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27/03/2018

Valentina Terechkova, la première femme dans l’espace

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Valentina Vladimirovna Terechkova (née en 1937), est la première femme de l’histoire à avoir effectué un voyage dans l’espace, et la seule femme à avoir effectué ce voyage en solitaire.

Valentina Terechkova nait le 6 mars 1937 à Maslennikovo, en Russie, d’un père agriculteur et d’une mère ouvrière dans une industrie textile. Elle commence l’école à 8 ans mais la quitte à 16 ans, continuant des études par correspondance et se faisant embaucher comme ouvrière dans une industrie textile. Dès sa jeunesse, elle s’intéresse au parachutisme et s’y entraine, faisant son premier saut à 22 ans, en 1959.

En 1961, après le vol réussi de Youri Gagarine, Sergueï Korolev, le responsable du programme spatial soviétique, décide d’envoyer une femme dans l’espace. Parmi 400 candidates, il sélectionne 5 femmes, dont Valentina, avec notamment les critères suivants : être parachutiste, avoir moins de 30 ans, faire moins d’1m70 et de 70 kilos. Issue d’un milieu prolétaire et fille d’un héros de la deuxième guerre mondiale (son père est mort à la guerre), Valentina est une candidate de choix ; elle est donc sélectionnée parmi les 5 candidates restantes par Nikita Khrouchtchev lui-même. Elle suit alors un entrainement intensif comprenant des vols sans gravité, des tests d’isolation, des sauts en parachute, des cours d’ingénierie et du pilotage.

La première femme dans l’espace

Le 16 juin 1963, Vostok 6 décolle sans accrocs et Valentina devient, à 26 ans, la première femme dans l’espace. En 70 heures et 41 minutes, elle effectue 48 orbites autour de la Terre. Malgré les nausées et l’inconfort qu’elle ressent pendant la majeure partie du voyage, elle tient un carnet de voyage et prend des photos de l’horizon qui seront ensuite utilisées pour identifier des couches d’aérosols dans l’atmosphère. Le 19 juin, au retour, Valentina s’éjecte comme prévu ; se retrouvant au-dessus d’un lac, elle parvient cependant à le survoler en parachute et à atterrir sur la terre ferme.

Tenue au secret, ce n’est que 30 ans plus tard qu’elle révèlera un dysfonctionnement de son vaisseau : pendant la phase de freinage, le vaisseau était orienté pour la montée et non la descente, ce qui l’éloignait progressivement de la Terre. Signalant l’erreur à l’équipe au sol, elle a put recevoir un correctif et régler le problème.

Après son vol, Valentina épouse le cosmonaute Andrian Nikolaïev et reprend ses études. Très sollicitée en politique, elle devient en 1971 membre du comité central du parti communiste de l’Union soviétique. En 1977, elle obtient un diplôme d’ingénierie. Malgré la chute de l’Union soviétique, elle n’a rien perdu de son prestige et est toujours considérée comme une héroïne en Russie.

A ce jour, elle reste la plus jeune femme à avoir volé dans l’espace, et la seule à avoir effectué un vol en solitaire.

Sources : Histoires par les femmes

17:28 Publié dans Biographie, Espace, Russie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : valentina terechkova, cosmonaute, russe | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook |

17/03/2018

Jeanne Labourbe : La 1ère communiste française

labourbe2.jpgJeanne Labourbe dès le début a soutenu la Révolution Russe et s'engage dans l'Armée Rouge. Elle est violée et exécutée à Odessa, début mars 1919, par des soldats français et russes blancs. Elle devint la première martyre du communisme français.

Jeanne Labourbe naquit à Lapalisse en 1877 dans une famille de journaliers marqués par les idées républicaines.

… En 1896, la jeune fille de 19 ans, repasseuse de son état, tombe sur une annonce réclamant les services d’une gouvernante en Pologne (alors rayée de la carte). Elle se rend sur place – dans l’empire russe –, exécute des travaux ménagers tout en apprenant le français aux enfants de ses employeurs.

Elle se lie avec la famille d’un déporté politique, s’initie à la question sociale et devient courrier au service de la révolution qui fermente. En 1905, elle se jette dans la mêlée libératrice amenée à échouer. Elle change de prénom. Voici désormais « l’institutrice Jeanne Labourbe », comme elle ne cessera plus d’être désignée.

Premier membre français du Parti bolchévique, Jeanne Labourbe intégra un groupe d'interprètes dont le but était de tenter de rallier à la cause des soviets le plus possible de soldats occidentaux engagés aux côtés des Russes blancs (pro-tsaristes) dans la guerre civile qui avait éclaté au lendemain de la Révolution d'octobre.

Après la révolution d’octobre 1917, la Russie connaît à la fois la guerre civile et l’intervention étrangère. Lénine signe la paix avec l’Allemagne. Mais les pays de l’Entente (France, Angleterre, Grèce, Japon, États-Unis…) veulent isoler l’Europe de la contagion des idées révolutionnaires. Ils vont même jusqu’à débarquer en Russie septentrionale : les Anglais attaquent dans la Baltique et en Mer Noire, les Turcs pénètrent dans le Caucase, les Américains et les Japonais occupent Vladivostok.
Clémenceau conçoit une gigantesque opération de soutien aux armées Blanches, les armées contre-révolutionnaires. Entre décembre 1918 et janvier 1919 Sébastopol, Odessa, Nikolaïev et Kherson sont occupées. Simultanément les forces Blanches attaquent en Crimée.
En 1919, bon nombre de soldats ne sont toujours pas démobilisés. Le « ras-le-bol » et le refus de jouer aux contre-révolutionnaires, de se transformer en « gardiens de la bourgeoisie » vont aboutir à des mutineries. Les premiers soulèvements ont lieu dans les troupes terrestres dès février.

André Marty raconte comment Jeanne Labourbe se retrouve à Odessa :

Elle était frémissante quand elle apprit que les soldats français avaient débarqué à Odessa. Elle ne pouvait supporter l’idée, disait-elle, que « les fils des communards de 71, les descendants des révolutionnaires de 93, viennent étouffer la grande révolution russe. » […] Elle obtint du Comité central du Parti d’être envoyée à Odessa. Elle y arriva en traversant le front.

Elle se jeta dans l’action avec sa foi, son enthousiasme. Elle remaniait la rédaction des tracts, des journaux, trouvant toujours qu’ils n’étaient pas assez vivants, qu’ils n’accrochaient pas assez le cœur des soldats … »

labourbe.jpgElle fait diffuser dans les cantonnements, par des enfants censés écouler journaux et cigarettes, des tracts, des brochures, ainsi que Le Communiste, une feuille qu’elle rédige sur place, cachée par une militante de 67 ans, Mme Leifmann. C’est là, rue Pouchkinskaïa, dans la nuit du 1er au 2 mars 1919, que tout se noue, selon le récit qu’en fera Radkov, un militant bolchevique serbe présent sur place mais qui pourra s’échapper – au point d’être un temps soupçonné par ses camarades de parti – et survivre à la vengeance contre-révolutionnaire. Radkov précise qu’en plus de Jeanne Labourbe et Mme Leifmann, étaient présents les trois filles de celle-ci et le tailleur Lazare Schwetz :

« Nous jouions aux cartes et aux dames, lorsque, tout à coup, on frappa à la porte et, sans attendre, on l’ouvrait toute grande d’un coup vigoureux. Dix hommes entrèrent en trombe et dirigèrent leurs revolvers sur nous, en criant : “Haut les mains !” Ces hommes étaient cinq officiers volontaires (deux généraux, deux colonels et un subalterne), quatre officiers français (trois officiers d’infanterie et un officier de marine) et un civil. »

