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18/08/2014

Guerre de 14. Mobilisation générale à l’heure des moissons

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Il y a cent ans, c’était la Guerre de 14, qui a lourdement affecté nos campagnes. La Terre, avec la participation de nombreux lecteurs (qu’ils soient remerciés), lui consacre sa série d’été.

Avant de suivre le parcours de Germain, Renaud, Henri , Pierre, paysans combattants, de leurs animaux, le travail des femmes agricultrices pour nourrir le pays et des femmes ouvrières pour nourrir l’industrie de guerre, des infirmières aussi, un peu d’histoire s’impose.

Si vous consultez n’importe quel dictionnaire, il est écrit qu’à Sarajevo fut assassiné le 28 juin 1914 le prince héritier de l’empire austro-hongrois, François- Ferdinand, par un nationaliste serbe et que ce fut l’origine de la Guerre de 14-18.

L’assassinat d’un prince héritier est donc l’amorce d’une guerre à l’issue de laquelle seront assassinés 9 millions de soldats, tous pays confondus. Sans oublier les civils, les blessés et les mutilés à vie. 1,4 million de soldats français dont plus de 700 000 paysans et ouvriers agricoles mourront pour la France.

Il est aussi un autre attentat qui a permis, disons au nationalisme de prendre les rênes du pouvoir en France, c’est l’assassinat de Jean Jaurès, le leader pacifiste, par un nationaliste.

C’est donc la montée du nationalisme en Europe, alibi de l’impérialisme et de la Finance, qui sert de déclencheur. Pourtant « La paix reste possible » titre l’Humanité (le journal de Jaurès) daté du vendredi 31 juillet 1914. Il rend compte des manifestations contre la guerre qui ont eu lieu la veille, à l’appel de la CGT et de la SFIO.

Jaurès assassiné, tout va très vite : le samedi 1er août 1914 à 4 heures de l’après-midi, l’ordre de mobilisation générale des hommes sous les drapeaux et des réservistes (ceux âgés de 23 à 33 ans) est affiché dans toutes les mairies. L’avis à la population est annoncé non par les gardes champêtres mais par le tocsin.

Dans le même temps il est donné l’ordre de réquisition des chevaux et mulets, auxiliaires de trait importants pour l’agriculture. N’oublions pas que nous sommes en plein travaux des champs. Le lendemain, dimanche 2 août, les mobilisés se mettent en route pour rejoindre leurs régiments. « Ça a débuté comme ça. Moi je n’avais rien demandé… », s’indigne Ferdinand Bardamu (1). Il conclut : « On était faits comme des rats ». Fataliste, le paysan landais de Lagraulet, Germain, se dit que « bien sûr, on partira sans rechigner, pour faire son devoir. »

Le jeu mortel des alliances

Pour l’instant, il ne s’agit pas de défendre la Patrie, mais de porter secours à l’allié russe à qui l’Allemagne a déclaré la guerre. Pourquoi ? Parce que le 28 juillet l’Autriche-Hongrie a déclaré la guerre à la Serbie (l’assassin de François-Ferdinand est un nationaliste serbe) et que cette dernière a fait appel à la Russie, alliée à la France et au Royaume-Uni. Et par le jeu des alliances, le 3 août à 7 heures du soir, la France a reçu la déclaration de guerre de l’Allemagne.

 


 
Crédit:
 

La défense de la Patrie, ce sera le prétexte pour fédérer en une Union sacrée nationalistes chauvins et pacifistes : SFIO (socialistes) et syndicalistes (CGT). Ce sera fait en séance extraordinaire de la chambre des députés, le mardi 4 août. Après un hommage à Jean Jaurès par le président de la chambre des députés (Assemblée nationale actuelle) Paul Deschanel, le président du Conseil (sorte de premier ministre), René Viviani, en appelle avec force trémolos à l’Union sacrée pour « défendre l’honneur du drapeau et le sol de la Patrie ». Il conclut sous les applaudissements unanimes et les « vive la France » : « Elle (la France) sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant l’ennemi l’union sacrée… ».

Au nom de l’Union sacrée

Celle-ci permettra à la France de mobiliser plus 4 millions d’hommes du 1er août au 30 septembre 1914 (7,9 millions durant les 4 ans de guerre, dont près de 500 000 hommes des colonies appelés « tirailleurs indigènes » !) L’Union sacrée permettra aussi au président de la République, Raymond Poincaré, de prendre une série de lois et d’arrêtés d’exception, tous datés du 5 août et d’assurer les pleins pouvoirs à son gouvernement : incorporation permanente d’hommes de 17 à 49 ans au fur et à mesure des besoins de la guerre, musèlement des syndicats dont les revendications (salaires, temps et conditions de travail etc.) n’ont aucune légitimité face à la guerre, censure, état d’urgence etc.

Alors l’Union sacrée, « grand mouvement de l’histoire française ou duperie ? » s’interroge Pierre Paraf, cofondateur de l’Arac (2) avec Henri Barbusse et premier président du MRAP. Sa réponse : « Il eut fallu suivre le pacifisme de Jaurès et de Caillaux en doublant cet esprit de négociation d’un armement solide et moderne et ne pas céder à l’automatisme des alliances. » « J’allais défendre la France, pays de la Révolution, la France qui allait imposer la paix… Le train m’emporta… » se justifie Clavel Soldat alias Léon Werth. Voilà comment se déclenche et se légitime la Première Guerre mondiale, qui devait être la « Der des ders ».

La fraternisation de Noël

La guerre, sa promiscuité et ses épisodes sanglants va alors durer jusqu’au 11 novembre 1918. À la Noël 1914, les soldats français ne sont pas à Berlin, 300 000 d’entre eux sont morts, 600 000 sont blessés. La moitié sont paysans. Ils sont dans les tranchées avec leurs alliés Britanniques, face aux Allemands qui n’ont pas pris Paris et ont aussi laissé leurs femmes, leurs mères, leurs soeurs dans les usines et à la ferme. Des frères en somme, qui le 25 décembre 1914 sortiront des tranchées pour fêter Noël ensemble, à Ypres notamment. Ils se rejoueront un France-Allemagne de Centenaire de la Grande Guerre.

Chronologie

  • 28 juin : Assassinat du prince héritier d’Autriche-Hongrie à Sarajevo en Serbie
  • 26 juillet : Arrivée du Tour de France remporté par le Belge Philippe Thys. Henri Pélissier second.
  • 28 juillet : L’Autriche-Hongrie alliée à l’Allemagne déclare la guerre à la Serbie alliée à la Triple entente : Russie, France, Royaume-Uni (Angleterre, Irlande, Ecosse, Pays-de-Galles)
  • 30 juillet : Manifestations contre la guerre à l’appel de la CGT et de la SFIO – Section française de l’internationale ouvrière (socialistes) dont font partie Jean Jaurès, Jules Guesde et Marcel Sembat. Ordre de mobilisation générale en Russie
  • 31 juillet : Assassinat de Jean Jaurès au café Le Croissant, rue Montmartre à Paris, par un militant nationaliste. Jaurès avait prévu un article dans L’Humanité dont il était directeur, relatif à la « Défense nationale » – Ordre de mobilisation général en Autriche-Hongrie
  • 1er août : L’Allemagne déclare la guerre à la Russie qui en appelle à ses alliés la France et le Royaume-Uni - Ordre de mobilisation générale en Allemagne et en France par décret du président de la République, Raymond Poincaré et ordre de réquisition des chevaux, mulets, mules…

Témoignage

Roger Créquigne, fils du meunier d’Oucques (Loir -et -Cher ), Commis crémier chez Bardou à Paris , 25 ans. Mobilisé le 2 août 1914. 352e régiment d’infanterie. Fait prisonnier à la bataille de Bucy-le -long (Ais ne) en janvier 1915. (Extraits de son carnet))

Les vaches meuglent dans les champs en feu

« Dans le train qui nous mène à Langres depuis la gare de Charenton, tout le monde prend ça à la rigolade. Sur les wagons est écrit à la craie : À Berlin ! On arrive à Langres, on reçoit notre équipement et on nous achemine à Humes (Marne) dans le 152e régiment d’infanterie (RI), le temps de former le 352e RI et de filer sur Belfort au secours du 133e RI (guerre des frontières NDLR). Nous entendons le bruit du canon, l’angoisse nous atteint. Les chants d’allégresse du train sont loin. Nous cheminons dans la campagne, il y a eu des victimes par là. Ça sent la charogne et ça nous impressionne. Personne ne rit plus. Finalement on nous dit que nous n’aurons pas à entrer en action. On nous achemine vers Mulhouse puis à nouveau vers Belfort car rien ne s’y passe.

Sur la route nous voyons transporter un artilleur moribond. Un obus a éclaté sous son cheval, il a le ventre ouvert. Il meurt peu de temps après. Plus loin, un fantassin arrive, il se tient les flancs, la bouche pleine d’écume rosée (…) On nous dit de battre en retraite. Les champs sont en feu, des vaches meuglent et ajoutent une note de détresse dans la situation. Il ne reste sur le bataillon dont je fais partie que 200 hommes environ. Les autres qui n’étaient pas « soutiens » d’artillerie comme moi sont restés sur le terrain ou tués ou blessés ou prisonniers. Sur les routes les paysans fuient laissant tout derrière eux (…)

Centenaire de la Grande guerre
Daniel Roucous pour le journal la Terre

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11/08/2014

Palestine, les traces de la mémoire

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Tel-Aviv (Israël), envoyée spéciale.

Depuis Shuk Ha’Carmel, vieux marché de Tel-Aviv, le quartier yéménite dégringole en ruelles animées. Sur le seuil des maisonnettes fleuries de bougainvilliers, les vieux juifs orientaux y parlent un hébreu musical, adouci par leur accent arabe.

L’offensive militaire à Gaza, si proche, ne semble pas troubler la quiétude de ce quartier populaire. Au détour d’une allée, surgit la ville nouvelle, avec ses tours de verre tutoyant le ciel. À l’ombre des grues, la spéculation immobilière va bon train, chassant toujours plus loin les habitants les plus modestes.

Aux portes de la vieille cité arabe de Jaffa, l’orgueilleuse Tel-Aviv est-elle sortie des sables, bâtie en 1909 par des pionniers sur des terres désertées, comme le proclame le mythe ?

Sous la légende, il y a l’histoire, celle de la Nakba, lorsqu’en 1948, les Palestiniens furent chassés de leurs terres après la proclamation de l’État d’Israël.

À Tel-Aviv même, quelques traces témoignent encore de l’existence passée de trois villages palestiniens détruits par les « conquérants ». Il y a plus d’une décennie, Eitan Bronstein est parti à la quête de ces traces ténues, partout en Israël, pour réhabiliter la mémoire de ces villages arabes rayés de la carte par la colonisation.

Avec l’association Zochrot (« Elles se souviennent », en hébreu), il milite pour la reconnaissance, en Israël, de la Nakba. « Il fallait retrouver le fil d’une mémoire effacée, raconter l’histoire palestinienne qui est aussi la nôtre », explique-t-il.

Des archives brûlés dès 1948

Là, à la lisière du quartier yéménite, il désigne, au milieu d’un parc, le centre du village de Manshiya, aujourd’hui disparu. Quelques maisons palestiniennes s’élevaient encore là jusque dans les années 1970. Il n’en reste plus qu’une, guettée par les chantiers voisins.

Avec ses poutres apparentes, ses murs ocre et ses balcons ottomans, elle semble surgie d’un autre univers. À quelques pas, la mosquée Hassan Bek de Manshiya se dresse face à la mer. Détruite en 1948, elle a été réhabilitée par la communauté musulmane, qui a tenu à élever encore son minaret.

En 2000, lorsque des émeutes ont éclaté dans les villes arabes d’Israël en écho à la seconde Intifada, la mosquée a été attaquée avec des engins incendiaires. Elle est aujourd’hui ceinte d’un muret surmonté de hautes grilles. Au pied des marches menant à la salle de prière, une plaque d’égouts de la Société des eaux de Palestine témoigne de l’époque du mandat britannique. Plus loin, entre la plage et la route menant à Jaffa, les ruines encore apparentes d’une maison arabe servent de fondations à l’édifice aux vitres noires abritant le « musée des conquérants ». Un panneau, à l’entrée, arbore le symbole de l’Irgoun, milice sioniste née en 1931, dans la Palestine mandataire, d’une scission de la Haganah (l’ancêtre de l’armée israélienne).

En arrière-plan des initiales de cette organisation, une carte du « grand Israël » englobe les territoires palestiniens et même la Jordanie. « Lorsque ces miliciens ont conquis Jaffa en avril 1948, avant la proclamation de l’État d’Israël, leur premier geste fut de brûler les archives, il est donc très difficile de reconstituer l’histoire de ces ruines », explique Eitan Bronstein. Au nord de la ville, dans le quartier de Ramat Aviv, près de l’université, le militant de la mémoire vous guide encore sur les traces d’un autre village disparu, Sheikh Muwannis. Il déambule entre les immeubles flambant neufs, désignant des lieux invisibles, faisant revivre par la parole le bourg arabe jadis entouré d’orangeraies.

Là encore, une maison est restée debout. La bâtisse verte, rénovée dans les années 1990 par un architecte italien, tient aujourd’hui lieu de club universitaire ouvert aux conférences, fêtes et célébrations. C’était la demeure du mokhtar, le chef du village, Ibrahim Abu Kheel. Les polygones étoilés des carreaux au sol et les arcades ouvrant sur le patio ombragé attestent du passé arabe de cette maison au design contemporain. Étudiants et professeurs ont mené une lutte résolue pour faire apposer une plaque rappelant le passé palestinien de la Maison verte. Las, ils se sont heurtés, jusqu’ici, à l’intransigeance du président de l’université. De l’autre côté de la route, un terrain vague envahi de broussailles traîne sa désolation jusqu’au pied de l’immeuble blanc où est sis le siège du Shin Bet, les services israéliens.

Ici et là, d’imposantes pierres tombales émergent des buissons d’épineux. C’est le cimetière de Sheikh Muwannis. Les curieux, vite repérés par les caméras de vidéosurveillance, sont aussitôt rappelés à l’ordre par des hommes en uniforme. Même ceux dont les aïeux reposent ici n’ont pas le droit de venir s’incliner sur leurs tombes.

Rien ne signale ce lieu aux frontières floues, voué à l’oubli. À Manshiya, à Sheikh Muwannis et partout en Israël, les militants de Zochrot ont entrepris un patient travail d’exhumation, localisant les villages palestiniens détruits, plaidant pour la préservation et la signalisation de leurs vestiges, insistant sur la portée politique et symbolique qu’aurait la reconnaissance du droit au retour des réfugiés. « C’est une démarche provocatrice, nous touchons à un tabou, à quelque chose de très sensible dans la constitution de l’identité d’Israël comme “État juif”, admet Eitan Bronstein.

La réécriture de l’histoire a effacé la Nakba des imaginaires et des représentations. » Lui tient à retrouver, pour les faire connaître, « les signes manquants » d’une mémoire collective amputée.

Rosa Moussaoui pour l'Humanité : http://www.humanite.fr/palestine-les-traces-de-la-memoire...

Palestine, les traces de la mémoire

Rosa Moussaoui
Lundi, 11 Août, 2014
Des militants israéliens œuvrent pour la reconnaissance de la Nakba. Ils perpétuent le souvenir des villages palestiniens détruits en 1948.

Tel-Aviv (Israël), envoyée spéciale. Depuis Shuk Ha’Carmel, vieux marché de Tel-Aviv, le quartier yéménite dégringole en ruelles animées. Sur le seuil des maisonnettes fleuries de bougainvilliers, les vieux juifs orientaux y parlent un hébreu musical, adouci par leur accent arabe. L’offensive militaire à Gaza, si proche, ne semble pas troubler la quiétude de ce quartier populaire. Au détour d’une allée, surgit la ville nouvelle, avec ses tours de verre tutoyant le ciel. À l’ombre des grues, la spéculation immobilière va bon train, chassant toujours plus loin les habitants les plus modestes. Aux portes de la vieille cité arabe de Jaffa, l’orgueilleuse Tel-Aviv est-elle sortie des sables, bâtie en 1909 par des pionniers sur des terres désertées, comme le proclame le mythe ? Sous la légende, il y a l’histoire, celle de la Nakba, lorsqu’en 1948, les Palestiniens furent chassés de leurs terres après la proclamation de l’État d’Israël. À Tel-Aviv même, quelques traces témoignent encore de l’existence passée de trois villages palestiniens détruits par les « conquérants ». Il y a plus d’une décennie, Eitan Bronstein est parti à la quête de ces traces ténues, partout en Israël, pour réhabiliter la mémoire de ces villages arabes rayés de la carte par la colonisation. Avec l’association Zochrot (« Elles se souviennent », en hébreu), il milite pour la reconnaissance, en Israël, de la Nakba. « Il fallait retrouver le fil d’une mémoire effacée, raconter l’histoire palestinienne qui est aussi la nôtre », explique-t-il.

Des archives brûlés dès 1948

 Bruno Fert / PicturetankLà, à la lisière du quartier yéménite, il désigne, au milieu d’un parc, le centre du village de Manshiya, aujourd’hui disparu. Quelques maisons palestiniennes s’élevaient encore là jusque dans les années 1970. Il n’en reste plus qu’une, guettée par les chantiers voisins. Avec ses poutres apparentes, ses murs ocre et ses balcons ottomans, elle semble surgie d’un autre univers. À quelques pas, la mosquée Hassan Bek de Manshiya se dresse face à la mer. Détruite en 1948, elle a été réhabilitée par la communauté musulmane, qui a tenu à élever encore son minaret. En 2000, lorsque des émeutes ont éclaté dans les villes arabes d’Israël en écho à la seconde Intifada, la mosquée a été attaquée avec des engins incendiaires. Elle est aujourd’hui ceinte d’un muret surmonté de hautes grilles. Au pied des marches menant à la salle de prière, une plaque d’égouts de la Société des eaux de Palestine témoigne de l’époque du mandat britannique. Plus loin, entre la plage et la route menant à Jaffa, les ruines encore apparentes d’une maison arabe servent de fondations à l’édifice aux vitres noires abritant le « musée des conquérants ». Un panneau, à l’entrée, arbore le symbole de l’Irgoun, milice sioniste née en 1931, dans la Palestine mandataire, d’une scission de la Haganah (l’ancêtre de l’armée israélienne). En arrière-plan des initiales de cette organisation, une carte du « grand Israël » englobe les territoires palestiniens et même la Jordanie. « Lorsque ces miliciens ont conquis Jaffa en avril 1948, avant la proclamation de l’État d’Israël, leur premier geste fut de brûler les archives, il est donc très difficile de reconstituer l’histoire de ces ruines », explique Eitan Bronstein. Au nord de la ville, dans le quartier de Ramat Aviv, près de l’université, le militant de la mémoire vous guide encore sur les traces d’un autre village disparu, Sheikh Muwannis. Il déambule entre les immeubles flambant neufs, désignant des lieux invisibles, faisant revivre par la parole le bourg arabe jadis entouré d’orangeraies. Là encore, une maison est restée debout. La bâtisse verte, rénovée dans les années 1990 par un architecte italien, tient aujourd’hui lieu de club universitaire ouvert aux conférences, fêtes et célébrations. C’était la demeure du mokhtar, le chef du village, Ibrahim Abu Kheel. Les polygones étoilés des carreaux au sol et les arcades ouvrant sur le patio ombragé attestent du passé arabe de cette maison au design contemporain. Étudiants et professeurs ont mené une lutte résolue pour faire apposer une plaque rappelant le passé palestinien de la Maison verte. Las, ils se sont heurtés, jusqu’ici, à l’intransigeance du président de l’université. De l’autre côté de la route, un terrain vague envahi de broussailles traîne sa désolation jusqu’au pied de l’immeuble blanc où est sis le siège du Shin Bet, les services israéliens. Ici et là, d’imposantes pierres tombales émergent des buissons d’épineux. C’est le cimetière de Sheikh Muwannis. Les curieux, vite repérés par les caméras de vidéosurveillance, sont aussitôt rappelés à l’ordre par des hommes en uniforme. Même ceux dont les aïeux reposent ici n’ont pas le droit de venir s’incliner sur leurs tombes. Rien ne signale ce lieu aux frontières floues, voué à l’oubli. À Manshiya, à Sheikh Muwannis et partout en Israël, les militants de Zochrot ont entrepris un patient travail d’exhumation, localisant les villages palestiniens détruits, plaidant pour la préservation et la signalisation de leurs vestiges, insistant sur la portée politique et symbolique qu’aurait la reconnaissance du droit au retour des réfugiés. « C’est une démarche provocatrice, nous touchons à un tabou, à quelque chose de très sensible dans la constitution de l’identité d’Israël comme “État juif”, admet Eitan Bronstein. La réécriture de l’histoire a effacé la Nakba des imaginaires et des représentations. » Lui tient à retrouver, pour les faire connaître, « les signes manquants » d’une mémoire collective amputée.

21/07/2014

Maternité d’Elne, berceau d’humanité

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Une jeune institutrice helvétique âgée de vingt-six ans, Elisabeth Eidenbenz, déjà engagée dans l’aide humanitaire, l’Ayuda suiza, en Espagne pendant les combats, poursuit son action lors de la Retirada en direction des enfants et des mères réfugiés en France.

De 1939 à 1944, de nombreuses mères victimes de l’oppression guerrière en Europe ont été accueillies et protégées avec leurs nouveau-nés et leurs enfants dans cette maternité des Pyrénées-Orientales dirigée par une femme d’exception, Elisabeth Eidenbenz.

Les longues listes de noms et de dates communément immortalisés sur des monuments publics nous renvoient en pleine figure le sacrifice des morts innocents des guerres destructrices. Celle, en revanche, gravée à la Maternité suisse d’Elne, dans les Pyrénées-Orientales, compose un émouvant hymne à la vie. Les 597 prénoms et dates de naissance qui s’affichent au palier du premier étage attestent d’une extraordinaire aventure humanitaire conduite aux temps les plus sombres du XXe siècle européen.

À la fin de la guerre d’Espagne, en 1939, le franquisme chasse des centaines de milliers de combattants espagnols et leurs familles. Dès la frontière franchie, les autorités françaises les parquent pour la plupart dans des conditions insupportables, dans de véritables camps de concentration installés à la hâte sur les plages du Roussillon. Les cinq années qui suivent, le nazisme persécute, assassine et pousse à la clandestinité et à l’exil des centaines de milliers de civils sur le territoire européen. Les femmes et les enfants payent un long tribut aux guerres et à la misère.

elne3.jpgCe havre de vie que fut de 1939 à 1944 la Maternité suisse d’Elne a accueilli plus d’un millier de femmes. Des jeunes femmes enceintes, des mamans espagnoles, juives, tziganes, pourchassées par la misère et les tyrannies, des résistantes, des communistes… Autant d’enfants, un millier, nouveau-nés aux vingt-deux nationalités et adolescents de moins de quatorze ans. José, Maria-Carmen, Julio, Juan… Parmi les 597 prénoms inscrits sur le Mur de la maternité, beaucoup sont espagnols. D’autres, français. Certains ont permis de camoufler sous un faux prénom l’origine juive des mamans venues accoucher aux autorités allemandes ou pétainistes.

La maternité salvatrice a vu le jour dans une vaste demeure de style Art nouveau, le château d’En Bardou situé à trois kilomètres d’Elne sur la route de Montescot et Bages. Tombé en décrépitude, il est loué et remis en état grâce au financement du Secours suisse. À partir de novembre 1939, ce « berceau d’humanité au cœur de l’inhumain » s’ouvre aux internées espagnoles enceintes, pour y retrouver un peu de santé et de réconfort avant l’accouchement. Pendant quelques mois jusqu’à sa fermeture en septembre 1939, une maternité provisoire avait fonctionné à Brouilla près d’Elne.

Une jeune institutrice helvétique âgée de vingt-six ans, Elisabeth Eidenbenz, déjà engagée dans l’aide humanitaire, l’Ayuda suiza, en Espagne pendant les combats, poursuit son action lors de la Retirada en direction des enfants et des mères réfugiés en France.
C’est à elle que sont confiées l’installation, l’organisation, puis la direction de la maternité pendant les cinq années d’ouverture. Elle est secondée par des infirmières suisses et des femmes issues des camps.

elne1.jpgEn quelques jours de février 39, plus de 350 000 hommes, femmes, enfants, vieillards venus à pied d’Espagne sont entassés à même la plage dans des camps de toile hâtivement montés comme à Argelès et Saint-Cyprien. D’autres dans des baraquements, à Rivesaltes, à Gurs (Pyrénées-Atlantiques). Le manque de nourriture, le froid, la misère, les maladies comme la dysenterie, la pneumonie, le typhus provoquent des ravages parmi les plus fragiles, les nouveau-nés. On estime, suivant les sources, entre 15 000 et 50 000 morts dans les premiers mois de 1939. Le taux de mortalité des enfants entre six mois et quatre ans aurait avoisiné les 60 %.

Elisabeth Eidenbenz, qui organise des distributions alimentaires au camp de Saint-Cyprien, est en première ligne avec ses amis du Service civil international pour témoigner de la détresse humaine et sanitaire. Dans une lettre datée du 7 mars 1939 (1), elle alerte le Comité suisse d’aide aux enfants espagnols sur le drame qui s’opère sous ses yeux. « Il pleut des cordes toute la journée.
Par la fenêtre je regarde par la mer. Il y a seulement sept kilomètres d’ici au sable d’Argelès : 80 000 jeunes gens sans chaussures dignes de ce nom, sans chaussettes, sans chemise derrière le fil barbelé prolongent leur existence dans la plus grande incertitude de ce qui arrivera demain, écrit-elle. Cela me fait mal de sentir comment ces êtres humains sont désignés et considérés par des gens conscients, à des postes officiels, comme des criminels et des moitiés d’homme de moindre valeur… »

Munie d’un laisser-passer, Elisabeth est autorisée à pénétrer dans les camps d’Argelès, de Saint-Cyprien, de Bram (Aude). Elle prend en charge les femmes enceintes, futures mères ou déjà mamans accompagnées de jeunes enfants, recensées par l’administration et le médecin chef du camp. D’autres viennent en convois des camps de Gurs et de Rivesaltes. Les séjours durent en moyenne trois mois.

Menacée de fermeture en mai 1940, la Maternité va de nouveau connaître un regain d’activité avec des Allemandes antinazies internées à Gurs. Puis arrivent des réfugiées belges, hollandaises, de divers pays d’Europe chassées par l’avancée des soldats allemands. Les lois antijuives d’octobre 1940 emplissent de nouveau les camps français de concentration.

Parmi les 40 000 internés dans les camps de la zone non occupée, 70 % sont des juifs.
Les mamans venues accoucher à la Maternité sont alors contraintes par les autorités de retourner dans les camps quinze jours après les couches. La sous-alimentation, les maladies, la répression aggravent encore l’insupportable du quotidien.

Le 2 juillet 1942, le régime de Vichy autorise la police française à livrer aux nazis les juifs des deux zones.
Le camp de Rivesaltes devient l’antichambre du camp de Drancy vers Auschwitz. Elisabeth poursuit inlassablement tout à la fois sa mission humanitaire dans les camps et à la Maternité où des femmes de toute nationalité affluent. Elle utilise toutes les possibilités pour empêcher le retour des mères dans les camps.

La Maternité sert aussi de refuge pour des personnes en situation illégale. La directrice prend des risques. Elle fournit des extraits de naissance « fils de réfugiés espagnols » pour des enfants qui n’en sont pas. À partir de 1942, la Maternité passe sous la responsabilité de la Croix-Rouge suisse qui, par « neutralité », ordonne de ne pas se mêler des affaires intérieures d’un pays, donc, pour la France, de ne pas aider les juifs. Elisabeth ne cède pas, quitte à entrer en conflit avec la direction suisse de l’organisation humanitaire qui la sanctionnera à la Libération.

Alain Raynal, pour l'Humanité

(1) Les citations et les chiffres ont pour source les documents visuels et sonores présentés à la maternité d’Elne et dans l’ouvrage Femmes en exil, mères des camps.