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16/04/2025

Jacques Duclos, une vie au service de la révolution

Duclos1.jpg

Grand dirigeant communiste, résistant, parlementaire, plusieurs fois incarcéré pour ses activités politiques… la vie de Jacques Duclos est un roman. Il s’éteint en 1975, quelques années après avoir été un remarquable candidat à la présidentielle. Son parcours se confond avec les cinquante premières années du PCF.

 

Lorsque paru, le 1er janvier 1975, chez Grasset « Ce que je crois », de Jacques Duclos, on pouvait s’étonner qu’il lui faille, pour ainsi dire, ajouter une sorte de post-scriptum à ses Mémoires, dont le sixième et dernier tome avait été publié chez Fayard en 1973.

Nous ne savions pas que c’était là son dernier livre. Lui le savait. Et une phrase à la fin de l’ouvrage prit pour nous tout son sens quatre mois plus tard, quand Jacques – c’est ainsi que nous l’appelions – s’éteignit chez lui, le 25 avril 1975, il y a 50 ans, dans son petit pavillon de l’avenue du Président-Wilson, à Montreuil, séparé de celui de Benoît Frachon par la petite boutique d’un coiffeur, que nous connaissions bien pour y avoir, certaines nuits, « monté la garde », le chat Pom-Pom sur les genoux.

Cette phrase aurait dû nous prévenir : « Ce que mes yeux ne pourront peut-être pas voir, d’autres yeux le verront. Et la lumière l’emportera sur les ténèbres, la vie sera plus forte que la mort. »

Jacques, chef de guerre

Le 26 avril, un samedi, à la une de « l’Huma », un seul titre : « Jacques Duclos est mort » ; avec une superbe photo du dirigeant communiste et l’hommage du comité central du PCF : « Venu au Parti communiste français à la lumière de la grande révolution d’Octobre, par haine de la guerre qu’il venait de vivre, Jacques Duclos fut, avec Maurice Thorez, Marcel Cachin et Benoît Frachon, de ceux qui construisirent ce grand parti populaire et national et en firent l’avant-garde du combat de classe pour la démocratie et le socialisme… ». 

Le 29 avril, 200 000 personnes se pressaient dans le cortège qui accompagnait cette grande figure du mouvement communiste international. Elles rendaient ainsi hommage à cet orateur sans pareil du Palais Bourbon depuis 1926 et du Palais du Luxembourg depuis 1959, ce dirigeant du PCF, qui, dans la clandestinité, pendant quatre ans, avait eu la lourde et périlleuse tâche de diriger le Parti et les forces de la Résistance qui lui étaient affiliées.

Les circonstances – la défaite de 1940, l’Occupation, l’absence de Maurice Thorez, réfugié à Moscou – avaient fait de Jacques un chef de guerre, lui, le petit pâtissier né le 2 octobre 1896 à Louey, un village des Hautes-Pyrénées de 477 âmes à l’époque, qu’il avait dû quitter à 18 ans, en 1915, pour l’uniforme, les tranchées de Verdun, la boue, le sang et la mort. Démobilisé avec son frère Jean, une « gueule cassée », il n’attend pas pour rejoindre l’Association républicaine des anciens combattants, l’Arac, que vient de fonder Henri Barbusse.

Jacques avait lu « le Feu ». Il lisait beaucoup d’ailleurs. Blessé en 1916, à l’hôpital, il dévorait Balzac. Il lira toute sa vie. Dans le dernier tome de ses Mémoires, il nous parle de Lautréamont. Dans « Ce que je crois », il revisite la guerre d’Espagne, au cours de laquelle il fut plusieurs fois missionné par l’Internationale communiste (IC) ou le PCF –, à travers Hemingway et Bernanos. Il était incollable sur Hugo. Il s’en inspira beaucoup comme orateur, comme évidemment de Jaurès. Ils furent ses pairs, mais il conquit lui-même ses galons de tribun.

