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25/10/2015

JEUX OLYMPIQUES DE MEXICO : LES HEROS DU STADE

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peternorman.jpgIconique. Connaissez-vous Peter Norman ? Vous l’avez forcément vu, au moins une fois dans votre vie : disons que vous l’avez vu sans le voir.

Il était là, pourtant, dans l’angle mort d’une des photographies les plus célèbres de l’histoire, un point aveugle. C’était il y a quarante-sept ans, le 16 octobre 1968. Sur le podium des jeux Olympiques de Mexico, les officiels remettaient les médailles de la finale du 200 mètres.

Deux Américains, deux athlètes noirs, vont réaliser l’un des gestes les plus inouïs qui se puissent imaginer à l’époque.

Tommie Smith et John Carlos, médaillé d’or et de bronze, levèrent leurs poings, gantés de noir, pour protester contre la ségrégation raciale. Un vent d’insurrection universelle souffla sur le Stade aztèque, l’image iconique s’incrusta à jamais dans nos mémoires.

Smith, nouveau recordman du monde, et son frère de couleur Carlos portaient un écusson « Project for Human Rights » (projet pour les droits de l’homme) sur le cœur et des chaussettes noires, le bas de leur survêtement relevé, leur visage aussi fermé qu’une porte de prison. Lorsque l’hymne américain retentit, les deux hommes dressèrent non seulement leur poing ganté vers les cieux mais inclinèrent également leur tête, fixant le sol pour ne pas avoir à regarder la bannière étoilée.

Scandale aux États-Unis ; stupeur mondiale. Fin de l’histoire – du moins pour sa partie ultra-connue…

Droits. Avons-nous pensé une seule fois, depuis, au troisième personnage de cette photographie ?

Il s’appelait Peter Norman, un Australien mort il y a neuf ans. Sachez-le : il n’était pas moins héroïque que les deux Américains. Nous le savons désormais grâce à l’écrivain italien Riccardo Gazzaniga, qui a écrit récemment un texte admirable, traduit par les sites Demotivateur et Slate, sur le destin ignoré du « petit Blanc qui n’avait pas levé le poing ».

Arrivé deuxième de cette course de légende, il était perçu jusqu’alors comme le type pas concerné par le geste de ses acolytes, l’intrus au milieu d’un enjeu qui le dépassait – presque une présence de trop, gênante. Comme Riccardo Gazzaniga, nous pensions même que « cet homme représentait, dans toute sa rigidité et son immobilité glacée, l’archétype du conservateur blanc qui exprime le désir de résister à ce changement que Smith et Carlos invoquaient ».

Erreur tragique ! Peter Norman était blanc, oui, mais un Blanc militant des droits civiques en Australie, un pays qui lui aussi avait imposé des lois d’apartheid contre les Noirs et les Aborigènes. Norman, qui croyait aux droits humains, déclara à Smith et Carlos : « Je serai avec vous. » Les Américains avaient décidé de se présenter pieds nus pour symboliser la pauvreté des Noirs. Mais ce fut Norman qui leur suggéra de porter un gant chacun, puisqu’ils ne disposaient que d’une seule paire.

Mieux, regardez bien la photo : vous verrez que Norman porte, lui aussi, le badge du Projet olympique pour les droits de l’homme, épinglé contre son cœur. Riccardo Gazzaniga cite Norman : « Je ne pouvais pas voir ce qui se passait derrière moi, mais j’ai su qu’ils avaient mis leur plan à exécution lorsque la foule qui chantait l’hymne national américain s’est soudainement tue. Le stade est devenu alors totalement silencieux. » Smith et Carlos furent bannis de la discipline, expulsés du village olympique. Norman ne s’en tira pas mieux.

Pour avoir soutenu les deux Américains, il ne fut pas sélectionné aux JO de 1972 et vit sa carrière brisée par les autorités sportives australiennes. « Il a été traité comme un paria, un traître, sa famille l’a renié, écrit Riccardo Gazzaniga. Il a travaillé un temps dans une boucherie, puis comme simple prof de gym. Après une blessure mal soignée, il a fini ses jours rongé par la gangrène, la dépression et l’alcoolisme. »

Invité maintes fois à condamner publiquement le geste de Smith et Carlos en échange de sa réhabilitation, Peter Norman s’y refusa jusqu’à sa mort, en 2006, à Melbourne. Lors de ses obsèques, Tommie Smith et John Carlos étaient présents et avaient tenu à porter le cercueil – sans gant noir – pour rendre hommage à « un frère » de combat oublié de tous.

Jean Emmanuel Ducoin,

Vendredi, 23 Octobre, 2015

06/05/2015

Martha Desrumaux, une vie d’engagements

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Fille du Nord, fille du peuple, ouvrière, syndicaliste, militante politique, Martha Desrumeaux fut la seule femme à participer aux négociations des accords Matignon qui mirent un terme aux grandes grèves de 1936, celles qui suivirent la victoire électorale du Front Populaire. Elle fut également déportée à Ravensbruck en 1942.

Professeur agrégé d’histoire et de géographie, Pierre Outteryck vient de consacrer un ouvrage à Martha Desrumaux, ouvrage intitulé : « Martha Desrumaux, Une femme du Nord, Ouvrière, Syndicaliste, Déportée, Féministe » et publié aux Editions du Geai Bleu, une maison d’édition indépendante que ce professeur non-voyant a créée il y a quelques années.

Les femmes sont souvent été oubliées des historiens, et plus encore les femmes issues des milieux populaires. Les militants savent bien pourtant le rôle essentiel joué par les femmes dans un grand nombre de conflits.

Martha Desrumaux fut une pionnière et son parcours, qui est celui d’une autodidacte, illustre le double combat des femmes pour leur émancipation et des syndicalistes pour lutter contre l’exploitation du monde ouvrier.

Dans sa préface, comme lors de la présentation de cet ouvrage à l’initiative du comité régional CGT, Maryse Dumas, secrétaire de la CGT, souligne d’ailleurs le parcours exceptionnel de cette femme qui était bonne d’enfants à 10 ans et accéda bientôt à des responsabilités nationales sur le plan syndical avant de s’engager dans la Résistance et d’être déportée à Ravensbruck.

Ne jamais se laisser faire

Née dans un milieu modeste en 1897 à Comines, en bordure de la Lys, Martha Desrumaux est très vite orpheline de son père, pompier volontaire qui décède en 1906 des suites d’un accident survenu à l’occasion d’un incendie. La sécurité sociale n’exiiste pas encore et la vie est difficile au foyer Desrumaux : la maman de Matha est handicapée et son frère aîné très malade. Bientôt Martha se retrouve à 9 ans placée comme bonne à tout faire dans une maison bourgeoise de Faches-Thumesnil. A 10 ans, elle fuit ses patrons, revient à Comines et décide qu’elle sera ouvrière dans le textile.

Puis à 12 ans, elle se syndique à la CGT… En 1912, elle adhère à la Section Socialiste de Comines. Puis la Première mondiale éclate après l’assassinat de Jean-Jaurès. C’est l’exode. Martha est évacuée à Lyon où elle travaille dans une usine textile. C’est en 1917 qu’elle organise sa première grève victorieuse aux usines Hassebroucq. Elle n’a que 20 ans et est alors illettrée mais c’est elle qui signe le protocole d’accord qui met un terme à ce conflit qui se solde par une victoire des ouvrières en lutte. C’est là alors sa première grande expérience de syndicaliste.

Elle en retient une leçon : la lutte peut payer lorsque l’on est organisé. La lutte contre l’exploitation de la classe ouvrière et pour son émancipation passe donc par un renforcement de l’organisation syndicale et politique qui défend les intérêts de la classe ouvrière. Et c’est tout naturellement que Martha participe au comité pour l’adhésion à la Troisième Internationale et devient membre du Parti Communiste naissant dès 1921.

Un engagement durable

Revenue dans le Nord à partir de 1921, avec les usines Hassebroucq qui se sont réinstallées dans la vallée de la Lys, elle participe activement à de nombreuses luttes et prend très vite des responsabilités au sein de la CGTU et du Parti Communiste. En 1925, Maurice Thorez lui confit la rédaction d’un télégramme au Président de la République, dénonçant la guerre coloniale faite au Maroc et les sur-impôts Caillaux.

En 1928, elle entre à la Direction de l’Union Régionale Unitaire de la CGTU. Avec une délégation de femmes, elle se rend à Moscou en 1927 bien que le gouvernement français de l’époque lui ait refusé le passeport qui devait lui permettre de sortir du territoire. Dans la foulée, elle est élue au Comité Central du Parti Communiste en 1929.

Comme dirigeante de la CGTU, elle joue un rôle important dans l’agglomération lilloise et est au cœur de l’action lors de la grève des dix sous qui secoue Halluin en 1928. Un an plus tard, elle est au cœur d’une grève qui agite Bailleul. Puis en 1931 dans la lutte contre le Consortium, l’organisation patronale qui a décidé d’une baisse des salaires de 5 % pour toutes les entreprises qui font partie du syndical patronal. Durant toute la période de l’entre-deux guerres, elle organise la lutte des travailleurs du Nord du Textile et en particulier celle des ouvrières.

Une ouvrière féministe

Le combat de Martha s’inscrit dans les luttes pour l’émancipation des ouvrières et des femmes qu’elle n’oppose pas à celles de l’ensemble des travailleurs : Combat pour les revendications des femmes ouvrières : à travail égal, salaire égal – droit concernant le travail pénible. Combat pour le respect dû aux Femmes sur le lieu de travail, dans la vie domestique. Combat pour que les femmes puissent accéder, comme les hommes, à des postes à responsabilités au sein des organisations politiques et syndicales. Combat pour que les femmes puissent avoir toute leur place dans les assemblées délibératives.

Puis pendant deux ans elle part à Moscou se former dans l’une des écoles internationales du mouvement communiste. C’est à cette occasion qu’elle retrouve Louis Marguine, un métallo, comme elle originaire du Nord, de huit ans son cadet et dont elle a pu apprécier le dévouement militant à Roubaix quelques années plus tôt. De retour en France elle participe activement à la grève des quatre métiers des ouvriers à Armentières qui a lieu en 1933. Obligation était faite aux ouvriers et ouvrières « de travailler à la fois sur quatre métiers au lieu de deux. Double technique pour accroître les profits, baisse des salaires et augmentation des cadences. L’année suivante, elle organise la grève de Waziers et à la marche des chômeurs car depuis 1931, le chômage ne cesse de progresser. . Rien d’étonnant donc à ce que Martha Desrumaux joue un rôle central dans les grands mouvements sociaux de mai – juin1936. Elle sera d’ailleurs la seule femme présente lors de la signature des accords de Matignon en 1936 aux côtés de Benoît Frachon et de Léon Jouhaud. Elle a alors des responsabilités confédérales au sein de la CGT qui vient d’opérer sa réunification. Premiers congés payés. Martha et Louis iront passer quelques jours au bord de la mer. Neuf mois plus tard, en avril 1937, Martha donnera naissance à Luis., leur fils.

Déportée à Ravensbrück

pantheonsesrumeaux.jpgDe 1936 à 1938, elle organise la solidarité avec l’Espagne Républicaine. 1939 : du fait de le déclaration de guerre, elle entre déjà la clandestinité. Sous l’occupation elle sera un des fers de lance de la Résistance dans le Nord - Pas-de-Calais et organisera plusieurs grèves patriotiques, celles qui permettent de manifester le mécontentement et la colère. Elle verra malheureusement nombre de ses camarades massacrés par les nazis.

De 1939 à 1941, elle réorganisera le Parti Communiste dans le Nord - Pas-de-Calais et la liaison entre Bruxelles et Paris. Arrêtée en août 1941, sur dénonciation du Préfet Carles qui avait fourni une liste de plusieurs dizaines de dirigeants communistes, elle est déportée à Ravensbrück où elle participe à la direction de la Résistance dans le camp au côté de Marie-Claude Vaillant - Couturier et de Geneviève Antonioz de Gaulle. Elle les aidera à assurer la survie et la lutte de toutes les déportées. Elle a raconté par la suite la violence et l’enfer de ce qu’elle a vécu à Ravensbruck.

Revenue à Lille à la Libération, et affaiblie par le typhus, une maladie contractée dans les camps, elle reprend des responsabilités au sein de l’UD du Nord. Et elle entre en 1945 au conseil municipal de Lille où elle devient très vite adjointe au maire. Puis elle sera élue Députée du Nord. Au lendemain de la guerre, le mouvement syndical vit une période de difficultés avec notamment, en 1948, la scission au sein de la CGT entre la majorité et entre la fraction Force ouvrière. En 1954, elle quitte ses responsabilités syndicales et s’occupe en particulier, au sein de la FNIDRP (Fédération nationale des internés, déportés, résistants et patriotes) de la défense des déportés.

Elle meurt le 30 novembre 1982, le même jour que son compagnon et époux, Louis Manguine, qui fut un dirigeant important de la métallurgie et de l’UD du Nord

Une vie solidaire

L’histoire de Martha Desrumaux est une histoire à bien des égards exemplaire. Rien de disposait cette petite fille qui fut bonne d’enfants à dix ans à ce parcours engagé, militant, un, parcours dans lequel au cours duquel elle a fait sans cesse des choix, de dignité humaine et de justice sociale.

Pour Martha, c’est par la lutte, la solidarité et l’entraide que l’on finit par avancer et à faire céder ceux qui s’opposent à l’émancipation du plus grand nombre. Martha a toujours eu la solidarité chevillée au corps, y compris dans les camps lorsque l’adversité est la plus dure et la plus violente et à un moment où la maladie l’avait considérablement affaiblie.

Biographie publiée dans Aria

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21/07/2014

Maternité d’Elne, berceau d’humanité

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Une jeune institutrice helvétique âgée de vingt-six ans, Elisabeth Eidenbenz, déjà engagée dans l’aide humanitaire, l’Ayuda suiza, en Espagne pendant les combats, poursuit son action lors de la Retirada en direction des enfants et des mères réfugiés en France.

De 1939 à 1944, de nombreuses mères victimes de l’oppression guerrière en Europe ont été accueillies et protégées avec leurs nouveau-nés et leurs enfants dans cette maternité des Pyrénées-Orientales dirigée par une femme d’exception, Elisabeth Eidenbenz.

Les longues listes de noms et de dates communément immortalisés sur des monuments publics nous renvoient en pleine figure le sacrifice des morts innocents des guerres destructrices. Celle, en revanche, gravée à la Maternité suisse d’Elne, dans les Pyrénées-Orientales, compose un émouvant hymne à la vie. Les 597 prénoms et dates de naissance qui s’affichent au palier du premier étage attestent d’une extraordinaire aventure humanitaire conduite aux temps les plus sombres du XXe siècle européen.

À la fin de la guerre d’Espagne, en 1939, le franquisme chasse des centaines de milliers de combattants espagnols et leurs familles. Dès la frontière franchie, les autorités françaises les parquent pour la plupart dans des conditions insupportables, dans de véritables camps de concentration installés à la hâte sur les plages du Roussillon. Les cinq années qui suivent, le nazisme persécute, assassine et pousse à la clandestinité et à l’exil des centaines de milliers de civils sur le territoire européen. Les femmes et les enfants payent un long tribut aux guerres et à la misère.

elne3.jpgCe havre de vie que fut de 1939 à 1944 la Maternité suisse d’Elne a accueilli plus d’un millier de femmes. Des jeunes femmes enceintes, des mamans espagnoles, juives, tziganes, pourchassées par la misère et les tyrannies, des résistantes, des communistes… Autant d’enfants, un millier, nouveau-nés aux vingt-deux nationalités et adolescents de moins de quatorze ans. José, Maria-Carmen, Julio, Juan… Parmi les 597 prénoms inscrits sur le Mur de la maternité, beaucoup sont espagnols. D’autres, français. Certains ont permis de camoufler sous un faux prénom l’origine juive des mamans venues accoucher aux autorités allemandes ou pétainistes.

La maternité salvatrice a vu le jour dans une vaste demeure de style Art nouveau, le château d’En Bardou situé à trois kilomètres d’Elne sur la route de Montescot et Bages. Tombé en décrépitude, il est loué et remis en état grâce au financement du Secours suisse. À partir de novembre 1939, ce « berceau d’humanité au cœur de l’inhumain » s’ouvre aux internées espagnoles enceintes, pour y retrouver un peu de santé et de réconfort avant l’accouchement. Pendant quelques mois jusqu’à sa fermeture en septembre 1939, une maternité provisoire avait fonctionné à Brouilla près d’Elne.

Une jeune institutrice helvétique âgée de vingt-six ans, Elisabeth Eidenbenz, déjà engagée dans l’aide humanitaire, l’Ayuda suiza, en Espagne pendant les combats, poursuit son action lors de la Retirada en direction des enfants et des mères réfugiés en France.
C’est à elle que sont confiées l’installation, l’organisation, puis la direction de la maternité pendant les cinq années d’ouverture. Elle est secondée par des infirmières suisses et des femmes issues des camps.

elne1.jpgEn quelques jours de février 39, plus de 350 000 hommes, femmes, enfants, vieillards venus à pied d’Espagne sont entassés à même la plage dans des camps de toile hâtivement montés comme à Argelès et Saint-Cyprien. D’autres dans des baraquements, à Rivesaltes, à Gurs (Pyrénées-Atlantiques). Le manque de nourriture, le froid, la misère, les maladies comme la dysenterie, la pneumonie, le typhus provoquent des ravages parmi les plus fragiles, les nouveau-nés. On estime, suivant les sources, entre 15 000 et 50 000 morts dans les premiers mois de 1939. Le taux de mortalité des enfants entre six mois et quatre ans aurait avoisiné les 60 %.

Elisabeth Eidenbenz, qui organise des distributions alimentaires au camp de Saint-Cyprien, est en première ligne avec ses amis du Service civil international pour témoigner de la détresse humaine et sanitaire. Dans une lettre datée du 7 mars 1939 (1), elle alerte le Comité suisse d’aide aux enfants espagnols sur le drame qui s’opère sous ses yeux. « Il pleut des cordes toute la journée.
Par la fenêtre je regarde par la mer. Il y a seulement sept kilomètres d’ici au sable d’Argelès : 80 000 jeunes gens sans chaussures dignes de ce nom, sans chaussettes, sans chemise derrière le fil barbelé prolongent leur existence dans la plus grande incertitude de ce qui arrivera demain, écrit-elle. Cela me fait mal de sentir comment ces êtres humains sont désignés et considérés par des gens conscients, à des postes officiels, comme des criminels et des moitiés d’homme de moindre valeur… »

Munie d’un laisser-passer, Elisabeth est autorisée à pénétrer dans les camps d’Argelès, de Saint-Cyprien, de Bram (Aude). Elle prend en charge les femmes enceintes, futures mères ou déjà mamans accompagnées de jeunes enfants, recensées par l’administration et le médecin chef du camp. D’autres viennent en convois des camps de Gurs et de Rivesaltes. Les séjours durent en moyenne trois mois.

Menacée de fermeture en mai 1940, la Maternité va de nouveau connaître un regain d’activité avec des Allemandes antinazies internées à Gurs. Puis arrivent des réfugiées belges, hollandaises, de divers pays d’Europe chassées par l’avancée des soldats allemands. Les lois antijuives d’octobre 1940 emplissent de nouveau les camps français de concentration.

Parmi les 40 000 internés dans les camps de la zone non occupée, 70 % sont des juifs.
Les mamans venues accoucher à la Maternité sont alors contraintes par les autorités de retourner dans les camps quinze jours après les couches. La sous-alimentation, les maladies, la répression aggravent encore l’insupportable du quotidien.

Le 2 juillet 1942, le régime de Vichy autorise la police française à livrer aux nazis les juifs des deux zones.
Le camp de Rivesaltes devient l’antichambre du camp de Drancy vers Auschwitz. Elisabeth poursuit inlassablement tout à la fois sa mission humanitaire dans les camps et à la Maternité où des femmes de toute nationalité affluent. Elle utilise toutes les possibilités pour empêcher le retour des mères dans les camps.

La Maternité sert aussi de refuge pour des personnes en situation illégale. La directrice prend des risques. Elle fournit des extraits de naissance « fils de réfugiés espagnols » pour des enfants qui n’en sont pas. À partir de 1942, la Maternité passe sous la responsabilité de la Croix-Rouge suisse qui, par « neutralité », ordonne de ne pas se mêler des affaires intérieures d’un pays, donc, pour la France, de ne pas aider les juifs. Elisabeth ne cède pas, quitte à entrer en conflit avec la direction suisse de l’organisation humanitaire qui la sanctionnera à la Libération.

Alain Raynal, pour l'Humanité

(1) Les citations et les chiffres ont pour source les documents visuels et sonores présentés à la maternité d’Elne et dans l’ouvrage Femmes en exil, mères des camps.