23/12/2019
A Tulsa, le plus important lynchage de l’histoire américaine sort de l’oubli
Des fouilles menées par des archéologues visent à faire la lumière sur le massacre de centaines de Noirs en mai 1921 dans cette ville de l’Oklahoma ; un drame occulté pendant des décennies.
Le drame enfoui dans la terre de Tulsa (Oklahoma) il y a près de 100 ans va-t-il livrer ses secrets et trouver dans l’histoire des Etats-Unis la place qu’il mérite ?
Une équipe d’archéologues est sur le point de mettre au jour ce qu’ils soupçonnent être deux fosses communes abritant les corps des victimes du plus important lynchage jamais mené sur le sol américain. Longtemps occulté par les autorités de la ville, à peine évoqué dans les livres d’histoire des écoles américaines jusqu’au début des années 2000, le massacre perpétré durant deux jours en mai 1921 constitue pourtant le paroxysme des tensions raciales dans l’Amérique ségréguée du début du XXe siècle.
Bombes incendiaires
Comme souvent dans ces affaires, l’histoire commence par une rumeur à caractère sexuel entre un homme noir et une femme blanche. Un matin de ce début de printemps, un jeune cireur de chaussures de la ville pénètre dans l’immeuble abritant les seules toilettes du quartier autorisées aux Noirs. En entrant dans l’ascenseur, il aurait malencontreusement écrasé le pied de l’opératrice, Blanche, qui officiait ce jour-là, selon une enquête de l’Oklahoma Historical Society.
Les cris de la jeune femme, l’accusation vite répandue d’une agression sexuelle, tout s’enchaîne très vite. Dick Rowland est prestement arrêté et conduit au tribunal où se rassemble bientôt une foule de Blancs en colère. Des Afro-Américains, « dont des anciens combattants de la première guerre mondiale », précisent les archives, s’y rendent aussi pour protéger le jeune homme. Des coups de feu éclatent. Le journal local titre son éditorial : « Lynchage d’un nègre ce soir ».
Commence alors un déchaînement de violences contre le quartier noir de la ville. Peuplé d’une classe moyenne plutôt prospère, le lieu est connu sous le nom de Black Wall Street, en référence au quartier des affaires de New York.
Après deux jours d’attaques, de pillages, de mises à mort expéditives et de dévastation – des avions utilisés pour l’épandage agricole ont même été transformés en armes de guerre, larguent des bombes incendiaires sur les maisons –, trois cents victimes sont comptabilisées. Selon des témoins, des corps sont chargés sur des trains et jetés dans la rivière Arkansas du haut des ponts.
Racisme institutionnalisé
Mais la plupart des morts sont enterrés à la hâte dans des fosses communes, que l’histoire s’efforcera d’oublier. Au total, plus de 1 000 habitations et commerces seront détruits, mettant à la rue quelque 8 000 des 11 000 Noirs vivant alors à Tulsa.
Aucun des responsables blancs n’est poursuivi, plusieurs Noirs accusés d’avoir provoqué les violences sont, eux, condamnés, la plupart des survivants doivent déménager : l’époque, marquée par le racisme institutionnalisé, n’est guère propice aux droits des Afro-Américains. Malgré l’ampleur du drame, le silence et le déni s’abattent sur la ville durant des décennies.
Les fouilles, qui pourraient déboucher au printemps sur des exhumations, visent à rendre hommage aux morts et à donner à leurs descendants des clés pour mieux connaître le sort de cette communauté noire décimée. Le jeune maire blanc de Tulsa, G. T. Bynum, élu en 2016, souhaite inscrire cette tuerie dans le patrimoine mémoriel de la ville et, plus largement, dans la violente histoire des relations raciales dans le pays.
Depuis une vingtaine d’années, les tentatives pour commémorer cet événement et faire droit aux victimes ou à leurs descendants ont fait long feu. En 1999, un habitant blanc de la ville, âgé de 10 ans à l’époque des faits, indique un endroit où, selon ses souvenirs d’enfant, seraient enterrées les victimes. Les recherches tournent court.
« Une centaine de corps »
En 2001, un rapport de la commission de l’Oklahoma chargée d’étudier les événements de mai 1921 fournit une description précise des pertes subies par les habitants et recommande que soient délivrées des réparations sous forme de chèques, de bourses d’études ou de subventions à la communauté noire. La création d’un mémorial est aussi encouragée. Mais le rapport est enterré et les descendants se tournent vers la justice pour obtenir des dommages et intérêts. En vain.
En 2018, le maire a ordonné la reprise des fouilles pour identifier les sites des fosses communes. « On le doit aux victimes et à leurs familles », estimait-t-il alors. Le 18 décembre, les archéologues ont annoncé la découverte dans le sol de cavités pouvant abriter « une centaine de corps ». Aujourd’hui, le quartier meurtri il y a cent ans est en cours de gentrification et seuls une dizaine de bâtiments en briques rouges reconstruits juste après le massacre subsistent de cette époque.
En octobre, au détour d’une série culte, les téléspectateurs américains ont pu se (re)plonger dans ces événements dramatiques. Le premier épisode de la série fantastique Watchmen (Les Gardiens), tirée du roman graphique d’Alan Moore et Dave Gibbons et diffusée sur HBO, s’est ouvert sur la reconstitution des violences, bien réelles, de mai 1921, à Tulsa.
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21/06/2019
La conférence de versailles. 1919, les impérialismes face aux révolutions
La conférence de la paix à l’issue de laquelle sera signé le traité de Versailles, le 28 juin, est le fruit de calculs et de rapports de forces entre les grandes puissances capitalistes devant la peur de la révolution des soviets.
La guerre de 1914-1918 laisse la France épuisée, mais, avec ses alliés, l’Angleterre, l’Italie, le Japon et les États-Unis, elle est victorieuse. Les dégâts sont considérables : des millions d’hectares de terres agricoles inexploitables, l’industrie et les mines du Nord détruites, un million et demi de morts, des millions de blessés, des invalides à foison. La victoire a un goût de cendres. Le président américain Wilson, dès janvier 1918, a énoncé 14 propositions pour mettre fin au conflit et asseoir une paix durable. Ces préceptes semblent frappés du sceau du bon sens et de la justice, personne n’est en situation de les rejeter.
Une conférence de la paix est décidée, elle se tiendra à Paris, à partir du 18 janvier 1919. Le traité de paix sera signé à Versailles. Il n’y a pas de hasard. Clemenceau impose Versailles, car c’est là que la paix de 1871 a été signée par Thiers dans la galerie des Glaces. C’est aussi dans ce château que, le 18 janvier 1871, Guillaume Ier a été sacré empereur d’Allemagne. Il faut laver ces affronts ! Il est prévu d’autres traités de paix avec l’Autriche, la Hongrie, la Bulgarie et la Turquie.
Les frontières, des barrières économiques
La Russie est absente. La révolution bolchevique de 1917 est une épine dans le pied des vainqueurs. Au lieu d’associer le pouvoir des soviets à une paix générale, on lui fait la guerre, les vainqueurs expédient armes, troupes et soutiennent à bout de bras les armées blanches. En France, les luttes sociales gagnent du terrain après cinq années d’étouffement. En Angleterre aussi ; en Allemagne, c’est la révolution spartakiste qui tente d’imposer les soviets. Du côté des Alliés, la peur domine. Partout, l’armée intervient pour écraser les révolutions en cours. La conférence de la paix, chargée de rédiger les clauses des traités, ne va pas y aller avec le dos de la cuillère ! On n’invite pas l’Allemagne aux négociations.
En parlant de 1914-1918, certains évoquent une guerre de circonstance, un mécanisme infernal lié à des accords en cascade. N’est-ce que cela ? C’est un peu court. Le capitalisme allemand veut gagner en Europe la place que les autres impérialismes lui refusent ailleurs. Les Krupp et consorts exigent des débouchés, le besoin d’acier est immense, et les frontières sont autant de barrières économiques. C’est une guerre impérialiste de domination. Fatalement, la paix débouchera sur des réponses impérialistes.
On dépèce l’Allemagne. Ses colonies sont avalées avec voracité par les Anglais, les Français et les Japonais. L’Italie va être flouée… la France exige la restitution de l’Alsace-Lorraine, c’est un des points de Wilson. La Prusse est à l’origine des principes conquérants et guerriers, on crée la Pologne en partie sur ce territoire. La France demande la Sarre, la Rhénanie au titre de dédommagements. Ça coince… Sous prétexte (juste) de ne pas faire des Alsace-Lorraine à l’envers, l’Angleterre met des bâtons dans les roues à Clemenceau. Au fond, cette dernière refuse une France en situation de dominer l’Europe. Elle préfère une Allemagne amoindrie, mais pas trop, et une France faible économiquement.
La conférence n’en reste pas là. Elle examine chaque partie du globe pour reconfigurer les pays, créer de nouvelles nations. Sauf en Amérique, chasse gardée des États-Unis depuis la doctrine Monroe. Wilson avait annoncé urbi et orbi que les peuples décideraient de leur sort… Mais voilà, on ne peut demander à des gens sans expérience d’administrer leur pays, donc, on remodèle l’Afrique sans discussion, on tripatouille au Moyen-Orient, et je te file la Syrie, tu prends la Mésopotamie (Irak). La Palestine, des sionistes la demandent, pourquoi pas ? On l’avait promise au Hedjaz, tant pis… Les Kurdes et les Arméniens demandent l’autonomie ? Pas question, ils tomberaient illico dans l’escarcelle des Soviétiques… Le Japon, ah, il demande une clause d’égalité raciale dans le préambule de la SDN. Pas question ! Bon, on lui donne une partie de la Chine…
Une partie de Monopoly géante
Les beaux principes sont bafoués, une partie de Monopoly géante est engagée, les peuples assommés. Le traité de Versailles est signé le 28 juin, l’Allemagne n’a pas à dire son mot, pire, les réparations de guerre, qu’elle doit accepter, ne sont pas encore quantifiées. On parle de milliers de milliards… Alors que les peuples croyaient à une libération, que les colonies escomptaient les prémices d’autre chose qui n’est pas encore nommée indépendance, c’est un joug renforcé qui leur tombe dessus. Le traité de Versailles et les suivants ne préparent rien d’autre qu’une guerre, à l’échelle du désastre de ses clauses.