Qu’il prononce un discours au Parlement, qu’il harangue la foule dans un meeting, ou encore qu’il intervienne dans une simple réunion, comme celles du comité de section de Montreuil-Sud, auxquelles il se faisait un devoir d’assister quand son agenda le lui permettait, il faisait partager passions, colères et rires à son auditoire.

La journaliste Dominique Desanti s’en souvient : « Entendre Duclos pour la première fois, quelle fête pour l’oreille amie de l’éloquence ! Période balancée, formule répétée en refrain, symbiose de la tradition oratoire du Midi et des rites du langage communiste qui gagnent de la saveur à rouler sur le gravier d’un accent. Rond le petit corps, ronde la grosse tête, rondes les lunettes ; tout rassure, tout fait penser au matou ronronnant quand soudain cette voix vous emporte et quand soudain le regard, perçant et froid, vous atteint. »1

Le « complot des pigeons »

Il émaillait son propos d’anecdotes, de digressions, souvent drôles. Il avait sa ponctuation : « eh bien ! », « n’est-ce pas ». Il recourait souvent à des citations, quelques fois assez crues, comme dans ce meeting à la mairie de Montreuil pendant la campagne des élections législatives de 1958 où, accrochant son adversaire, un certain, Jean-Pierre Profichet, un médecin inconnu mais qui allait le battre, il avait repris la saillie de Napoléon à Talleyrand au château des Tuileries, le 28 janvier 1809 : « Tenez, Monsieur, vous n’êtes que de la merde dans un bas de soie. »

Ce soir-là, il ne le savait pas encore, mais s’achevait sa carrière de député. Commencée avec éclat en 1926 à Paris, avec une victoire sur Paul Reynaud, le futur président du Conseil de la débâcle de 1940, suivi en 1928 d’une autre sur Léon Blum, dans le 20e arrondissement de Paris, elle est brièvement interrompue en 1932 quand Jacques Duclos est défait, dans ce même arrondissement, par Marcel Déat, en 1932. Quatre ans plus tard, en 1936, il retrouvera le Palais Bourbon comme député de Montreuil. La même année, il est vice-président de la Chambre, fonction qu’il retrouvera à la Libération à l’Assemblée nationale, jusqu’en 1951.

La carrière parlementaire de Jacques Duclos ne fut pas un doux chemin. Plusieurs fois arrêté, condamné, incarcéré, au total, ses condamnations équivalaient à quarante-sept ans d’emprisonnement. Et rebelote après-guerre, avec le lamentable « complot des pigeons ». Le 28 mai 1952, le PCF et les Jeunes communistes organisèrent à Paris une manifestation contre la venue du général américain Ridgway à Paris. Elle tourna à l’émeute.

Le soir même, alors qu’il quittait le siège de « l’Humanité » pour rentrer chez lui en voiture, Jacques, sa femme, Gilberte, son chauffeur et son garde du corps furent arrêtés. En dépit de son immunité, il fut incarcéré à la Santé et libéré seulement le 1er juillet. On avait trouvé dans la voiture deux pigeons, morts ! Un cadeau. Cela suffit à voir là la main de Moscou. La presse se déchaîna.

Depuis la fin des années 1920 et surtout les années 1930, l’activité internationale de Jacques Duclos, laquelle était fort importante, ne cessait de faire de lui un des boucs émissaires privilégiés de la droite, de l’extrême droite montante et de leur presse. C’était « l’agent de Moscou » tout désigné et, pour certains spécialistes de l’anticommunisme, ça l’est encore aujourd’hui.

Dirigeant du PCF au côté de Maurice Thorez, parfois seul quand ce dernier n’était pas en France, Jacques était également dirigeant de l’Internationale communiste, pour laquelle il assuma nombre de missions auprès d’autres partis de l’IC. Internationaliste convaincu, il avait parfaitement intégré la formule de Jaurès : « Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup y ramène. » C’est pourquoi la grande dame que fut Dolores Ibarruri, la « pasionaria », salua sa mémoire au Père-Lachaise, en avril 1975.

La campagne de l’élection présidentielle de 1969

C’était seulement six ans après l’un des plus grands faits d’armes de Jacques : la campagne de l’élection présidentielle de 1969. Le général de Gaulle ayant démissionné à la suite d’un référendum qu’il avait perdu, une élection fut organisée, fixée au 1er juin 1969. Au lendemain de Mai 1968, les conditions d’une alliance à gauche, comme en 1965 avec la candidature de François Mitterrand, n’étaient pas réunies.

Le PCF choisit Jacques Duclos. Les socialistes, Gaston Deferre, appuyé par Pierre Mendès-France, tandis que le jeune Rocard s’alignait lui aussi. Georges Pompidou, l’ancien premier ministre de De Gaulle et Alain Poher, le président du Sénat, se concurrençaient sur la droite. Beaucoup restaient sceptiques, même chez les communistes, face à la candidature d’un homme de 72 ans, certes bien connu des communistes, mais pas beaucoup au-delà, surtout dans les jeunes générations.

La journaliste Michèle Cotta, qui allait suivre Jacques en campagne, faisait part de ses doutes le 5 mai 1969 : « Il n’est pas de prime jeunesse, évidemment. Son apparence physique ne plaide pas en sa faveur. Et, vieux stalinien qu’il est, il est loin d’incarner le renouveau du PC. Defferre et Jean-Jacques Servan-Schreiber ne jugent pas dangereux le candidat communiste. Ils n’en ont nullement peur. » Elle reconnaissait, moins de vingt jours après, le 22 mai 1969 : « Je m’étais trompée en pensant que Duclos était un mauvais choix. Il fait au contraire une campagne formidable : il est partout (…) tout en gardant son énergie intacte pour les enregistrements télévisés. (…) Il rigole tout le temps, avec ses petits yeux pétillants sous ses lunettes ». 

Le 1er juin 1969, Jacques Duclos prenait la troisième place, frôlant de justesse sa qualification pour le second tour (à moins de 500 000 voix près), avec 21,3 % des voix. Defferre atteignit péniblement les 5,0 % et Rocard 3,6 %. Refusant de soutenir Poher face à Pompidou, le PCF appela à l’abstention. Jacques lança son célèbre « Pompidou-Poher, c’est blanc bonnet et bonnet blanc ! ». Michèle Cotta fut séduite : « On ne peut pas mieux trouver : court, compréhensible par tous, impertinent, rigolo. Jacques Duclos aura mis de bout en bout les rieurs de son côté » (14 juin 1969).

Une dernière bataille, on pourrait dire un duel, attendait encore le sénateur de Seine-Saint-Denis. Le 22 octobre 1974, devant l’Association de la presse anglo-américaine, le ministre de l’Intérieur, Michel Poniatowski, avait déclaré que le Parti communiste était « un parti totalitaire et de caractère fascisant ». Le groupe communiste au Sénat déposa aussitôt une « question orale avec débat ».

Son président, Jacques Duclos, y demandait au ministre de l’Intérieur « comment il a pu qualifier de fascisant un parti dont le rôle dans la lutte contre le fascisme et dans la Résistance est historiquement reconnu et qui poursuit aujourd’hui dans la légalité et le respect de la Constitution une activité au service du peuple et de la nation ». La joute eut lieu le 12 novembre 1974. Jacques était déjà fatigué, malade. Ce ne fut pas son meilleur combat. Ce fut le dernier d’une vie faite par et pour l’engagement.

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05/01/2025

Biographie, Mme Sans-Gêne, Marie-Thérèse Figueur

Mme sans gene.jpgSoldate française, Marie-Thérèse Figueur (1774 – 1861), surnommée « Sans-Gêne » pour son audace et son franc-parler, participe à de nombreuses campagnes et batailles.

