18/06/2016
Les sommets de 120 ans de haine anti-CGT
Michel Pigenet, Professeur d’histoire contemporaine, Paris-I Panthéon-Sorbonne, Humanité Dimanche
Au sortir du Front populaire, Paul Reynaud, alors ministre des Finances, voudra "en finir avec une CGT dominée par le PCF"
Entre mépris de classe et répression sociale, le déferlement de propos venimeux qui s’exerce contre la CGT à l’occasion de la mobilisation contre le projet El Khomri n’est pas une nouveauté.
Depuis sa création, la Confédération est la cible d’attaques violentes du pouvoir, du patronat, comme le démontre, exemples à l’appui, l’historien Michel Pigenet.
Ainsi la CGT serait « à la dérive », associée à des « minorités qui se comportent un peu comme des voyous, comme des terroristes » (Pierre Gattaz). Sur la lancée, un médiacrate patenté a pu identifier les « deux menaces » qui pèseraient sur la France : « Daech et la CGT ». Tandis qu’une pétition exige la dissolution de la centrale, son secrétaire général n’est pas épargné. « L’homme qui veut mettre la France à genoux » (« le Figaro ») rappellerait le « Beauf » de Cabu, ce que suggère le portrait d’un Philippe Martinez à la « vie un peu terne et sans apparat », issu d’« une banlieue sans âme » et qui « roule dans une vieille Renault Scenic » (« Capital »).
Frappés au double coin de la défense de l’ordre et du mépris de classe, les thèmes du discours anticégétiste ne se renouvellent guère. À trois décennies de distance, les propos de Pierre Gattaz font écho aux sorties de Coluche contre la CGT « force du désordre » et « cancer général du travail ».
L’antisyndicalisme est aussi, sinon d’abord, affaire d’État. Dotés des moyens qu’offre la puissance publique, nombre de ministres ont attaché leur nom aux plus violentes diatribes anticégétistes. Avant 1914, Clemenceau revendiqua le surnom de « premier flic de France » face à une CGT qu’il défiait en ces termes : « Vous êtes derrière une barricade ; moi je suis devant. »
En 1921, un tribunal correctionnel ordonnera la dissolution de la CGT au lendemain d’une défaite ouvrière marquée par la révocation de 18 000 cheminots dont une violente campagne de presse dénonçait l’« entreprise criminelle contre la prospérité de la nation » (« le Temps »).
Il en ira de même en novembre 1938, au sortir du Front populaire et en riposte à la grève générale contre les décrets-lois mettant fin aux 40 heures. Son initiateur, Paul Reynaud, confiera qu’il voulait « en finir avec une CGT désormais dominée par les communistes ». Passons sur la dissolution effective de la CGT, exécutée en novembre 1940 par Belin, ancien secrétaire confédéral rallié à Vichy.
Après la Libération, la guerre froide verra les autorités assimiler la CGT à un PCF tenu pour être au service de l’URSS. Lors des durs conflits sociaux de 1947 et 1948, des milliers de grévistes, sur lesquels les CRS sont autorisés à tirer par Jules Moch, ministre socialiste de l’Intérieur, sont licenciés et des centaines condamnés par la justice.
La radio et la presse ne sont pas en reste. « L’Aurore » du 21 octobre 1948 appelle le gouvernement à « briser » le « plan clandestin du Kominform ». Tout au long de ces années, l’État gendarme a la main lourde. Sa bienveillance va aux maintes officines que finance le patronat.
Certaines lui sont liées, à l’instar des caisses que créée l’UIMM dès 1906 afin de couvrir les pertes dues aux grèves. D’autres monnaient leurs prestations au gré des besoins : recrutement de briseurs de grève, diffusion de publications anticégétistes, formation de dirigeants d’entreprise. À partir de 1955, d’anciens rescapés de la collaboration publient ainsi les Études sociales et syndicales, aujourd’hui sous le contrôle de l’Institut supérieur du travail, dont les analystes alimentent les médias bien-pensants.
Nous en sommes là. Aussi évidente que soit la permanence de méthodes et d’argumentaires aux relents de racisme social, notons la quasi-extinction de la thématique anticommuniste à l’honneur depuis les années 1930. L’évolution laisse intacte, en revanche, la dénonciation d’un syndicalisme menaçant la cohésion et l’économie nationales.
17:52 Publié dans Deuxième guerre mondiale, Guerre, L'Humanité, Libération, PCF, Politique, Résistance, Sport | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cgt, social, haine, classe | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook |
03/05/2014
Le 20 avril 1914, les mineurs de Ludlow en grève sont massacrés
Après plusieurs mois de grève sur ce site du Colorado appartenant à Rockefeller, la garde nationale et des nervis payés par les patrons de la mine attaquent le camp retranché des mineurs. Une des plus violentes luttes entre les travailleurs et le capital dans l’histoire des États-Unis.
C’était un matin d’avril, un lendemain de Pâques, cette fête que célébraient nombre des immigrés grecs de Ludlow (Colorado). Trois membres de la garde nationale étaient venus ordonner la libération d’un homme prétendument retenu contre son gré. Louis Tikas, le responsable du camp, s’était alors rendu à la gare, distante d’un kilomètre, afin de rencontrer le commandant du détachement. Pendant leur rencontre, deux compagnies installèrent des canons sur une crête dominant le camp de mineurs. Tikas sentit le coup fourré et retourna auprès des siens. Le feu fut déclenché peu après.
