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08/05/2014

LE BLEUET DE FRANCE, SYMBOLE DU SOUVENIR ET DE LA SOLIDARITE

bleuet de france,solidarité,geurre 14-18L’origine du bleuet comme fleur symbole du Souvenir trouve son origine directement dans la guerre de 1914-1918.

Tout comme les coquelicots, les bleuets continuaient à pousser dans la terre ravagée des tranchées de la grande guerre. Pour les poilus, ces fleurs étaient le seul témoignage de la vie qui continuait, au milieu des bombardements et des gaz de combat, et elles étaient aussi la seule note de couleur dans la boue uniforme des tranchées.

Les Anglais ont choisi le coquelicot comme fleur du Souvenir, les poilus français ont choisi le bleuet comme symbole de leur guerre.

Spontanément, les soldats vétérans de la mobilisation, en uniforme bleu et rouge, ont nommé «bleuets» les jeunes recrues qui arrivaient au front courant 1915, vêtues du nouvel uniforme bleu horizon de l’armée française. Cette appellation perdura pendant toute la guerre, quand bien même dès 1915, toute l’armée française fut équipée du nouvel uniforme. En effet, la qualité de la teinture ne résistait pas aux conditions de vie et de combat des tranchées et l’uniforme avait tendance à prendre la couleur de la boue environnante. Tout homme de renfort avec son uniforme flambant neuf contrastait avec les tenues pitoyables des anciens. La popularité du bleuet fut telle pendant le conflit, qu’il servit à des fins de propagande : affiches, chants, poèmes.

 

Poème d’Alphonse Bourgoin, 1916

 

Bleuets de France

 

Les voici les p’tits « Bleuets »

Les Bleuets couleur des cieux

Ils vont jolis, gais et coquets,

Car ils n’ont pas froid aux yeux.

En avant partez joyeux ;

Partez, amis, au revoir !

Salut à vous, les petits « bleus »,

Petits « bleuets », vous notre espoir !

 

Comme le coquelicot britannique, c’est après guerre que le bleuet fut utilisé comme fleur du souvenir en faveur des mutilés de la guerre. Deux femmes sont à l’origine du bleuet de France : Mme Charlotte Maleterre (fille du général Niox) et Mme Suzanne Lenhardt (infirmière et veuve de guerre). Toutes deux travaillaient à l’Hôtel des Invalides de Paris et face à l’afflux des blessés de guerre dans toutes les structures hospitalières de Paris, elles prennent l’initiative de créer un atelier de confection de fleurs en tissu, fleurs qui seraient réalisées par les invalides eux-mêmes. La vente de cette production permettrait aux mutilés de disposer d’un revenu de substitution.

Louis Fontenaille, président des mutilés de France, a présenté le projet du bleuet comme fleur symbolique des « Morts pour la France », fabriquée par les victimes de guerre à la fédération interalliée des anciens combattants à Bruxelles. La fabrication est donc devenue aussitôt le symbole de la réinsertion par le travail.Les premiers bleuets sont vendus de façon « familiale » dans certains lieux de Paris.

Lorsqu’en 1928, le Président de la République, Gaston Doumergue, accorde son Haut Patronage au Bleuet, les ventes s’étendent progressivement à l’ensemble du pays.

En octobre 1934, l’association « Le Bleuet de France » est officiellement créée. Elle organise une collecte sur la voie publique, le 11 novembre 1934, jour de la commémoration de l’armistice. Le bleuet est définitivement consacré lorsqu’il entre dans la composition des gerbes de fleurs déposées sur la tombe du Soldat Inconnu.

bleuet de france,solidarité,geurre 14-18En 1935, la vente des bleuets s’étend à l’ensemble de la France à l’occasion du 11 novembre. En 1939, en raison des circonstances particulières liées à la seconde guerre mondiale, la vente des bleuets est associée avec celle des coquelicots (poppies) en bouquet jumelé, symbole de l’alliance entre la France et la Grande-Bretagne.

Depuis 1957, la petite fleur est proposée sous la forme d’un autocollant mis en vente dans toutes les communes de France les 8 mai et 11 novembre. En 1991, le Bleuet de France passe sous la responsabilité complète de l’ONAC (Office National des Anciens Combattants et Victimes de Guerres).

Source de l'article : AU FIL DES MOTS DE L'HISTOIRE

07/05/2014

DIEN BIEN PHU EST TOMBE ! LE TOMBEAU DE L'ELEPHANT !

huma_1954_05_08_dien_bien_phu.jpgL' année Diên Biên Phu, Vietnam

Vendredi, 7 Mai, 2004

Il y a aujourd'hui tout juste cinquante ans, le 7 mai 1954, l'armée coloniale française subissait sa première et la plus retentissante défaite dans une cuvette alors inconnue dans le nord du Tonkin.

Hurlements des batteries de canons, de lance-roquettes multitubes, d'explosions d'obus qui tombent en pluie ; un fracas des armes épouvantable. Soudain, tout s'arrête.

Dans le silence assourdissant qui vient de tomber monte une clameur, une vague immense qui submerge rapidement la vallée. Aux cris de " di, di, di " (en avant, en avant), les bodoï du général Giap s'extirpent des tranchées, gravissent les pitons, investissent le camp retranché.

Les bras en l'air, des milliers de soldats du corps expéditionnaire français, hagards, épuisés, sortent de leur trou.

Ce 7 mai 1954 à 17 h 30, Diên Biên Phu entre dans l'histoire. La débâcle du corps expéditionnaire français est consommée après cinquante-cinq jours et nuits de combats effroyables. Les forces armées du général Vo Nguyen Giap viennent de remporter une victoire décisive qui sonne le glas de la présence coloniale française en Indochine. Le 21 juillet 1954 seront signés les Accords de Genève.

Cinquante ans plus tard, le général Giap se souvient.Ils voulaient casser du VietLorsque le général Navarre, nouveau commandant en chef des forces françaises en Indochine, arrive à Saïgon le 19 mai 1953, sa mission est de trouver une issue honorable permettant de limiter les frais d'une " sale guerre " dans laquelle la France s'enlise depuis huit ans.

Le 20 novembre 1953, un premier contingent de 3 000 parachutistes sautent sur Diên Biên Phu, une vallée dont le nom " n'était connu que des géographes ", s'esclaffe Giap. L'objectif de l'opération " Castor " : couper la route du Haut-Laos aux viet-minh qui semblent vouloir s'y installer mais surtout les attirer dans ce coin perdu pour y livrer une bataille décisive pour, comme dit Giap, " casser du Viet ".

Début janvier quand le camp est devenu, selon Navarre, un camp retranché " imprenable ", des tracts sont largués sur les positions viet-minh mettant Giap au défi d'attaquer. Le piège fonctionne. L'état-major de l'armée vietnamienne, sur place depuis décembre, et sur les conseils de généraux chinois eux aussi présents à Diên Biên Phu, arrête un plan d'attaque rapide en deux jours et trois nuits.

Lorsqu'il arrive à son QG mi-janvier, Giap constate que le camp est devenu une sorte de " hérisson formidable " avec ses pitons fortifiés, ses tranchées, ses centaines de kilomètres de rouleaux de fer barbelés, ses tanks, ses canons. " Nous ne pouvions rien faire contre ça, mais tout le monde autour de moi était unanime pour une attaque éclair. "L'assaut est prévu pour le 25 janvier à 17 heures.

Apprenant que les Français ont été informés de la date de l'attaque, Giap reporte l'offensive au lendemain. En fait il cherche à gagner du temps.Hô Chi Minh lui a donné une consigne : " En qualité de commandant en chef, tu as au front les pleins pouvoirs. Mais ce sera une bataille d'envergure. Il faut absolument l'emporter. Pour cela, tu n'attaques que si tu es sûr de vaincre. Sinon, tu n'engages pas le combat. "Dans la journée du 25, sa décision prise, il en informe le général chinois, responsable de la délégation militaire dont les abris sont à proximité de son quartier général. " Il faut changer de stratégie sinon ce sera l'échec complet.

Je vais ordonner à mes soldats de se replier, de refaire les préparatifs. L'objectif d'anéantir le camp demeure, mais nous allons adopter un plan d'attaque au pas à pas, avec des pas sûrs. "Un changement décisif de stratégieDevant son état-major, Giap doit convaincre : " Comme vous l'avez vu, l'acheminement des vivres et des munitions, la mise en position de nos troupes ont été très difficiles. Ces préparatifs sont effectués pour une bataille où nous devons vaincre en quelques jours. Mais cette bataille peut durer des semaines, des mois, y compris pendant la saison des pluies, alors je vous pose une question, une seule : "Avec notre plan d'attaque éclair, êtes-vous sûrs à 100 % de la victoire ?" " " Si nous ne sommes pas sûrs à cent pour cent, nous devons nous replier. "" Je me souviens qu'après cette réunion, j'avais mal à la tête.

De toute ma vie c'est la décision la plus difficile que j'ai eue à prendre. Nos troupes étaient chauffées à blanc depuis des semaines, prêtes à l'assaut, elles n'attendaient plus que l'ordre de déferler sur le camp. "Ce changement de stratégie va semer le doute parmi les soldats. " Je me suis adressé personnellement aux artilleurs, l'ordre risquant d'être mal compris après les semaines d'efforts surhumains qu'ils avaient dû accomplir pour amener les canons et les hisser sur les hauteurs. "Des bruits courent chez les porteurs : " Qui nous donne cet ordre de nous mettre en position, puis de nous retirer, on ne sait pas ce que l'on doit faire. C'est un ordre contre-révolutionnaire ?

Est-ce bien le camarade commandant qui a ordonné de nous retirer ? Il faut vérifier.

"L'erreur française Sur le papier, explique Giap, les militaires français, " selon leur logique formelle, avaient raison ". " Nous étions si loin de nos bases, à 500 kilomètres, 600 kilomètres.

Ils étaient persuadés, forts de l'expérience des batailles précédentes, que nous ne pouvions pas ravitailler une armée sur un champ de bataille au-delà de 100 kilomètres et seulement pendant 20 jours. Or, nous avons ouvert des pistes, mobiliser 260 000 porteurs - nos pieds sont en fer, disaient-ils - des milliers utilisant des vélos fabriqués à Saint-Étienne que nous avions bricolés pour pouvoir porter des charges de 250 kg.

Pour l'état-major français, il était impossible que nous puissions hisser l'artillerie sur les hauteurs dominant la cuvette de Diên Biên Phu et tirer à vue. Or, nous avons démonté les canons pour les transporter pièce par pièce dans des caches creusées à flanc de montagne et à l'insu de l'ennemi.

Navarre avait relevé que nous n'avions jamais combattu en plein jour et en rase campagne. Il avait raison. Mais nous avons creusé 45 km de tranchées et 450 km de sapes de communications qui, jour après jour, ont grignoté les mamelons. "Si les pertes viet-minh furent importantes, une seule pièce d'artillerie sur vingt-quatre sera touchée, Giap ayant disséminé une centaine de bouches à feu factices pour détourner les tirs de riposte.

Neuf commandants en chef ont servi au Vietnam mais, souligne Giap, " la principale erreur est celle du gouvernement français responsable de cette sale guerre. Le peuple français nous soutenait, il avait raison ".

Cinquante-cinq jours de combats acharnés

Le 12 mars, Navarre déclare à la radio de Hanoi, " la marée offensive viet-minh est étale " et lance ses troupes dans l'opération " Atlante " contre la résistance au sud du Vietnam.

Le lendemain 13 mars 1954 à 17 heures, Giap à l'improviste attaque.

Les soldats du camp retranché sont pris sous un déluge d'obus pendant 24 heures au point que le colonel Piroth, chef artilleur, qui avait déclaré que jamais les canons de Giap pourraient être opérationnels, se suicidera quelques jours plus tard dans sa casemate.

Le plan logistique de l'état-major viet-minh est programmé pour une bataille de plus de trois mois, jusqu'au 20 juin. Pendant des semaines, les soldats vietnamiens, tels des taupes, vont progresser de boyaux en boyaux. Mais à partir du 20 avril, après cinq semaines de combats, les Français qui ont intensifié leurs bombardements aériens - ils ont été les premiers à utiliser le napalm au Vietnam - ont coupé les lignes de ravitaillement. " C'était un moment très dur ", concède Giap qui va devoir demander des renforts, faire appel aux populations locales et organiser une conférence politique pour remonter le moral de ses troupes en expliquant que désormais les conditions sont enfin réunies pour vaincre rapidement.

Mais il reste un dernier obstacle : les points d'appuis de la colline Éliane - les Français avaient donné des prénoms féminins aux collines fortifiées, Dominique, Isabelle, Gabrielle, Huguette -, " très bien tenus par des troupes d'élites " à proximité du QG du général de Castries, Commandant du camp.

En ce début mai, le camp retranché était, selon Giap, réduit à un espace étroit de 1 km sur 800 mètres de sorte que le parachutage devenait très difficile. " Je recevais dans mon QG des boîtes de conserves, des journaux envoyés à Castries. "Le dernier jourLe 6 mai à 18 heures, par vagues successives, les viet-minh attaquent Éliane 2. À 4 h 10 le 7 mai, ils font sauter une tonne d'explosif dans une sape creusée pendant des semaines sous la colline. Des décennies plus tard le cratère est toujours visible." Vers midi, on a vu se lever un peu partout des drapeaux blancs ", affirme le général Giap."

À 17 heures, le colonel commandant la division 212 m'appelle :- L'état-major français vient d'être fait prisonnier.- Est-ce que de Castries est parmi eux ?- Oui.- Mais est-ce bien de Castries ? Il faut vérifier. "" Trois minutes plus tard le colonel rappelle :- J'ai vérifié son identité, de Castries est devant moi avec son béret et sa canne. "Répartis par groupes, les 10 000 prisonniers vont parcourir 500 kilomètres en un mois, de nuit et sous la pluie.

Beaucoup mourront." Nous avons fait tout ce qui était possible ", se souvient Giap. " Les conditions de vie de nos soldats n'étaient pas non plus très bonnes. Il y avait la malaria, le béribéri, la dysenterie. Et pour les prisonniers, vaincus, c'était d'autant plus dur qu'ils n'avaient pas le moral.

"Le lendemain, Giap recevra un message d'Hô Chi Minh disant " la victoire est grande mais ce n'est qu'un commencement ". " Formidable, n'est ce pas ", s'exclame Giap.

Le tombeau de l'éléphant

Dans l'ensemble, les soldats français " connaissaient mieux le terrain que les soldats américains ", ajoutant, dans un éclat de rire, que les troupes françaises au Vietnam étaient " des vieilles connaissances ".

Cependant, les Français comme les Américains " ont toujours sous-estimé les capacités créatrices et l'énergie d'une armée populaire, de tout un peuple qui se lève pour son indépendance et sa liberté ".

Lors de notre entretien, Giap a tenu à prendre la défense du général Navarre et de De Castries dont, dit-il, " on a dit trop de mal "." C'était des officiers de valeur, Navarre avait fait une étude approfondie de la situation. De Castries ferme dans ses décisions, nous avait causé des pertes importantes dans la campagne de nettoyage qu'il avait lancée dans le delta du Tonkin. Mais ils étaient l'un comme l'autre au service d'une cause dont ils n'étaient pas responsables.

"Hô Chi Minh comparaît la lutte du Viet-minh contre l'occupant à un combat entre un tigre et un éléphant : " Si le tigre ne bouge pas, l'éléphant va le transpercer de ses puissantes défenses. Mais le tigre se déplace sans cesse, tapi le jour, il attaque la nuit, arrache par lambeaux le dos de l'éléphant, puis disparaît, attaque de nouveau jusqu'au jour ou l'éléphant meurt d'épuisement et d'hémorragie. "Diên Biên Phu fut le tombeau de l'éléphant.

Daniel Roussel

Daniel Roussel a été correspondant de l'Humanité au Vietnam de 1980 à 1986. Il vient de réaliser un film documentaire sous le titre la Bataille du tigre et de l'éléphant sur l'histoire de la bataille de Diên Biên Phu (durée 52 minutes). Le DVD de trois heures comprend aussi 1 h 30 d'entretien avec le général Giap et un film Oncle Hô, un document de 26 minutes sur Hô Chi Minh.

VOIR AUSSI HO CHI MINH

VOIR GIAP UN GENIE MILITAIRE

16:44 Publié dans Guerre, Résistance | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dien bien phu, indochine, viet nam, ho chi minh | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook |

07/04/2014

Voyage au bout de l'horreur. De l'envoyé spécial au Rwanda de l'Humanité !

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30 avril 1994, de notre envoyé spécial au Rwanda.

L'HORREUR, c'est d'abord une odeur. L'odeur de corps suppliciés, en voie de décomposition. Angoissante quand on s'approche. Apre et donnant le vertige lorsqu'on se trouve au bord du trou. La preuve avec celui découvert dans le secteur de Kiziguro.

A quelques dizaines de mètres de la route, un énorme trou au milieu des arbres. Au fond, plusieurs centaines de cadavres. D'en haut, on distingue nettement les vêtements aux teintes vives ainsi que la coloration blafarde et cendrée des visages et des mains. Au-dessus de ce magma humain, une femme gît dans une pose grotesque et obscène.