Marie-Thérèse Figueur naît le 17 janvier 1774 à Talmay, en Bourgogne. Sa mère meurt en couches. Thérèse perd son père à neuf ans, alors qu’elle n’est encore qu’une enfant. Son oncle maternel, Joseph Viart, sous-lieutenant dans le régiment de Dienne-Infanterie, devient son tuteur.

Thérèse Figueur a quinze ans lorsque éclate la Révolution française.

En 1793, suite à la chute des girondins, les provinces se révoltent contre Paris, arment des troupes, L’oncle de Thérèse, militaire retraité, reprend du service pour commander une compagnie de canonniers. Pour sa pupille, c’est la naissance d’une véritable vocation. Elle accompagne son oncle partout, au point qu’il finit par lui permettre de s’habiller en homme afin qu’elle puisse le suivre même en campagne.

C’est au moment de son enrôlement que son franc-parler lui vaut ce surnom de Sans-Gêne,

Thérèse repart en campagne, combattant désormais au sein de l’armée républicaine et s’efforçant d’obtenir grâce pour les prisonniers fédéralistes : « ce sont de bons Français ; ils ont été égarés comme moi ». À l’automne, elle participe au siège de Toulon, où elle est blessée à la poitrine

Thérèse Figueur poursuit ensuite le combat contre les Espagnols avec l’armée des Pyrénées-Orientales. Son courage et son franc-parler lui valent une grande popularité.

Près de Gérone, Thérèse sauve le général Noguez abandonné comme blessé et le conduit en lieu sûr. Elle participe ensuite à la deuxième campagne d’Italie.

Elle part pour l’Espagne en 1809. Elle y combat peu mais, à Burgos où elle stationne, gagne l’affection du curé qui la loge « malgré la haine que les Espagnols nourrissaient contre nous ». Elle entreprend de venir en aide à ses hôtes et aux plus démunis de la ville en distribuant des vivres, du pain, de la viande,

Thérèse Figueur prend sa retraite à 41 ans. Dépourvue de ressources, elle s’installe à Paris où elle tint un restaurant. Elle y retrouve son ami d’enfance, Clément Sutter, soldat lui aussi et se marient,

Un bonheur qui ne durera qu’un temps. Veuve onze ans après son mariage, Thérèse se retrouve à nouveau démunie. Elle conclut ainsi tristement ses mémoires,

« J’ai passé le reste de mes années à lutter contre la pauvreté. Aujourd’hui j’ai soixante-neuf ans, et je ne possède rien. Je n’ai autour de moi ni enfants ni famille ; j’attends avec résignation la mort dans un hospice.« 

Thérèse Figueur « Sans-Gêne » meurt en 1861, à l’âge de 86 ans.

 

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21/05/2023

La Commune et la justice. Eugène Protot

la commune,eugene prototLes communards avaient bien des raisons de vouloir réformer la justice. Nombre d’entre eux avaient éprouvé l’arbitraire judiciaire sous le Second Empire, voire avant pour les plus anciens d’entre eux, comme Blanqui ou Delescluze. Plus largement, la justice impériale était inique et particulièrement dure aux militants ouvriers.

Ce fut l’œuvre de la commission de la Justice, avec Ranc, Meillet, Vermorel, Babick, et, en premier lieu, celle de son délégué, Eugène Protot.

Eugène Protot (1839-1921), né dans une famille de paysans pauvres à Carisey (Yonne), vient à Paris en 1864 pour y faire des études, tout en travaillant. Il suit les cours d’Auguste Rogeard, qui est alors professeur de rhétorique à l’institut Delacour, rue du Cardinal-Lemoine, puis obtient une licence en droit en 1865.

Gagné au blanquisme au cours de ses études, il s’inscrit à l’AIT pour se rendre au 1er congrès à Genève, en septembre 1866, avec un groupe de militants blanquistes, contre l’avis de Blanqui. Il en est expulsé pour s’en être pris aux représentants français. Il est arrêté le 7 novembre 1866 au café La Renaissance, boulevard Saint-Michel, au cours d’une réunion avec les blanquistes qui devaient se prononcer sur son cas, et condamné en mars 1867 à 15 mois de prison et 100 francs d’amende. Il se soustrait à la prison en se cachant dans le faubourg Saint-Antoine, mais il est arrêté en février 1868 et envoyé à la prison de Sainte-Pélagie.

Eugene Protot2.jpgDevenu avocat, il défend les ouvriers et les opposants à l’Empire. Il est notamment l’avocat de Léon Mégy, un ouvrier mécanicien qui, en février 1870, avait tué accidentellement un policier lors d’une perquisition illégale[1]. De ce fait, il est lui-même poursuivi pour complot contre la vie de l’empereur. Lors d’une perquisition à son domicile, il s’enfuit de manière rocambolesque en bousculant les policiers (voir Le Monde illustré) pour soustraire son dossier d’avocat aux policiers. D’où une nouvelle condamnation.

Pendant le siège, il est maréchal des logis-chef à la 2e batterie d’artillerie à Nogent-sur-Marne, puis est élu commandant du 213e bataillon de la Garde nationale, dans le 11e. C’est lui qui, le 24 mars 1871, occupe les mairies des Ier et IIe arrondissements.

Élu à la Commune le 26 mars dans le 11e arrondissement, par 19 780 voix sur 25 183 votants, il entre le 29 mars à la commission de la Justice, puis est nommé le 16 avril délégué à la Justice.

Pendant le siège, il est maréchal des logis-chef à la 2e batterie d’artillerie à Nogent-sur-Marne, puis est élu commandant du 213e bataillon de la Garde nationale, dans le 11e. C’est lui qui, le 24 mars 1871, occupe les mairies des Ier et IIe arrondissements.

Élu à la Commune le 26 mars dans le 11e arrondissement, par 19 780 voix sur 25 183 votants, il entre le 29 mars à la commission de la Justice, puis est nommé le 16 avril délégué à la Justice.

Protot, délégué à la Justice

Lissagaray (chap. XVIII) résume la tâche qui attendait Protot :

Le délégué à la Justice n’avait qu’à résumer les reformes réclamées depuis longtemps par tous les démocrates. Il appartenait à la révolution prolétarienne de montrer l’aristocratie de notre système judiciaire ; les doctrines arriérées et despotiques du code napoléonien ; le peuple souverain, ne se jugeant jamais lui-même, jugé par une caste issue d’une autre autorité que la sienne ; la superposition absurde des juges et des tribunaux ; le tabellionat, le corps des procureurs, 40 000 notaires, avoués, huissiers, greffiers agréés, commissaires-priseurs, avocats, prélevant chaque année plusieurs centaines de millions sur la fortune publique ; de tracer les grandes lignes d’un tribunal où le peuple réintégré dans ses droits jugerait par jury toutes les causes civiles, commerciales, correctionnelles, aussi bien que les criminelles, tribunal unique sans autre appel que pour les vices de procédure.

Le délégué se borna à nommer des notaires, huissiers, commissaires-priseurs pourvu d’un traitement fixe, nominations très inutiles en ce temps de bataille et qui avaient le tort de consacrer le principe de ces offices. A peine si quelques intentions percèrent. Le serment professionnel fut aboli ; il fut décrété que les procès-verbaux d’arrestation énonceraient les motifs et les témoins à entendre ; les papiers, valeurs et effets des détenus durent être déposés à la caisse des dépôts et consignations. Un arrêté ordonna aux directeurs des établissements d’aliénés d’envoyer, sous quatre jours, un état nominatif et explicatif de leurs malades. Que la Commune eût fait le jour dans ces tanières, et l’humanité serait sa débitrice.

Me Rousse, bâtonnier de l’ordre des avocats et membre de l’Académie française, donne de Protot ce portrait, rapporté par Vuillaume, lors d’une visite à la délégation de la Justice, place Vendôme, en avril, au sujet de l’affaire Chaudey :

Dans cette grande pièce solennelle, pleine de si imposants souvenirs, une demi-douzaine d’individus très sales, mal peignés, en vareuse, en paletot douteux ou en blouse d’uniforme, remuaient des papiers entassés pêle-mêle sur des tables, sur les chaises et sur les planchers. Devant le grand bureau de Boulle, j’aperçus un grand jeune homme de vingt-quatre à vingt-cinq ans, mince, osseux, sans physionomie, sans barbe, sauf une ombre de moustache incolore, bottes molles, veston râpé, sur la tête un képi de garde national orné de trois galons. J’étais devant le garde des Sceaux de la Commune ; il se tenait debout, de lettres à la main.[2]   

Au lendemain du 28 mars, la Commune se trouvait, en matière de justice, confrontée à deux défis : d’une part, à court terme, faire face à la désorganisation de l’appareil judiciaire consécutive à la guerre, au siège et au départ des personnels de justice (procureurs, juges, greffiers) à Versailles, où ils avaient suivi Thiers et son gouvernement ; d’autre part poser les bases d’un nouveau système judiciaire conforme aux idéaux démocratiques de la Commune. Ceci, dans un contexte difficile, où la délinquance de droit commun, assez largement répandue, suscitait des réactions « sécuritaires », et où la guerre civile poussait à des mesures d’exception.

La Commune entendait établir ce nouveau système judiciaire sur deux principes : la gratuité de la justice et l’élection des magistrats.

Le préambule du décret du 25 avril, qui instaure un jury d’accusation élu pour le tribunal d’exception chargé de juger les otages, annonce les trois axes majeurs de cette refondation démocratique de la justice :

Considérant que si les nécessités de salut public commandent l’institution de juridictions spéciales, elles permettent aux partisans du droit d’affirmer les principes d’intérêt social et d’équité, qui sont supérieurs à tous les événements : le jugement par les pairs ; l’élection des magistrats ; la liberté de la défense.

La priorité fut de remettre en route la justice du quotidien, celle qui concernait la grande masse des justiciables : rétablir les tribunaux civils, les justices de paix, les offices publics (avoués, huissiers, greffiers, notaires, commissaires-priseurs). L’élection des magistrats resta à l’état de projet. Il fallut agir dans l’urgence en nommant des magistrats et des officiers publics.Eu égard à l’ampleur de la tâche et aux ambitions initiales, les réalisations furent modestes, du fait des circonstances, mais aussi du conflit larvé qui opposait Protot et la commission de la Justice à Rigault et à la commission de la Sûreté générale, qui avaient la main sur le système pénitentiaire.

Une série de mesures concernent ce que nous appellerions aujourd’hui « l’accès au droit ». Pour faciliter l’accès égal de tous à la justice, des dispositions visent à en réduire le coût pour les justiciables. Un arrêté du 23 avril supprime la vénalité des offices publics et alloue un traitement fixe aux officiers de justice, mettant fin à la pratique des pots-de-vin. Un autre arrêté, du 16 mai, stipule que les officiers publics doivent établir gratuitement les actes relevant de leur compétence :

Les notaires, huissiers et généralement tous les officiers publics de la Commune de Paris devront, sur l’ordre du délégué à la justice, dresser gratuitement tous les actes de leur compétence.

D’autres mesures allaient dans le sens d’une protection des droits des justiciables. Dès le 11 avril, Protot instaure une surveillance des prisons et des asiles, en exigeant de préciser le motif et la date de l’incarcération de chaque personne détenue. Afin d’éviter toute arrestation infondée, une autre disposition prévoit qu’un procès-verbal doit être dressé pour chaque arrestation et que les causes de l’arrestation doivent être précisées sur l’acte d’écrou en cas d’emprisonnement. Le 14 avril, la commission de la justice décrète que toute arrestation doit être notifiée dans les 24 heures au délégué à la justice, à défaut de quoi l’arrestation est jugée arbitraire. De même, aucune perquisition ne peut être effectuée sans mandat. Selon Lissagaray, il y eut, sous la Commune, 40 ou 50 perquisitions et 1300 ou 1400 arrestations, sans commune mesure avec les dizaines de milliers sous l’Empire, et plus encore après le 28 mai.

La Commune déclare que tout acte d’arbitraire sera suivi d’une destitution et de poursuites immédiates. C’est ce qui arrive au commissaire de police qui avait arrêté Gustave Chaudey (accusé d’avoir ordonné le feu sur les manifestants le 22 janvier) et qui avait saisi l’argent du prisonnier. Il est destitué, et la destitution rendue publique.

La Commune était également soucieuse du sort des détenus de droit commun, particulièrement nombreux en cette période d’explosion de la délinquance et de multiplication des petits délits (vols). De nombreux petits délinquants, emprisonnés parfois depuis longtemps sans jugement, furent libérés. Une commission en charge de visiter les prisons fut nommée.

On a beaucoup monté en épingle la destruction de la guillotine, et la puissance symbolique qu’elle revêtait. Mais il s’agissait d’une initiative de gardes nationaux et d’habitants du 11e, et non d’une initiative de la Commune. La peine de mort, qui divisait les membres de la Commune, ne fut pas mise en débat.

À ces mesures, qui concernaient la justice ordinaire, il faut ajouter les juridictions d’exception, liées à la guerre civile.

Ce fut Protot qui, le 5 avril, rédigea le décret des otages[3]. Un jury d’accusation devait statuer sous 24 heures sur le maintien en détention des personnes arrêtées. Mais sa mise en place fut très lente et la première session n’eut lieu que le 19 mai. On sait que le décret ne fut pas appliqué avant la Semaine sanglante. Et encore, l’exécution des otages le 22 mai échappa-t-elle à la procédure instituée.

La Commune institua encore une justice militaire, afin de maintenir la discipline de la force armée, avec des conseils de discipline au niveau des légions, et des cours martiales. Il n’y eut qu’une seule exécution, celle d’un jeune homme de 20 ans, qui avait reconnu avoir vendu (pour 20 fr.) aux versaillais le plan des positions fédérées. Une cour martiale, composée de La Cecilia, Johannard et Grandier, le condamna à mort le 18 mai aux Hautes-Bruyères.

Protot dans la Semaine sanglante, dans l’exil et après l’exil

Protot participe aux derniers combats de la Semaine sanglante. « J’étais à la barricade de la rue Fontaine-au-Roi et du faubourg du Temple, racontait-il à Vuillaume, à Genève, un soir d’octobre 1871. Le vendredi (26 mai) nous nous battions là depuis le matin. Vers cinq heures, tous les défenseurs étaient tombés. Je restais presque seul. Tout d’un coup, je suis précipité à terre par une violente poussée. Une balle explosible – qui m’a fait sept blessures. La joue crevée, le visage et la vareuse couverts de sang… » Blessé, il est secouru et caché.

On le retrouve en Suisse, à Genève, en octobre 1871. Condamné à mort par contumace le 19 novembre 1872, il voyage entre la Suisse, la Belgique, l’Italie et l’Angleterre. Rentré en France, après l’amnistie de 1880, sa réintégration au barreau de Paris est refusée par le conseil de l’ordre des avocats. Aux élections de 1889, il se présente à Marseille, au siège de Félix Pyat, décédé, contre Jules Guesde, qu’il accusait d’être un « agent salarié de l’Allemagne » et d’avoir « déserté la patrie en ses jours de détresse et de deuil ».

Il était en effet devenu très hostile au marxisme, en particulier aux sociaux-démocrates allemands. En 1892, il écrivait dans Chauvins et réacteurs :

Sous l’inspiration des social-démocrates de Berlin, le marxisme a échoué le socialisme français dans une bénigne et méprisante philanthropie, les bons traitements envers les ouvriers, la sollicitude du gouvernement pour les classes laborieuses [...] Les chefs de ce socialisme néo-chrétien, des oligarques, d’anciens fonctionnaires de l’Empire, des gradués des lettres et des sciences, partagent cet insolent préjugé de leur caste, que le peuple est composé d’individus d’une espèce inférieure [...] L’idée de laver le peuple est une monomanie des marxistes.

Son combat se cristallisa contre la célébration du 1er mai par les guesdistes du Parti ouvrier français (POF) et contre Paul Lafargue. Dans Les Manifestes de la Commune révolutionnaire contre le 1er mai, il fustigeait « une fête allemande dans laquelle les esclaves modernes… implorent de meilleurs traitements, s’agenouillent devant le maître et reconnaissent la légitimité de leur servitude ». Ses attaques contre les marxistes et contre Lafargue virèrent à un chauvinisme douteux :

La social-démocratie a placé un des gendres du prussien Karl Marx, l'heimatlos Lafargue, cubain pendant la guerre de 1870 pour ne pas combattre sa famille allemande, naturalisé français par M. Ranc, pour appuyer la politique des radicaux, élu député français par l'appoint clérical de Lille, pour faire alliance avec les papistes de l'extrême-droite, introducteur de l'anti-patriotisme en France, auteur de : "La Patrie, keksekça ?" où le démembrement de la France est prédit comme chose juste, fatale et imminente.

Protot, après son retrait de la vie politique en 1898, s’était fait orientaliste. Il avait suivi les cours de l’École des Langues orientales et obtenu un diplôme de langue arabe, puis de langue persane. Vuillaume écrivait en 1910 :

Si vous allez un jour, à la Bibliothèque nationale, regardez à l’une des tables du fond, à gauche. Ce solide gaillard penché sur une pile de bouquins, la joue glorieusement étoilée d’une terrible blessure... C’est Protot.

Habitant au 216 boulevard Voltaire, dans le XIe, il vivait chichement des revenus que lui assurait sa connaissance de l’arabe et du persan.

Dernier survivant des membres de la Commune, Eugène Protot meurt le 17 février 1921 à l’hôpital Saint-Antoine. Il est enterré à Carisey, son village natal, en bordure d'un champ qui appartenait à sa famille.

Diego DIAZNombre de pages : 4415 €
Format(s) : Papier PDF EPUB MOBI

Sources : Bulletin de la Commune

Jean-Louis Robert, « La Commune et la justice », dans Michel Cordillot (coord.), La Commune de Paris 1871. Les acteurs, l’évènement, les lieux, Éditions de l’Atelier, 2021, p. 515-516.

Notice « Protot Louis, Charles, Eugène », dans Michel Cordillot (coord.), p. 1093-1095.

https://maitron.fr/spip.php?article136007, notice PROTOT Eugène [PROTOT Louis, Charles, Eugène], version mise en ligne le 1er décembre 2010, dernière modification le 7 février 2020.

Prosper-Olivier Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, La Découverte, éd. 2000, chap. XVIII. Les services publics.

Les services publics sous la Commune, Amies et Amis de la Commune de Paris, 2016.

« Eugène Protot, l’avocat qui n’aimait pas le 1er mai », L’Humanité, 25 août 1971.

Eugène Protot, délégué à la justice, sur notre site.

La Commune et la justice, sur notre site.

Notes

[1] Voir Michèle Audin, Mardi 22 février 1870, l’affaire Mégy, https://macommunedeparis.com/2018/02/22/n64-mardi-22-fevr...

[2] Voir Maxime Vuillaume, Mes Cahiers rouges. Souvenirs de la Commune, La Découverte, 2011, p.420-422.

[3] Voir Maxime Vuillaume, Mes Cahiers rouges. Souvenirs de la Commune, La Découverte, 2011, p.514-516.

Voir aussi Éphéméride, 5 avril.

11:01 Publié dans Biographie, La Commune, Révolution | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : la commune, eugene protot | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook |