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19/12/2014

Depuis 1959, les États-Unis ont multiplié les actions contre Cuba

cubahuma.jpgDès les premières victoires de la révolution cubaine, les États-Unis et leur représentant dans l’île, l’ambassadeur Earl T. Smith, manœuvrèrent pour la faire échouer. Depuis, la CIA a multiplié
les attentats, les tentatives d’assassinats, les bombardements et les interventions militaires.

Il est difficile de rencontrer quelqu’un qui ne connaisse pas l’image de Che Guevara portant son béret et l’étoile, et qui semble regarder vers l’infini. Très peu de personnes savent que ce regard est celui de l’impuissance et de la douleur. La photographie fut prise le 5 mars 1960, un an et deux mois seulement après le triomphe de la révolution cubaine. Le Che assistait aux funérailles des victimes de l’explosion du navire de guerre français, La Coubre.

Le bateau était arrivé avec 76 tonnes d’armes belges pour défendre la révolution des attaques terroristes qui étaient organisées depuis le territoire états-unien. Le cargo avait été saboté en pleine baie de La Havane. Plus d’une centaine de personnes moururent et environ deux cents furent blessées. Tout indique que cet acte fut préparé par la CIA. Le gouvernement français n’a jamais voulu déclassifier l’information existant sur cet acte terroriste.

On était en pleine guerre froide. Les États-Unis virent dans la révolution cubaine un satellite de l’Union soviétique à 90 kilomètres seulement de leurs côtes. Peu leur importait de constater que Fidel Castro et ses « barbus » avaient triomphé sans aide extérieure. Washington repoussait toute idée de rapprochement politique car désormais, il lui fallait respecter la souveraineté de Cuba. C’est pour cela que le président Eisenhower demanda à la CIA de préparer une stratégie intégrale pour en finir avec la révolution. Le 17 mars 1960, il signa la proposition et nomma le vice-président, Richard Nixon, responsable de son déroulement. Les attaques armées et terroristes s’intensifièrent car il y en avait déjà en cours. Depuis lors, et jusqu’à aujourd’hui, l’agression contre Cuba n’a jamais cessé.

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La tentative d’invasion par la baie des Cochons, le 17 avril 1961, est très connue. Presque deux mille mercenaires entraînés, armés et conseillés par l’armée états-unienne et la CIA furent mis en déroute en 70 heures. Ce fut la première défaite militaire de l’histoire des États-Unis (viendra ensuite celle du Vietnam). Cette « humiliation », ainsi que la définira le président John F. Kennedy, transforma en obsession l’agression contre la révolution. Washington a fait payer au peuple cubain son droit à l’indépendance par des milliers de morts et des milliards de pertes économiques.

Ces actions passaient par la pose de bombes dans des magasins, des théâtres et des centres d’éducation. Elles passaient aussi par des bombardements à base de phosphore blanc sur les raffineries de sucre et les plantations de canne à sucre, pour empêcher l’exportation de ce produit et l’entrée de devises. Des virus furent introduits, qui propagèrent des maladies étranges, laissant invalides des enfants et aveugles des adultes. L’ONU réussit à prouver que des maladies comme la méningite, la conjonctivite et la dengue hémorragique avaient été introduites depuis l’extérieur.

Tout cela fut dénoncé par le gouvernement cubain, qui montrait le responsable et apportait des preuves. Washington a toujours nié, et presque tout le monde le croyait, à commencer par les gouvernements d’Europe occidentale. Les États-Unis se turent même lorsque, en septembre 1984, un agent de la CIA d’origine cubaine reconnut devant un tribunal états-unien qu’il avait introduit des substances biologiques pour propager des maladies parmi la population sur ordre de l’Agence.

Plusieurs fonctionnaires diplomatiques furent blessés ou assassinés dans différents pays. En Argentine, par exemple, deux fonctionnaires ont été torturés, assassinés et leurs corps coulés dans le béton. Ricardo Alarcon, qui fut président du Parlement de Cuba, a échappé à un attentat à la bombe aux États-Unis quand il était diplomate dans ce pays. Les missions diplomatiques ont aussi été l’objectif des terroristes dans plusieurs pays.

C’est l’ambassade au Canada qui en souffrit le plus. La délégation de Paris a failli être détruite, mais la bombe explosa dans les mains de l’homme de la CIA, dans un hôtel d’Avrainville. C’était le 3 août 1973. L’action terroriste la plus infâme contre Cuba est sans doute celle du 6 octobre 1976. Deux agents vénézuéliens de l’Agence posèrent une bombe dans un avion de Cubana de Aviacion. Les 73 passagers moururent sur les côtes de la Barbade.

Grâce à toute l’information présentée par Cuba aux Nations unies et recueillie auprès de plusieurs gouvernements, on sait que même le Département d’État était au courant que cet acte terroriste se préparait. Les auteurs intellectuels, Luis Posada Carriles et Orlando Bosch, officiers de l’Agence, firent quelques années de prison et revinrent ensuite aux États-Unis. Bien qu’ayant des dettes envers la justice de ce pays et étant recherchés internationalement, ils furent « pardonnés » sur décision présidentielle.

Avec l’effondrement du bloc socialiste, les États-Unis et l’Europe en profitèrent pour resserrer le blocus. Cuba dirigea son économie vers le tourisme et c’est vers ce secteur que se produisirent des attentats terroristes dès 1993. Le 4 septembre 1997, cela déboucha sur l’assassinat, par bombe, du jeune Italien Fabio di Celmo. Plusieurs Centraméricains furent arrêtés. Ceux-ci ont avoué que Luis Posada Carriles les avait recrutés. Quand le New York Times a interviewé Posada, celui-ci ne l’a pas nié, et a de plus déclaré que la Fondation nationale cubano-américaine avait donné l’argent. La Fondation avait été créée par le Conseil national de sécurité de Ronald Reagan…

En décembre 2011, Fidel Castro est entré dans le livre Guinness des records comme « la personne qu’on a le plus souvent tenté d’assassiner ». De 1959 à l’année 2000, il a subi 638 projets et tentatives d’assassinat, en grande partie menés par la CIA. Et… le 6 mai 2014, les autorités cubaines ont annoncé l’arrestation de quatre résidents aux États-Unis. Ils ont reconnu qu’ils cherchaient à attaquer des installations militaires dans l’objectif de provoquer des actions violentes. Ces personnes étaient sous les ordres de Cubano-Américains, hommes de la CIA… N’oublions pas que la CIA est sous 
commandement direct du président des États-Unis.

Journaliste et écrivain Hernando Calvo Ospina, l'Humanité
 
Repères
  • 2 décembre 1956. Le bateau Granma, transportant 82 guérilleros du Mouvement du 26 juillet, aborde Cuba.
  • 31 décembre 1958. Batista s’enfuit à Saint-Domingue.
  • 4 mars 1960. Le bateau français La Coubre est saboté dans le port de La Havane.
  • 17 avril 1961. Tentative d’invasion par la baie des Cochons.
  • 6 octobre 1976. Une bombe dans un avion de Cubana de Aviacion provoque la mort des 73 passagers à La Barbade.
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07/10/2014

L’apocalypse des «gueules cassées»

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La Grande Guerre, avec 20 millions de soldats blessés, a poussé la médecine à innover, de la prise en charge des patients à la chirurgie réparatrice et à la gestion du stress post-traumatique. Plongée dans les tranchées.
 
La Première Guerre mondiale, avec sa terrible «boucherie» dans les tranchées, ses gangréneux et ses amputés, ses nombreuses «gueules cassées» et ses grands brûlés, ses victimes des gaz chimiques, ses malades de la fièvre typhoïde ou de la grippe espagnole et ses névrosés victimes d’«obusite» aiguë, a posé des problèmes immenses aux services sanitaires des armées en présence, dès le début du conflit.

Confrontés à des traumatismes d’une ampleur inconnue jusque-là, les médecins militaires et civils ont vite été dépassés par le nombre inouï de blessés, victimes des obus, des balles ou des ravageurs shrapnels. «La Grande Guerre n’inaugure pas seulement le règne de la mort de masse, mais aussi celui de la blessure de masse», souligne l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau, dans «1914-1918, la violence de guerre» (1).

Pour le président du Centre international de recherche de l’Historial de la Grande Guerre, à Péronne dans la Somme, le pire s’est produit au cours des premiers mois du conflit, quand le Service de santé des armées a été à la fois débordé par la masse immense de blessés, et entravé dans son action par sa propre sous-estimation des effets des projectiles modernes. En particulier «l’effet de souffle des balles, qui détruisait les structures musculaires, osseuses, vasculaires et nerveuses très au-delà de l’orifice du projectile».

En fait, en 1914, c’est toute la doctrine militaire sanitaire qui est dépassée. Car elle privilégie encore le transport des grands blessés vers les hôpitaux de l’arrière, les soins sur le terrain se limitant souvent à la pose d’un dérisoire bandage ou d’un pansement. Une pratique qui n’a quasiment pas changé depuis les grandes batailles de l’Empire, un siècle plus tôt, lorsque «le champ d’honneur était le champ d’horreur où les victimes agonisaient sans évacuation possible».

Le problème, c’est qu’avec la lenteur des transports, non prioritaires et mal organisés, les blessés vivent le calvaire. «Dans ce schéma directeur, les traumatisés du thorax et du ventre, qui n’ont pas péri sur place, décèdent pendant leur transport dans des circonstances effroyables», commente le chirurgien Raymond Reding, de l’Académie royale de médecine, dans un ouvrage sur l’«Hôpital de l’Océan» (2). Cet hôpital de campagne de la Croix-Rouge, installé dans un hôtel à La Panne en Belgique, fut l’un des premiers à être ouvert à proximité des combats, à douze kilomètres des lignes du front de l’Yser, pour pouvoir accueillir très rapidement les blessés. Précurseur dans l’usage de nouvelles techniques médicales et doté d’une logistique remarquable, il pouvait accueillir plus de mille patients.

L’enfer des tranchées
Au cours de la première année du conflit, les militaires tentent d’améliorer la prise en charge des blessés au front. Mais la guerre de position, qui succède à la guerre de mouvement, ne facilite pas l’action des brancardiers. Ces «dispensés de service militaire en temps de paix», à savoir principalement des prêtres, des séminaristes et des instituteurs, qui sont souvent mal formés et mal équipés, ont toutes les peines à se déplacer dans les étroites tranchées et les boyaux embourbés. Le transport des blessés sous la mitraille est long et périlleux jusqu’aux postes de secours, et les premiers soins plutôt rudimentaires, dans des conditions très difficiles.

«A la lueur vacillante d’une bougie fuligineuse, je coupe des vêtements, le sang coule sur mes mains. Je découvre des plaies monstrueuses au fond desquelles nagent des plaques graisseuses de moelle osseuse et de poussière d’os, et ces malheureux blessés aux figures jaunes de cire, aux nez effilés, aux traits crispés sur lesquels perlent des gouttes de sueur, me font penser aux martyrs», témoigne le médecin-major de 2e classe Léon Baros dans ses «Souvenirs de mobilisation et de dépôt» (Humblot, 1924), où il raconte ses interventions dans le tunnel de Tavannes, qui servait de quartier général et d’hôpital lors de la bataille de Verdun en 1916.

L’hygiène est aussi catastrophique, les règles de salubrité étant difficiles à respecter avec des millions de mouches volant partout, des rats qui amènent les puces et la gale, des cadavres abandonnés dans les cratères lunaires des zones de front. Dès le début du conflit, de nombreuses maladies infectieuses sévissent, notamment la fièvre typhoïde, qui fait 12 000 morts du côté français, mais est endiguée vers la fin 1915 grâce à la vaccination. Le paludisme cause aussi beaucoup de morts dans le camp des Alliés lors de l’expédition des Dardanelles.

Pas encore d’antibiotiques
Pour soigner plus efficacement les cas graves de blessures au visage, au thorax et à l’abdomen, des hôpitaux de campagne performants sont peu à peu ouverts à proximité du front. Les médecins développent des moyens de désinfection, dont la «liqueur de Dakin», incolore et non irritante, que le Prix Nobel de médecine et de physiologie Alexis Carrel va employer pour irriguer en continu les plaies ouvertes, afin d’éviter les gangrènes et de limiter les amputations. Les antibiotiques n’existent pas encore, mais dès 1916, une cinquantaine de laboratoires de bactériologie sont créés.

Chirurgie réparatrice
Les médecins se mettent aussi à utiliser des équipements radiologiques aux rayons X, conçus par Marie Curie, pour localiser les projectiles chez les blessés et extraire les corps étrangers sans toucher aux organes vitaux. L’anesthésie se généralise dès 1915, grâce au chloroforme, à l’éther puis au protoxyde d’azote développé par les Américains, ce qui facilite la chirurgie. La transfusion sanguine reste peu pratiquée jusqu’en 1917.

Les plus grandes avancées thérapeutiques ont lieu dans le domaine de la chirurgie réparatrice. Elles découlent en particulier de la multiplication des blessés de la face, la tête étant la partie du corps la plus exposée dans les tranchées. Pour soigner ces «gueules cassées», estimées entre 10 000 et 15 000 rien qu’en France et à des dizaines de milliers dans toute l’Europe, les médecins mettent au point des techniques prometteuses, comme les greffes osseuses et cartilagineuses ou les prothèses faciales.

Dans son livre-témoignage «Hommes sans Visage» (3), la Genevoise Henriette Rémi, alias Henriette Ith, née à La Chaux-de-Fonds, raconte avec émotion toute la misère et le courage de ces victimes défigurées, qu’elle a soignées comme infirmière bénévole dans un hôpital allemand, à Verden an der Aller, en Basse-Saxe.

Parlant d’un chirurgien spécialiste du nez, elle écrit: «C’est un as, un homme extraordinairement habile, qui greffe, qui pétrit, qui moule, enfin qui redonne quelque chose comme un nez à ceux qui n’en avaient plus - pour autant que la chose est possible, suivant l’état des chairs. J’ai vu de vraies merveilles sortir de sa main. Il a «réhumanisé» des monstres.» I

1 «1914-1918, la violence de guerre», Stéphane Audoin-Rouzeau, Editions Gallimard/Ministère de la défense-DMPA, 2014.
2 «L’Hôpital de l’Océan - La Panne 1914-1919», Raymond Reding, Editions Jourdan, 2014.
3 «Hommes sans Visage», Henriette Rémi, Editions Slatkine, 2014.

* * *

La situation dramatique des «morts vivants»
Les troubles nerveux et neurologiques sont très nombreux durant la Grande Guerre. Comme le souligne le documentaire «Apocalypse - La 1re Guerre mondiale» et le livre(1) de Daniel Costelle et Isabelle Clarke qui l’accompagne, 20 000 lits sont attribués à ce type de maladies en France pendant le conflit, soit 1/7 des disponibilités médicales. En Grande-Bretagne, 65 000 anciens combattants ont reçu une pension pour «neurasthénie».

En raison du bruit infernal des combats et des secousses incessantes des déflagrations des obus, nombre de poilus ont développé une «obusite» (ou «shell shock»), qui peut présenter des symptômes variés: surdi-mutité anéantissant le rapport au monde, tremblements persistants interdisant toute activité, camptocormie qui fait inexorablement se pencher en avant, états confusionnels ou amnésiques. La peur panique, la vision des corps déchiquetés ou le souvenir de ces atrocités peut aussi entraîner toutes sortes de névroses.

Pour faire face à cette «Folie au Front» (2), des centres improvisés de neuropsychiatrie sont installés à proximité du front. Après quelques semaines d’hospitalisation, les soldats sont renvoyés au combat, ou bénéficient d’une période de convalescence à domicile. Mais au vu de la gravité des cas, les médecins tentent de nouveaux traitements: hydrothérapie pour calmer l’excitation et l’anxiété, sommeil imposé aux combattants qui sont totalement épuisés, rééducation par la gymnastique, hypnose, anesthésie au chloroforme pour favoriser le retour de la parole et de l’ouïe, isolement pour éviter la «contagion».

Certains médecins, suspectant des simulations de soldats qui chercheraient à se soustraire à leur devoir patriotique, vont jusqu’à pratiquer des chocs électriques agressifs, «le torpillage», pour tenter de les confondre. Plusieurs patients, considérés comme des déserteurs, seront même fusillés.

Après le conflit, la majorité de ces «morts vivants» seront délaissés, sans soins ni pension d’invalidité. La Grande Guerre permettra en revanche aux spécialistes de prendre conscience de l’importance d’une prise en charge rapide des malades. Plus tôt les patients sont traités, meilleure est leur chance de guérison. Ce principe est toujours appliqué aujourd’hui dans la gestion du stress post-traumatique, dans les conflits armés, mais aussi dans le civil, lors d’attentats, de graves accidents ou de catastrophes.

1 «Apocalypse - La 1re Guerre mondiale», Editions Flammarion, 2014.
2 «La Folie au Front», Laurent Tatu et Julien Bogousslavsky, Editions Imago, 2012.
 
 
 
source :  PASCAL FLEURY http://www.laliberte.ch/news/histoire-vivante/l-apocalypse-des-gueules-cassees-249465#.VAI5KDJ_sfV

11/08/2014

Palestine, les traces de la mémoire

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Tel-Aviv (Israël), envoyée spéciale.

Depuis Shuk Ha’Carmel, vieux marché de Tel-Aviv, le quartier yéménite dégringole en ruelles animées. Sur le seuil des maisonnettes fleuries de bougainvilliers, les vieux juifs orientaux y parlent un hébreu musical, adouci par leur accent arabe.

L’offensive militaire à Gaza, si proche, ne semble pas troubler la quiétude de ce quartier populaire. Au détour d’une allée, surgit la ville nouvelle, avec ses tours de verre tutoyant le ciel. À l’ombre des grues, la spéculation immobilière va bon train, chassant toujours plus loin les habitants les plus modestes.

Aux portes de la vieille cité arabe de Jaffa, l’orgueilleuse Tel-Aviv est-elle sortie des sables, bâtie en 1909 par des pionniers sur des terres désertées, comme le proclame le mythe ?

Sous la légende, il y a l’histoire, celle de la Nakba, lorsqu’en 1948, les Palestiniens furent chassés de leurs terres après la proclamation de l’État d’Israël.

À Tel-Aviv même, quelques traces témoignent encore de l’existence passée de trois villages palestiniens détruits par les « conquérants ». Il y a plus d’une décennie, Eitan Bronstein est parti à la quête de ces traces ténues, partout en Israël, pour réhabiliter la mémoire de ces villages arabes rayés de la carte par la colonisation.

Avec l’association Zochrot (« Elles se souviennent », en hébreu), il milite pour la reconnaissance, en Israël, de la Nakba. « Il fallait retrouver le fil d’une mémoire effacée, raconter l’histoire palestinienne qui est aussi la nôtre », explique-t-il.

Des archives brûlés dès 1948

Là, à la lisière du quartier yéménite, il désigne, au milieu d’un parc, le centre du village de Manshiya, aujourd’hui disparu. Quelques maisons palestiniennes s’élevaient encore là jusque dans les années 1970. Il n’en reste plus qu’une, guettée par les chantiers voisins.

Avec ses poutres apparentes, ses murs ocre et ses balcons ottomans, elle semble surgie d’un autre univers. À quelques pas, la mosquée Hassan Bek de Manshiya se dresse face à la mer. Détruite en 1948, elle a été réhabilitée par la communauté musulmane, qui a tenu à élever encore son minaret.

En 2000, lorsque des émeutes ont éclaté dans les villes arabes d’Israël en écho à la seconde Intifada, la mosquée a été attaquée avec des engins incendiaires. Elle est aujourd’hui ceinte d’un muret surmonté de hautes grilles. Au pied des marches menant à la salle de prière, une plaque d’égouts de la Société des eaux de Palestine témoigne de l’époque du mandat britannique. Plus loin, entre la plage et la route menant à Jaffa, les ruines encore apparentes d’une maison arabe servent de fondations à l’édifice aux vitres noires abritant le « musée des conquérants ». Un panneau, à l’entrée, arbore le symbole de l’Irgoun, milice sioniste née en 1931, dans la Palestine mandataire, d’une scission de la Haganah (l’ancêtre de l’armée israélienne).

En arrière-plan des initiales de cette organisation, une carte du « grand Israël » englobe les territoires palestiniens et même la Jordanie. « Lorsque ces miliciens ont conquis Jaffa en avril 1948, avant la proclamation de l’État d’Israël, leur premier geste fut de brûler les archives, il est donc très difficile de reconstituer l’histoire de ces ruines », explique Eitan Bronstein. Au nord de la ville, dans le quartier de Ramat Aviv, près de l’université, le militant de la mémoire vous guide encore sur les traces d’un autre village disparu, Sheikh Muwannis. Il déambule entre les immeubles flambant neufs, désignant des lieux invisibles, faisant revivre par la parole le bourg arabe jadis entouré d’orangeraies.

Là encore, une maison est restée debout. La bâtisse verte, rénovée dans les années 1990 par un architecte italien, tient aujourd’hui lieu de club universitaire ouvert aux conférences, fêtes et célébrations. C’était la demeure du mokhtar, le chef du village, Ibrahim Abu Kheel. Les polygones étoilés des carreaux au sol et les arcades ouvrant sur le patio ombragé attestent du passé arabe de cette maison au design contemporain. Étudiants et professeurs ont mené une lutte résolue pour faire apposer une plaque rappelant le passé palestinien de la Maison verte. Las, ils se sont heurtés, jusqu’ici, à l’intransigeance du président de l’université. De l’autre côté de la route, un terrain vague envahi de broussailles traîne sa désolation jusqu’au pied de l’immeuble blanc où est sis le siège du Shin Bet, les services israéliens.

Ici et là, d’imposantes pierres tombales émergent des buissons d’épineux. C’est le cimetière de Sheikh Muwannis. Les curieux, vite repérés par les caméras de vidéosurveillance, sont aussitôt rappelés à l’ordre par des hommes en uniforme. Même ceux dont les aïeux reposent ici n’ont pas le droit de venir s’incliner sur leurs tombes.

Rien ne signale ce lieu aux frontières floues, voué à l’oubli. À Manshiya, à Sheikh Muwannis et partout en Israël, les militants de Zochrot ont entrepris un patient travail d’exhumation, localisant les villages palestiniens détruits, plaidant pour la préservation et la signalisation de leurs vestiges, insistant sur la portée politique et symbolique qu’aurait la reconnaissance du droit au retour des réfugiés. « C’est une démarche provocatrice, nous touchons à un tabou, à quelque chose de très sensible dans la constitution de l’identité d’Israël comme “État juif”, admet Eitan Bronstein.

La réécriture de l’histoire a effacé la Nakba des imaginaires et des représentations. » Lui tient à retrouver, pour les faire connaître, « les signes manquants » d’une mémoire collective amputée.

Rosa Moussaoui pour l'Humanité : http://www.humanite.fr/palestine-les-traces-de-la-memoire...

Palestine, les traces de la mémoire

Rosa Moussaoui
Lundi, 11 Août, 2014
Des militants israéliens œuvrent pour la reconnaissance de la Nakba. Ils perpétuent le souvenir des villages palestiniens détruits en 1948.

Tel-Aviv (Israël), envoyée spéciale. Depuis Shuk Ha’Carmel, vieux marché de Tel-Aviv, le quartier yéménite dégringole en ruelles animées. Sur le seuil des maisonnettes fleuries de bougainvilliers, les vieux juifs orientaux y parlent un hébreu musical, adouci par leur accent arabe. L’offensive militaire à Gaza, si proche, ne semble pas troubler la quiétude de ce quartier populaire. Au détour d’une allée, surgit la ville nouvelle, avec ses tours de verre tutoyant le ciel. À l’ombre des grues, la spéculation immobilière va bon train, chassant toujours plus loin les habitants les plus modestes. Aux portes de la vieille cité arabe de Jaffa, l’orgueilleuse Tel-Aviv est-elle sortie des sables, bâtie en 1909 par des pionniers sur des terres désertées, comme le proclame le mythe ? Sous la légende, il y a l’histoire, celle de la Nakba, lorsqu’en 1948, les Palestiniens furent chassés de leurs terres après la proclamation de l’État d’Israël. À Tel-Aviv même, quelques traces témoignent encore de l’existence passée de trois villages palestiniens détruits par les « conquérants ». Il y a plus d’une décennie, Eitan Bronstein est parti à la quête de ces traces ténues, partout en Israël, pour réhabiliter la mémoire de ces villages arabes rayés de la carte par la colonisation. Avec l’association Zochrot (« Elles se souviennent », en hébreu), il milite pour la reconnaissance, en Israël, de la Nakba. « Il fallait retrouver le fil d’une mémoire effacée, raconter l’histoire palestinienne qui est aussi la nôtre », explique-t-il.

Des archives brûlés dès 1948

 Bruno Fert / PicturetankLà, à la lisière du quartier yéménite, il désigne, au milieu d’un parc, le centre du village de Manshiya, aujourd’hui disparu. Quelques maisons palestiniennes s’élevaient encore là jusque dans les années 1970. Il n’en reste plus qu’une, guettée par les chantiers voisins. Avec ses poutres apparentes, ses murs ocre et ses balcons ottomans, elle semble surgie d’un autre univers. À quelques pas, la mosquée Hassan Bek de Manshiya se dresse face à la mer. Détruite en 1948, elle a été réhabilitée par la communauté musulmane, qui a tenu à élever encore son minaret. En 2000, lorsque des émeutes ont éclaté dans les villes arabes d’Israël en écho à la seconde Intifada, la mosquée a été attaquée avec des engins incendiaires. Elle est aujourd’hui ceinte d’un muret surmonté de hautes grilles. Au pied des marches menant à la salle de prière, une plaque d’égouts de la Société des eaux de Palestine témoigne de l’époque du mandat britannique. Plus loin, entre la plage et la route menant à Jaffa, les ruines encore apparentes d’une maison arabe servent de fondations à l’édifice aux vitres noires abritant le « musée des conquérants ». Un panneau, à l’entrée, arbore le symbole de l’Irgoun, milice sioniste née en 1931, dans la Palestine mandataire, d’une scission de la Haganah (l’ancêtre de l’armée israélienne). En arrière-plan des initiales de cette organisation, une carte du « grand Israël » englobe les territoires palestiniens et même la Jordanie. « Lorsque ces miliciens ont conquis Jaffa en avril 1948, avant la proclamation de l’État d’Israël, leur premier geste fut de brûler les archives, il est donc très difficile de reconstituer l’histoire de ces ruines », explique Eitan Bronstein. Au nord de la ville, dans le quartier de Ramat Aviv, près de l’université, le militant de la mémoire vous guide encore sur les traces d’un autre village disparu, Sheikh Muwannis. Il déambule entre les immeubles flambant neufs, désignant des lieux invisibles, faisant revivre par la parole le bourg arabe jadis entouré d’orangeraies. Là encore, une maison est restée debout. La bâtisse verte, rénovée dans les années 1990 par un architecte italien, tient aujourd’hui lieu de club universitaire ouvert aux conférences, fêtes et célébrations. C’était la demeure du mokhtar, le chef du village, Ibrahim Abu Kheel. Les polygones étoilés des carreaux au sol et les arcades ouvrant sur le patio ombragé attestent du passé arabe de cette maison au design contemporain. Étudiants et professeurs ont mené une lutte résolue pour faire apposer une plaque rappelant le passé palestinien de la Maison verte. Las, ils se sont heurtés, jusqu’ici, à l’intransigeance du président de l’université. De l’autre côté de la route, un terrain vague envahi de broussailles traîne sa désolation jusqu’au pied de l’immeuble blanc où est sis le siège du Shin Bet, les services israéliens. Ici et là, d’imposantes pierres tombales émergent des buissons d’épineux. C’est le cimetière de Sheikh Muwannis. Les curieux, vite repérés par les caméras de vidéosurveillance, sont aussitôt rappelés à l’ordre par des hommes en uniforme. Même ceux dont les aïeux reposent ici n’ont pas le droit de venir s’incliner sur leurs tombes. Rien ne signale ce lieu aux frontières floues, voué à l’oubli. À Manshiya, à Sheikh Muwannis et partout en Israël, les militants de Zochrot ont entrepris un patient travail d’exhumation, localisant les villages palestiniens détruits, plaidant pour la préservation et la signalisation de leurs vestiges, insistant sur la portée politique et symbolique qu’aurait la reconnaissance du droit au retour des réfugiés. « C’est une démarche provocatrice, nous touchons à un tabou, à quelque chose de très sensible dans la constitution de l’identité d’Israël comme “État juif”, admet Eitan Bronstein. La réécriture de l’histoire a effacé la Nakba des imaginaires et des représentations. » Lui tient à retrouver, pour les faire connaître, « les signes manquants » d’une mémoire collective amputée.