02/01/2014
Républicain espagnol et communiste, Virgilio Peña a cent ans aujourd'hui...
Chronique de Jean Ortiz. Humble ouvrier agricole andalou, Virgilio est devenu un "héros" malgré lui, une "estrella" (une star) dit-il en pouffant de rire, grâce à son épopée et au documentaire Rouge miroir (Dominique Gautier et Jean Ortiz). La télé publique andalouse l'a programmé à plusieurs reprises. Le centenaire a une allure, un humour, une verve, une mémoire de jeune homme. Et des idéaux intacts."Toute ma vie j'ai été communiste. Et j'en suis fier."
Virgilio est né le deux janvier 1914, d'un père ouvrier agricole et d'une mère vendeuse de "churros", dans un village emblématique de la province de Cordoba: "Espejo" (en français: "miroir", cela ne s'invente pas), village à la blancheur rebelle, inondé d'oliviers et dominé par le château de la duchesse.
Son père, autodidacte, l'appela Virgile, du nom du poète latin qu'il lisait le soir, couché sur la paille. Lors du soulèvement paysan de 1918, la garde civile le tabassera jusqu'à le laisser "estropié". Il en mourra. Les reîtres bruleront ses livres (Virgile, Hugo...) sur la place du village.
Très jeune, Virgilio Peña (en espagnol, la "peña", c'est le rocher, cela ne s'invente pas non plus) adhère à la Jeunesse communiste, qui prône "la revolucion social".
Lorsque le 14 avril 1931 est proclamée en Espagne la République, le jeune ouvrier agricole ("jornalero") hisse le drapeau républicain au balcon municipal, "paseo de las Calleras". La République puis le Front populaire améliorent la vie, les conditions, jusque là esclaves, de travail des millions de "sans terre de l'époque". Même si la réforme agraire reste timide...Timide mais insupportable pour les grands propriétaires, les "caciques", l'oligarchie, l'Eglise, l'armée, la banque...
Lorsque le coup de force fascisant (le 18 juillet 1936) ensanglante le pays, le milicien Virgilio participe à la défense de son village andalou, puis rejoint le "bataillon Garcés". Il est aux premières lignes des combats acharnés de Pozoblanco, Villa del Rio, Lopera... L'intervention massive de Hitler et Mussolini, et l'hostilité antirépublicaine des gouvernements anglais et français, vinrent à bout de l'armée populaire.
La suite est connue. Internement honteux dans les camps, appelés "de concentration", du gouvernement Daladier et de la Troisième République: Barcarès et Saint-Cyprien.
En vidéo : un extrait de Rouge miroir de Dominique Gautier et Jean Ortiz
Envoyé à Bordeaux, Virgilio trime dans les vignobles puis à la construction de la "base sous-marine" allemande. Dès le début de 1942, il fait partie des premiers groupes de résistants. Le 19 mars 1943, il est arrêté et torturé par la police française puis livré aux nazis, qui le déportent en septembre 1943 à Buchenwald (matricule 40843), triangle rouge des "terroristes". Dans cet enfer, il organise la résistance du petit groupe d'Espagnols, et partage le même Block que Jorge Semprun. "Le 11 avril 1945, je suis né pour la deuxième fois. La résistance intérieure libère le camp, avant l'arrivée des Américains". Il en sort, la peau sur les os, en juin 1945, et rejoint Pau où il continue le combat antifranquiste avec ces camarades espagnols et français.
A cent ans, le jeune communiste Virgilio ne manque aucune manif, toujours un bon mot de "chispa" andalouse aux lèvres. Il y a des hommes "imprescindibles" (indispensables).
Publié par l'Humanité
11:44 Publié dans Actualité, Biographie, Guerre, Résistance | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : 2ème guerre mondiale, espagne, déportation, résistance, jean ortiz, franquisme, guerre civile espagnole, chroniques vénézuéliennes, jorge semprun | |
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28/12/2013
Fabre d'Églantine, blanc mouton
1750- 1794 . Philippe-François-Nazaire Fabre, plus connu sous le pseudonyme de Fabre d'Églantine, est un acteur, dramaturge, poète et homme politique français né le 29 juillet 1750 à Carcassonne et guillotiné à Paris le 5 avril 1794. Il avait voté la mort de Louis XVI. Fils d'un avocat au Parlement de Toulouse, Fabre d'Églantine, passionné par la poésie, obtient un lys d'argent pour un Sonnet à la vierge présenté aux jeux floraux de Toulouse.
«Il pleut, il pleut, bergère, presse tes blancs moutons. Allons sous ma chaumière, bergère, vite, allons. » C'est lui ! Georges Brassens n'a finalement presque rien inventé. Fabre d'Églantine avait fait la moitié du chemin pour ce qui est de tirer parti de l'orage. À ceci près que la chute de sa chanson, extraite d'un opéra-comique joué pour la première fois en 1780, consistait en une très sage demande en mariage auprès du père.
On ne saurait manier l'ironie à propos d'un dramaturge dont l'une des plus hautes fonctions a été d'occuper, en 1785, le poste de directeur du théâtre d'Avignon, lequel n'était pas encore aussi prestigieux que de nos jours, mais il a sans doute fallu des fondations avant que ne se pointe le grand architecte Jean Vilar, si l'on peut dire. Mais il occupa, au même moment, les mêmes fonctions à Nîmes où les mauvaises langues disent qu'il ne laissa pas un souvenir impérissable, sans doute pressé de retourner faire valoir ses qualités à la capitale.
Plusieurs de ses pièces, en tout cas, recueillent un petit succès d'audience. Et son nom d'artiste, qui deviendra un nom de révolutionnaire type, commence à être un peu connu. Il le tire d'une récompense acquise à ce qu'il dit lors du concours de poésie des jeux Floraux de Toulouse. Fils d'un marchand drapier de Carcassonne, Philippe-François-Nazaire Fabre, pour ce qui est de son nom de baptême, parcourt la France à la Molière, et même un peu les Pays-Bas. Et dans une lettre de courtisan adressée à Turgot, il vante de Louis XVI « les moeurs et les vertus ».
Fin 1789, voyant la Révolution s'installer dans la durée, il rejoint le club des Cordeliers, sis dans son quartier, mais sans oublier le club des Jacobins. En 1790, il produit son oeuvre la plus connue, illustrant l'inspiration révolutionnaire : le Philinte de Molière ou la Suite du Misanthrope. Il y mène une critique en règle contre l'égoïsme.
Au mois d'août 1792, Danton devient ministre de la Justice, il engage la plume aux blancs moutons comme secrétaire, lui assurant de quoi assumer de façon plus tranquille son train de vie un peu dispendieux. Il publie un journal mural, Compte rendu au peuple souverain, dans lequel il contribue au climat de tension qui conduira aux massacres de septembre. Et devient député parisien à la Convention.
Le plus clair de son activité se déroule dans les couloirs obscurs où il aime à jouer les intrigants - se doute-t-il que l'exercice est périlleux ? L'homme semble de surcroît peu regardant lorsqu'il s'agit de glaner un peu d'argent, se livrant à des spéculations. Il vote la mort du roi, mais, pour le reste, on ne saurait trop s'avancer pour définir sa ligne directrice. On le soupçonne d'ailleurs, d'avoir, en 1790, mis sur la table une somme de trois millions pour que les Jacobins défendent la monarchie.
La Convention le charge cependant de travailler avec le mathématicien Romme à la « confection du calendrier républicain ». En tant que poète, c'est à lui qu'il revient de proposer les mots nouveaux chargés de reléguer aux oubliettes ceux des temps passés.
Devant la Convention, il prononce donc le rapport instituant le changement. Heure de gloire pour Fabre d'Églantine. « La régénération du peuple français, l'établissement de la république ont entraîné nécessairement la réforme de l'ère vulgaire, commence l'orateur. Nous ne pouvions plus compter les années où les rois nous opprimaient, comme un temps où nous avions vécu. » Et de préciser : « Une longue habitude du calendrier grégorien a rempli la mémoire du peuple d'un nombre considérable d'images qu'il a longtemps révérées, et qui sont encore aujourd'hui la source de ses erreurs religieuses ; il est donc nécessaire de substituer à ces visions de l'ignorance les réalités de la raison, et au prestige sacerdotal la vérité de la nature. » Et d'égrener avec gourmandise les nouveaux mois républicains : vendémiaire, brumaire, frimaire, nivôse, pluviôse, ventôse, germinal, floréal, prairial, messidor, thermidor, fructidor.
Explication de l'auteur : « Les noms des mois qui composent l'automne ont un son grave et une mesure moyenne, ceux de l'hiver ont un son lourd et une mesure longue, ceux du printemps un son gai et une mesure brève, et ceux de l'été un son sonore et une mesure large. » Fallait-il s'en arrêter là ? Les décades remplacent la semaine, le primidi remplace le lundi... Et les cinq jours qui restent au final pour boucler une année (six pour les années bissextiles) seront nommés sanculottides.
En portrait de maître, sa chemise émerge d'un fier foulard blanc que l'on croirait sorti du Sahel, élégamment glissé sous une gabardine sombre. « Il coupe et fait lui-même ses habits de caractère, et sa garde-robe est magnifique », rapporte un observateur de théâtre.
Regard de chien battu, sourire un brin désabusé, il semble avoir épuisé sa part de rêve. Élu au Comité de sûreté générale, il est soupçonné d'avoir trempé dans le scandale de la Compagnie des Indes, qu'il finit par dénoncer avec la dernière vigueur.
