Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/05/2014

DIEN BIEN PHU EST TOMBE ! LE TOMBEAU DE L'ELEPHANT !

huma_1954_05_08_dien_bien_phu.jpgL' année Diên Biên Phu, Vietnam

Vendredi, 7 Mai, 2004

Il y a aujourd'hui tout juste cinquante ans, le 7 mai 1954, l'armée coloniale française subissait sa première et la plus retentissante défaite dans une cuvette alors inconnue dans le nord du Tonkin.

Hurlements des batteries de canons, de lance-roquettes multitubes, d'explosions d'obus qui tombent en pluie ; un fracas des armes épouvantable. Soudain, tout s'arrête.

Dans le silence assourdissant qui vient de tomber monte une clameur, une vague immense qui submerge rapidement la vallée. Aux cris de " di, di, di " (en avant, en avant), les bodoï du général Giap s'extirpent des tranchées, gravissent les pitons, investissent le camp retranché.

Les bras en l'air, des milliers de soldats du corps expéditionnaire français, hagards, épuisés, sortent de leur trou.

Ce 7 mai 1954 à 17 h 30, Diên Biên Phu entre dans l'histoire. La débâcle du corps expéditionnaire français est consommée après cinquante-cinq jours et nuits de combats effroyables. Les forces armées du général Vo Nguyen Giap viennent de remporter une victoire décisive qui sonne le glas de la présence coloniale française en Indochine. Le 21 juillet 1954 seront signés les Accords de Genève.

Cinquante ans plus tard, le général Giap se souvient.Ils voulaient casser du VietLorsque le général Navarre, nouveau commandant en chef des forces françaises en Indochine, arrive à Saïgon le 19 mai 1953, sa mission est de trouver une issue honorable permettant de limiter les frais d'une " sale guerre " dans laquelle la France s'enlise depuis huit ans.

Le 20 novembre 1953, un premier contingent de 3 000 parachutistes sautent sur Diên Biên Phu, une vallée dont le nom " n'était connu que des géographes ", s'esclaffe Giap. L'objectif de l'opération " Castor " : couper la route du Haut-Laos aux viet-minh qui semblent vouloir s'y installer mais surtout les attirer dans ce coin perdu pour y livrer une bataille décisive pour, comme dit Giap, " casser du Viet ".

Début janvier quand le camp est devenu, selon Navarre, un camp retranché " imprenable ", des tracts sont largués sur les positions viet-minh mettant Giap au défi d'attaquer. Le piège fonctionne. L'état-major de l'armée vietnamienne, sur place depuis décembre, et sur les conseils de généraux chinois eux aussi présents à Diên Biên Phu, arrête un plan d'attaque rapide en deux jours et trois nuits.

Lorsqu'il arrive à son QG mi-janvier, Giap constate que le camp est devenu une sorte de " hérisson formidable " avec ses pitons fortifiés, ses tranchées, ses centaines de kilomètres de rouleaux de fer barbelés, ses tanks, ses canons. " Nous ne pouvions rien faire contre ça, mais tout le monde autour de moi était unanime pour une attaque éclair. "L'assaut est prévu pour le 25 janvier à 17 heures.

Apprenant que les Français ont été informés de la date de l'attaque, Giap reporte l'offensive au lendemain. En fait il cherche à gagner du temps.Hô Chi Minh lui a donné une consigne : " En qualité de commandant en chef, tu as au front les pleins pouvoirs. Mais ce sera une bataille d'envergure. Il faut absolument l'emporter. Pour cela, tu n'attaques que si tu es sûr de vaincre. Sinon, tu n'engages pas le combat. "Dans la journée du 25, sa décision prise, il en informe le général chinois, responsable de la délégation militaire dont les abris sont à proximité de son quartier général. " Il faut changer de stratégie sinon ce sera l'échec complet.

Je vais ordonner à mes soldats de se replier, de refaire les préparatifs. L'objectif d'anéantir le camp demeure, mais nous allons adopter un plan d'attaque au pas à pas, avec des pas sûrs. "Un changement décisif de stratégieDevant son état-major, Giap doit convaincre : " Comme vous l'avez vu, l'acheminement des vivres et des munitions, la mise en position de nos troupes ont été très difficiles. Ces préparatifs sont effectués pour une bataille où nous devons vaincre en quelques jours. Mais cette bataille peut durer des semaines, des mois, y compris pendant la saison des pluies, alors je vous pose une question, une seule : "Avec notre plan d'attaque éclair, êtes-vous sûrs à 100 % de la victoire ?" " " Si nous ne sommes pas sûrs à cent pour cent, nous devons nous replier. "" Je me souviens qu'après cette réunion, j'avais mal à la tête.

De toute ma vie c'est la décision la plus difficile que j'ai eue à prendre. Nos troupes étaient chauffées à blanc depuis des semaines, prêtes à l'assaut, elles n'attendaient plus que l'ordre de déferler sur le camp. "Ce changement de stratégie va semer le doute parmi les soldats. " Je me suis adressé personnellement aux artilleurs, l'ordre risquant d'être mal compris après les semaines d'efforts surhumains qu'ils avaient dû accomplir pour amener les canons et les hisser sur les hauteurs. "Des bruits courent chez les porteurs : " Qui nous donne cet ordre de nous mettre en position, puis de nous retirer, on ne sait pas ce que l'on doit faire. C'est un ordre contre-révolutionnaire ?

Est-ce bien le camarade commandant qui a ordonné de nous retirer ? Il faut vérifier.

"L'erreur française Sur le papier, explique Giap, les militaires français, " selon leur logique formelle, avaient raison ". " Nous étions si loin de nos bases, à 500 kilomètres, 600 kilomètres.

Ils étaient persuadés, forts de l'expérience des batailles précédentes, que nous ne pouvions pas ravitailler une armée sur un champ de bataille au-delà de 100 kilomètres et seulement pendant 20 jours. Or, nous avons ouvert des pistes, mobiliser 260 000 porteurs - nos pieds sont en fer, disaient-ils - des milliers utilisant des vélos fabriqués à Saint-Étienne que nous avions bricolés pour pouvoir porter des charges de 250 kg.

Pour l'état-major français, il était impossible que nous puissions hisser l'artillerie sur les hauteurs dominant la cuvette de Diên Biên Phu et tirer à vue. Or, nous avons démonté les canons pour les transporter pièce par pièce dans des caches creusées à flanc de montagne et à l'insu de l'ennemi.

Navarre avait relevé que nous n'avions jamais combattu en plein jour et en rase campagne. Il avait raison. Mais nous avons creusé 45 km de tranchées et 450 km de sapes de communications qui, jour après jour, ont grignoté les mamelons. "Si les pertes viet-minh furent importantes, une seule pièce d'artillerie sur vingt-quatre sera touchée, Giap ayant disséminé une centaine de bouches à feu factices pour détourner les tirs de riposte.

Neuf commandants en chef ont servi au Vietnam mais, souligne Giap, " la principale erreur est celle du gouvernement français responsable de cette sale guerre. Le peuple français nous soutenait, il avait raison ".

Cinquante-cinq jours de combats acharnés

Le 12 mars, Navarre déclare à la radio de Hanoi, " la marée offensive viet-minh est étale " et lance ses troupes dans l'opération " Atlante " contre la résistance au sud du Vietnam.

Le lendemain 13 mars 1954 à 17 heures, Giap à l'improviste attaque.

Les soldats du camp retranché sont pris sous un déluge d'obus pendant 24 heures au point que le colonel Piroth, chef artilleur, qui avait déclaré que jamais les canons de Giap pourraient être opérationnels, se suicidera quelques jours plus tard dans sa casemate.

Le plan logistique de l'état-major viet-minh est programmé pour une bataille de plus de trois mois, jusqu'au 20 juin. Pendant des semaines, les soldats vietnamiens, tels des taupes, vont progresser de boyaux en boyaux. Mais à partir du 20 avril, après cinq semaines de combats, les Français qui ont intensifié leurs bombardements aériens - ils ont été les premiers à utiliser le napalm au Vietnam - ont coupé les lignes de ravitaillement. " C'était un moment très dur ", concède Giap qui va devoir demander des renforts, faire appel aux populations locales et organiser une conférence politique pour remonter le moral de ses troupes en expliquant que désormais les conditions sont enfin réunies pour vaincre rapidement.

Mais il reste un dernier obstacle : les points d'appuis de la colline Éliane - les Français avaient donné des prénoms féminins aux collines fortifiées, Dominique, Isabelle, Gabrielle, Huguette -, " très bien tenus par des troupes d'élites " à proximité du QG du général de Castries, Commandant du camp.

En ce début mai, le camp retranché était, selon Giap, réduit à un espace étroit de 1 km sur 800 mètres de sorte que le parachutage devenait très difficile. " Je recevais dans mon QG des boîtes de conserves, des journaux envoyés à Castries. "Le dernier jourLe 6 mai à 18 heures, par vagues successives, les viet-minh attaquent Éliane 2. À 4 h 10 le 7 mai, ils font sauter une tonne d'explosif dans une sape creusée pendant des semaines sous la colline. Des décennies plus tard le cratère est toujours visible." Vers midi, on a vu se lever un peu partout des drapeaux blancs ", affirme le général Giap."

À 17 heures, le colonel commandant la division 212 m'appelle :- L'état-major français vient d'être fait prisonnier.- Est-ce que de Castries est parmi eux ?- Oui.- Mais est-ce bien de Castries ? Il faut vérifier. "" Trois minutes plus tard le colonel rappelle :- J'ai vérifié son identité, de Castries est devant moi avec son béret et sa canne. "Répartis par groupes, les 10 000 prisonniers vont parcourir 500 kilomètres en un mois, de nuit et sous la pluie.

Beaucoup mourront." Nous avons fait tout ce qui était possible ", se souvient Giap. " Les conditions de vie de nos soldats n'étaient pas non plus très bonnes. Il y avait la malaria, le béribéri, la dysenterie. Et pour les prisonniers, vaincus, c'était d'autant plus dur qu'ils n'avaient pas le moral.

"Le lendemain, Giap recevra un message d'Hô Chi Minh disant " la victoire est grande mais ce n'est qu'un commencement ". " Formidable, n'est ce pas ", s'exclame Giap.

Le tombeau de l'éléphant

Dans l'ensemble, les soldats français " connaissaient mieux le terrain que les soldats américains ", ajoutant, dans un éclat de rire, que les troupes françaises au Vietnam étaient " des vieilles connaissances ".

Cependant, les Français comme les Américains " ont toujours sous-estimé les capacités créatrices et l'énergie d'une armée populaire, de tout un peuple qui se lève pour son indépendance et sa liberté ".

Lors de notre entretien, Giap a tenu à prendre la défense du général Navarre et de De Castries dont, dit-il, " on a dit trop de mal "." C'était des officiers de valeur, Navarre avait fait une étude approfondie de la situation. De Castries ferme dans ses décisions, nous avait causé des pertes importantes dans la campagne de nettoyage qu'il avait lancée dans le delta du Tonkin. Mais ils étaient l'un comme l'autre au service d'une cause dont ils n'étaient pas responsables.

"Hô Chi Minh comparaît la lutte du Viet-minh contre l'occupant à un combat entre un tigre et un éléphant : " Si le tigre ne bouge pas, l'éléphant va le transpercer de ses puissantes défenses. Mais le tigre se déplace sans cesse, tapi le jour, il attaque la nuit, arrache par lambeaux le dos de l'éléphant, puis disparaît, attaque de nouveau jusqu'au jour ou l'éléphant meurt d'épuisement et d'hémorragie. "Diên Biên Phu fut le tombeau de l'éléphant.

Daniel Roussel

Daniel Roussel a été correspondant de l'Humanité au Vietnam de 1980 à 1986. Il vient de réaliser un film documentaire sous le titre la Bataille du tigre et de l'éléphant sur l'histoire de la bataille de Diên Biên Phu (durée 52 minutes). Le DVD de trois heures comprend aussi 1 h 30 d'entretien avec le général Giap et un film Oncle Hô, un document de 26 minutes sur Hô Chi Minh.

VOIR AUSSI HO CHI MINH

VOIR GIAP UN GENIE MILITAIRE

16:44 Publié dans Guerre, Résistance | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dien bien phu, indochine, viet nam, ho chi minh | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook |

07/04/2014

Voyage au bout de l'horreur. De l'envoyé spécial au Rwanda de l'Humanité !

rwanda1_0.jpg

30 avril 1994, de notre envoyé spécial au Rwanda.

L'HORREUR, c'est d'abord une odeur. L'odeur de corps suppliciés, en voie de décomposition. Angoissante quand on s'approche. Apre et donnant le vertige lorsqu'on se trouve au bord du trou. La preuve avec celui découvert dans le secteur de Kiziguro.

A quelques dizaines de mètres de la route, un énorme trou au milieu des arbres. Au fond, plusieurs centaines de cadavres. D'en haut, on distingue nettement les vêtements aux teintes vives ainsi que la coloration blafarde et cendrée des visages et des mains. Au-dessus de ce magma humain, une femme gît dans une pose grotesque et obscène.

Gamaliel Segnicondo, enseignant à l'école primaire, témoigne: «Les massacres ont commencé à partir du 8 avril (la mort du président rwandais remonte au 6 au soir). Depuis deux jours, les gens venaient se réfugier à la paroisse (l'église et les bâtiments environnants). Les «padre» étaient partis.» D'après lui, ils ont été près de huit cents à rejoindre ce «refuge». Ils ont été massacrés dans l'église. Silence. «On a sauvé en tout et pour tout treize personnes. Une est morte par la suite. Il ne reste que douze survivants.» La plupart des morts sont des Tutsis. La plupart car d'autres ont été tués aussi en raison de leur appartenance politique. Certains étaient des Hutus.

«Tous ont été tués à la machette, au bâton ou avec une barre de fer. Juste un coup sur le sommet du crâne, insiste Gamaliel. Pour certains, on avait pris soin, avant, de leur lier les mains. Pendant ce temps, j'étais caché car je savais que j'étais sur la liste. Puis, j'ai appris l'existence de ce trou. C'est là qu'ils jetaient les cadavres même si certains étaient encore vivants.» A l'approche des troupes du Front patriotique rwandais (FPR), les massacreurs s'enfuient. Alors Gamaliel décide d'agir pour sauver des vies: «J'ai été à la paroisse chercher des fils électriques. Avec un Blanc, un Suisse, on les a tressés pour faire un câble. Grâce à lui, nous en avons retiré huit qui étaient vivants. Ils sont parmi les douze dont je vous ai parlé.»

Gamaliel l'affirme: «Ce sont les milices MRND (le parti au pouvoir) et CDR (formation la plus extrémiste créée par les partisans de la dictature) qui ont perpétré ces massacres. Avant de fuir, ils ont ensuite détruit la paroisse et l'hôpital. Le FPR est arrivé ici le 14 au soir. Aujourd'hui, nous n'avons plus de médicaments. Nous mourons de la malaria.»

Ce charnier n'est qu'un parmi tant d'autres dans cette région. Mais il est le premier que je découvre. Hébété par le choc, je demande un peu stupidement à un des combattants du FPR si les craintes d'épidémie ne devraient pas conduire à boucher le trou le plus rapidement possible. Avec un sourire amer, l'officier me répond: «Nous y pensons. Mais nous voulions d'abord montrer ça à des journalistes. Il y a des choses qu'il faut connaître. Sinon, on ne nous croirait peut-être pas.»

Ce charnier existe, je l'ai vu, et puis après? Les premiers cadavres se trouvent à cinquante mètres au-dessous de moi. Je les regarde, mais ne peux les photographier. Un flash est inutile à cette distance. Il faudrait au moins un projecteur et un téléobjectif. Au Rwanda, il n'y a plus d'électricité depuis des semaines... Autant dire que la photo-preuve est matériellement impossible aujourd'hui. Ce charnier, il faudra bien un jour pourtant le combler avant que les conditions ne soient réunies pour produire «la» démonstration irréfutable devant la postérité.