Une « paix injuste et dangereuse »…
Daniel Renoult, dans l’Humanité du 24 juin 1919, indique : « (…) Nous prétendons que cette paix, précisément parce qu’elle est injuste, est dangereuse pour la France. D’abord, elle accumule contre notre pays des haines terribles. Elle aiguise, outre-Rhin, l’horrible désir des revanches. (…) Elle nous impose, enfin, le fardeau du militarisme maintenu, la nécessité de l’occupation militaire prolongée avec, pour conséquence, des charges écrasantes pour les finances qui plient déjà. Non, cette paix à la fois odieuse et maladroite n’est pas la nôtre, celle du peuple français et de ses héroïques soldats. »
19:02 Publié dans Etats Unis, International, L'Humanité, Première guerre mondiale | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : conférence de versailles, 1919 | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook |
15/01/2019
ROSA LUXEMBURG UNE REVOLUTIONNAIRE EXEMPLAIRE
Après des études à Zurich, elle devient allemande par son mariage, milite dans les rangs de la social-démocratie et défend, au côté de Karl Liebknecht, l'idée que la spontanéité des masses est le moteur de toute révolution. Elle entend ainsi combattre, tout ensemble, le révisionnisme que Lénine impose au parti bolchevique. Son hostilité militante à la guerre lui vaut d'être emprisonnée.
C'est de prison qu'elle écrit, avec Karl Liebknecht et Clara Zetkin, les Lettres de Spartakus (1916-1918), qui vont servir de ciment à l'extrême gauche de la social-démocratie, la ligue de Spartakus. Tout en critiquant l'autoritarisme de Lénine, elle applaudit à la révolution russe et rêve de déclencher un mouvement identique en Allemagne. Aussi combat-elle avec acharnement la République de Weimar, qui est proclamée le 9 novembre 1918.
Sur le plan théorique, le nom de Rosa Luxemburg reste attaché à un certain romantisme révolutionnaire. On retiendra notamment son intérêt pour les communautés précapitalistes, ces " sociétés communistes primitives " qu'elle oppose à la société marchande (Introduction à l'économie politique, 1925) - façon critique et originale de concevoir l'évolution des formations sociales, à contre-courant des visions " progressistes " linéaires, dominantes à son époque.
Après avoir participé, le 30 décembre, à la fondation du parti communiste allemand, elle se joint, tout en la jugeant prématurée, à l'insurrection fomentée par l'extrême gauche berlinoise en janvier 1919 ; c'est alors qu'elle est arrêtée et assassinée par les militaires du régime de Weimar.
En quelques dates 1871. Naissance de Rosa Luxemburg en Pologne, alors sous domination russe. Études à Varsovie puis à Zurich. 1893. Séjour à Paris. Elle y crée Sprawa Robotnicza, revue de la social-démocratie polonaise diffusée clandestinement en Pologne. 1898. S’inscrit au Parti social-démocrate allemand ; rédige Réforme ou révolution ; rédactrice en chef du quotidien Sächsische Arbeitzeitung. 1905. Se rend clandestinement dans Varsovie en révolution ; arrêtée et emprisonnée de mars à juillet 1906 ; rédige Grèves de masse, parti et syndicats. 1908. Publie Question nationale et autonomie. 1910. Rupture avec Karl Kautsky et la majorité du SPD ; se lie à Karl Liebknecht, avec lequel elle dénonce le « militarisme allemand » ; se prononce contre les crédits de guerre en 1914. 1913. Publie l’Accumulation du capital. 1916. Fonde avec Karl Liebknecht, Franz Mehring et Clara Zetkin la Ligue des spartakistes. 1916. Emprisonnée (jusqu’en 1918), elle rédige et fait paraître la Crise de la social-démocratie. 1919. À la tête de la Ligue, puis du Parti communiste allemand (DKP), fondé le 1er janvier, elle participe (le 6 janvier) à l’insurrection de Berlin ; le 14, alors que la révolution est écrasée, elle écrit son dernier article, « L’ordre règne à Berlin ». Le 15, elle est assassinée d’une balle dans la tempe et son corps jeté dans le canal de la Landwer. |
12:35 Publié dans Biographie, International, Première guerre mondiale | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rosa luxemburg, biographie | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook |