09/05/2015
Quand une mère de soldats nazis sauvait des officiers soviétiques !
"Cachons les prisonniers russes. Peut-être que Dieu épargnera alors nos fils", disait Maria Langthaler.
Un reportage spécial d'Argumenti i Fakti pour Sputnik sur cet exploit inconnu d'une paysanne allemande.
"Les gamins de quinze ans de la Hitlerjugend se vantaient de qui avait tué plus d'innocents. L'un a même sorti de sa poche une liasse d'oreilles coupées pour les montrer à son copain — tous les deux ont ri. Un fermier a trouvé un Russe qui se cachait dans une étable avec des moutons, et l'a poignardé avec un couteau — l'homme s'est débattu dans des convulsions, et la femme du tueur a égratigné le visage du mourant. 40 cadavres éventrés ont été entassés dans la rue du village Ried in der Riedmark, leurs organes sexuels exposés à la vue de tous: les jeunes filles passaient devant les cadavres et riaient".
En lisant les archives du camp de concentration de Mauthausen, moi, qui avait été en Afghanistan, en Irak et en Syrie, je devais faire des pauses pour me calmer — le sang se glaçait dans mes veines en apprenant ce que les paysans autrichiens respectables avaient fait avec des prisonniers de guerre soviétiques évadés — juste trois mois (!) avant la Victoire.
Une seule femme en Autriche, Maria Langthaler, mère de nombreux enfants, a caché, en risquant sa propre vie, des prisonniers de Mauthausen pendant que ses quatre fils combattaient sur le front de l'Est…
Dans la nuit du 2 au 3 février 1945, une évasion collective a eu lieu à Mauthausen, unique dans l'histoire du camp. Un groupe de prisonniers du bloc №20 a attaqué les tours de garde et les mitrailleurs avec des pierres et des manches de pelle, tandis que le second groupe court-circuitait les barbelés électriques avec des couvertures et des vestes mouillées. 419 officiers soviétiques prisonniers ont réussi à sortir du camp.
Le commandant du camp, le SS-Standartenführer Franz Ziereis, a appelé les habitants des villages avoisinants à participer à la recherche des fugitifs: "Vous êtes des chasseurs passionnés et là, c'est beaucoup plus amusant que chasser des lapins!" Les vieillards et les adolescents se sont joints à la SS et à la police pour attraper dans les bois et exécuter sauvagement ceux qui tenaient à peine debout, épuisés par la faim et le froid. En une semaine, presque tous les fugitifs sont morts. Seuls 11 d'entre eux ont survécu à la chasse dont deux — les officiers Mikhaïl Rybtchinski et Nikolaï Tsemkalo — ont été cachés par la paysanne Maria Langthaler.
"Les Russes ont frappé à notre porte en plein jour, raconte la fille de Maria, Anna Hackl, qui avait 14 ans à l'époque (elle en a 84 aujourd'hui). Ils nous ont demandé de leur donner quelque chose à manger. Après, j'ai demandé: pourquoi les prisonniers ont-ils osé entrer dans notre maison, tandis que tous les gens sont devenus complètement fous? Ils ont répondu: "Nous avons regardé par la fenêtre, vous n'avez pas de portrait d'Hitler sur les murs". Ma mère a dit à mon père: "Aidons ces gens". Mon père a eu peur: "De quoi tu parles, Maria! Les voisins et les amis vont nous dénoncer!" Et ma mère a répondu: "Peut-être Dieu épargnera alors nos fils".
Les prisonniers ont été cachés dans le foin mais le matin, un détachement SS est venu inspecter la grange et a remué l'herbe sèche avec des baïonnettes. Rybtchinski et Tsemkalo ont eu de la chance — par miracle, les lames ne les ont pas touchés. Le lendemain, les SS sont revenus avec des chiens de berger mais Maria avait déjà emmené les prisonniers de Mauthausen dans une petite chambrette au grenier.
Elle a demandé du tabac à son mari et l'a dispersé sur le sol… Les chiens n'ont pas réussi à retrouver leur trace. Ensuite, pendant trois longs mois, les officiers se sont cachés dans sa maison à la ferme de Winden, et chaque jour devenait encore plus effrayant: les officiers de la Gestapo exécutaient constamment des traîtres parmi la population locale.
Les troupes soviétiques avaient déjà pris Berlin et Maria Langthaler, en allant se coucher, ne savait pas à quoi s'attendre le lendemain. Le 2 mai 1945, on a pendu un "traître" devant sa maison: le pauvre vieillard avait dit qu'Hitler étant mort, il fallait se rendre.
"Je ne sais pas d'où ma mère avait tant de sang-froid, raconte Anna Hackl. Une fois, ma tante est venue nous voir et s'est étonnée: "Pourquoi gardez-vous le pain? Vous n'avez rien à manger vous-mêmes!" Ma mère lui a dit qu'elle séchait du pain pour manger en route: "On bombarde — au cas où il faudrait déménager…" Une autre fois, le voisin a regardé le plafond et a dit: "Il y a quelque chose qui grince là-haut, comme si quelqu'un marchait…"
Ma mère a ri et a répondu: "Mais qu'est-ce que tu racontes! Ce sont des pigeons!" Tôt le matin du 5 mai 1945, les troupes américaines sont venues à notre ferme et les détachements du Volkssturm ont fui. Ma mère a mis une robe blanche, est montée au grenier et a dit aux Russes: "Mes enfants, vous rentrez à la maison". Et elle s'est mise à pleurer.
Quand j'ai parlé aux habitants des villages des environs de Mauthausen, ils ont avoué avoir honte des atrocités que leurs grands-pères et grands-mères avaient commises. À l'époque, les paysans avaient donné à ce massacre le nom moqueur de Mühlviertler Hasenjagd ("la chasse aux lapins du Mühlviertel").
Des centaines de nos prisonniers ont été abattus par les "civils", fous de sang… Seulement dans les années 1980-1990, en Autriche, on a commencé à parler de cette terrible tragédie — on a tourné un film et publié les livres Les ombres de février et La mère t'attend. En 2001, à l'initiative de l'organisation de la Jeunesse socialiste de l'Autriche, un monument aux prisonniers soviétiques morts a été érigé à Ried in der Riedmark.
Une stèle de granit représente 419 barres — correspondant au nombre de fugitifs. Presque toutes sont barrées — sauf 11. Outre Frau Langthaler des travailleurs de l'Est, des Polonais et des Biélorusses, ont pris le risque de cacher les Russes dans leurs granges.
Malheureusement, Maria Langthaler est morte peu de temps après la guerre, mais les personnes qu'elle avait sauvées ont vécu une longue vie. Nikolaï Tsemkalo est mort en 2003 et Mikhaïl Rybtchinski lui a survécu de 5 ans, ayant élevé des petits-enfants.
La fille de Maria, Anna Hackl, âgée de 84 ans, continue à donner des conférences sur les événements du "sanglant février". Hélas, Maria Langthaler n'a reçu aucune récompense pour son exploit de la part du gouvernement soviétique, bien qu'en Israël, les Allemands qui avaient caché les Juifs pendant la guerre soient décorés et se voient attribuer le titre de "Juste".
Chez nous aussi, ce terrible massacre est peu connu: on ne dépose guère de fleurs au monument à Ried in der Riedmark: toutes les cérémonies commémoratives ont lieu à Mauthausen. Mais vous savez ce qui est le plus important? Les quatre fils de Maria Langthaler sont par la suite rentrés vivants du front de l'Est — comme en signe de reconnaissance pour les bonnes œuvres de cette femme. Voilà le vrai miracle, même parmi les plus ordinaires.
17:02 Publié dans Deuxième guerre mondiale, Guerre, Occupation, Russie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : soldats russes, paysanne, allemagne |
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06/05/2015
Martha Desrumaux, une vie d’engagements
Fille du Nord, fille du peuple, ouvrière, syndicaliste, militante politique, Martha Desrumeaux fut la seule femme à participer aux négociations des accords Matignon qui mirent un terme aux grandes grèves de 1936, celles qui suivirent la victoire électorale du Front Populaire. Elle fut également déportée à Ravensbruck en 1942.
Professeur agrégé d’histoire et de géographie, Pierre Outteryck vient de consacrer un ouvrage à Martha Desrumaux, ouvrage intitulé : « Martha Desrumaux, Une femme du Nord, Ouvrière, Syndicaliste, Déportée, Féministe » et publié aux Editions du Geai Bleu, une maison d’édition indépendante que ce professeur non-voyant a créée il y a quelques années.
Les femmes sont souvent été oubliées des historiens, et plus encore les femmes issues des milieux populaires. Les militants savent bien pourtant le rôle essentiel joué par les femmes dans un grand nombre de conflits.
Martha Desrumaux fut une pionnière et son parcours, qui est celui d’une autodidacte, illustre le double combat des femmes pour leur émancipation et des syndicalistes pour lutter contre l’exploitation du monde ouvrier.
Dans sa préface, comme lors de la présentation de cet ouvrage à l’initiative du comité régional CGT, Maryse Dumas, secrétaire de la CGT, souligne d’ailleurs le parcours exceptionnel de cette femme qui était bonne d’enfants à 10 ans et accéda bientôt à des responsabilités nationales sur le plan syndical avant de s’engager dans la Résistance et d’être déportée à Ravensbruck.
Ne jamais se laisser faire
Née dans un milieu modeste en 1897 à Comines, en bordure de la Lys, Martha Desrumaux est très vite orpheline de son père, pompier volontaire qui décède en 1906 des suites d’un accident survenu à l’occasion d’un incendie. La sécurité sociale n’exiiste pas encore et la vie est difficile au foyer Desrumaux : la maman de Matha est handicapée et son frère aîné très malade. Bientôt Martha se retrouve à 9 ans placée comme bonne à tout faire dans une maison bourgeoise de Faches-Thumesnil. A 10 ans, elle fuit ses patrons, revient à Comines et décide qu’elle sera ouvrière dans le textile.
Puis à 12 ans, elle se syndique à la CGT… En 1912, elle adhère à la Section Socialiste de Comines. Puis la Première mondiale éclate après l’assassinat de Jean-Jaurès. C’est l’exode. Martha est évacuée à Lyon où elle travaille dans une usine textile. C’est en 1917 qu’elle organise sa première grève victorieuse aux usines Hassebroucq. Elle n’a que 20 ans et est alors illettrée mais c’est elle qui signe le protocole d’accord qui met un terme à ce conflit qui se solde par une victoire des ouvrières en lutte. C’est là alors sa première grande expérience de syndicaliste.
Elle en retient une leçon : la lutte peut payer lorsque l’on est organisé. La lutte contre l’exploitation de la classe ouvrière et pour son émancipation passe donc par un renforcement de l’organisation syndicale et politique qui défend les intérêts de la classe ouvrière. Et c’est tout naturellement que Martha participe au comité pour l’adhésion à la Troisième Internationale et devient membre du Parti Communiste naissant dès 1921.
Un engagement durable
Revenue dans le Nord à partir de 1921, avec les usines Hassebroucq qui se sont réinstallées dans la vallée de la Lys, elle participe activement à de nombreuses luttes et prend très vite des responsabilités au sein de la CGTU et du Parti Communiste. En 1925, Maurice Thorez lui confit la rédaction d’un télégramme au Président de la République, dénonçant la guerre coloniale faite au Maroc et les sur-impôts Caillaux.
En 1928, elle entre à la Direction de l’Union Régionale Unitaire de la CGTU. Avec une délégation de femmes, elle se rend à Moscou en 1927 bien que le gouvernement français de l’époque lui ait refusé le passeport qui devait lui permettre de sortir du territoire. Dans la foulée, elle est élue au Comité Central du Parti Communiste en 1929.
Comme dirigeante de la CGTU, elle joue un rôle important dans l’agglomération lilloise et est au cœur de l’action lors de la grève des dix sous qui secoue Halluin en 1928. Un an plus tard, elle est au cœur d’une grève qui agite Bailleul. Puis en 1931 dans la lutte contre le Consortium, l’organisation patronale qui a décidé d’une baisse des salaires de 5 % pour toutes les entreprises qui font partie du syndical patronal. Durant toute la période de l’entre-deux guerres, elle organise la lutte des travailleurs du Nord du Textile et en particulier celle des ouvrières.
Une ouvrière féministe
Le combat de Martha s’inscrit dans les luttes pour l’émancipation des ouvrières et des femmes qu’elle n’oppose pas à celles de l’ensemble des travailleurs : Combat pour les revendications des femmes ouvrières : à travail égal, salaire égal – droit concernant le travail pénible. Combat pour le respect dû aux Femmes sur le lieu de travail, dans la vie domestique. Combat pour que les femmes puissent accéder, comme les hommes, à des postes à responsabilités au sein des organisations politiques et syndicales. Combat pour que les femmes puissent avoir toute leur place dans les assemblées délibératives.
Puis pendant deux ans elle part à Moscou se former dans l’une des écoles internationales du mouvement communiste. C’est à cette occasion qu’elle retrouve Louis Marguine, un métallo, comme elle originaire du Nord, de huit ans son cadet et dont elle a pu apprécier le dévouement militant à Roubaix quelques années plus tôt. De retour en France elle participe activement à la grève des quatre métiers des ouvriers à Armentières qui a lieu en 1933. Obligation était faite aux ouvriers et ouvrières « de travailler à la fois sur quatre métiers au lieu de deux. Double technique pour accroître les profits, baisse des salaires et augmentation des cadences. L’année suivante, elle organise la grève de Waziers et à la marche des chômeurs car depuis 1931, le chômage ne cesse de progresser. . Rien d’étonnant donc à ce que Martha Desrumaux joue un rôle central dans les grands mouvements sociaux de mai – juin1936. Elle sera d’ailleurs la seule femme présente lors de la signature des accords de Matignon en 1936 aux côtés de Benoît Frachon et de Léon Jouhaud. Elle a alors des responsabilités confédérales au sein de la CGT qui vient d’opérer sa réunification. Premiers congés payés. Martha et Louis iront passer quelques jours au bord de la mer. Neuf mois plus tard, en avril 1937, Martha donnera naissance à Luis., leur fils.
Déportée à Ravensbrück
De 1936 à 1938, elle organise la solidarité avec l’Espagne Républicaine. 1939 : du fait de le déclaration de guerre, elle entre déjà la clandestinité. Sous l’occupation elle sera un des fers de lance de la Résistance dans le Nord - Pas-de-Calais et organisera plusieurs grèves patriotiques, celles qui permettent de manifester le mécontentement et la colère. Elle verra malheureusement nombre de ses camarades massacrés par les nazis.
De 1939 à 1941, elle réorganisera le Parti Communiste dans le Nord - Pas-de-Calais et la liaison entre Bruxelles et Paris. Arrêtée en août 1941, sur dénonciation du Préfet Carles qui avait fourni une liste de plusieurs dizaines de dirigeants communistes, elle est déportée à Ravensbrück où elle participe à la direction de la Résistance dans le camp au côté de Marie-Claude Vaillant - Couturier et de Geneviève Antonioz de Gaulle. Elle les aidera à assurer la survie et la lutte de toutes les déportées. Elle a raconté par la suite la violence et l’enfer de ce qu’elle a vécu à Ravensbruck.
Revenue à Lille à la Libération, et affaiblie par le typhus, une maladie contractée dans les camps, elle reprend des responsabilités au sein de l’UD du Nord. Et elle entre en 1945 au conseil municipal de Lille où elle devient très vite adjointe au maire. Puis elle sera élue Députée du Nord. Au lendemain de la guerre, le mouvement syndical vit une période de difficultés avec notamment, en 1948, la scission au sein de la CGT entre la majorité et entre la fraction Force ouvrière. En 1954, elle quitte ses responsabilités syndicales et s’occupe en particulier, au sein de la FNIDRP (Fédération nationale des internés, déportés, résistants et patriotes) de la défense des déportés.
Elle meurt le 30 novembre 1982, le même jour que son compagnon et époux, Louis Manguine, qui fut un dirigeant important de la métallurgie et de l’UD du Nord
Une vie solidaire
L’histoire de Martha Desrumaux est une histoire à bien des égards exemplaire. Rien de disposait cette petite fille qui fut bonne d’enfants à dix ans à ce parcours engagé, militant, un, parcours dans lequel au cours duquel elle a fait sans cesse des choix, de dignité humaine et de justice sociale.
Pour Martha, c’est par la lutte, la solidarité et l’entraide que l’on finit par avancer et à faire céder ceux qui s’opposent à l’émancipation du plus grand nombre. Martha a toujours eu la solidarité chevillée au corps, y compris dans les camps lorsque l’adversité est la plus dure et la plus violente et à un moment où la maladie l’avait considérablement affaiblie.
16:46 Publié dans Occupation, Résistance, Vidéo | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : martha desrumaux, résistance, déportation |
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30/04/2015
Lucy Parsons, la veuve des martyrs de Chicago
Le 1er mai 1886, la grève est lancée à Chicago. Le 4 mai s’abat la répression. Jugés, quatre hommes sont pendus dont Albert Parsons. Sa femme, Lucy, poursuivra la lutte jusqu’à sa mort. À 88 ans, la police la considère toujours comme une menace « plus dangereuse que mille insurgés ».
En hommage aux cinq martyrs de Chicago, le Congrès des ouvriers socialistes qui se tenait à Paris en 1889 instaura le 1er mai comme la Journée internationale des travailleurs et des travailleuses. L’année suivante, cette journée fut commémorée pour la première fois. Lucy Parsons était déjà connue comme la « veuve mexicaine des martyrs de Chicago ». Fille d’un Indien de l’Alabama et d’une Mexicaine noire, Lucy Gonzalez naquit esclave en 1853, dans un hameau du Texas, un territoire qui, cinq ans plus tôt, faisait partie du Mexique. Orpheline à trois ans, on l’envoya dans les champs de coton dès qu’elle fut en mesure de travailler.
À dix-neuf ans, elle épousa Albert Parsons. Quasiment considérés comme un couple illégal, car la mixité raciale était pratiquement interdite dans les États du Sud, ils faisaient partie du petit nombre d’activistes pour le droit des Noirs. Pour ces deux raisons, les menaces de mort à leur encontre les obligèrent à partir pour Chicago en 1873. Pour survivre, Lucy confectionnait des vêtements pour femmes et il travaillait dans une imprimerie. Elle se mit à écrire pour des journaux syndicaux, sur des sujets tels que le chômage, le racisme, ou le rôle des femmes dans les organisations politiques.
La militante Lucy fut très bien accueillie par les ouvrières, notamment dans les fabriques textiles, là où l’exploitation était la plus féroce. Avec le soutien d’Albert, elle participa à la création de l’Union des femmes ouvrières de Chicago, reconnue en 1882 par l’Ordre des nobles chevaliers du travail. Un grand triomphe : jusqu’alors, le militantisme féminin n’était pas admis.
La lutte pour la journée de huit heures devint la principale revendication nationale. Les travailleurs appelèrent à une grève pour le 1er mai 1886. Lucy et Albert défilèrent avec leurs enfants. Ils étaient tendus et prudents : dans l’éditorial du Chicago Mail, Albert et un autre compagnon de lutte étaient taxés de « dangereux voyous en liberté ». Et le journal exigeait : « Dénoncez-les aujourd’hui. Ne les perdez pas de vue. Signalez-les comme personnellement responsables de toute difficulté qui pourrait survenir. » À Chicago, où les conditions de travail étaient pires que dans d’autres villes, les grèves et les mobilisations se poursuivirent.
Le 4 mai, lors du rassemblement organisé au Haymarket Square, Albert prit la parole. Il restait quelque deux cents manifestants sur la place lorsque la police chargea. Une bombe de fabrication artisanale explosa, tuant un officier. Les forces de l’ordre ouvrirent le feu. On ne connut jamais le nombre exact de morts. L’état d’urgence et le couvre-feu furent décrétés. Les jours suivants, des centaines d’ouvriers furent arrêtés. Certains furent torturés. Sur les trente et une personnes mises en examen pour l’affaire de la bombe, huit furent incriminées.
Le 21 juin, le procès débuta. Après s’être entretenu avec Lucy, Albert se présenta face à la cour pour déclarer : « Vos honneurs, je suis venu afin que vous me jugiez avec tous mes compagnons innocents. » Le procès ne fut qu’une mascarade, aggravée par la campagne de diffamation lancée par la presse. Ce fut un véritable lynchage. Le jury déclara les huit accusés coupables. Cinq, dont Parsons, furent condamnés à mort par pendaison.
José Marti, futur apôtre de l’indépendance de Cuba, assistait au procès. Le 21 octobre, dans un article publié par le quotidien argentin la Nacion, il décrivit le comportement de Lucy lorsque la sentence fut prononcée : « La mulâtresse de Parsons est là, inflexible et intelligente comme lui, celle qui ne cille pas des yeux même dans les pires situations, qui parle avec une vibrante énergie dans les rassemblements publics, qui ne s’évanouit pas comme les autres, qui ne laisse apparaître aucun mouvement sur son visage lorsqu’elle entend la condamnation féroce (…). Elle appuie une joue contre son poing fermé. Elle ne regarde pas, ne répond pas ; on remarque un tremblement croissant de son poing… »
Pendant presque un an, Lucy, accompagnée de ses enfants, parcourut le pays pour faire connaître la vérité, suscitant un immense mouvement de solidarité. Mais le 11 novembre 1887, la sentence fut exécutée. « Tu es une femme du peuple, et je te confie au peuple… » lui a écrit Albert avant de mourir. Les patrons appliquèrent la journée de huit heures. Le sacrifice des martyrs ne fut pas vain. Après la mort de son époux, Lucy continua à organiser les ouvrières.
En juin 1905, lors de la création de l’Organisation des travailleurs ouvriers du monde, à Chicago, parmi les douze femmes présentes, Lucy fut la seule à prendre la parole. « Nous autres, les femmes de ce pays, nous n’avons aucun droit de vote. Le seul moyen est de prendre un homme pour nous représenter (…) et cela me paraîtrait étrange de demander à un homme de me représenter (…). Nous sommes les esclaves des esclaves… » Elle répétait que la libération des femmes n’aurait lieu qu’en luttant avec les hommes pour l’émancipation de la classe ouvrière. À quatre-vingts ans, elle continuait à conseiller, à former.
En février 1941, à quatre-vingt-huit ans, elle fit sa dernière apparition publique et l’année suivante, déjà aveugle, elle fut surprise par la mort dans l’incendie de sa maison. Même morte, la police la considérait encore comme une menace, « plus dangereuse que mille insurgés » : ses milliers de documents et livres furent saisis.
Hernando Calvo Ospina Auteur de Latines, belles et rebelles, aux Éditions le Temps des Cerises. 2015, 200 pages, 15 euros.
09:52 Publié dans Etats Unis, International, L'Humanité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lucy parson, premier mai, chicago |
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