Alors, cette atrocité sera-t-elle gommée de la mémoire? Après tout, il y a bien en Europe des gens qui nient les chambres à gaz et les crimes nazis contre l'humanité! Si l'on peut nier un génocide, pourquoi n'en réfuterait-on pas un autre? Y aura-t-il un jour des «révisionnistes» rwandais et un Faurisson africain?

Je découvrais le lendemain que cette fixation sur le puits de Kiziguro a quelque chose de dérisoire. A Rukara, non loin de là, les milices gouvernementales ont fait entrer 1.500 et 2.000 morts dans un trou similaire. Au bas mot, 700 à 800 cadavres (comment les compter?) pourrissent au soleil ou fermentent dans l'ombre intérieure des maisons.

Leur vision est repoussante, insoutenable. Quelques kilomètres plus loin, dans la paroisse de Mukarange, il y a ce bûcher improvisé où pendent bras et jambes, ainsi que des corps qui semblent s'obstiner à ne pas brûler. Un de mes interlocuteurs me dit: «Les morts, on n'a pas fini de les trouver. Dans les paroisses, c'est facile, on sait qu'ils sont là. Mais dans les forêts, combien sont-ils?»

Il a raison. De la voiture, je repère les cadavres gisant dans les fossés. De la bananeraie voisine, une puanteur horrible s'élève. Partout, l'odeur de la mort semble régner dans ce pays...

Jean Chatain pour l'Humanité

20:01 Publié dans Actualité, Guerre, International, Monde, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook |

06/04/2014

Dans la nuit noire, la lumière des Jours heureux

sécurité sociale, 2ème guerre mondiale, résistance , stéphane hessel, ambroise croizat, marcel paul, michel Étiévent, solidarité nationale, programme du cnr, les jours heureux, georges bidault,Le 15 mars 1944, les représentants de toutes les organisations de la Résistance signent un programme pour hâter la Libération et définir le visage de la démocratie à venir.

Un texte puissant et audacieux, qui reste d’une brûlante actualité. Depuis soixante-dix ans, le patronat rêve de s’en débarrasser.

«Outre sa formidable modernité, le plus bel enseignement que l’on peut tirer du programme du CNR, c’est l’extraordinaire message d’espoir qu’il laisse aux militants du futur. Une utopie devenue réalité. En effet, comment ces 16 jeunes, issus de tous les courants de résistance, réunis au péril de leur vie, pouvaient-ils imaginer que le programme d’invention sociale qu’ils allaient forger deviendrait réalité deux ans seulement plus tard dans une France qu’ils allaient libérer ? » Ces mots de Stéphane Hessel soulignent la portée révolutionnaire du programme du Conseil national de la Résistance, né il y a exactement soixante-dix ans, le 15 mars 1944.

Une plate-forme conçue comme une éclaircie de dignité qui marquera profondément de son empreinte l’identité sociale française. Le texte sera le fruit de neuf mois d’âpres négociations entre les différentes parties, débattues à Alger et au sein du CNR, dirigé par Georges Bidault à la suite de l’arrestation de Jean Moulin, le 21 juin 1943, puis par Louis Saillant (CGT), qui poussera la réflexion vers l’innovation sociale. C’est Pierre Villon, représentant le Front national (communiste), qui mettra un point final à sa rédaction après cinq moutures successives.

On imagine les oppositions violentes de la droite à un ensemble de mesures qui va conjuguer invention sociale et couleur révolutionnaire. C’est le rapport de forces qui fera pencher la balance vers un programme fortement ancré à gauche. Il convient de rappeler l’implantation profonde du Parti communiste dans les maquis, son poids au cœur de la Résistance et le rôle héroïque joué par la classe ouvrière. « La seule, dira François Mauriac, à être restée fidèle à la France profanée. » Ainsi que le soulignent Daniel 
Cordier et l’historien Laurent Douzou dans le film de Gilles Perret les Jours heureux : « La droite, très faible au sein du CNR, a été contrainte d’accepter le programme. Elle ne pouvait pas faire autrement… » Adopté à l’unanimité, le 15 mars 1944, et paru ensuite sous le titre « les Jours heureux », le programme développe « un plan d’action immédiate » qui croise appel à l’insurrection (fortement impulsée par Pierre Villon) et développement de la lutte pour hâter la Libération. Une seconde partie, plus politique, décline liberté, démocratie économique et sociale, et solidarité.

S’affine ainsi au fil des articles le visage d’une démocratie nouvelle où l’humain est la pierre angulaire de l’avenir, où tout développement économique de qualité à la mesure des besoins d’une nation ne peut qu’être lié à un statut social fort à la hauteur des besoins des hommes. « Tout au long de son parcours de vie, nous mettrons définitivement l’homme en “sécurité sociale”. Les mots esquissent les réformes à entreprendre, socle d’une république citoyenne où l’homme est à la fois acteur et gestionnaire de son pays, de son entreprise et de sa propre vie. »

Comment résister à la relecture d’un programme où s’affiche la volonté de placer le futur sous le signe de l’innovation sociale : « Instaurer une véritable démocratie sociale impliquant l’éviction des féodalités économiques et financières de la direction de l’économie… Droit d’accès aux fonctions de direction et d’administration pour les ouvriers et leur participation à la direction de l’économie… Association des travailleurs à la gestion des entreprises… Retour à la nation des grands moyens de production monopolisés, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des Cies d’assurances et des grandes banques… Droit au travail… Presse indépendante… »

L’audace au service d’un peuple qui entend prendre son avenir en main loin des trusts ou des féodalités bancaires. La France de 1793 revisitée. Le programme, dont la force fut de substituer l’intérêt général à l’intérêt particulier, va féconder l’ambition des réformes de la Libération, de 1945 à 1947 : reprise en main de la finance par la nationalisation du crédit, fonction publique, Sécurité sociale, comités d’entreprise, généralisation des retraites, statut des mineurs, des électriciens, médecine du travail, éducation populaire…

Un visage de dignité rendu possible par le rapport de forces de l’époque : 5 millions d’adhérents à la CGT, 28,6 % des voix au PCF, et des ministres ouvriers tels Ambroise Croizat ou Marcel Paul, une classe ouvrière grandie par sa résistance, un patronat sali par sa collaboration. Soixante-dix ans après, ce programme est toujours d’une fabuleuse modernité à l’heure de tous les reculs sociaux et d’une finance triomphante.

Un résistant du plateau des Glières nous confiait récemment : « La force de ce programme tient surtout au fait qu’il a été réalisé. Et cela dans une France pourtant ruinée. Bel exemple de courage politique adressé à ceux qui ne cessent de nous gaver de promesses non tenues. » Un candidat à la présidence de la République ne déclarait-il pas : « Mon ennemi c’est la finance ! »

Ambroise Croizat et la sécurité sociale « Nous, combattants de l’ombre, réclamons 
un plan complet de Sécurité sociale visant à donner des moyens d’existence à tous ceux qui ne peuvent se le procurer par le travail avec gestion des intéressés et de l’État. » Cet article lumineux du programme du CNR va guider toute l’œuvre d’Ambroise Croizat, futur ministre communiste du Travail, dans la conception et la mise en place de la Sécurité sociale.

L’ordonnance du 5 octobre 1945, qui l’institue, donnera lieu à un immense chantier sous la maîtrise d’œuvre de celui que l’on baptisa 
« le ministre des Travailleurs ». Elle aboutira en moins de sept mois à la création de 138 caisses de Sécurité sociale. Des travailleurs anonymes, essentiellement, les bâtiront sur leurs congés ou hors de leur temps de travail. « Une œuvre réalisée dans un enthousiasme indescriptible, dira Roger Petit, président de la caisse primaire de Savoie, tant ceux qui se mettaient à l’ouvrage avaient conscience de construire leur avenir 
et de garantir la dignité du droit à la santé 
et au repos pour tous. »

(*) Auteur d’Ambroise Croizat ou l’invention sociale. Commandes : Michel Etiévent, 520, avenue des Thermes, 73600 Salins-les-Thermes. 25 euros + 5 euros de port.

Michel Etiévent, historien