La bataille dura toute la journée. Des gardes sans uniforme, payés par les patrons de la mine, vinrent renforcer les miliciens du lieutenant Karl Linderfelt. Alors que le soleil se couchait, le passage d’un train permit à un certain nombre de mineurs de prendre la fuite. Quelques minutes plus tard, la soldatesque s’empara du camp. Louis Tikas fut arrêté en compagnie de deux autres mineurs. Son corps fut retrouvé le long de la ligne de chemin de fer. Il avait été abattu dans le dos. Sa dépouille resta trois jours de suite à la vue de tous, passagers des trains qui circulaient et résidents. Il fallait faire un exemple. Avec le leader syndicaliste, deux femmes, douze enfants, cinq mineurs et syndicalistes et un garde furent tués ce 20 avril 1914 à Ludlow, terme, selon Howard Zinn, de l’une des « plus amères et violentes luttes entre les travailleurs et le capital dans l’histoire de ce pays ».
Tout avait commencé en septembre 1913. Les 1 100 mineurs de la Colorado Fuel and Iron Corporation, détenue par la famille Rockefeller, se mirent en grève après le meurtre d’un syndicaliste. Ils ajoutèrent à leurs revendications une augmentation des salaires, la journée de huit heures de travail, la reconnaissance du syndicat et la fin du contrôle total de leur vie par la compagnie, qui en fit aussitôt démonstration, en les expulsant de leurs baraquements. Avec l’aide du Syndicat uni des mineurs (United Mine Workers Union), les grévistes dressèrent alors des tentes sur les collines voisines. Rockefeller embaucha les cerbères de l’agence de « détectives » Baldwin-Felts, spécialisée, tout comme l’agence Pinkerton, dans la répression syndicale. Une première « descente » échoua à briser le mouvement, malgré plusieurs morts dans le camp des grévistes. Le milliardaire Rockefeller se tourna alors vers « notre cher petit cow-boy de gouverneur » qui, ni une ni deux, fit appel à la garde nationale, créée en 1903. Les grévistes l’accueillirent avec acclamations et drapeaux au vent. Ils pensaient que la réserve de l’armée des États-Unis était venue pour les protéger… Ils déchantèrent rapidement lorsque les soldats attaquèrent le camp, arrêtèrent des centaines de mineurs et les firent parader, comme des prises de guerre, dans les rues de Trinidad, la ville la plus proche. Le mouvement tint pourtant bon tout l’hiver, jusqu’au 20 avril 1914, où il fut décidé d’en finir avec ces ouvriers rebelles. La réaction au massacre de Ludlow fut immédiate. À Denver, le syndicat des mineurs lança un « appel aux armes ». Trois cents mineurs rescapés s’armèrent et, à Ludlow, coupèrent le téléphone et le télégraphe, se préparant à la bataille. Les cheminots refusèrent d’emmener les soldats sur place, tandis qu’à Denver, ce sont des soldats eux-mêmes qui mirent l’arme au pied.
À Trinidad, la colère des mineurs dégénéra. Après les funérailles des victimes du massacre, des mineurs se rendirent dans les mines, firent exploser des puits et tuèrent plusieurs gardes. À Denver, le syndicat de l’industrie du tabac vota l’envoi de membres à Ludlow, tandis que des syndiquées de celui du textile se transformèrent en infirmières. L’affaire devint nationale mais un autre événement l’étouffa : le bombardement de la ville mexicaine de Vera Cruz par l’armée américaine. « La ferveur patriotique et l’esprit militariste pouvaient-ils dissimuler la lutte des classes », s’interrogeait Howard Zinn dans son Histoire populaire des États-Unis. La réponse fut, semble-t-il, positive. Au final, des troupes fédérales furent dépêchées à Ludlow sur ordre du président Woodrow Wilson. Faute d’argent, le mouvement de grève périclita en décembre. Il y eut une enquête parlementaire, des milliers de pages de témoignages. Les soldats de la garde nationale, traduits en cour martiale, furent acquittés. Les grévistes furent remplacés par de nouveaux ouvriers. Sur le Vieux Continent, un autre siècle avait déjà commencé dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, un siècle qui fut aussi celui de la reconnaissance des droits des salariés portés par les mineurs de Ludlow.
La « trace » de Ludlow dans les consciences.
Ce n’est désormais plus qu’une ville fantôme, comme on en voit dans les westerns. Il n’y a plus rien à Ludlow qu’un monument en granit à la mémoire des mineurs, reconnu comme un site historique national (National Historical Landmark) en 2009. Propriété du syndicat des mineurs UMWA, Ludlow a laissé une trace dans l’histoire, même si les premiers temps conduisirent à ensevelir les victimes dans l’oubli. Ayant senti le vent du boulet de la révolte sociale, Rockefeller accepta plus tard un certain nombre de mesures : représentation syndicale, non-discrimination des syndiqués. Ludlow laissa également une trace dans les consciences en devenant, selon la formule d’un historien, « une centralité saisissante dans l’interprétation de l’histoire de notre nation, développée par plusieurs penseurs de gauche d’importance du XXe siècle ». Parmi ceux-ci : Howard Zinn, l’historien, et Georges McGovern, le très progressiste candidat démocrate à l’élection présidentielle de 1972.
Christophe Deroubaix, l'Humanité- See more at: http://www.humanite.fr/le-20-avril-1914-les-mineurs-de-ludlow-en-greve-sont-massacres#sthash.9nh4jBWP.dpuf
11:19 Publié dans Actualité, Etats Unis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : social, usa, massacre, ludlow | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook |