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28/03/2017

MIGUEL HERNANDEZ, LE POETE OUBLIE

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Miguel Hernández Gilabert (30 octobre 1910 à Orihuela, province d'Alicante – 28 mars 1942 à Alicante) est l'un des plus grands poètes et dramaturges espagnols du XXe siècle.

Poète espagnol appartenant à la génération dite de 1936, Miguel Hernández, chevrier de son état jusqu'à l'âge d'homme, fut d'abord un autodidacte passionné de littérature et surtout de poésie. Ébloui par les formes les plus hermétiques de la poésie espagnole, et notamment par l'œuvre de Góngora, il se forgea un langage personnel à travers imitations et fréquentations, et parvint à la création métaphorique véritable, pure transposition d'une vie quotidienne violemment charnelle, où s'affrontent douleur et joie, amour et solitude, espoir et désespoir.

Il combattit, les armes à la main, dans les rangs de l'armée républicaine, et sa poésie est étroitement liée à cet engagement qui le conduisit à l'emprisonnement, puis à la mort. Essentiellement attaché à la terre dont il pétrit littéralement chacune de ses images, Miguel Hernández est un poète venu du peuple qui écrit pour le seul peuple, mais avec la rigueur du grand artiste pour qui le langage est l'objet d'une quête perpétuelle.

Si je naquis de la terre,
Si je suis né d'un ventre humain
malheureux et pauvre,
ce ne fut que pour devenir
le rossignol des malheurs...
I - Du chevrier au poète+ SUR INTERNET


M.Hernandez.jpgMiguel Hernández naît le 10 octobre 1910 à Orihuela (province d'Alicante), d'une famille de pauvres chevriers. Il fréquente le collège entre neuf et treize ans et demi, puis devient berger à son tour, sans cesser pour autant de se nourrir de poésie espagnole (saint Jean de la Croix, Garcilaso, Góngora, Antonio Machado...) ou française (Verlaine, Paul Valéry...). Miguel commence à écrire des poèmes vers l'âge de seize ans.

Il imite ses grands prédécesseurs (1928-1933) et participe à des cercles poétiques, notamment avec les frères Sijé, jeunes catholiques épris de littérature moderne et soucieux de lutter contre le conformisme et l'étouffement de la vie provinciale. Miguel découvre l'œuvre de Rafael Alberti et celle de Federico García Lorca. Il chante essentiellement les paysages de son terroir dans un langage fortement teinté de gongorisme.

Poussé par le désir de devenir poète à part entière, Miguel Hernández gagne Madrid (1931). Il y a froid et faim et rentre déçu à Orihuela. Il compose alors son premier recueil, qui paraît à Murcie en 1933 : Expert en lunes (Perito en lunas). La critique se montre sévère pour ce livre écrit en hendécasyllabes, où transparaît, à travers le néo-gongorisme des métaphores savantes et subtiles, l'originalité d'un lyrique en quête d'une écriture plus brève, plus synthétique, qui ne sacrifierait en rien l'épaisseur du vécu quotidien.

En 1934, Miguel publie dans Cruz y Ruya une pièce de théâtre : Qui t'a vu et qui te voit et ombre de ce que tu es (Quien te ha visto y quien te ve y sombra de lo que eres). Cet auto-sacramental, empreint de la marque de Calderón, évoque la perte de la grâce par l'homme puis la rédemption par l'Eucharistie. Le poète a su donner relief aux paysages et prêter chair aux allégories. L'écriture dramatique entraîne un approfondissement de la quête intérieure du Moi. Après cette œuvre, Miguel Hernández s'éloigne de la foi et abandonne le contenu théologique de ses symboles, cela malgré sa participation à la revue de Ramón Sijé, El Gallo crisis (1934-1935).II - Madrid. « Éclair qui n'a de cesse »+ SUR INTERNET


C'est en 1933 que Miguel rencontre le grand amour de sa vie, Josefina Manresa, couturière, fille d'un garde civil. En mars 1934 il retourne à Madrid où il travaille à l'encyclopédie taurine de José María de Cossío. Il devient l'ami de Pablo Neruda et de García Lorca, et de plusieurs autres écrivains célèbres. Le séjour madrilène, décisif sur le plan poétique, est marqué de déchirements et de remises en question. À la suite de difficultés financières, Miguel rentre à Orihuela. En février 1936 paraît Éclair qui n'a de cesse (El Rayo que no cesa). Ce recueil, qui est le fruit d'une longue gestation, chante un amour sensuel et douloureux, à travers des images somptueuses, qui, partant de l'éclair initial, abordent tous les aspects de la matière. L'élégance, le raffinement des sonnets n'entravent point la sourde et violente tension lyrique :

Comme le taureau je suis né pour le deuil
et la douleur, comme le taureau je suis marqué
par un feu infernal au côté,
et comme mâle à l'aine par un fruit.
(XXXIII)
Le poète se définit comme terre,

Je m'appelle Miguel mais je m'appelle argile.
Argile est ma profession et ma destinée
qui de sa langue tache tout ce qu'elle lèche...
(XV)
ultime image de l'amour auquel il se voue totalement.III - La guerre+ SUR INTERNET


Dès 1936 Miguel Hernández s'engage comme volontaire dans l'armée républicaine. Il épouse civilement Josefina Manresa, et voyage en U.R.S.S. (1937). Un livre naît de la guerre : Vent du peuple (Viento del pueblo, 1937), qui exprime les rêves et les espoirs du poète soldat, au nom d'un peuple qui a refusé l'asservissement,

Jamais les bœufs n'ont fait souche
dans les plaines d'Espagne...
mais qui est décimé par la lutte fratricide,

Sang, sang sur les arbres et les pavés,
sang sur les eaux, sang sur les murs
et crainte que l'Espagne s'écroule
sous le poids du sang qui suinte en ses trames
jusqu'à mouiller le pain qui se mange.
Miguel écrit plusieurs œuvres pour le théâtre, entre autres Le Laboureur de plus grand air (El Labrador de más aire, 1937). Son premier fils meurt en 1937. Dans L'Homme aux aguets (El Hombre acecha, 1939), qu'il dédie à Neruda, il s'identifie à tous les amputés, à toutes les victimes, puis il interpelle les poètes, proclamant son indéfectible espoir en une fonction militante de la poésie.

Un homme attend au fond d'un puits irrémédiable,
tendu, troublé, l'oreille au guet.
Un peuple a crié liberté ! le ciel s'envole.
Et les prisons s'envolent.
IV - L'emprisonnement : 1939+ SUR INTERNET


En route vers le Portugal, Miguel Hernández est arrêté par la police de ce pays et remis entre les mains de la garde civile espagnole. Libéré à la suite de plusieurs interventions, il se rend à Orihuela, mais il est de nouveau arrêté, puis transféré à Madrid. Condamné à mort à l'issue d'un procès sommaire (1940), il voit sa peine commuée en trente années d'emprisonnement. Entre 1938 et 1940 il écrit Cancionero et romancero d'absences (Cancionero y romancero de ausencias, 1958), où il dit la douleur de la solitude, dans de brefs poèmes en vers courts, avec fort peu d'images et d'adjectifs, suivant des rythmes populaires qui créent une grande tension dramatique.

Que veut-il donc encor le vent
chaque fois, oui, plus irrité ? Nous séparer.


Miguel Hernández est transféré de Palencia à Ocaña puis à Alicante. Les conditions déplorables de l'internement ont raison de sa santé. Le poète meurt de tuberculose pulmonaire le 28 mars 1942. Parmi les poèmes écrits en prison se trouvent la fameuse Berceuse de l'oignon (Nanas de la cebolla, 1939) écrite pour son deuxième fils, né en 1939,

L'oignon est un givre
dur et pauvre.
Givre de tes jours
et de mes nuits.
Faim et oignon
froid noir et givre
immense et rond...
et la Casida de l'assoiffé (Casida del sediento, mai 1941) :

Je suis le sable du
désert : désert de soif.
Ta bouche est l'oasis
où je ne dois pas boire.
[...]
Corps : ô puits interdit
à celui que la soif et le soleil ont calciné.
Poète singulier de par sa formation face à une génération nourrie dès l'enfance de la plus haute culture, Miguel Hernández traduit dans un langage universel les événements d'un destin personnel ; il communique aux métaphores les plus audacieuses la saveur immédiate des choses quotidiennes. Explorant les mêmes mots, pain, vent, terre, prison, il redécouvre et réinvente d'autres sens, selon une démarche ascétique qui le conduit à la nudité et à la transparence :

Seulement l'ombre. Sans astre. Sans ciel.
Êtres. Volumes. Corps qu'on peut toucher
à l'intérieur de l'air qui ne peut s'envoler
dans l'intérieur de l'arbre aux choses impossibles.


Marie-Claire ZIMMERMANN, Universalis

02/01/2017

Récit. Comment on devient Élisée Reclus

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Alain Nicolas, L'Humanité

Paysage de cascade accompagnant le récit d’élisée Reclus Histoire d’une montagne, publié dans La Science Illustrée, en mars 1876. PHOTO Gusman/Leemage
©Gusman/Leemage

Fils de pasteur et promis à la carrière de son père, il devint géographe, militant anarchiste et communard. Thomas Giraud trace le parcours sensible de ses années de formation.

Élisée, avant les ruisseaux et les montagnes, de Thomas Giraud. La Contre Allée, 130 pages, 14 euros.

Parti pour être pasteur, il revient géographe. Élisée (1830-1905)n’aura pas le destin que rêvait pour son fils Jacques Reclus, l’intransigeant pasteur calviniste de Sainte-Foy-la-Grande. Des quatorze enfants de Jacques et Zéline, plusieurs seront savants, marins, médecins, mais Élisée est le seul dont le nom ait quelque écho de nos jours. De notre mémoire reviennent quelques images fugaces, une tête barbue et chevelue d’un autre siècle, qui pourrait bien appartenir à la troupe des savants farfelus qui jouent les seconds rôles dans Tintin. On pense aussi géographie, anarchie, commune, prison. C’est peu.

Doux et inflexible

L’entreprise de Thomas Giraud est donc bienvenue, qui nous donne pour compagnon, le temps d’une lecture, cet homme qu’on imagine doux et inflexible. Confiance en l’avenir au plus noir de la défaite, refus du compromis, souci d’accorder au plus juste vie personnelle et histoire, Élisée Reclus semble répondre à un appel de notre présent. Élisée n’est pourtant pas une biographie au sens classique du terme. Les informations sur un personnage historique tel que Reclus ne sont pas difficiles à réunir avec les moyens contemporains. Un essai sur l’anarchisme aujourd’hui serait certainement utile. Moins attendue, plus profonde, est l’évocation sensible que nous propose Thomas Giraud.

Il y a un malentendu sur Élisée Reclus : « Selon les points de vue, on dira que c’est un grand savant, un humaniste à la Diderot, touche-à-tout curieux, ou bien on le décrit comme un original, confus et dilettante, dispersé, toujours impécunieux. » L’ampleur même, la variété des domaines auxquels il s’attache, le dessert. Thomas Giraud ne vise pas à le réhabiliter – il n’en a nul besoin –, mais à saisir à leur source sa curiosité et ses enthousiasmes.

émergence d’une conscience

Il le montre ainsi parcourant, très jeune, la France à pied, ralliant Nieuwied, en Allemagne, puis Orthez, attentif aux pierres, aux montagnes, aux ruisseaux. Et aux hommes, à leurs travaux et à leurs conditions de vie. Il l’imagine, enfant, ramassant des cailloux, en emplissant ses poches, jouant avec l’encre en rêvant de ses futures cartes. Ou peut-être de son projet de globe terrestre de 127 mètres de diamètre, posé sur la colline de Chaillot pour l’instruction des masses. Élisée écoute les sermons de son père, inquiétant ses ouailles, tentant de secouer leur résignation, leur passivité, de les éclairer d’une pensée sinueuse, tortueuse jusqu’à la contradiction.

Élisée et son frère Élie, s’ennuyant au séminaire de Nieuwied, finissant par le quitter, parcourant les campagnes, travaillant dans les fermes. Telles sont les images que fait naître Thomas Giraud, images de formation avant les grands accomplissements d’Élisée. La géographie n’est pas encore là, ni l’anarchie, mais ce qui va leur donner naissance s’élabore dans l’incorporation des paysages, la rencontre de grévistes, la résistance au destin voulu par le père.

Pas de biographie détaillée donc, pas même « les enfances d’Élisée Reclus », mais une tentative d’habiter poétiquement une conscience en train de s’accoucher elle-même, tel est le projet d’Élisée. Chaque fleuve franchi, chaque montagne gravie, chaque sillon retourné, chaque ouvrier croisé rapproche l’enfant du savant et du révolutionnaire qu’il deviendra. Thomas Giraud nous donne la certitude que le rendez-vous ne sera pas manqué.

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18:44 Publié dans Biographie, Révolution | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Élisée reclus | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook |

29/11/2016

Fidel Castro : un géant du XXe siècle

Fidel-Castro-Che-Guevara.png

l'Humanite.fr Un récit de José Fort.

Rarement un révolutionnaire, un homme d’Etat aura provoqué autant de réactions aussi passionnées que Fidel Castro. Certains l’ont adoré avant de le brûler sur la place publique, d’autres ont d’abord pris leurs distances avant de se rapprocher de ce personnage hors du commun. Fidel Castro n’a pas de pareil. 

Il était « Fidel » ou le « Comandante » pour les Cubains et les latino-américains, pas le « leader maximo », une formule ânonnée par les adeptes européo-étatsuniens du raccourci facile. Quoi qu’ils en disent, Fidel Castro restera un géant du XXe siècle.

Le jeune Fidel, fils d’un aisé propriétaire terrien, né il y a 90 ans à Biran dans la province de Holguin, n’affiche pas au départ le profil d’un futur révolutionnaire. Premières études chez les Jésuites, puis à l’université de La Havane d’où il sort diplômé en droit en 1950. Il milite dans des associations d’étudiants, tape dur lors des affrontements musclés avec la police dans les rues de la capitale, puis se présente aux élections parlementaires sous la casaque du Parti orthodoxe, une formation se voulant « incorruptible » et dont le chef, Chivas, se suicida en direct à la radio. Un compagnon de toujours de Fidel, Alfredo Guevara, fils d’immigrés andalous et légendaire inspirateur du cinéma cubain, dira de lui : « Ou c’est un nouveau José Marti (le héros de l’indépendance), ou ce sera le pire des gangsters ». 
 
Le coup d’Etat du général Fulgencio Batista renverse le gouvernement de Carlos Prio Socarras et annule les élections. Voici le jeune Castro organisant l’attaque armée de la caserne Moncada, le 26 juillet 1953. Un échec. Quatre-vingts combattants sont tués. Arrêté et condamné à 15 ans de prison, Fidel rédige « l’Histoire m’acquittera », un plaidoyer expliquant son action et se projetant sur l’avenir de son pays. Libéré en 1955, il s’exile avec son frère Raul au Mexique d’où il organise la résistance à Batista. Son groupe porte le nom « Mouvement du 26 juillet ». Plusieurs opposants à la dictature rejoignent Fidel. Parmi eux, un jeune médecin argentin, Ernesto Rafael Guevara de la Serna. Son père me dira plus tard : « Au début, mon fils le Che était plus marxiste que Fidel ».
 
Fidel communiste ? Fidel agent du KGB ? Fidel Castro à cette époque se définit comme un adversaire acharné de la dictature, un adepte de la philosophie chère à Thomas Jefferson, principal auteur de la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis, et adhère au projet de Lincoln de coopération entre le capital et le travail. Raul et plusieurs de ses compagnons sont nettement plus marqués à gauche.
 
Le 2 décembre 1956, Fidel monte une expédition avec 82 autres exilés. Venant du Mexique à bord d’un bateau  de plaisance, le « Granma », ils débarquent après une traversée mouvementée dans la Province Orientale (sud-est de Cuba). La troupe de Batista les y attend. Seuls 12 combattants (parmi lesquels Ernesto Che Guevara, Raul Castro, Camilo Cienfuegos et Fidel) survivent aux combats et se réfugient dans la Sierra Maestra. Commence alors une lutte de guérilla avec le soutien de la population. Fidel Castro apparaît au grand jour dans les journaux nord-américains et européens, accorde des interviews, pose pour les photographes, parle sur les radios. A Washington, on ne s’en émeut guère lassés des frasques d’un Batista peu présentable.
 
Après l’entrée de Fidel dans La Havane, le 9 janvier 1959, on observe avec intérêt ce « petit bourgeois qui viendra à la soupe comme tout le monde », ricane-t-on au département d’Etat. Même le vice-président Nixon mandaté pour le recevoir afin de vérifier s’il est communiste soufflera à Eisenhower : « C’est un grand naïf, nous en ferons notre affaire ».  Tant que Fidel ne s’attaque pas à leurs intérêts économiques, les dirigeants étasuniens ne s’alarment pas. Lorsque la révolution commence à exproprier des industries nord-américaines, la United Fruit par exemple, la donne change brutalement.
 
Le premier attentat dans le port de La Havane, le 4 mars 1960, sonne le prélude à une longue liste d’actes terroristes : le cargo battant pavillon tricolore, La Coubre, qui avait chargé des munitions à Hambourg, Brème et Anvers explose dans le port de La Havane faisant plus de cent morts, dont six marins français. Ulcéré, le général de Gaulle donne l’ordre d’accélérer la livraison des locomotives commandées du temps de Batista. Elles font l’objet d’étranges tentatives de sabotage. Les dockers CGT du port du Havre surveilleront le matériel jusqu’au départ des navires.
 
Une opération de grande envergure se préparait du côté de Miami : le débarquement de la Baie des Cochons. En avril 1961, au lendemain de l’annonce par Fidel de l’orientation socialiste de la révolution, le gouvernement des Etats-Unis missionne la CIA pour encadrer 1400 exilés cubains et mercenaires latino-américains en espérant, en vain, un soulèvement populaire. Fidel en personne dirige la contre-attaque. La tentative d’invasion se solde par un fiasco.
 
Les Etats-Unis signent là leur déclaration de guerre à la révolution cubaine. Pendant des dizaines d’années, ils utiliseront toute la panoplie terroriste pour tenter d’assassiner Fidel, jusqu’à la combinaison de plongée sous-marine enduite de poison, faciliteront le débarquement de groupes armés, financeront et manipuleront les opposants, détruiront des usines, introduiront la peste porcine et des virus s’attaquant au tabac et à la canne à sucre. Ils organiseront l’asphyxie économique de l’île en décrétant un embargo toujours en vigueur. « El Caballo » (le cheval) comme l’appelaient parfois les gens du peuple, ce que Fidel n’appréciait pas, aura survécu à Eisenhower, Kennedy, Johnson, Nixon, Reagan, Ford et assisté aux départs à la retraite de Carter, Bush père et Clinton. Il dira de Bush fils « celui là, il finira très mal. »  
 
Tant d’années d’agressions, tant d’années de dénigrement et de coups tordus, tant d’années de résistance d’un petit pays de douze millions d’habitants face à la première puissance économique et militaire mondiale. Qui fait mieux ? Lorsqu’on évoque le manque de libertés à Cuba, ne faudrait-il pas d’abord se poser la question : un pays harcelé, étranglé, en guerre permanente, constitue-t-il le meilleur terreau pour favoriser l’épanouissement de la démocratie telle que nous la concevons en occident et que, à l’instar de George Bush, certains souhaiteraient calquer mécaniquement en d’autres endroits du monde, particulièrement dans le Tiers monde? Lorsque dans les salons douillets parisiens, on juge, tranche, condamne, sait-on au juste de quoi on parle ?
 
La crise des fusées ? Lorsque l’URSS dirigée par Nikita Khrouchtchev décide en 1962 d’installer à Cuba des missiles afin, officiellement, de dissuader les Etats-Unis d’agresser l’île, la « patrie du socialisme » répond à une demande de Raul Castro mandaté par Fidel. La direction soviétique fournit déjà à Cuba le pétrole que lui refuse son proche voisin.
 
Elle met deux fers au feu : dissuader les Etats-Unis d’agresser Cuba, afficher un clair avertissement à Washington sur l’air de « nous sommes désormais à proximité de vos côtes ». La tension atteint un point tel qu’un grave conflit mondial est évité de justesse. Les missiles soviétiques retirés, Fidel regrettera que le représentant de l’URSS à l’ONU n’ait pas reconnu la réalité des faits. « Il fallait dire la vérité », disait-il. Il fut bien obligé de se plier à la décision finale de Moscou même si dans les rues de La Havane des manifestants scandaient à l’adresse de Khrouchtchev : « Nikita, ce qui se donne ne se reprend pas. »
 
Entre Moscou et La Havane, au-delà des rituels, les relations ont toujours été conflictuelles. Pas seulement, pure anecdote, parce que des « responsables » soviétiques ignorants faisaient livrer des chasse-neige à la place des tracteurs attendus. Les Soviétiques voyaient d’un mauvais œil le rôle croissant de Fidel dans le mouvement des non alignés, l’implication cubaine aux côtés des mouvements révolutionnaires latino-américains puis l’aide à l’Afrique. Ils ne supportaient pas la farouche volonté d’indépendance et de souveraineté de La Havane et ont été impliqués dans plusieurs tentatives dites « fractionnelles » reposant sur des prétendus « communiste purs et durs », en fait marionnettes de  Moscou, pour tenter de déstabiliser Fidel. Une fois l’URSS disparue, les nouveaux dirigeants russes ont pratiqué avec le même cynisme abandonnant l’île, coupant du jour au lendemain les livraisons de pétrole et déchirant les contrats commerciaux.
 
Quel autre pays aurait pu supporter la perte en quelques semaines de 85% de son commerce extérieur et de 80% de ses capacités d’achat ?  L’Espagne, ancienne puissance coloniale, a laissé à Cuba un héritage culturel, les Etats-Unis son influence historique et ses détonants goûts culinaires comme le mélange de fromage et de confiture. Mais la Russie ? Rien, même pas le nom d’un plat ou d’un cocktail.
 
L’exportation de la révolution ?  Fidel n’a jamais utilisé le mot « exportation ». Ernesto Che Guevara, non plus. Ils préféraient évoquer la « solidarité » avec ceux qui se levaient contre les régimes dictatoriaux, créatures des gouvernements nord-américains. Doit-on reprocher ou remercier Fidel d’avoir accueilli les réfugiés fuyant les dictatures du Chili et d’Argentine, de Haïti et de Bolivie, d’avoir ouvert les écoles, les centres de santé aux enfants des parias de toute l’Amérique latine et, plus tard, aux enfants contaminés de Tchernobyl ?
 
Doit-on lui reprocher ou le remercier d’avoir soutenu les insurrections armées au Nicaragua, au Salvador et d’avoir sauvé, face à l’indifférence des dirigeants soviétiques, l’Angola fraîchement indépendante encerclée par les mercenaires blancs sud-africains fuyant, effrayés,  la puissance de feu et le courage des soldats cubains, noirs pour la plupart ? Dans la mémoire de millions d’hommes et de femmes d’Amérique latine et du Tiers monde, Fidel et le Che sont et resteront des héros des temps modernes.
 
Les libertés ? Fidel, un tyran sanguinaire ? Il y eut d’abord l’expulsion des curés espagnols qui priaient le dimanche à la gloire de Franco. Complice de Batista, l’église catholique cubaine était et demeure la plus faible d’Amérique latine alors que la « santeria », survivance des croyances, des divinités des esclaves africains sur lesquels est venue se greffer la religion catholique, rassemble un grand nombre de noirs cubains.
 
Les relations avec l’Eglise catholique furent complexes durant ces longues années jusqu’au séjour de Jean Paul II en 1998 annoncée trop rapidement comme l’extrême onction de la révolution. Ce n’est pas à Cuba que des évêques et des prêtres ont été assassinés, mais au Brésil, en Argentine, au Salvador, au Guatemala et au Mexique.
 
Il y eut la fuite de la grande bourgeoisie, des officiers, des policiers qui  formèrent, dès la première heure, l’ossature de la contre révolution encadrée et financée par la CIA. Il y eut ensuite les départs d’hommes et de femmes ne supportant pas les restrictions matérielles. Il y  eut l’insupportable marginalisation des homosexuels.
 
Il y eut les milliers de balseros qui croyaient pouvoir trouver à Miami la terre de toutes les illusions. Il y eut la froide exécution du général Ochoa étrangement tombé dans le trafic de drogue. Il y eut aussi ceux qui refusaient la pensée unique, la censure édictée par la Révolution comme « un acte de guerre en période de guerre », les contrôles irritants, la surveillance policière.
 
Qu’il est dur de vivre le rationnement et les excès dits « révolutionnaires ». Excès? Je l’ai vécu, lorsque correspondant de « l’Humanité » à La Havane, l’écrivain Lisandro Otero, alors chef de la section chargée de la presse internationale au Ministère des Affaires étrangères, monta une cabale de pur jus stalinien pour tenter de me faire expulser du pays. 
 
Ceux qui osent émettre une version différente d’un « goulag tropical » seraient soit des « agents à la solde de La Havane », soit victimes de cécité. Que la révolution ait commis des erreurs, des stupidités, des crimes parfois n’est pas contestable. Mais comment, dans une situation de tension extrême, écarter les dérives autoritaires? 
 
A Cuba, la torture n’a jamais été utilisée, comme le reconnaît Amnesty international. On tranchait les mains des poètes à Santiago du Chili, pas à la Havane. Les prisonniers étaient largués en mer depuis des hélicoptères en Argentine, pas à Cuba. Il  n’y a jamais eu des dizaines de milliers de détenus politiques dans l’île mais un nombre trop important qui ont dû subir pour certains des violences inadmissibles. Mais n’est-ce pas curieux que tous les prisonniers sortant  des geôles cubaines aient été libérés dans une bonne condition physique ?
 
Voici un pays du Tiers monde où l’espérance de vie s’élève à 75 ans, où tous les enfants sont scolarisés et soignés gratuitement. Un petit pays par la taille capable de produire des universitaires de talent, des médecins et des chercheurs parmi les meilleurs au monde, des sportifs raflant les médailles d’or, des artistes, des créateurs.  Où, dans cette région du monde, peut-on présenter un tel bilan ?
 
Fidel aura tout vécu. La prison, la guérilla, l’enthousiasme révolutionnaire du début, la défense contre les agressions, l’aide internationaliste, l’abandon de l’URSS, une situation économique catastrophique lors de la « période spéciale », les effets de la mondialisation favorisant l’explosion du système D. Il aura (difficilement) accepté l’adaptation économique avec un tourisme de masse entraînant la dollarisation des esprits parmi la population au contact direct des visages pâles à la recherche de soleil, de mojito, de filles où de garçons. Comment ne pas comprendre les jeunes cubains, alléchés par l’écu ou le dollar, et regardant avec envie les visiteurs aisés venus de l’étranger ? Il aura, enfin, très mal supporté  le retour de la prostitution même si dans n’importe quelle bourgade latino-américaine on trouve plus de prostituées que dans  la 5 eme avenue de La Havane. Alors, demain quoi ?
 
Fidel mort, la révolution va-t-elle s’éteindre ? Il ne se passera pas à Cuba ce qui s’est produit en Europe de l’Est car la soif d’indépendance et de souveraineté n’est pas tarie.
 
Les adversaires de la révolution cubaine ne devraient pas prendre leurs désirs pour la réalité. Il y a dans cette île des millions d’hommes et de femmes – y compris de l’opposition – prêts à prendre les armes et à en découdre pour défendre la patrie. Fidel avait prévenu en déclarant : « Nous ne commettrons pas l’erreur de ne pas armer le peuple. » Le souvenir de la colonisation, malgré le fil du temps, reste dans tous les esprits, les progrès sociaux enregistrés, au-delà des difficultés de la vie quotidienne, constituent désormais des acquis. Il y a plus. La révolution a accouché d’une nouvelle génération d’hommes et de femmes refusant le retour au passé, des cadres « moyens » de trente à quarante ans très performants en province, des jeunes dirigeants nationaux aux talents confirmés. Une nouvelle époque va s’ouvrir et elle disposera d’atouts que Fidel n’avait pas. L’Amérique latine, ancienne arrière cour des Etats-Unis, choisit des chemins progressistes de développement, l’intégration régionale est en marche, le prestige de la révolution cubaine demeure intacte auprès des peuples latino-américains. Cuba, enfin, peut respirer.
 
Il n’y aura pas de rupture à Cuba. Il y aura évolution. Obligatoire. Pour qu’elle puisse s’effectuer dans les meilleures conditions, il faudra que les vieux commandants de la Révolution rangent leurs treillis vert olive, prennent leur retraite et passent la main. Les atlantes du futur, de plus en plus métissés, sont prêts. Ne sont-ils pas les enfants de Fidel ?
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12:48 Publié dans Actualité, Biographie, L'Humanité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fidel castro, cuba | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook |