14/03/2014
A propos du film « Diplomatie » : Ne pas entretenir la confusion entre la fiction et la réalité historique !
Une opinion de Patrick Le Hyaric – directeur de l’Humanité
Depuis mercredi dernier, on peut voir en salle le film « Diplomatie », réalisé par Volker Schlöndorff d’après la pièce de Cyril Gély, dans lequel on peut noter la magistrale interprétation des deux acteurs principaux, André Dussollier et Niels Arestrup.
Salué par l’ensemble de la critique, ce long métrage, qualifié à tort d’ « historique », met en scène dans un huis-clos qui relève de la pure fiction le général Dietrich Von Choltitz, qui s’apprêterait à faire sauter la ville de Paris sur ordre d’Adolph Hitler et Raoul Nordling, un consul suédois, qui tente de l’en dissuader, toute une nuit durant, du 24 au 25 août 1944, à l’hôtel Meurice.
Pure fiction en effet car si ces deux personnages ont bien existé et eu un rôle important à la veille de la libération de Paris et si le décor est effectivement conforme à la réalité de l’époque, de nombreux protagonistes de l’Histoire ont été « gommés ». Ce film, en dépit de sa qualité artistique ne sert en rien la vérité historique, il la déforme ! Le présenter comme un outil pédagogique, comme l’ont fait, non pas son réalisateur, ni les acteurs, mais de nombreux commentateurs, est une preuve d’ignorance qui pourrait confiner à une certaine forme de révisionnisme quant à ce qu’à été la Résistance durant la seconde guerre mondiale.
On a pu récemment déplorer l’absence criante de communistes dans la liste des résistants choisis pour faire leur entrée prochaine au Panthéon. On n’ose imaginer que la publicité autour de l’extrême personnalisation de l’Histoire qui transparait dans le film « Diplomatie » fasse partie du dispositif de la bataille idéologique en cours pour effacer des mémoires l’unité populaire, la force progressiste du mouvement syndical et la puissance fédératrice des communistes qui se sont déployées durant cet épisode de la seconde guerre mondiale.
La libération de Paris ne s’est en effet pas décidée dans les salons d’un grand Hôtel parisien mais dans les rues de la capitale, par des centaines d’hommes et de femmes, pour certains au prix de leur vie, sous la direction du grand résistant communiste le colonel Rol-Tanguy.
Rappelons les faits : la Libération de Paris a débuté le 10 août 1944 avec la grève des cheminots. Le 15 août, la CGT appelle à la grève générale. Plusieurs corps d’administration y répondent. La grève des agents de police apporte un soutien armé à l’insurrection.
L’état-major FFI est installé en sous-sol place Denfert-Rochereau. Le 17 août, l’état major de la résistance parisienne appelle à la « lutte décisive». Le 19 août, la préfecture de police est prise par les policiers résistants et Rol-Tanguy les harangue au milieu de la cour d’honneur. Puis il réalise dans les journées du 20 au 24 août une manœuvre générale libérant les 9/10eme de la capitale. Avant l’entrée des troupes du général Leclerc dans la capitale le 25 août, la libération de Paris aura causé la mort de 76 soldats de la 2eme division blindée ainsi que de 901 résistants des FFI et de 3.200 Allemands (12.800 soldats allemands sont aussi faits prisonniers). Il faut aussi avoir en mémoire le massacre de 35 garçons et filles, dont certains appartenaient aux Jeunesses communistes, qui, emportés par leur désir de combattre, ont été piégés par un agent allemand qui les a livrés, dans la nuit du 16 au 17 août, à la Gestapo qui les a abattus sauvagement dès leur arrivée, près de la cascade du bois de Boulogne.
De ces faits, il n’est nullement question dans « Diplomatie » !
Par ailleurs, si Raoul Nordling, dont le rôle principal a été de sauver des prisonniers politiques en leur évitant d’être tués ou déportés, a effectivement rencontré Choltitz, c’était toujours avec un traducteur car il ne parlait pas allemand et Von Choltitz, pas le français. De plus, le Suédois a été victime d’une crise cardiaque le 22 août, et on l’imagine mal capable de tenir une conversation de plusieurs heures. Surtout, des témoignages concordants ont rapportés que la décision du général était prise depuis sa rencontre avec Hitler, dont il avait constaté la folie.
Nul critique ou journaliste sérieux ne devrait ignorer ou faire ignorer ces faits, d’ailleurs très bien rendus dans un autre film, l’excellent « Paris Brûle-t-il ? », de René Clément, sorti en 1966. La fiction ne doit pas effacer la vérité et la réalité historique : le rôle historique du peuple.
17:45 Publié dans Actualité, Cinéma, Culture, Libération, Occupation, Résistance | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : diplomatie, histoire, paris, libération | |
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06/03/2014
Peintures et parcours d’André Fougeron
La Piscine, à Roubaix, consacre une importante exposition au peintre. De la guerre d’Espagne au pays des mines, il se confronta à
la réalité sociale et le paya.
L’importante exposition consacrée à André Fougeron à la Piscine, à Roubaix, est sans aucun doute l’une des plus intéressantes du moment. D’abord en donnant à voir le parcours et les œuvres réelles d’un peintre aujourd’hui méconnu, ensuite par les questions qu’elle amène, aussi bien sur les notions d’engagement et de réalisme que sur les enjeux esthétiques et politiques des années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, et particulièrement au sein et autour du Parti communiste, dont il faut rappeler qu’il pesait alors un quart des voix dans le pays. Né en 1913, ouvrier métallurgiste, Fougeron commence à peindre dans les années 1930, inspiré en particulier par la guerre d’Espagne. Il adhère au PCF en 1938. Résistant, il crée le Front national des arts et sera par la suite de tous les combats progressistes en France, toujours aux côtés du PCF.
En peinture, son parti pris est clair. « Le problème essentiel en art est celui de l’affrontement avec la réalité sociale », dira-t-il encore sur le tard, en 1982. Cette position ne peut être caricaturée. Car en réalité, elle traverse l’histoire de la peinture et les œuvres de Jacques Callot, de Goya, de Delacroix même, des expressionnistes allemands, Otto Dix ou Georg Grosz en témoignent. Pourtant, directeur de la Piscine, Bruno Gaudichon relève avec pertinence que la place paradoxale de Fougeron est « celle d’un peintre d’images tout autant que celle d’un peintre sans images ».
Peintre d’images. Si dans ses débuts il cherche du côté de Matisse et de Picasso, mais aussi de l’expressionnisme, il s’inscrit dans les années 1950, avec la série le Pays des mines, avec des toiles comme les Parisiennes au marché, dans une veine réaliste tournée vers la représentation du peuple, des travailleurs. Il évoluera par la suite, sans se départir de son attachement aux réalités sociales vers une manière proche de la figuration narrative des années 1970-1980 (Rancillac, Télémaque, Fromanger, Cueco…).
Un grand témoin de l’Histoire du XXe siècle
Mais s’il est un peintre sans images, c’est aussi qu’il y a une légende noire de Fougeron pas tout à fait infondée. Si Picasso fut, dans l’après-guerre, l’immense peintre « venu au communisme comme on va à la fontaine », Fougeron est en fait le peintre préféré d’une partie de la direction communiste, autour d’Auguste Lecœur, qui le voit plus proche alors d’un réalisme militant.
À la mort de Staline, la publication à la une des Lettres françaises, dirigées par Aragon, de son portrait par Picasso donne lieu à une violente campagne de critiques largement suscitées par la direction du PCF en l’absence de Thorez, alors soigné à Moscou. Fougeron y prend part avec une lettre qui ne l’honore pas et qu’il regrettera par la suite. Thorez dès son retour de Moscou sifflera la fin de la récréation en rendant visite à Picasso mais, pour l’histoire, le costume de Fougeron est taillé. Il nous faut aujourd’hui le regarder, en toute sincérité, en tant que peintre – et, là, les avis sont partagés – et comme un grand témoin de l’Histoire du XXe siècle, de ses conflits, ses impasses et ses espoirs.
Jusqu’au 18 mai.
19:02 Publié dans Culture, Espagne, Guerre, Peinture, Résistance, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : peinture, exposition, jacques callot, andré fougeron, georg grosz, auguste lecoeur | |
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12/02/2014
ELSA TRIOLET / LOUIS ARAGON
Triolet Romancière française d’origine russe, Elsa voit le jour à Moscou le 12 septembre 1896. Belle-sœur du célèbre poète Maïakovski, elle entretiendra tout au long de sa vie d’étroits contacts avec sa sœur, Lili Brick. Depuis toute jeune, elle a fréquenté les milieux intellectuels de la capitale russe ainsi que le groupe futuriste.
Elle se marie en 1919 avec un Français, André Triolet, avec lequel elle séjournera l’année suivant leur mariage à Tahiti. En 1921, elle le quitte et part vivre à Londres et Berlin.
C’est en 1928, au café «La Coupole» à Paris, qu’elle rencontre Louis Aragon dont elle ne se séparera plus. Son premier roman écrit en français s’intitule «Bonsoir Thérèse». Par la suite, elle fera également la traduction en français des œuvres de Maïakovski et Tchékhov, et elle traduira aussi des romans d’Aragon en russe. C’est en février 1939 qu’elle se marie avec Aragon. Pourquoi si tard? Rappelons qu'à la veille de la seconde guerre mondiale, il était très dangereux d'être russe et juive.
Durant les années 1942 à 1944, ils seront tous deux résistants dans la zone Sud. Soutenant Aragon dans ses combats, elle n’a cependant jamais été membre du parti communiste. C’est également en 1945 qu’elle obtient le prix Goncourt pour son recueil de nouvelles «Le Premier accroc coûte 200 francs» Faisant partie du C.N.E (Comité national des écrivains), elle s’occupera pendant plusieurs années à promouvoir la lecture ainsi que la vente des livres.
Aragon et Elsa feront tout au long de leur vie des voyages dans les pays socialistes, et les allers-retours Paris-Moscou seront fréquents.
De santé fragile, Elsa meurt d’un arrêt cardiaque le 16 juin 1970 dans leur propriété du Moulin de Villeneuve à St-Arnoult dans les Yvelines. Elle y sera enterrée, selon ses vœux.
Peu après, Aragon léguera la totalité des lettres, manuscrits et autres documents personnels d'Elsa au CNRS. (Centre national de la recherche scientifique)
Petite biographie de Louis Aragon
Louis Aragon est né probablement du côté de Toulon le 3 octobre 1897. Il est le fils illégitime de Marguerite Toucas et d’un homme politique célèbre, Louis Andrieux, notable, ex-procureur de la république (à Lyon, lors de la Commune de 1871), puis député, préfet de police et ex-ambassadeur de France en Espagne.
Pendant des années, il vit dans le mensonge, car sa mère se fait passer pour sa sœur, sa grand-mère, pour sa mère adoptive, ses tantes pour ses sœurs et son père pour son parrain. Il comprendra seulement au bout d’un certain temps, qui est cet homme qu’il rencontre régulièrement avec sa «sœur».
Tout petit déjà, le jeune Louis dicte à ses «sœurs» de petits récits. Il est passionné de lecture et fréquente assidûment la librairie d’Adrienne Monnier après l'obtention de son bac. Après son baccalauréat latin-sciences et de brillantes études, il s’inscrit à la faculté de médecine. Mobilisé en 1917, il suit des cours de médecine au Val de Grâce à Paris où il rencontre André Breton avec qui il se lie immédiatement d'une amitié profonde.
Il est ensuite nommé médecin auxiliaire et part au front en 1918. C'est juste avant son départ que sa mère lui apprend très officiellement la vérité sur ses origines. Il fondera par la suite le mouvement surréaliste, avec André Breton et Philippe Soupault
En 1920, il publie son premier recueil de poésies, «Feu de joie».
C’est en 1922, et malgré l’opposition des siens qu’Aragon renonce définitivement à la médecine, au profit de sa carrière littéraire.
En 1927, Aragon s’inscrit au parti communiste, comme beaucoup de ses amis de l’époque. Une année plus tard, au café «La Coupole» à Paris, il rencontre Elsa dont il ne se séparera plus et avec laquelle il se mariera en 1939.
En 1932, Aragon rompt avec le mouvement surréaliste, suite à de multiples différends qui se sont aggravés au fil du temps.
En 1943-1944, Aragon a, quasiment seul, fait un journal de Résistance intitulé «Les Etoiles». Ce journal eut 17 numéros sur 14 mois.
Lors de la seconde guerre mondiale, Aragon et Elsa poursuivront leur combat dans la résistance, tout en continuant leurs œuvres littéraires.
Ils créent ensemble le Comité National des Écrivains pour la Zone Sud, et en 1944, fondent le journal «La Drôme en Armes» (5 parutions du 10 juin au 6 septembre 1944). Aragon écrira sous des pseudos, tel que François la Colère ou Arnaud de Saint-Roman, des poèmes appelant à la lutte contre l'occupant. Par ailleurs, Aragon recevra la Médaille Militaire et sa deuxième Croix de guerre, le récompensant pour ses nombreux actes de courage, la première, datant de 1918.
Après la mort d’Elsa en 1970, il continuera son œuvre poétique et politique. C’est Jean Ristat, poète et écrivain, également désigné par Aragon exécuteur testamentaire, qui lui fermera les yeux le 24 décembre 1982.
Aragon repose aux côtés d’Elsa dans leur propriété à Saint-Arnoult dans les Yvelines.
Parcours de Louis Aragon en dates
1927 : Membre du Parti communiste
1933- 1939 : Secrétaire de rédaction puis membre du comité directeur de la revue Commune
1936-1939 : Secrétaire général de la «Maison de la Culture»
1937-1939 : Secrétaire général de l'Association internationale des écrivains pour la Défense de la Culture
1947-1953 : Directeur de Ce soir (il avait déjà eu ce poste avant la guerre)
1950 : Membre suppléant du Comité central du PCF
1954 : Membre titulaire du CC (Comité Central)
1957 : Président du C.N.E (Comité national des écrivains)
1953-1972 : Directeur des Lettres françaises
1957 : Prix Lénine de littérature
Source : Populus
Les Yeux d'Elsa
Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire
À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé
Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
L'été taille la nue au tablier des anges
Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés
Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie
Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure
Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée
Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé
Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le miracle des Rois
Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois
Le manteau de Marie accroché dans la crèche
Une bouche suffit au mois de Mai des mots
Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux
L'enfant accaparé par les belles images
Écarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages
Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août
J'ai retiré ce radium de la pechblende
Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes
Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa
Louis Aragon
Extrait de "Les Yeux d'Elsa"
édition Séghers.
12:53 Publié dans Biographie, Culture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : aragon, elsa triolet, biographies | |
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