Robespierre le honnit, détestant son influence sur Danton. Selon lui, il a « l'art de donner aux autres ses propres idées et ses propres sentiments à leur insu ». On l'accuse, blanc mouton, d'avoir falsifié un décret de la Convention relatif à la Compagnie des Indes. Il nie que ce fût son intention et répond : « surveillance aux intérêts de la nation ».
Le 17 germinal an II, puisque la vanité n'a pas tout à fait eu raison de lui, il fait partie de la charrette qui emmenait Danton, Desmoulins et quelques autres « indulgents » jusqu'aux marches de l'échafaud.
On a répété et amplifié beaucoup de propos tenus sous la contrainte du bourreau. Il se dit que Fabre d'Églantine se serait écrié : « Tu peux faire tomber ma tête, Fouquier, mais non pas mon Philinte. » Soit. Il se dit également que, se lamentant sur le trajet, de n'avoir pu achever la composition d'un poème, il se serait attiré une cinglante réplique de Danton, son mentor : « Ne t'inquiète donc pas, dans une semaine, des vers, tu en auras fait des milliers... » Deuxième quatrain du premier couplet : « J'entends sur le feuillage, l'eau qui tombe à grand bruit. Voici, voici l'orage, voilà l'éclair qui luit. »
Pierre Dharréville, l'Humanité
19:34 Publié dans Biographie, Révolution | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fabre eglantine, calendrier, révolution française | |
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19/12/2013
Le vrai visage de Robespierre
Par Guillaume Mazeau, historien, Institut d’Histoire de la Révolution française, membre du Comité de vigilance face aux usages publics de l'histoire.
"Il n’en finit pas de faire le buzz. Un peu plus de deux ans après la mise en vente de manuscrits inédits de Robespierre, des spécialistes de la reconstruction faciale en 3D viennent d’annoncer avoir reconstitué le «vrai visage» de celui qui, dans la mémoire nationale, incarne toujours le sanglant dictateur de la «Terreur». Massivement diffusé depuis quelques jours à l’occasion d’une grande opération médiatique, le visage numérique s’offre au regard des Français, invités à enfin juger par eux-mêmes, d’un coup d’œil, de la «vraie nature» de l’Incorruptible. En théorie parée de toutes les garanties scientifiques, l’équipe de Philippe Froesch, déjà responsable de la reconstruction du visage d’Henri IV, inspire spontanément confiance et laisse croire qu’il est possible, grâce à la technique numérique la plus pointue, d’accéder à une réalité du passé jusqu’ici cachée.
Authenticité mise en cause
Pourtant, de nombreuses raisons nous incitent à garder la tête froide devant cette « découverte scientifique ». Ce visage a été reconstitué à partir d'une copie d’un masque mortuaire moulé par madame Tussaud, dont l’authenticité a depuis longtemps été mise en cause ou rejetée. A la fin du 18e siècle, les vrais, les copies et les faux moulages pullulaient d’ailleurs dans toute l’Europe tant ils étaient une source de profit, jusqu’à se confondre, rendant leur authentification aujourd’hui extrêmement difficile. D’autre part, le visage ici dévoilé est bien surprenant : ni l’épaisseur des traits, ni la largeur de l’ossature, ni la profondeur des marques de la petite vérole ne correspondent avec l’extrême majorité des dizaines de descriptions, de dessins, de gravures, de peintures ou de sculptures dont nous disposons depuis très longtemps et qui évoquent, au contraire, un visage plutôt longiligne voire anguleux et légèrement ponctué de trous. De ce point de vue ce visage en 3D, décrit avec horreur dans les commentaires laissés sur internet, s'inscrit clairement dans une iconographie monstrueuse de Robespierre.
Fantasme
Ainsi, malgré le battage médiatique, l’intérêt historique de cette modélisation numérique a toutes les chances d’être bien faible… sauf si l’on s’intéresse aux fantasmes que cette figure continue d’inspirer: «Lorsque j'ai ouvert les yeux de Robespierre, son regard était glaçant, inquiétant. Pas de doutes cet homme faisait peur », explique Philippe Froesch dans Le Parisien du 13 décembre. On ne saurait mieux avouer que des procédés de moulage de la fin du 18e siècle à la biométrie actuelle, les techniques les plus sophistiquées des époques successives restent discrètement et puissamment guidées par les imaginaires politiques et sociaux que charrient les individus qui les utilisent. C’est d’ailleurs ici que se situe probablement le plus grand intérêt de cette vraie fausse découverte : montrer à quel point, plus de deux siècles après sa mort, la figure de Robespierre reste une source d’erreurs historiques et de fantasmes négatifs dans l'imaginaire collectif.
- A consulter:
Le site du Comité de vigilance face aux usages publics de l'histoire
- A lire aussi:
Guillaume Mazeau « Discréditer la Révolution sert à écarter des politiques égalitaires »
17:36 Publié dans Actualité, Révolution, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : robespierre, visage, histoire | |
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