L’appartement est mis à sac, ses occupants transférés à la Sûreté militaire, torturés puis traînés jusqu’au cimetière juif pour y être abattus à coups de revolver. Selon le récit canonique bolchevique alors mis en place et que reprendra consciencieusement André Marty, toute la population d’Odessa visite la morgue pendant les jours qui suivent. Les cadavres des assassinés présentent un spectacle horrible : tous, sans excepter la vieille Leifmann, ont le visage défiguré, le corps couvert de bleus et de plaies causées par les baïonnettes : « Jeanne Labourbe ne put être reconnue que par ses cheveux courts et ondulés et le vieux paletot qu’elle portait toujours. Il est certain qu’au moment où Radkov s’enfuit, les victimes essayèrent aussi de se défendre et de s’échapper ; blessées, elles furent certainement achevées avec rage. »

Le 5 avril 1919, les révolutionnaires reprennent la ville d’Odessa aux Blancs et des funérailles grandioses sont organisées en l’honneur de Jeanne Labourbe et de ses camarades assassinés. Dans La Pravda du 25 mars 1919, Niourine, le camarade russe du Groupe communiste français de Moscou, écrit : « Le prolétariat français immortalisera ce nom honoré de la première femme communiste française qui sut lutter pour la révolution. »

Sources : Compagnie Jolie Mome, Palicia.blogpost, Humanité hors série sur la Révolution d'Octobre

21/02/2018

Maurice Audin, témoignage. « Une saloperie de communiste, il faut le faire disparaître »

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Parcours "Maurice Audin" d'Ernest Pignon Ernest, d'Alger 2003

Maud Vergnol, l'Humanité

Le témoignage d’un ancien appelé, qui pense avoir « enterré » le corps de Maurice Audin, torturé par l’armée française en juin 1957, relance l’exigence de vérité et ravive les horreurs d’une guerre dont l’État français n’a toujours pas assumé sa responsabilité.

« Je crois que c’est moi qui ai enterré le corps de Maurice Audin. » Jacques Jubier (1) a la voix un peu tremblante. Il hésite, regarde autour de lui. Mais il veut témoigner. Comme près de deux millions d’appelés, il avait préféré oublier, se taire « pour protéger (sa) famille ». Et puis, le temps a fait son œuvre. Et la peur de « représailles » de la Grande Muette s’est dissipée. C’est l’entretien publié dans nos colonnes, le 28 janvier, avec le mathématicien Cédric Villani qui l’a convaincu. Si un député de la majorité est déterminé à faire reconnaître la responsabilité de l’État français dans l’assassinat, en juin 1957, du jeune mathématicien communiste Maurice Audin, c’est que les langues peuvent commencer à se délier… Et l’exigence d’une reconnaissance de ce crime d’État, bientôt aboutir.

Avec « l’affaire » Maurice Audin, c’est la pratique généralisée de la torture pendant la guerre d’Algérie qui refait surface. Une sauvagerie institutionnalisée, dont le refoulement a rongé comme une gangrène la société française. Mais les mécanismes de fabrication de l’oubli finissent toujours par céder. Ce nouveau témoignage en est la preuve.

Alors que la capitale est engourdie par la neige, Jacques Jubier, 82 ans, a fait le voyage depuis Lyon pour soulager sa conscience et « se rendre utile pour la famille Audin », assure-t-il. Son histoire est d’abord celle du destin de toute une génération de jeunes appelés dont la vie a basculé du jour au lendemain. En 1955, après le vote « des pouvoirs spéciaux », le contingent est envoyé massivement en Algérie. Jacques n’a que 21 ans. Fils d’un ouvrier communiste, résistant sous l’occupation nazie en Isère, il est tourneur-aléseur dans un atelier d’entretien avant d’être incorporé, le 15 décembre 1955.

Un mois plus tard, le jeune caporal prendra le bateau pour l’Algérie, afin d’assurer des « opérations de pacification », lui assure l’armée française. Sur l’autre rive de la Méditerranée, il découvre la guerre. Les patrouilles, les embuscades, les accrochages avec les « fels », la solitude, et surtout, la peur, permanente. Cette « guerre sans nom », il y participe en intégrant une section dans un camp perché sur les collines, sur les hauteurs de Fondouk, devenue aujourd’hui Khemis El Khechna, une petite ville située à 30 kilomètres à l’est d’Alger. Jacques Jubier nous tend son livret militaire, puis les photographies que l’armée française n’a pas censurées : d’abord, des paysages sublimes de montagnes et vallées, où on aperçoit le barrage du Hamiz, qui draine l’extrémité orientale de la grande plaine algéroise.

« Il y avait des volontaires pour la torture, qui ne se faisaient pas prier »

Quelques clichés de ce camp isolé ont échappé à la censure. Sur l’un d’entre eux, un Algérien tient à peine sur ses jambes aux côtés de cinq jeunes soldats, une pelle à la main, qui sourient. Jacques est l’un d’eux. En arrière-plan, on distingue une cabane en troncs et ciment. « C’est ici qu’ils torturaient les Algériens, explique-t-il. Moi, au début, je les appelais “les partisans”, et puis j’ai vite compris qu’il fallait que j’arrête. » Pendant des mois, la bière est le seul « divertissement » de jeunes soldats qui s’interrogent encore sur ces étranges opérations de « pacification ». « On a vite compris de quoi il s’agissait. Il y avait des volontaires pour la torture. Certains ne se faisaient pas prier. Moi, j’ai refusé. Mon capitaine n’a pas insisté », assure-t-il. Mais il a vu, aux premières loges, le conditionnement, puis l’engrenage de la violence, individuelle et collective.

« Un trou était creusé dans le sol du camp, où les prisonniers étaient détenus entre deux séances de torture, raconte-t-il. Ils ne repartaient jamais vivants. C’était le principe. Les soldats ne se rendaient pas compte de l’horreur de ces exactions. On était conditionnés, mais nous ne réagissions pas tous de la même manière. J’ai vu des choses horribles que je n’ai jamais oubliées : la gégène, mais bien pire encore. » Dans cette guerre de renseignements, les appelés ont très vite été encouragés à commettre des exécutions sommaires et des actes de torture, avec le sentiment d’obéir à des ordres et donc de servir leur pays. Dès le début, non seulement les gouvernements savaient, mais couvraient et légiféraient.

« Une scène m’a longtemps hanté, confie-t-il avec émotion. Un petit Kabyle de 14-15 ans n’avait pas été jeté dans la fosse avec les autres Algériens. Les soldats français pensaient que ce gamin allait les aider à faire parler les autres. Mais il était devenu trop encombrant. Un jour, on part en patrouille et le capitaine l’emmène avec nous. Il s’arrête au milieu de la route et lui dit qu’il peut partir. Le petit refuse d’abord, comme s’il sentait quelque chose… et puis, il s’est enfui en courant. Ils lui ont tiré dessus avec un fusil-mitrailleur. Il a pris des rafales, est tombé à terre. Il n’était pas mort. Je revois cette scène comme si c’était hier. Le capitaine a dit aux gars : achevez-le ! Et là, j’ai vu des sauvages, ils s’y sont mis à plusieurs. Et encore, c’étaient des gars du contingent, donc vous imaginez les paras… Ils lui ont éclaté la cervelle. C’était une scène d’horreur. Je me souviens de ses grands yeux clairs qui regardaient vers le ciel… Des sauvages… »

« Là-bas, les gars devenaient comme des animaux »

Déserter ? « C’était impossible ! Chaque soir, j’appréhendais ce qu’on allait me demander de faire le lendemain. Comme les Algériens ne sortaient jamais vivants du camp, il fallait, pour l’armée, se débarrasser des corps. On m’a donc demandé de les charger dans un GMC (véhicule de l’armée), bâché, et on devait les abandonner devant les fermes. Je ne sais pas ce que les habitants en faisaient, une fois qu’ils les trouvaient, ils devaient les enterrer sur place. Moi, je voulais du respect pour les morts. Certains osaient même fouiller les corps pour trouver trois pièces. Là-bas, les gars devenaient comme des animaux. »

Si Jacques ne songe pas à la désertion, il fait valoir une blessure au genou et finit par être muté à la compagnie de commandement pour l’entretien des véhicules dans la ville de Fondouk. C’est ici que, un après-midi du mois d’août, un adjudant de la compagnie lui demande de bâcher un camion : « Un lieutenant va venir et tu te mettras à son service. Et tu feras TOUT ce qu’il te dira. » Le lendemain matin, le temps est brumeux et le ciel bas quand un homme « au physique athlétique » s’avance vers lui, habillé d’un pantalon de civil mais arborant un blouson militaire et un béret vissé sur la tête. C’était un parachutiste. « On va accomplir une mission secret-défense, me dit le gars. Il me demande si je suis habile pour faire des marches arrière. Puis, si j’ai déjà vu des morts. Puis, si j’en ai touché, etc. » « Malheureusement oui », relate l’ancien appelé. « C’est bien », lui répond le para, qui le guide pour sortir de Fondouk et lui demande de s’arrêter devant une ferme. « Est-ce que tu as des gants ? Tu en auras besoin… »

Jacques s’arrête à sa demande devant l’immense portail d’une ferme assez cossue qui semble abandonnée. Il plisse les yeux pour en décrire le moindre détail qui permettrait aujourd’hui de l’identifier. « Descends et viens m’aider ! » lui lance le para, dont il apprendra l’identité bien plus tard : il s’agirait de Gérard Garcet (lire l’Humanité du 14 janvier 2014), choisi par le sinistre général Aussaresses pour recruter les parachutistes chargés des basses besognes. Le même qui fut, plus tard, désigné par ses supérieurs comme l’assassin de Maurice Audin…

« On les a passés à la lampe à souder pour qu’ils ne soient pas identifiés »

Le tortionnaire ouvre une cabane fermée à clé, dans laquelle deux cadavres enroulés dans des draps sont cachés sous la paille. « J’ai d’abord l’impression de loin que ce sont des Africains. Ils sont tout noirs, comme du charbon », se souvient Jacques, à qui Gérard Garcet raconte, fièrement, les détails sordides : « On les a passés à la lampe à souder. On a insisté sur les pieds et les mains pour éviter qu’on puisse les identifier. Ces gars qu’on tient au chaud depuis un bout de temps, il faut maintenant qu’on s’en débarrasse. C’est une grosse prise. Il ne faut jamais que leurs corps soient retrouvés. » « C’est des gens importants ? » lui demande le jeune appelé. « Oui, c’est le frère de Ben Bella et l’autre, une saloperie de communiste. Il faut les faire disparaître. »

Un sinistre dialogue que Jacques relate des sanglots dans la voix. C’est qu’il est aujourd’hui certain qu’il s’agissait bien de Maurice Audin. Quant à l’autre corps, il est impossible qu’il s’agisse d’un membre de la famille d’Ahmed Ben Bella, l’un des chefs historiques et initiateurs du Front de libération nationale (FLN). Sans doute un dirigeant du FLN, proche de Ben Bella… À moins que Garcet n’ait affabulé ? « Je ne crois vraiment pas. Vous savez, ces hommes-là, ils se croyaient dans leur bon droit. »

« Après les avoir enterrés, on a repris la route au nord du barrage du Hamid, poursuit-il. Je ne disais pas un mot. Après vingt minutes de trajet environ, on s’est arrêtés devant un portail. Il n’était pas cadenassé, celui-là. Ça m’a étonné. Au milieu de la ferme, il y avait une sorte de cabane sans toit avec des paravents, comme un enclos entouré de bâches. Il m’a demandé d’attendre. Quand il a ouvert la bâche : quatre civils algériens avaient les yeux bandés et les mains attachées dans le dos. Ils leur avaient fait creuser un énorme trou, qui faisait au moins 4 mètres de profondeur. Dans le fond, j’ai aperçu des seaux, des pioches et une échelle. Il m’a demandé de recouvrir les deux cadavres. Ce que j’ai fait. D’abord il m’a félicité. Puis, me dit de n’en parler à personne, que j’aurais de gros ennuis si je parle. Et ma famille aussi. Il me menace. On est rentrés à Fondouk et il me demande de le déposer devant les halles du marché. »

Inciter les derniers témoins à parler

Et puis, Jacques a oublié, pour continuer à vivre. Comme toute une génération marquée à vie, murée dans le silence et la honte, il n’a pas parlé. Ni de cette nuit-là, ni du reste. Dans la Question, Henri Alleg relate un dialogue avec ses bourreaux à qui il dit, épuisé par la torture : « On saura comment je suis mort. » Le tortionnaire lui réplique : « Non, personne n’en saura rien. » « Si, répondit Henri Alleg, tout se sait toujours… »

La recherche de la vérité, entamée à Alger par Josette Audin et relayée en France, n’est toujours pas terminée, plus de soixante ans après les faits. Le récit de Jacques permettra-t-il de recoller certains morceaux du puzzle ? Et d’inciter les derniers témoins à parler ? Si son témoignage, qui a été transmis à la famille Audin, ne fait pas de doute sur sa sincérité et que le faisceau de coïncidences est troublant, il n’existe qu’une chance infime pour qu’il s’agisse bien de Maurice Audin. « Comme dans toutes les disparitions, l’absence du corps de la victime empêche d’y mettre un point final et rend impossible la cicatrisation des plaies de ceux que la disparition a fait souffrir », explique Sylvie Thénault.

Pour l’historienne (2), qui a travaillé avec la famille Audin, ce témoignage, comme les révélations qui ont émergé dans les années 2011-2014, ont des fragilités inhérentes à leur caractère tardif. « Mais il est possible d’imaginer qu’un jour un document émerge, contenant un élément nouveau qui, telle une pièce manquante à un puzzle, viendrait conforter l’une ou l’autre des hypothèses envisageables, voire en prouver une au détriment des autres. » Peut-être que, comme l’affirmait Benjamin Stora dans la Gangrène et l’oubli, l’écriture de l’histoire de la guerre d’Algérie ne fait que re-commencer.

(1) Le témoin a souhaité garder l’anonymat mais « se tient à la disposition de la famille Audin ».
(2) « La disparition de Maurice Audin. Les historiens à l’épreuve d’une enquête impossible (1957-2004) », Histoire@Politique. Sylvie Thénault. Lire aussi de la même auteure, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne, Flammarion. 2005
 
MAURICE AUDIN

audin maurice,biographie,témoignage,assassinatMaurice Audin, né le à Béja (Tunisie) et mort à Alger en 1957, est un mathématicien français, assistant à l’université d’Alger, membre du Parti communiste algérien et militant de l'indépendance algérienne.

Après son arrestation le 11 juin 1957 au cours de la bataille d'Alger, il meurt à une date inconnue.

Pour ses proches ainsi que pour nombre de journalistes et d'historiens, notamment Pierre Vidal-Naquet, il est mort pendant son interrogatoire par des parachutistes. Cette thèse a longtemps été rejetée par l'armée et l'État français, qui affirmait qu'il s'était évadé, jusqu'à ce que le général Aussaresses affirme avoir donné l'ordre de le tuer. En juin 2014, le président Hollande a pour la première fois reconnu officiellement que Maurice Audin était mort en détention, sans toutefois rendre publics les documents le confirmant.

Sources Wikipédia