherche de soleil, de mojito, de filles où de garçons. Comment ne pas comprendre les jeunes cubains, alléchés par l’écu ou le dollar, et regardant avec envie les visiteurs aisés venus de l’étranger ? Il aura, enfin, très mal supporté  le retour de la prostitution même si dans n’importe quelle bourgade latino-américaine on trouve plus de prostituées que dans  la 5 eme avenue de La Havane. Alors, demain quoi ?
 
Fidel mort, la révolution va-t-elle s’éteindre ? Il ne se passera pas à Cuba ce qui s’est produit en Europe de l’Est car la soif d’indépendance et de souveraineté n’est pas tarie.
 
Les adversaires de la révolution cubaine ne devraient pas prendre leurs désirs pour la réalité. Il y a dans cette île des millions d’hommes et de femmes – y compris de l’opposition – prêts à prendre les armes et à en découdre pour défendre la patrie. Fidel avait prévenu en déclarant : « Nous ne commettrons pas l’erreur de ne pas armer le peuple. » Le souvenir de la colonisation, malgré le fil du temps, reste dans tous les esprits, les progrès sociaux enregistrés, au-delà des difficultés de la vie quotidienne, constituent désormais des acquis. Il y a plus. La révolution a accouché d’une nouvelle génération d’hommes et de femmes refusant le retour au passé, des cadres « moyens » de trente à quarante ans très performants en province, des jeunes dirigeants nationaux aux talents confirmés. Une nouvelle époque va s’ouvrir et elle disposera d’atouts que Fidel n’avait pas. L’Amérique latine, ancienne arrière cour des Etats-Unis, choisit des chemins progressistes de développement, l’intégration régionale est en marche, le prestige de la révolution cubaine demeure intacte auprès des peuples latino-américains. Cuba, enfin, peut respirer.
 
Il n’y aura pas de rupture à Cuba. Il y aura évolution. Obligatoire. Pour qu’elle puisse s’effectuer dans les meilleures conditions, il faudra que les vieux commandants de la Révolution rangent leurs treillis vert olive, prennent leur retraite et passent la main. Les atlantes du futur, de plus en plus métissés, sont prêts. Ne sont-ils pas les enfants de Fidel ?
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10/08/2016

Fidel Castro. De l'école jésuite à la révolution marxiste

Jean Ortiz, Humanité Dimanche

castrofidel.jpgLa mythification, comme la guerre idéologique, déforme toujours l’itinéraire complexe du leader cubain. Pour beaucoup, ce « communiste souterrain » aurait caché son jeu pour « trahir la révolution ». L’hypothèse ne résiste pas à l’analyse historique. L’étude de la jeunesse du « Comandante », né il y a 90 ans en août 1926, s’avère incontournable pour déceler à la fois la cohérence et les contradictions de ses engagements, pour comprendre comment Castro est devenu Fidel...

Il avait tout pour être un « héritier » ; il est un transfuge de sa classe. Fidel Alejandro Castro Ruz naît hors mariage, le 13 août 1926. Ce troisième fils d’un père espagnol, Angel, venu combattre les partisans de l’indépendance de l’île, et de sa servante cubaine, Lina Ruz, épouse illégitime, a tout pour devenir lui-même un oligarque, un grand propriétaire terrien comme papa, à Birán, actuelle province de Holguín. Dix mille hectares. Ils seront en partie confisqués par la révolution, puis « cédés » par la famille Castro.

Le garnement joue dans les dépendances de la « finca » avec les fils des paysans pauvres qui triment sans répit pour son père (300 familles). Le solide gaillard se rend vite compte que ses copains vivent misérablement, sont maltraités ; les relations avec le patriarche, sa brute de père, se tendent. Castro confiera à Ignacio Ramonet qu’il devint révolutionnaire à partir précisément de cet environnement d’enfance. Doué, le jeune Castro étudie, comme tous les fils de bonne famille, chez les Jésuites, d’abord à Santiago, ensuite au collège Belén à La Havane. Ses maîtres l’éveillent, dirait-on aujourd’hui, à la citoyenneté.

À l’automne 1945, il s’inscrit à la fac de droit de La Havane. Rebelle sans cause précise, il fait le coup de poing et de feu contre les bandes d’ultras. Il se politise à grande vitesse, acquiert une conscience révolutionnaire et prend souvent la parole dans le patio ou sur les escaliers de l’université. Le 6 novembre 1947, il y proclame une sorte de programme patriotique ; la frustration d’une pseudo-indépendance nationale, de surcroît tardive (1899), le hante. Le jeune étudiant marche en tête des manifestations contre le gouvernement corrompu et « vendu » de Grau San Martin. Dans ce chaudron idéologique, il lit Marx et se familiarise avec ses idées. Faire la révolution. Orateur hors pair, il milite à la puissante Fédération des étudiants universitaires (FEU), et se fait rapidement connaître, à tel point que « trois ans plus tard, il sera déjà un homme politique en vue à Cuba. À La Havane, Castro était déjà Fidel » (1).

Castro s’engage dans la vie publique en 1947  ; il rejoint le très anticommuniste, petit-bourgeois et populiste Parti du peuple cubain (PPC), plus connu sous le nom de Parti orthodoxe. Son leader, Eduardo Chibas, au programme social progressiste, dénonce la corruption et jouit d’une grande popularité. Chaque semaine, il s’adresse aux Cubains dans une émission à Radio CMQ. Fidel reste « orthodoxe » pendant huit ans, y compris après le suicide en direct à la radio, en 1951, du charismatique Chibas, destiné à « réveiller » le peuple. En 1948, présent à Bogota pour un congrès étudiant, Castro participe au Bogotazo, le soulèvement populaire provoqué par l’assassinat de Jorge Eliécer Gaitán, candidat « libéral » favori aux élections à venir. De retour à Cuba, candidat du PPC à la députation, le jeune juriste semble promis à une carrière politique chez les « orthodoxes ».

Le coup d’État militaire de Fulgencio Batista, pour le compte de Washington, le 10 mars 1952, à trois mois d’élections que le PPC allait sûrement gagner, modifie toute la donne. Bogota, La Havane, l’intervention des États-Unis renforcent Castro dans son anti-impérialisme. Dès l’installation de la sanglante dictature (20 000 morts entre mars 1952 et décembre 1958), Castro part en guerre contre elle. La voie électorale se ferme. Peu à peu, il s’oriente vers une stratégie insurrectionnelle, de guerre de guérilla, dans le droit fil de l’histoire cubaine, de l’héritage des deux guerres d’indépendance.

Castro a conscience de prolonger la pensée et l’action du « héros national » José Marti, son inspirateur et modèle mort au combat le 19 mai 1895. À cette époque, Castro est d’abord « martinien », porteur d’un « nationalisme » radical hérité du patrimoine historique cubain, teinté de « socialisme utopique ». Pour José Marti, les États-Unis constituaient déjà, au XIXe siècle, « le pire danger qui menace notre Amérique ». La formation – incomplète – de la nation cubaine, dans ce contexte, acquiert une dimension anti-impérialiste. Le « fidélisme » apparaît alors comme « une synthèse pragmatique, un mélange d’un peu de Marx, de Engels, de Lénine, assez de Che et beaucoup de José Marti » (2). Sur cet « avant 1959 », Castro dira qu’il « avait peut-être deux millions de préjugés petits-bourgeois » (3).

Le 26 juillet 1953, sous les ordres de Castro, 131 jeunes partent à l’assaut de la symbolique forteresse militaire, la caserne de Moncada à Santiago. L’opération, destinée à provoquer un soulèvement populaire, échoue et la petite troupe est décimée : 6 morts au combat, 49 survivants torturés, puis massacrés. L’acharnement des tortionnaires et le courage inouï de ces jeunes confèrent à l’action un impact national, émotionnel et politique considérable. Le Parti socialiste populaire (PSP, communiste) qualifie, lui, l’assaut de « tentative de putsch aventuriste ». Le PSP traîne une réputation entachée de collaboration depuis le gouvernement de Front populaire avec Batista, dans lequel il eut deux ministres de 1942 à 1944.

Le 16 octobre 1953, Fidel Castro, avocat, assume lui-même sa défense lors du procès des assaillants. Sa célèbre plaidoirie-programme devient historique sous le titre « L’histoire m’acquittera ». Durant deux heures, l’accusé défend une cause collective et s’attribue le rôle d’accusateur, accable le tyran, démonte les mécanismes néocolonialistes d’exploitation, de domination, plaide pour un « gouvernement révolutionnaire », se pose en héritier de José Marti, qu’il qualifie d’« auteur intellectuel de l’assaut à la Moncada ». Il avance des réformes sociales inspirées du programme réformiste « orthodoxe », en appelle à saint Thomas d’Aquin pour légitimer le droit du peuple à démettre un tyran (4). Le discours, improvisé, est reconstitué et circule clandestinement. Il vaut à son auteur une large reconnaissance politique, notamment celle, unanime, de la communauté intellectuelle.

Castro, plus populaire que jamais, écope de 15 ans de prison. Un fort mouvement populaire arrache une loi d’amnistie et obtient, au bout de 21,5 mois, la libération de celui qui, pour les Cubains et bien au-delà, est désormais « Fidel ». En août 1955, il publie le premier manifeste du Mouvement du 26 juillet (mouvement créé après l’assaut) : réforme agraire, industrialisation, rétablissement de la Constitution de 1940, construction de logements, baisse des loyers, réformes économiques et ­sociales progressistes, nationalisation des services publics…

La répression oblige, en janvier 1956, Fidel et les militants les plus marqués à émigrer au Mexique. Ils y préparent une expédition armée pour renverser Batista. Au Mexique, il se définit comme « un marxiste en pensée », ce que contestera implicitement le Che. Dans une lettre de la Sierra à René Ramos Latour (Daniel), dirigeant « santiaguero » du Mouvement du 26 juillet, datée du 14 décembre 1957, Che écrit : « J’ai considéré Fidel comme un authentique leader de la bourgeoisie de gauche. »

Le 2 décembre 1956, sur le « Granma », un vieux rafiot exigu, 82 hommes embarquent pour « libérer Cuba ». Une traversée infernale de 7 jours et un débarquement catastrophique sur la côte orientale. Repéré par l’armée, le petit groupe est quasiment anéanti. Fidel, une nouvelle fois, et son frère Raul, s’en sortent. Ils parviennent à gagner la Sierra Maestra et mettent en place la guerre de guérilla.

C’est autour de cette Armée rebelle (fidéliste), le vecteur le plus révolutionnaire, le moins anticommuniste, que se forge une sorte de front antidictatorial, scellé au mois de juillet 1957 par le manifeste de la Sierra, puis par le pacte de Caracas (juillet 1958). En régime de monoculture en crise, les couches rurales se sont prolétarisées, la petite-bourgeoisie s’est radicalisée ; la classe ouvrière n’a pas « dirigé » le processus mais lui a servi de base. Les préjugés anticommunistes freinent. Le Mouvement du 26 juillet lui-même voit l’Armée rebelle, selon Fidel, « comme des agitateurs ». En mai 1958, il déclare au journaliste nord-américain Jules Dubois : « Je n’ai jamais été et ne suis pas communiste. Si je l’étais, je serais suffisamment courageux pour le proclamer » (5).

La guerre de guérilla dure 25 mois ; 300 guérilleros affrontent 12 000 soldats. L’opération militaire de Batista (« Fin de Fidel ») tourne à la débâcle. Le 8 janvier 1959, en pleine guerre froide, Fidel et sa légende entrent dans La Havane, acclamés par une « marée humaine » (6). Fidel le fédérateur, le libérateur, symbole de nation.

Le 16 avril 1961, à La Havane, la foule se presse aux obsèques des victimes des raids aériens ennemis. Les bombardements de la CIA clouent au sol la petite aviation cubaine, tandis que se prépare l’invasion de la baie des Cochons par 1 400 exilés mercenaires, écrasés en 66 heures. Dans son discours des funérailles, Fidel appelle à défendre « notre révolution socialiste ». Il a attendu deux ans et demi après la victoire de l’Armée ­rebelle pour se réclamer du socialisme. Le long mûrissement du leader, l’expérience, vécue, de la nature de l’impérialisme, l’évolution des conditions objectives et subjectives, les enjeux et problèmes de l’époque ont « radicalisé » Fidel. En devenant communiste, il a contribué à son tour à radicaliser le processus révolutionnaire. L’agression des États-Unis a accéléré cette interaction dialectique. La révolution répond à chaque mesure hostile de Washington par l’approfondissement des changements. Un exemple : la loi 851 du 6 juillet 1960 réplique à la suppression de la quote-part d’importation de sucre cubain par la nationalisation des propriétés et des banques nord-américaines à Cuba.

Lorsque Kennedy impose le blocus total de l’île, l’aide de l’Union soviétique permet à Cuba de tenir. Y avait-il une alternative aux liens avec l’URSS, à l’entrée en 1972 dans le Comecon ? Ils lui offrent les moyens d’un développement social, éducatif, sanitaire, remarquable, mais ne remettent pas en cause la monoculture. Cuba est désormais réserve sucrière du « camp socialiste ». En 1991, Fidel déclare : « Nous avions déifié l’Union soviétique. » Il porte désormais un regard critique sur une période ambivalente.

Les discours politiciens sur « la trahison » de Fidel ou sur son « communisme souterrain », son « machiavélisme », relèvent de la propagande et occultent l’évolution fascinante du « Comandante » Fidel.

(1) « Les Quatre Saisons de Fidel Castro », de J.-P. Clerc, Éditions du Seuil, 1996.
(2) « Fidel », de V. Skierka, éditions Martinez Roca, 2002.
(3) « Le Socialisme à la cubaine », de J. Ortiz et G. Fournial, Éditions sociales, 1983.
(4) « L’histoire m’acquittera », de F. Castro, traduit et annoté par J.-F. Bonaldi, Éd. le Temps des cerises, 2013.
(5) « Journal de la révolution cubaine », de C. Franqui, Éditions du Seuil, Paris, 1976.
(6) Castro, Fidel, « les Chemins de la victoire. Mémoires », Éditions Michel Lafon, 2012. À consulter également : « Biographie à deux voix », F. Castro, I. Ramonet, Fayard/Galilée, 2007.
 
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01/12/2015

17 avril 1961 : Quand Cuba ridiculise les Etats-Unis

Politique, 17 avril 1961, bombardements, crise des missiles, Cuba, Etas-Unis, Fidel Castro, Guerre Froide, La Baie des cochons, non aligné, URSS

Le 17 avril 1961 marque la rupture définitive entre Cuba et les Etats-Unis. L’épisode de la baie des cochons, qui est une humiliation pour les Américains, envoie un message clair de dissidence à la toute puissante nation de l’oncle Sam.

La révolution des partisans de Fidel Castro amène un vent de changement dans l’île de Cuba. Jusqu’ici, contrôlée par les Etats-Unis, Cuba ne peut espérer une indépendance économique totale, ni exercer aucune influence sur son destin.

Cuba est socialiste, comme la majorité des états du tiers-monde à la même époque. La Russie, alors forte de l’URSS est en pleine guerre idéologique (Guerre Froide) avec les Etats-Unis. Les deux blocs se disputent l’influence des autres pays du monde pour asseoir leur pouvoir. Aussi, chaque état qui se rapproche de l’Union Soviétique représente, d’une part, un risque pour le modèle américain, d’autre part, la preuve d’une remise en question de l’hégémonie américaine.

En 1959, les "castristes" arrivent au pouvoir et lancent une série de réformes visant à l’autogestion de l’île par les nationaux. Le premier de ces changements significatifs se fait dans le domaine de l’agriculture. Ainsi, Cuba nationalise ses terres et récupère toutes celles qui appartiennent à des étrangers, avant de les expulser. Les anciens propriétaires qui demeurent sur l’île voient leur monopole amoindri, tant sur leurs bénéfices que sur leurs employés. Désormais, tous les terrains agricoles appartiennent à l’état souverain et chaque ouvrier travaille pour le  profit du pays tout entier. Castro veut la liberté et le communisme, il va donc jusqu’au bout de son programme de réappropriation de l’économie cubaine. Les Etats-Unis, qui jusqu’ici avaient fait de Cuba un pied-à-terre, voient cette campagne d’un mauvais œil. En 1960, ils organisent le blocus de l’île : tous les échanges commerciaux entre les deux nations sont interrompus. En janvier 1961, les relations diplomatiques sont suspendues.

Washington décide d’attaquer militairement Cuba, avec l’aide de nationaux, membres de l’opposition, enrôlés et entraînés aux Etats-Unis. Les 1400 insurgés ont pour mission de s’emparer d’une colline située dans la région de La Baie des cochons, point stratégique pour le contrôle de l’île. L’assaut, organisé par la CIA, a lieu au matin du 15 avril 1961. Les avions militaires américains ont été maquillés aux couleurs de Cuba. Les bases aériennes militaires ainsi que les aéroports civils sont bombardés, en dépit de l’interdiction de survoler l’île pour les Etats-Unis. Les avions décollent du Nicaragua et attaquent principalement La Havane et Santiago. 268 personnes sont tués en 48 heures.

Le 17 avril, Cuba contre-attaque. Quelques avions militaires ont été épargnés, ce qui permet à l’état de bombarder ce qu’il reste d’aviation américaine. L’opération est appuyée par l’aide des civils pros-Castro, qui refusent de collaborer avec les opposants, alors alliés aux Etats-Unis. Les hommes de Fidel Castro, les miliciens et l’armée, réussissent ainsi à mettre à mal l’ennemi dans la Baie des cochons forçant  ainsi la reddition des assaillants.

Cet épisode est un échec dans l’histoire américaine et une victoire pour les états non alignés. Victoire qui  entérine la lutte des pays du tiers-monde pour l’indépendance et la souveraineté. Il donne par ailleurs l’avantage au  le bloc soviétique et décide Cuba à s’afficher ouvertement comme allié de l’URSS. La Baie des cochons va définitivement transformer Cuba en terrain d’affrontements entre le modèle américain et le modèle soviétique. Cela donnera lieu, l’année suivante, à la crise des missiles et à une interruption de 54 ans dans les échanges entre les deux états.

L’épisode de La Baie des cochons est célébré chaque 17 avril à Cuba. Des boulets de canon sont tirés depuis la Baie de La Havane. Jusqu’aujourd’hui, des militaires défilaient dans les rues de l’île et la célébration se faisaient en grandes pompes. Toutefois, les deux états s’étant engagés dans une démarche d’apaisement des relations diplomatiques, la célébration sera désormais plus sobre.

Sources Nofi

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