Gamaliel Segnicondo, enseignant à l'école primaire, témoigne: «Les massacres ont commencé à partir du 8 avril (la mort du président rwandais remonte au 6 au soir). Depuis deux jours, les gens venaient se réfugier à la paroisse (l'église et les bâtiments environnants). Les «padre» étaient partis.» D'après lui, ils ont été près de huit cents à rejoindre ce «refuge». Ils ont été massacrés dans l'église. Silence. «On a sauvé en tout et pour tout treize personnes. Une est morte par la suite. Il ne reste que douze survivants.» La plupart des morts sont des Tutsis. La plupart car d'autres ont été tués aussi en raison de leur appartenance politique. Certains étaient des Hutus.

«Tous ont été tués à la machette, au bâton ou avec une barre de fer. Juste un coup sur le sommet du crâne, insiste Gamaliel. Pour certains, on avait pris soin, avant, de leur lier les mains. Pendant ce temps, j'étais caché car je savais que j'étais sur la liste. Puis, j'ai appris l'existence de ce trou. C'est là qu'ils jetaient les cadavres même si certains étaient encore vivants.» A l'approche des troupes du Front patriotique rwandais (FPR), les massacreurs s'enfuient. Alors Gamaliel décide d'agir pour sauver des vies: «J'ai été à la paroisse chercher des fils électriques. Avec un Blanc, un Suisse, on les a tressés pour faire un câble. Grâce à lui, nous en avons retiré huit qui étaient vivants. Ils sont parmi les douze dont je vous ai parlé.»

Gamaliel l'affirme: «Ce sont les milices MRND (le parti au pouvoir) et CDR (formation la plus extrémiste créée par les partisans de la dictature) qui ont perpétré ces massacres. Avant de fuir, ils ont ensuite détruit la paroisse et l'hôpital. Le FPR est arrivé ici le 14 au soir. Aujourd'hui, nous n'avons plus de médicaments. Nous mourons de la malaria.»

Ce charnier n'est qu'un parmi tant d'autres dans cette région. Mais il est le premier que je découvre. Hébété par le choc, je demande un peu stupidement à un des combattants du FPR si les craintes d'épidémie ne devraient pas conduire à boucher le trou le plus rapidement possible. Avec un sourire amer, l'officier me répond: «Nous y pensons. Mais nous voulions d'abord montrer ça à des journalistes. Il y a des choses qu'il faut connaître. Sinon, on ne nous croirait peut-être pas.»

Ce charnier existe, je l'ai vu, et puis après? Les premiers cadavres se trouvent à cinquante mètres au-dessous de moi. Je les regarde, mais ne peux les photographier. Un flash est inutile à cette distance. Il faudrait au moins un projecteur et un téléobjectif. Au Rwanda, il n'y a plus d'électricité depuis des semaines... Autant dire que la photo-preuve est matériellement impossible aujourd'hui. Ce charnier, il faudra bien un jour pourtant le combler avant que les conditions ne soient réunies pour produire «la» démonstration irréfutable devant la postérité.

Alors, cette atrocité sera-t-elle gommée de la mémoire? Après tout, il y a bien en Europe des gens qui nient les chambres à gaz et les crimes nazis contre l'humanité! Si l'on peut nier un génocide, pourquoi n'en réfuterait-on pas un autre? Y aura-t-il un jour des «révisionnistes» rwandais et un Faurisson africain?

Je découvrais le lendemain que cette fixation sur le puits de Kiziguro a quelque chose de dérisoire. A Rukara, non loin de là, les milices gouvernementales ont fait entrer 1.500 et 2.000 morts dans un trou similaire. Au bas mot, 700 à 800 cadavres (comment les compter?) pourrissent au soleil ou fermentent dans l'ombre intérieure des maisons.

Leur vision est repoussante, insoutenable. Quelques kilomètres plus loin, dans la paroisse de Mukarange, il y a ce bûcher improvisé où pendent bras et jambes, ainsi que des corps qui semblent s'obstiner à ne pas brûler. Un de mes interlocuteurs me dit: «Les morts, on n'a pas fini de les trouver. Dans les paroisses, c'est facile, on sait qu'ils sont là. Mais dans les forêts, combien sont-ils?»

Il a raison. De la voiture, je repère les cadavres gisant dans les fossés. De la bananeraie voisine, une puanteur horrible s'élève. Partout, l'odeur de la mort semble régner dans ce pays...

Jean Chatain pour l'Humanité

20:01 Publié dans Actualité, Guerre, International, Monde, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook |