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07/04/2014

Voyage au bout de l'horreur. De l'envoyé spécial au Rwanda de l'Humanité !

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30 avril 1994, de notre envoyé spécial au Rwanda.

L'HORREUR, c'est d'abord une odeur. L'odeur de corps suppliciés, en voie de décomposition. Angoissante quand on s'approche. Apre et donnant le vertige lorsqu'on se trouve au bord du trou. La preuve avec celui découvert dans le secteur de Kiziguro.

A quelques dizaines de mètres de la route, un énorme trou au milieu des arbres. Au fond, plusieurs centaines de cadavres. D'en haut, on distingue nettement les vêtements aux teintes vives ainsi que la coloration blafarde et cendrée des visages et des mains. Au-dessus de ce magma humain, une femme gît dans une pose grotesque et obscène.

Gamaliel Segnicondo, enseignant à l'école primaire, témoigne: «Les massacres ont commencé à partir du 8 avril (la mort du président rwandais remonte au 6 au soir). Depuis deux jours, les gens venaient se réfugier à la paroisse (l'église et les bâtiments environnants). Les «padre» étaient partis.» D'après lui, ils ont été près de huit cents à rejoindre ce «refuge». Ils ont été massacrés dans l'église. Silence. «On a sauvé en tout et pour tout treize personnes. Une est morte par la suite. Il ne reste que douze survivants.» La plupart des morts sont des Tutsis. La plupart car d'autres ont été tués aussi en raison de leur appartenance politique. Certains étaient des Hutus.

«Tous ont été tués à la machette, au bâton ou avec une barre de fer. Juste un coup sur le sommet du crâne, insiste Gamaliel. Pour certains, on avait pris soin, avant, de leur lier les mains. Pendant ce temps, j'étais caché car je savais que j'étais sur la liste. Puis, j'ai appris l'existence de ce trou. C'est là qu'ils jetaient les cadavres même si certains étaient encore vivants.» A l'approche des troupes du Front patriotique rwandais (FPR), les massacreurs s'enfuient. Alors Gamaliel décide d'agir pour sauver des vies: «J'ai été à la paroisse chercher des fils électriques. Avec un Blanc, un Suisse, on les a tressés pour faire un câble. Grâce à lui, nous en avons retiré huit qui étaient vivants. Ils sont parmi les douze dont je vous ai parlé.»

Gamaliel l'affirme: «Ce sont les milices MRND (le parti au pouvoir) et CDR (formation la plus extrémiste créée par les partisans de la dictature) qui ont perpétré ces massacres. Avant de fuir, ils ont ensuite détruit la paroisse et l'hôpital. Le FPR est arrivé ici le 14 au soir. Aujourd'hui, nous n'avons plus de médicaments. Nous mourons de la malaria.»

Ce charnier n'est qu'un parmi tant d'autres dans cette région. Mais il est le premier que je découvre. Hébété par le choc, je demande un peu stupidement à un des combattants du FPR si les craintes d'épidémie ne devraient pas conduire à boucher le trou le plus rapidement possible. Avec un sourire amer, l'officier me répond: «Nous y pensons. Mais nous voulions d'abord montrer ça à des journalistes. Il y a des choses qu'il faut connaître. Sinon, on ne nous croirait peut-être pas.»

Ce charnier existe, je l'ai vu, et puis après? Les premiers cadavres se trouvent à cinquante mètres au-dessous de moi. Je les regarde, mais ne peux les photographier. Un flash est inutile à cette distance. Il faudrait au moins un projecteur et un téléobjectif. Au Rwanda, il n'y a plus d'électricité depuis des semaines... Autant dire que la photo-preuve est matériellement impossible aujourd'hui. Ce charnier, il faudra bien un jour pourtant le combler avant que les conditions ne soient réunies pour produire «la» démonstration irréfutable devant la postérité.

Alors, cette atrocité sera-t-elle gommée de la mémoire? Après tout, il y a bien en Europe des gens qui nient les chambres à gaz et les crimes nazis contre l'humanité! Si l'on peut nier un génocide, pourquoi n'en réfuterait-on pas un autre? Y aura-t-il un jour des «révisionnistes» rwandais et un Faurisson africain?

Je découvrais le lendemain que cette fixation sur le puits de Kiziguro a quelque chose de dérisoire. A Rukara, non loin de là, les milices gouvernementales ont fait entrer 1.500 et 2.000 morts dans un trou similaire. Au bas mot, 700 à 800 cadavres (comment les compter?) pourrissent au soleil ou fermentent dans l'ombre intérieure des maisons.

Leur vision est repoussante, insoutenable. Quelques kilomètres plus loin, dans la paroisse de Mukarange, il y a ce bûcher improvisé où pendent bras et jambes, ainsi que des corps qui semblent s'obstiner à ne pas brûler. Un de mes interlocuteurs me dit: «Les morts, on n'a pas fini de les trouver. Dans les paroisses, c'est facile, on sait qu'ils sont là. Mais dans les forêts, combien sont-ils?»

Il a raison. De la voiture, je repère les cadavres gisant dans les fossés. De la bananeraie voisine, une puanteur horrible s'élève. Partout, l'odeur de la mort semble régner dans ce pays...

Jean Chatain pour l'Humanité

20:01 Publié dans Actualité, Guerre, International, Monde, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook |

21/03/2014

Le Constellation de la Flying Tiger : l’autre avion disparu dans le Pacifique !

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52 ans avant la disparition encore inexpliquée du vol MH370 de la Malaysian Airlines, un autre avion se volatilisait déjà au-dessus du Pacifique, quelque part à l’ouest des côtes philippines. Retour sur l’une des dernières grandes catastrophes aériennes toujours inexpliquée, un demi-siècle plus tard.

Vol 739 pour Saigon

Parti de Californie, le vol 739 de la Flying Tiger Line transportait une centaine de militaires américains et 11 membres d’équipage vers le sud du Vietnam. Compagnie civile, la Flying Tiger avait été fondée en 46 par un ancien de la célèbre unité aérienne des Tigres Volants, chère au cœur des amateurs de Buck Danny. Un arrière-plan militaire qui explique sans doute en partie que l’US Army ait fait appel en 1962 à la compagnie pour envoyer une centaine d’hommes à Saigon (Ho Chi Minh Ville aujourd’hui), dans le contexte un tantinet bordélique que l’on sait. En l’occurrence, ces GI’s partent relever des camarades occupés à former les militaires vietnamiens du sud-Vietnam, en pleine guérilla contre leurs compatriotes du nord-Vietnam.

Constellation_TWA.jpgL’appareil, un Super Constellation sorti des usines Lockheed totalise plus de 17 000 heures de vol. Le trajet prévoit quatre escales, la première à Guam où l’avion se pose à 11h14. Il redécolle de Guam à 12h57 en direction des Philippines où il est censé se poser un peu après 19 heures. Ses réservoirs contiennent pour 9 heures de carburant. Le temps est clair et la mer est calme.

80 minutes après son décollage, le pilote envoie un message de routine – ce sera le dernier contact entre le sol et l’appareil, qui survole à peu près l'emplacement de la fosse des Mariannes à ce moment-là. A 15h39, l'opérateur radio de Guam tente de joindre le vol 739, sans succès. Quelques heures plus tard, l’avion n’arrivant pas, les opérations de recherches sont lancées par l’état-major. Elle reste comme l’une des plus vastes de l’histoire de l’aviation.

Le premier jour, les recherches se poursuivent tout la nuit et implique l’ensemble des forces américaines présentes dans la zone – et en pleine guerre froide, le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont nombreuses. Les avions partent de Guam et de Clark Field, les bateaux de la 7ème flotte américaine sillonnent la zone et l’armée de l’air y ajoute ses forces stationnées à Okinawa. Tous les navires du secteur se lancent à la recherche de la moindre piste, dans une zone maritime qui couvre près de 200 000 km². Les capitaines des avions et des bateaux civils sont contactés. Rien et rien encore, quatre jours plus tard.

Les communiqués d’abord volontaristes de l’état-major laissent la place à des déclarations bien moins optimistes. La zone de recherche, rapidement élargie, dépassait 500 000 km² quand après 8 jours d’effort, les Etats-Unis annoncèrent leur intention d’abandonner les recherches.

Que s’est-il passé ?

Comme aujourd’hui, ce ne sont pas les hypothèses qui manquent. Le contexte international plus que tendu à cette époque où l’intervention américaine au Vietnam ne dit pas encore son nom est dans toutes les têtes. Les journaux ne tardent à pas à remarquer que deux autres avions de la Flying Tiger ont été sabotés le même jour, alors qu’ils transportaient du matériel militaire vers le sud-Vietnam. Bien entendu, l’opacité des réponses de l’état-major ne fait strictement rien pour calmer les médias.

La Compagnie aérienne en rajoute encore une couche en reconnaissant dans un communiqué qu’aucune thèse ne peut être écartée, y compris celle d’une forme particulièrement originale de kidnapping. En laissant entendre que ses appareils ont été sabotés ou détournés, la Flying Tiger semble surtout chercher à se défendre de toute faute humaine ou technique dans l’entretien de ses appareils – tous d’occasion.

Le hic, c’est qu’aucun élément ne peut venir infirmer ou confirmer ces hypothèses : les avions de 1962 ne sont pas truffés d’électronique et n’envoient pas d données de navigation un rythme aussi régulier qu’aujourd’hui. Aucun satellite n’est susceptible d’apporter la moindre image aux enquêteurs.

Il y a bien ce pétrolier dont l’équipage dit avoir détecté un flash brillant dans le ciel puis aperçu deux boules de feu tombant dans l’océan, mais rien de concluant : sur la zone en question, aucun débris n’est retrouvé, aucune trace de carburant, rien.Quant aux traces de condensation, elles évoquent les traînées que laissent des moteurs à réaction, ce qui n'est pas le cas des Constellation dotés de modèles à hélice.

L’épave ne sera jamais retrouvée. La conclusion du Civil Aeronautic Board ne pourra que constater « qu’en raison de l'absence de toute preuve, le Conseil n'est pas en mesure d'affirmer avec certitude le sort exact du vol 739 ». La disparition des 104 hommes et des 3 femmes présents à bord est à ce jour la plus grande des catastrophes aériennes restées inexpliquées.

Publié par France TV

14:15 Publié dans Espace, Société, Voyage | Lien permanent | Commentaires (1) | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook |

06/03/2014

Peintures et parcours d’André Fougeron

peinture, exposition, jacques callot, andré fougeron, georg grosz, auguste lecoeurLa Piscine, à Roubaix, consacre une importante exposition au peintre. De la guerre d’Espagne au pays des mines, il se confronta à 
la réalité sociale et le paya.

L’importante exposition consacrée à André Fougeron à la Piscine, à Roubaix, est sans aucun doute l’une des plus intéressantes du moment. D’abord en donnant à voir le parcours et les œuvres réelles d’un peintre aujourd’hui méconnu, ensuite par les questions qu’elle amène, aussi bien sur les notions d’engagement et de réalisme que sur les enjeux esthétiques et politiques des années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, et particulièrement au sein et autour du Parti communiste, dont il faut rappeler qu’il pesait alors un quart des voix dans le pays. Né en 1913, ouvrier métallurgiste, Fougeron commence à peindre dans les années 1930, inspiré en particulier par la guerre d’Espagne. Il adhère au PCF en 1938. ­Résistant, il crée le Front national des arts et sera par la suite de tous les combats progressistes en France, toujours aux côtés du PCF.

peinture, exposition, jacques callot, andré fougeron, georg grosz, auguste lecoeurEn peinture, son parti pris est clair. « Le problème essentiel en art est celui de l’affrontement avec la réalité sociale », dira-t-il encore sur le tard, en 1982. Cette position ne peut être caricaturée. Car en réalité, elle traverse l’histoire de la peinture et les œuvres de Jacques Callot, de Goya, de Delacroix même, des expressionnistes allemands, Otto Dix ou Georg Grosz en témoignent. Pourtant, directeur de la Piscine, Bruno Gaudichon relève avec pertinence que la place paradoxale de Fougeron est « celle d’un peintre d’images tout autant que celle d’un peintre sans images ».

Peintre d’images. Si dans ses débuts il cherche du côté de Matisse et de Picasso, mais aussi de l’expressionnisme, il s’inscrit dans les années 1950, avec la série le Pays des mines, avec des toiles comme les Parisiennes au marché, dans une veine réaliste tournée vers la représentation du peuple, des travailleurs. Il évoluera par la suite, sans se départir de son attachement aux réalités sociales vers une manière proche de la figuration narrative des années 1970-1980 (Rancillac, Télémaque, ­Fromanger, Cueco…).

Un grand témoin de l’Histoire du XXe siècle

peinture, exposition, jacques callot, andré fougeron, georg grosz, auguste lecoeurMais s’il est un peintre sans images, c’est aussi qu’il y a une légende noire de Fougeron pas tout à fait infondée. Si Picasso fut, dans l’après-guerre, l’immense peintre « venu au communisme comme on va à la fontaine », Fougeron est en fait le peintre préféré d’une partie de la direction communiste, autour d’Auguste Lecœur, qui le voit plus proche alors d’un réalisme militant.

À la mort de Staline, la publication à la une des Lettres françaises, dirigées par Aragon, de son portrait par Picasso donne lieu à une violente campagne de critiques largement suscitées par la direction du PCF en l’absence de Thorez, alors soigné à Moscou. Fougeron y prend part avec une lettre qui ne l’honore pas et qu’il regrettera par la suite. Thorez dès son retour de Moscou sifflera la fin de la récréation en rendant visite à Picasso mais, pour l’histoire, le costume de Fougeron est taillé. Il nous faut aujourd’hui le regarder, en toute sincérité, en tant que peintre – et, là, les avis sont partagés – et comme un grand témoin de l’Histoire du XXe siècle, de ses conflits, ses impasses et ses espoirs.

Jusqu’au 18 mai.

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Maurice Ulrich, l'Humanité