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31/08/2013

George SAND : "Ma profession est la liberté"

sandg1.jpgSand Amandine Lucie Aurore Dupin, baronne Dudevant, dite George femme de lettres française née à Paris le 1er juillet 1804 et décédée à Nohant le 8 juin 1876.

Oeuvres principales : La Mare au diable (1846), François le Champi (1847-1848), La Petite Fadette (1849), Les Maîtres sonneurs (1853),....

Fille d'un officier de l'Empire, arrière-petite-fille du maréchal de Saxe, Aurore Dupin fut élevée par sa grand-mère dans la propriété familiale de Nohant (Berry).

Mariée à dix-huit ans au baron Dudevant, elle aura de lui deux enfants, mais le quittera en 1831 pour s'installer à Paris et mener une vie libre et indépendante. Elle côtoie les milieux littéraires et fait scandale par sa prétention à gagner sa vie en écrivant, et par ses liaisons successives, notamment avec Jules Sandeau (qui lui inspire son pseudonyme), Alfred de Musset puis Frédéric Chopi

1. Une enfant frustrée

sand1.jpgAurore Dupin naît à Paris, au n°15 de la rue Meslay, le 1er juillet 1804. Son père, aide de camp du prince Murat, accompagne celui-ci lors de l’expédition d’Espagne. Il vient tout juste d’épouser en cachette de sa mère, Sophie Delaborde, fille du peuple, rencontrée à l’armée d’Italie où elle suivait un adjudant-général.

Au mois d’avril 1808, Sophie Delaborde, sa femme, et sa fille le rejoignent à Madrid. Dès l'été suivant, la famille Dupin est de retour en France, dans la propriété familiale de Nohant appartenant à Mme Dupin mère, fille naturelle du maréchal Maurice de Saxe et donc née Marie-Aurore de Saxe. Le 16 septembre de la même année, Maurice Dupin fait une chute de cheval mortelle.

L’enfant est alors confiée à sa grand-mère, qui s'en voit confiée officiellement la tutelle par sa belle-fillle le 28 janvier 1809. Elle grandira donc dans l’Indre, effectuant quelques séjours à Paris auprès de sa mère.

La grand-mère paternelle, qui détient la fortune, élèvera l’enfant, mais exige que Sophie se tienne à l’écart. Frustration déchirante, qui inspirera à Aurore ses premières rébellions. Elle aura pour compensation dix années d’enfance campagnarde, à Nohant, au fond du Berry dont elle s’imprègne et qu’elle décrira si poétiquement plus tard.

Pensionnaire de 1818 à 1820 dans un couvent parisien, elle y traverse une crise de mysticisme.

Revenue à Nohant avec sa grand-mère dont la santé et l’esprit déclinent, Aurore, presque livrée à elle-même, complète son instruction par la lecture, en particulier se prend de passion pour J.-J. Rousseau.

Mue par son aversion pour sa belle-fille, Mme Dupin de Francueil révèle à l’adolescente bouleversée la vie peu édifiante de Sophie: ce choc brutal aura de profondes répercussions.

Sa grand-mère meurt à la fin de 1821, et Aurore reste peu de temps sous la coupe de sa mère: elle se marie en septembre 1822 avec Casimir Dudevant, bâtard (reconnu) d’un colonel.

Cette union est un échec, malgré la naissance de deux enfants, Maurice venu au monde le 30 juin 1823 et Solange quelques années plus tard, le 18 octobre 1828. Celle-ci d’ailleurs est peut être la fille de Stéphane Ajasson de Grandsagne, un jeune noble des environs, collaborateur du baron Cuvier au Museum, avec lequel Aurore a eu une liaison de quelques mois.

À ce mariage succède une demi-rupture, par consentement mutuel: Mme Dudevant, dûment autorisée, va passer une partie de l’année à Paris. Elle y mène une vie assez libre, s’essaie au journalisme à Figaro (Le Canard enchaîné de l’époque) et à la littérature.

2. Naissance de George Sand

-Révolte féministe et sociale

Après un premier roman écrit en collaboration avec Jules Sandeau et signé Jules Sand (Rose et Blanche, 1831) maladroit mais intéressant début. Les suivants, elle les signera seule, du pseudonyme George Sand: c’est Indiana (1832), qu’une rumeur admirative accueille, Valentine (1832), dont les descriptions enchantent Chateaubriand.

George Sand fait bien froncer quelques sourcils, car elle se pose en défenseur de la femme, plaide pour le droit à la passion, attaque le mariage et la société opprimante. Mais, dans l’ensemble, la critique est très favorable, vantant le style, le don d’observation, l’analyse psychologique. Sainte-Beuve remarque le premier un souci de réalisme qui place les personnages dans «un monde vrai, vivant, nôtre». Ainsi commence une carrière féconde de romancière.

Elle fait la rencontre d’Alfred de Musset en juin 1833, lors d'un dîner qui réunit les collaborateurs de La Revue. Quelques semaines plus tard, il devient son amant. Ensemble, ils partent, le 12 décembre suivant, dans la malle-poste pour un voyage romantique à destination de l’Italie. En compagnie de Stendhal - qui rejoint Civitavecchia et son poste de consul, Sand et Musset descendent la vallée du Rhône en bateau avant de s’installer, le 1er janvier 1834, à l’Hôtel Alberto Reale Danieli à Venise. Musset tombe alors gravement malade.

Au mois de juillet, Georges Sand quitte enfin Venise après un séjour idyllique et passionné, assombrie cependant par les tromperies réciproques. La fin de l’année est d’ailleurs faite de ruptures et de réconciliations entre Alfred de Musset et George Sand. Celle-ci entretient une liaison avec un autre amant, le médecin italien Pagello qui avait soigné l’écrivain pour sa dysenterie à Venise. La séparation est inévitable.

1838-1839: George, qui est devenue la maîtresse de Chopin, entreprend avec lui et ses enfants le voyage de Majorque, qui fera autant de bruit que celui de Venise.

À Valldemosa, elle termine le curieux roman de Spiridion, qui, inspiré par les idées de Lamennais et de Pierre Leroux, agite les graves questions de la foi et du doute, et influencera fortement Renan.

3. L’engagement politique

sandlogo.jpgBuloz prétendant limiter sa liberté d’expression, Sand se brouille avec lui, fonde La Revue indépendante, prend une position de plus en plus engagée, affiche des opinions ardemment démocratiques, va jusqu’à se dire «communiste».

Elle publie Horace (1841), le grand cycle de Consuelo (1842-1844), fresque immense et foisonnante, et ses romans dits socialistes, qui posent au siècle des questions qu’il n’a pas résolues sur la propriété, les rapports du capital et du travail, les associations de travailleurs.

La grande idée du progrès moral de l’humanité domine son œuvre. Elle est liée avec la plupart des têtes pensantes de la démocratie (Leroux, Barbès, Blanc, Lamennais, Cavaignac), avec des révolutionnaires étrangers (Mazzini, Bakounine). Elle patronne les écrivains prolétaires de qui elle attend un renouvellement et un enrichissement de la littérature. Aussi accueille-t-elle les journées de février 1848 avec enthousiasme.

Elle se lance dans l’action, fonde un journal, rédige de nombreux écrits de propagande, conseille Ledru-Rollin dans la coulisse. Mais les journées de Juin vont casser les ailes à son beau rêve de république «dure et pure».

Avec l’échec de la manifestation du 15 mai 1848 et les Journées de Juin, celle-ci est bientôt de retour dans la propriété familiale de Nohant, quittant définitivement la scène politique.

Littérature champêtre

george sand,biographie,nohant,chopinProfondément désabusée, elle se réfugie à Nohant. La réaction ayant le dessus, la presse est muselée. Sa rupture avec Chopin et l'échec de la révolution de 1848 incitent celle qui va devenir " la bonne dame de Nohant " à se retirer sur ses terres berrichonnes.

Elle écrit alors la partie la plus célèbre de son œuvre, la série des romans optimistes et bucoliques où s'expriment avec justesse et simplicité sa sympathie pour les paysans, sa confiance dans la nature et son attachement à sa terre natale : La Mare au diable (1846), ou l'amour d'un fermier veuf pour une bergère ; La Petite Fadette (1849), ou l'attrait d'un paysan pour une sauvageonne que les villageois soupçonnent de sorcellerie ; François le Champi (1850), ou l'idylle d'un enfant trouvé et d'une jeune meunière ; Les Maîtres sonneurs (1853), ou l'histoire d'un joueur de cornemuse que sa passion pour la musique contraint à la solitude.

Dans les années qui suivent, l’œuvre de George Sand change d’aspect. Délaissant désormais les romans champêtres, elle s’inspire de ses souvenirs italiens avec La Daniella publié au mois de janvier 1857. L’écrivain poursuit également la rédaction de ses Histoires de ma vie commencées en 1854. Paraît ensuite, à partir du 1er octobre 1857, un grand roman de cape et d’épée intitulé Ces Beaux messieurs de Bois-Doré mais aussi Elle et lui, du 15 janvier au 1er mars 1859 dans La Revue des Deux-Mondes.

Cette dernière œuvre est un hommage à l’amour passionné qui l’avait saisi au temps de sa liaison avec Alfred de Musset, récemment disparu. George Sand se consacre également à la publication de pièces de théâtre.

L’écrivain effectue quelques voyages en province au cours de ces années. Un séjour en Auvergne lui inspire Jean de la Roche en 1859 puis Le Marquis de Villemer, une aimable idylle mondaine publiée le 15 juillet de 1860. C’est alors que pendant l’automne 1860 George Sand est atteinte d’une grave crise de maladie. Aussi passe t-elle quelques temps à Tamaris, près de Toulon, au printemps 1861. C’est d’ailleurs le titre d’un roman provençal publié peu après.

Vient ensuite Mademoiselle La Quintinie, une œuvre violemment anticléricale rédigée en 1863, qui suscite de violentes réactions dans l’opinion. L’année suivante, l’écrivain et son compagnon Alexandre Manceau décident de s’installer à Palaiseau.

Le 18 février 1865 paraît une deuxième œuvre inspirée du cadre provençal, La Confession d’une jeune fille. George Sand effectue ensuite un séjour à Croisset auprès de Gustave Flaubert avec lequel elle entretient une correspondance depuis le mois de janvier 1863. L’écrivain, qui autrefois avait apporté son aide aux proscrits du 2 décembre, participe d’ailleurs en sa compagnie aux " dîners Magny " où se retrouvent Ernest Renan, Charles Augustin Sainte-Beuve et les frères Jules et Edmond de Goncourt.

Se succèdent ensuite de nouveaux textes parmi lesquels des Contes d’une grand-mère qu'elle destine à ses petites filles, le premier volume paraissant le 15 novembre 1873.

George Sand décède le 8 juin 1876 à Nohant d’une occlusion intestinale jugée inopérable. Le 10 juin suivant ont lieu ses obsèques en présence de son ami Flaubert, d’Alexandre Dumas fils et du Prince Napoléon venus de Paris. L’écrivain est inhumé dans la propriété familiale.

 

 

George Sand est un coeur lumineux, une belle âme, un généreux combattant du progrès, une flamme dans notre temps.

C'est un bien plus vrai et bien plus puissant philosophe que certains bonshommes plus ou moins fameux du quart d'heure que nous traversons. - Victor Hugo

Voir aussi une page web consacrée à George Sand

george sand,biographie,nohant,chopinCITATIONS DE GEORGE SAND

“ La vie est une longue blessure qui s’endort rarement et ne se guérit jamais ”

“ Pourquoi voyager quand on n’y est pas forcé ? C’est qu’il ne s’agit pas tant de voyager que de partir. ”

“ Pour moi, ma chère maman, la liberté de penser et d’agir est le premier des biens.”

"Notre vie est faite d'amour et ne plus aimer, c'est ne plus vivre"

"La tyrannie, la jalousie et la violence sont toujours des marques de faiblesse "

"Jamais la guerre ne sera un instrument de vie, puisqu'elle est la science de la destruction. Croire qu'on peut la supprimer n'est pas une utopie"

"J'ai un but, une tâche disons le mot, une passion. Le métier d'écrire en est une violente et presque indestructible"

"Il n y a pas de bonheur dans l égoïsme"

"Ma profession est la liberté"

"La vie est un voyage qui a la vie pour but"

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26/08/2013

Fives. Le quartier ouvrier de Lille qui connaît la chanson…

histoire,laurence parisot,énergie,désindustrialisation,ambroise croizat,nord-pas-de-calais,lille,un lieu-une histoire,pierre gattaz,jules guesde,séries d'été,fives-cail,pierre degeyter,gustave delory,eugène pottierLe groupe industriel Fives doit son nom 
à un quartier de Lille. C’est cette entreprise qui licencia Pierre Degeyter (photo de droite, à gauche Eugène Pottier qui a écrit les paroles) pour avoir composé la musique de l’Internationale. 
Il finit par abandonner le Nord pour prospérer… 
à l’international !

L’information est tombée à la mi-juillet de cette année. Deux semaines après son remplacement à la tête du Medef par Pierre Gattaz, Laurence Parisot vient d’intégrer (entre autres) le conseil de surveillance de Fives. Un groupe d’ingénierie industrielle français qui compte 60 implantations, dans trente pays, sur quatre continents, spécialisé dans les équipements de lignes de production et d’usines clés en main. À cinquante-quatre ans, reconversion rapide et réussie, donc, pour ­l’ex-présidente de l’organisation patronale.

Le Groupe Fives a réalisé un chiffre d’affaires de 1 508 millions d’euros en 2012 dans les secteurs de l’acier, de l’aluminium, du ciment, de l’énergie, de la logistique… Un record pour la marque qui se gargarise d’employer 6 100 salariés de par le monde. Ce n’est jamais que le nombre de salariés qu’employa l’usine nordiste implantée dans le quartier de Lille qui lui donna son nom, à elle seule, dans les années 1950 ! Un quartier qui reste populaire, ouvrier, mais qui ne vit plus au rythme des sirènes de l’usine, officiellement fermée en 1997. Un pan cruel de la désindustrialisation du Nord-Pas-de-Calais.

Les ateliers de l’usine Fives Lille avaient été créés en 1861. Ils furent d’abord dévolus à la construction de voies de chemin de fer et de ­locomotives. Au gré de fusions d’entreprises, c’est aussi sous le nom de Fives-Cail-Babcock (FCB) que la liste des matériels produits traduit l’ampleur, la notoriété et la qualité du travail des ingénieurs et ouvriers : les premières locomotives à vapeur et plus tard les fameuses « BB » électriques, les premières locos sans foyer pour tramway, des sucreries, des viaducs… Pour Paris, les ouvriers du Nord ont créé les ascenseurs hydrauliques de la tour Eiffel, une partie du pont Alexandre-III qui enjambe la Seine, les charpentes métalliques de la gare d’Orsay devenue musée… Fives Lille, c’est aussi le pont riveté Boieldieu à Rouen…

La centaine d’hectares pollués, laissés en friche est, depuis 2010 et jusqu’en 2020, l’objet d’un programme de renouvellement urbain (Bourse du travail, logements, piscine, lycée hôtelier, parking…) auquel sont associées la région, la ville et la communauté urbaine de Lille. Mais l’avenir pourra-t-il se construire là sans industrie ?

Sylviane Delacroix, adjointe PCF au maire de Lille, en doute : « Les activités tertiaires et de services ne se développent vraiment que là où il y a de l’emploi industriel et des salariés bien rémunérés », assure-t-elle. Rétorquant à ceux qui excluent désormais d’implanter des unités industrielles en ville « parce que c’est moche et que ça pue » qu’il est « possible de penser l’industrie autrement qu’au XIXe siècle » ! Le Groupe Fives, lui-même, a le culot de communiquer sur ses capacités à produire « durable » ! « En attendant, le savoir-faire de milliers de métallurgistes de ce secteur nordiste s’étiole », s’inquiète Sylviane Delacroix.

C’est notamment autour d’une place que Fives a entamé sa reconversion. Une place inaugurée au cœur du quartier en avril 2007, baptisée Pierre-Degeyter. Dans un dossier très complet sur l’histoire de Fives-Cail, publié en novembre dernier, le journal Liberté Hebdo raconte : « Le 17 juillet 1888, devant ses camarades attroupés à la sortie de l’usine, Pierre Degeyter teste une chanson dont il a composé la musique. Celle-ci soulève d’emblée l’enthousiasme.

C’est Gustave Delory, compagnon de Jules Guesde et futur maire de Lille, qui a demandé à Pierre, membre du Parti ouvrier de France (POF) comme lui, de mettre en musique un texte qu’il a ramené de Paris, du communard Eugène Pottier. Degeyter fait partie de ces milliers de Flamands contraints par la misère à quitter leur pays et à venir s’installer à Lille. Durant toute une semaine, l’ouvrier musicien peaufine sa partition. Une ultime répétition a lieu le samedi 22 juillet au soir, au 21, rue de la Vignette, à Lille, à l’Estaminet de la liberté, siège de la société chantante, la Lyre des travailleurs. Le lendemain, lors d’une sortie carnavalesque organisée par la chambre syndicale des marchands de journaux, la Lyre entonne pour la première fois devant un large public ce chant, l’Internationale, sans imaginer une seconde qu’il sera adopté par tous les révolutionnaires du monde ! Une partition sera immédiatement éditée par le POF à 6 000 exemplaires.

Le nom de ­Degeyter (nom répandu à l’époque parmi l’immigration flamande) y apparaît, mais pas le prénom afin d’éviter les représailles. Vaine précaution : Pierre Degeyter sera licencié de l’usine de Fives, où il était modeleur. Inscrit sur les listes noires du patronat, il ne retrouvera nulle part de travail, et devra se résoudre à quitter Lille en 1901 pour la région parisienne. » Cette histoire ne figure pas sous l’onglet « Histoire » du site Internet du Groupe Fives. Tout comme le groupe se garde bien de rappeler que les ouvriers de l’usine de Fives furent de toutes les grandes luttes prolétariennes, parfois au péril de leur emploi ou de leur vie (28 noms – dont ceux de 16 communistes – figurent sur un monument dédié aux membres du personnel fusillés par les nazis ou morts en déportation). Et c’est, par exemple là, dans l’usine de Lille, qu’après « de longues discussions » entre les délégués et le ministre communiste Ambroise Croizat, fut signé l’accord Dyot-Lemesle en 1945, qui donnera naissance aux comités d’entreprise dans tout le pays. Des bâtisseurs de progrès, ces métallos.

Bientôt Une appli IPhone sur L’Usine de FIVES. « Les murs ont des voix », c’est le nom de l’application gratuite pour iPhone et iPod que développent actuellement les éditions fivoises de la Contre-Allée en partenariat avec Book d’oreille. Un parcours au cœur de la friche Fives-Cail-Babcock. Une immersion dans le patrimoine industriel, une expérience interactive à partir de textes de l’écrivain Lucien Suel 
sur des paysages sonores de David Bausseron. 
Lancement pour les Journées européennes du patrimoine, 
les 14 et 15 septembre 2013, à vivre in situ ou de chez soi.

Laurence Mauriaucourt pour l'Humanité

24/08/2013

Victor Hugues, corsaire de la Révolution

victor-hugues.gif1761-1826 . Personnage énigmatique, le commissaire civil délégué par la Convention aux Isles-du-Vent a épousé tous les méandres de son époque.

À la Guadeloupe, il usa de l'émancipation des esclaves noirs comme d'une arme dans la guerre contre l'Angleterre, ralliant à son armée les nouveaux libres acquis à la cause républicaine, faisant tomber les têtes des colons blancs royalistes.

Le même, huit ans plus tard, fit appliquer avec zèle, à la Guyane, le décret de Bonaparte rétablissant l'esclavage.

«C ette nuit j'ai vu se dresser à nouveau la Machine. C'était, à la proue, comme une porte ouverte sur le ciel. » Surle pont du navire qui transporte le commissaire civil délégué par la Convention aux Isles-du-Vent, une guillotine se dresse, redoutable instrument enfanté par la terreur et la vertu. La lugubre vision ouvre le Siècle des Lumières, le roman que le Cubain Alejo Carpentier consacra à l'équivoque personnage de Victor Hugues.

Investi de pouvoirs illimités par le Comité de salut public, le révolutionnaire débarque au Gosier, en Guadeloupe, à la fin du printemps 1794. Il apporte le décret du 16 pluviôse qui « abolit l'esclavage des Nègres dans les colonies ». Adopté par la Convention nationale après que Léger-Félicité Sonthonax et Étienne Polverel eurent proclamé l'émancipation des esclaves de Saint-Domingue, le texte dispose que « tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français, et jouiront de tous les droits assurés par la Constitution ». Victor Hugues est chargé de faire appliquer la nouvelle législation dans les colonies françaises de la Caraïbe.

Ce fils d'un boulanger marseillais, qui s'est embarqué dès l'âge de treize ans comme mousse à destination des Amériques, est un personnage énigmatique. Tour à tour flibustier, commerçant, imprimeur, il séjourne pendant près de dix ans à Saint-Domingue, où il fréquente une loge maçonnique et s'imprègne des idéaux des Lumières. À la veille de l'insurrection des esclaves dirigée par Toussaint Louverture, Victor Hugues, pourtant philanthrope et humaniste, se méfie des revendications égalitaires des libres de couleur. Chez lui, comme chez la plupart des révolutionnaires, un incommensurable abîme sépare encore le réel de l'idéal. Fuyant les troubles qui agitent la Grande Île, il revient en France au début de 1790. À Paris, il se mêle aux sans-culottes, affûte ses talents de polémiste, rejoint le club des Jacobins. Un rôle d'accusateur public au tribunal révolutionnaire de Rochefort, puis de Brest, forgera sa réputation de procureur impitoyable.

Lorsqu'il revient dans la Caraïbe, en juin 1794, son mandat tient en quelques mots : « Établir solidement les principes de la Révolution dans les Isles-du-Vent, y défendre la République contre toute agression étrangère (...), punir exemplairement les contre-révolutionnaires. » Dans ces îles d'Amérique se joue alors l'un des actes de la guerre opposant la jeune République à la coalition des monarchies d'Europe. Le 23 mars, malgré la résistance des troupes de Rochambeau, la Martinique est tombée aux mains des Anglais avec l'appui des colons blancs royalistes, opposés à cette abolition au nom de laquelle ont éclaté maintes insurrections. La Guadeloupe, elle aussi, est occupée.

Révolution française 220 ans après, corsaire, Victor HuguesLa reconquête de cette dernière est impensable sans l'appui des esclaves noirs, majoritaires dans l'île. Habile tacticien, Victor Hugues usera de leur émancipation comme d'une arme. « Libérer les Noirs, c'était créer une armée pour combattre les maîtres d'esclaves, alliés des Anglais », résume l'historien martiniquais Armand Nicolas. Dès le 7 juin, le commissaire proclame l'abolition et recrute une armée de Noirs et de Mulâtres qui repousse la flotte anglaise et reprend possession de la Grande-Terre. Le 6 octobre 1794, les Anglais capitulent à Basse-Terre. Victor Hugues se retourne dès lors contre leurs complices. Le Tribunal révolutionnaire qu'il installe fait fonctionner la Machine à plein régime. Les têtes des planteurs royalistes tombent. Ceux qui échappent à la guillotine prennent la fuite. En 1790, l'île compte 9 371 Blancs. Cinq ans plus tard, ils ne sont plus que 1 092, dont 255 hommes.

Mais le camp « contre-révolutionnaire » s'étend à mesure que s'affirme l'intransigeance de l'Investi de pouvoirs. De nouveaux affranchis hostiles au système de travail « forcé » institué par les autorités révolutionnaires sur les habitations abandonnées par les maîtres seront, eux aussi, conduits à l'échafaud. Il reste qu'au coeur même de la Terreur, le nouveau régime, avec toutes ses contradictions, fait souffler sur la colonie un vent de liberté.

La Guadeloupe reconquise par la République, Victor Hugues en fait une base arrière de ses offensives contre les Anglais. Il noue des alliances avec les Indiens Caraïbes de Saint-Vincent, regagne Sainte-Lucie, lance des corsaires à l'assaut des navires de la rivale impériale, s'accommode de la revente des esclaves pris aux Anglais. Si les multiples tentatives pour reprendre possession de la Martinique n'ont pas réussi, cette « guerre de course » terrorise l'ennemi et assure à la Guadeloupe des rentrées financières appréciées de Paris.

Louant le « caractère empli d'énergie et d'audace » de cet homme « d'apparence médiocre, de manières vulgaires, de mauvaise éducation », l'aventurier Alexandre Moreau de Jonnès rapporte que Victor Hugues « lutta contre ses ennemis avec un bonheur dont aucun autre, avant et après lui, n'a pu donner l'exemple ».

À la Guadeloupe, il se fait gestionnaire sourcilleux, inflexible gardien de la séparation des pouvoirs, pourfendeur des croyances religieuses. Ce fin politique, mû par l'obsession de l'ordre, régentera l'île durant quatre ans.

Dans ce nouveau monde lointain, où l'écho des bouleversements qui se nouent à Paris parvient à contretemps, le coup d'État du 9 thermidor ne signe pas la chute du « Robespierre des îles ». Ses détracteurs invoqueront sa duplicité, plutôt que la distance, pour expliquer son exceptionnelle longévité. L'homme, il est vrai, sait louvoyer, contourner les tempêtes, épouser jusqu'à se dédire les méandres de son époque. En décembre 1798, le Directoire le rappelle à Paris. Un an plus tard, le Consulat le dépêche en Guyane, où il institue un régime de travail forcé, prélude au rétablissement de l'esclavage. Victor Hugues, commissaire, puis proconsul de la colonie, fera exécuter le décret du 30 floréal an X rendant les anciens esclaves à leurs chaînes avec autant de zèle qu'il fit appliquer en Guadeloupe le décret d'abolition de la Convention. « Si rétablir l'esclavage est une nécessité politique, je dois m'incliner devant elle », lui fait dire Alejo Carpentier.

Victor Hugues fait ensuite appliquer à la lettre le Code civil, qui interdit strictement les mariages entre Noirs et Blancs, n'admet l'adoption qu'entre personnes de même couleur, frappe de nullité les donations d'un Blanc à un Noir. On dit le proconsul autoritaire, orageux, tyrannique. L'impôt qu'il instaure, surtout, cristallise le mécontentement à son endroit.

Déporté au bagne de Cayenne après le coup d'État de fructidor, le journaliste et chansonnier monarchiste Louis-Ange Pitou brosse de lui un portrait aussi féroce qu'admiratif : « Son caractère est un mélange incompréhensible de bien et de mal ; il est brave et menteur à l'excès, cruel et sensible, politique, inconséquent et indiscret, téméraire et pusillanime, despote et rampant, ambitieux et fourbe, parfois loyal et simple ; son coeur ne mûrit aucune affection ; il porte tout à l'excès : quoique les impressions passent dans son âme avec la rapidité de la foudre, elles y laissent toutes une empreinte marquée et terrible ; il reconnaît le mérite lors même qu'il l'opprime : il dévore un esprit faible ; il respecte, il craint un adversaire dangereux dont il triomphe. (...) Le crime et la vertu ne lui répugnent pas plus à employer l'un que l'autre, quoiqu'il en sache bien faire la différence. (...) Il est administrateur sévère, juge équitable et éclairé quand il n'écoute que sa conscience et ses lumières. C'est un excellent homme dans les crises difficiles où il n'y a rien à ménager. »

Après la conquête de la Guyane par les Portugais, en 1809, Victor Hugues est accusé de trahison, puis acquitté. Il est rétabli dans ses fonctions en 1817. Il s'éteint en 1826, après avoir traversé tous les régimes. Arrivé au Nouveau Monde avec la liberté, il aura emprunté sans états d'âme les chemins tortueux qui menèrent à la restauration de l'ancienne servitude.

Rosa Moussaoui

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