28/12/2013
Fabre d'Églantine, blanc mouton
1750- 1794 . Philippe-François-Nazaire Fabre, plus connu sous le pseudonyme de Fabre d'Églantine, est un acteur, dramaturge, poète et homme politique français né le 29 juillet 1750 à Carcassonne et guillotiné à Paris le 5 avril 1794. Il avait voté la mort de Louis XVI. Fils d'un avocat au Parlement de Toulouse, Fabre d'Églantine, passionné par la poésie, obtient un lys d'argent pour un Sonnet à la vierge présenté aux jeux floraux de Toulouse.
«Il pleut, il pleut, bergère, presse tes blancs moutons. Allons sous ma chaumière, bergère, vite, allons. » C'est lui ! Georges Brassens n'a finalement presque rien inventé. Fabre d'Églantine avait fait la moitié du chemin pour ce qui est de tirer parti de l'orage. À ceci près que la chute de sa chanson, extraite d'un opéra-comique joué pour la première fois en 1780, consistait en une très sage demande en mariage auprès du père.
On ne saurait manier l'ironie à propos d'un dramaturge dont l'une des plus hautes fonctions a été d'occuper, en 1785, le poste de directeur du théâtre d'Avignon, lequel n'était pas encore aussi prestigieux que de nos jours, mais il a sans doute fallu des fondations avant que ne se pointe le grand architecte Jean Vilar, si l'on peut dire. Mais il occupa, au même moment, les mêmes fonctions à Nîmes où les mauvaises langues disent qu'il ne laissa pas un souvenir impérissable, sans doute pressé de retourner faire valoir ses qualités à la capitale.
Plusieurs de ses pièces, en tout cas, recueillent un petit succès d'audience. Et son nom d'artiste, qui deviendra un nom de révolutionnaire type, commence à être un peu connu. Il le tire d'une récompense acquise à ce qu'il dit lors du concours de poésie des jeux Floraux de Toulouse. Fils d'un marchand drapier de Carcassonne, Philippe-François-Nazaire Fabre, pour ce qui est de son nom de baptême, parcourt la France à la Molière, et même un peu les Pays-Bas. Et dans une lettre de courtisan adressée à Turgot, il vante de Louis XVI « les moeurs et les vertus ».
Fin 1789, voyant la Révolution s'installer dans la durée, il rejoint le club des Cordeliers, sis dans son quartier, mais sans oublier le club des Jacobins. En 1790, il produit son oeuvre la plus connue, illustrant l'inspiration révolutionnaire : le Philinte de Molière ou la Suite du Misanthrope. Il y mène une critique en règle contre l'égoïsme.
Au mois d'août 1792, Danton devient ministre de la Justice, il engage la plume aux blancs moutons comme secrétaire, lui assurant de quoi assumer de façon plus tranquille son train de vie un peu dispendieux. Il publie un journal mural, Compte rendu au peuple souverain, dans lequel il contribue au climat de tension qui conduira aux massacres de septembre. Et devient député parisien à la Convention.
Le plus clair de son activité se déroule dans les couloirs obscurs où il aime à jouer les intrigants - se doute-t-il que l'exercice est périlleux ? L'homme semble de surcroît peu regardant lorsqu'il s'agit de glaner un peu d'argent, se livrant à des spéculations. Il vote la mort du roi, mais, pour le reste, on ne saurait trop s'avancer pour définir sa ligne directrice. On le soupçonne d'ailleurs, d'avoir, en 1790, mis sur la table une somme de trois millions pour que les Jacobins défendent la monarchie.
La Convention le charge cependant de travailler avec le mathématicien Romme à la « confection du calendrier républicain ». En tant que poète, c'est à lui qu'il revient de proposer les mots nouveaux chargés de reléguer aux oubliettes ceux des temps passés.
Devant la Convention, il prononce donc le rapport instituant le changement. Heure de gloire pour Fabre d'Églantine. « La régénération du peuple français, l'établissement de la république ont entraîné nécessairement la réforme de l'ère vulgaire, commence l'orateur. Nous ne pouvions plus compter les années où les rois nous opprimaient, comme un temps où nous avions vécu. » Et de préciser : « Une longue habitude du calendrier grégorien a rempli la mémoire du peuple d'un nombre considérable d'images qu'il a longtemps révérées, et qui sont encore aujourd'hui la source de ses erreurs religieuses ; il est donc nécessaire de substituer à ces visions de l'ignorance les réalités de la raison, et au prestige sacerdotal la vérité de la nature. » Et d'égrener avec gourmandise les nouveaux mois républicains : vendémiaire, brumaire, frimaire, nivôse, pluviôse, ventôse, germinal, floréal, prairial, messidor, thermidor, fructidor.
Explication de l'auteur : « Les noms des mois qui composent l'automne ont un son grave et une mesure moyenne, ceux de l'hiver ont un son lourd et une mesure longue, ceux du printemps un son gai et une mesure brève, et ceux de l'été un son sonore et une mesure large. » Fallait-il s'en arrêter là ? Les décades remplacent la semaine, le primidi remplace le lundi... Et les cinq jours qui restent au final pour boucler une année (six pour les années bissextiles) seront nommés sanculottides.
En portrait de maître, sa chemise émerge d'un fier foulard blanc que l'on croirait sorti du Sahel, élégamment glissé sous une gabardine sombre. « Il coupe et fait lui-même ses habits de caractère, et sa garde-robe est magnifique », rapporte un observateur de théâtre.
Regard de chien battu, sourire un brin désabusé, il semble avoir épuisé sa part de rêve. Élu au Comité de sûreté générale, il est soupçonné d'avoir trempé dans le scandale de la Compagnie des Indes, qu'il finit par dénoncer avec la dernière vigueur.
Robespierre le honnit, détestant son influence sur Danton. Selon lui, il a « l'art de donner aux autres ses propres idées et ses propres sentiments à leur insu ». On l'accuse, blanc mouton, d'avoir falsifié un décret de la Convention relatif à la Compagnie des Indes. Il nie que ce fût son intention et répond : « surveillance aux intérêts de la nation ».
Le 17 germinal an II, puisque la vanité n'a pas tout à fait eu raison de lui, il fait partie de la charrette qui emmenait Danton, Desmoulins et quelques autres « indulgents » jusqu'aux marches de l'échafaud.
On a répété et amplifié beaucoup de propos tenus sous la contrainte du bourreau. Il se dit que Fabre d'Églantine se serait écrié : « Tu peux faire tomber ma tête, Fouquier, mais non pas mon Philinte. » Soit. Il se dit également que, se lamentant sur le trajet, de n'avoir pu achever la composition d'un poème, il se serait attiré une cinglante réplique de Danton, son mentor : « Ne t'inquiète donc pas, dans une semaine, des vers, tu en auras fait des milliers... » Deuxième quatrain du premier couplet : « J'entends sur le feuillage, l'eau qui tombe à grand bruit. Voici, voici l'orage, voilà l'éclair qui luit. »
Pierre Dharréville, l'Humanité
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06/12/2013
NELSON MANDELA : UNE LEGENDE ET UN SYMBOLE UNIVERSEL !
« L’espoir est une arme puissante quand il ne reste plus rien d’autre ! » écrivait, depuis sa prison, Nelson Mandela, en 1970
L'ancien président sud-africain Nelson Mandela a été considéré en 2005 comme le "plus grand homme" de la scène internationale selon les Français, les Allemands et les Britanniques interrogés par TNS pour la chaîne CNN et depuis sa légende et son extraordinaire histoire l’a rendu universel dans le monde entier.
Pourtant bien peu en dehors des communistes en France et du journal l'Humanité l'ont soutenu pour demander sa liberté. Aujourd'hui disparu l'hommage est universel.
NELSON MANDELA : SA VIE !
Une enfance africaine : 1918-1927
C'est en plein hiver austral, le 18 juillet 1918, que naît Nelson Rolihlahla Mandela, fils de Gadla Henry Mphakanyiswa et de Noseki Fanny, et de ce fait membre de la maison royale des Thembus.
Son premier prénom, il le doit à son père et à la passion que celui-ci voue à l'amiral anglais vainqueur des marines française et espagnole à Trafalgar. Son second, il le tient de la tradition xhosa (1). "Tirer la branche d'un arbre ", en est la traduction à la lettre. " Celui qui crée des problèmes ", en est la traduction dans l'esprit.
De là à penser que le baptême indique d'ores et déjà au nouveau né le chemin à suivre, il y a un pas qu'il ne faut pas franchir...
Surtout en cette année 1918, surtout à Mvezo, petit village traditionnel de la région rurale du Transkeï. La rivière Mbashe à quelques mètres du " kraal " (le village familial) fait office de frontière. Umtata, la capitale provinciale située à quelques dizaines de kilomètres de là, figure l'au-delà d'une limite qu'on ne franchit presque jamais.
Quant à Johannesburg, the " Big city ", c'est déjà la planète Mars. Ne parlons même pas de Versailles, même si cette année-là, s'y tient un Congrès de la paix suivant de peu la fin de la Première Guerre mondiale, même si une délégation de l'ANC s'y rend pour attirer l'attention de la communauté internationale sur le sort des Africains d'Afrique du Sud. La communauté internationale avait bien autre chose à faire. Mvezo aussi.
C'est donc l'insouciance et la tradition qui accompagnent le petit Nelson dans son enfance. · peine le tranquille cours de la vie est-il légèrement troublé par un déménagement forcé.
Pour avoir défié les autorités tribales à propos d'un banal vol de bouf, le père de Nelson Mandela, homme " fier et révolté, avec un sens obstiné de la justice " (2), se voit privé de sa fortune et de son titre. Sans fortune ni statut, la famille prend donc la direction du village voisin de Qunu, où elle peut bénéficier du soutien d'amis et de parents. " J'y ai passé les années les plus heureuses de mon enfance et mes premiers souvenirs datent de là ", a répété tout au long de sa vie, et encore aujourd'hui, Rolihlahla.
Dans le veld (la savane), le petit garçon garde moutons et veaux dans les prés ; se bagarre avec les autres garçons ; fait la récolte du miel sauvage, des fruits et des racines comestibles ; boit du lait chaud et sucré directement au pis de la vache ; nage dans les ruisseaux clairs et froids. Insouciance et tradition...
Une formation d'" Anglais noir " : 1934-1941
En attendant, le régent estime qu'il est l'heure pour son fils de devenir un homme. Dans la tradition xhosa, cela prend la forme de la circoncision. " Un Xhosa non circoncis est une contradiction dans les termes, car il n'est pas du tout considéré comme un homme mais comme un enfant. "
Janvier 1934, Nelson Mandela devient un homme... mais pas tout à fait comme les autres Xhosas puisque son destin était de devenir conseiller du futur roi Sabata. " Tu n'es pas fait pour passer ta vie à travailler dans les mines d'or de l'homme blanc sans savoir écrire ton nom ", ne cesse de lui répéter le régent avant de l'envoyer au collège de Clarkebury, digne institution anglaise et meilleur établissement pour Africains du Thembuland.
L'élève appliqué et doué d'une excellente mémoire décroche son brevet en deux ans au lieu des trois prévus. Ce qui l'amène, en 1937, au lycée de Fort Beaufort, où il retrouve son frère Justice.
Dans son autobiographie, Nelson Mandela reviendra assez sévèrement sur cette période : " Nous aspirions à devenir des " Anglais noirs ", comme on nous appelait parfois par dérision. On nous enseignait - et nous en étions persuadés - que les meilleures idées étaient les idées anglaises, que le meilleur gouvernement était le gouvernement anglais et que les meilleurs des hommes étaient anglais ".
Mais, à l'époque, le jeune Mandela ne se doute pas de ce que pensera le vieux Mandela et s'applique à devenir un bon " Anglais noir ", à tel point qu'il est nommé " préfet " (élève responsable de la discipline). Pas à pas, il grimpe dans cette échelle sociale si particulière, et touche le sommet en entrant, en février 1938, à l'Université de Fort Hare, le Cambridge des Noirs d'Afrique du Sud, qui ne compte que 150 (mal)heureux élus.
L'anglais, l'anthropologie, la politique, l'administration indigène, le droit hollandais sont au programme. L'objectif de l'Université est clair : former les futurs cadres politiques, administratifs et religieux des Etats noirs que les pouvoirs blancs tentent de créer afin d'y parquer la population " indigène " non productive et faire des ouvriers des travailleurs immigrés dans l'Afrique du Sud blanche.
Fort Hare constitue une révélation. Ou plutôt plusieurs révélations à la fois. Quelle révélation en effet pour ce jeune homme certes déjà robuste, mais encore mal dégrossi de sa formation rurale et royale, de toucher au fin du fin de l'âme humaine : le raffinement intellectuel et social british. Et celle d'entrer en contact avec des étudiants appartenant à d'autres groupes que les Xhosa et de commencer " à penser au-delà des seules conceptions ethniques ".
Que dire alors de cette première bataille (gagnée) contre l'autorité, à propos de la composition du comité de résidence. Episode a priori peu fondamental dans la vie d'un homme mais qui lui fit prendre conscience " du pouvoir dont on disposait quand on avait le droit et la justice de son côté ". Et enfin, révélation des révélations, peut-être : l'appartenance à l'ANC d'un de ses collègues, Nyathi, qui se fait remarquer par ses propos vifs tenus à l'encontre du premier ministre de l'époque, Jan Smuts, venu visiter l'Université.
Est-ce le vertige des révélations en cascade ? L'effet d'une subite prise de conscience ? Les deux, mon capitaine ? Aucun des deux, mon général ? Allez savoir (le sait-il lui-même ?) [...] En tout état de cause, voilà que Nelson Rolihlahla Mandela, fils de Gadla Henry Mphakanyiswa et de Noseki Fanny, et de ce fait membre de la maison royale des Thembus, se révolte.
Désigné pour siéger au conseil représentatif des étudiants, il demande au préalable un renforcement des pouvoirs de cet organisme, le plus élevé de Fort Hare, et décide de boycotter le scrutin si l'administration ne donne pas suite à cette revendication.
L'administration fait la sourde oreille. Les élèves boycottent. Les candidats présentent leur démission collective. L'administration organise une nouvelle élection. Même résultat... Mais, sous la pression, tous refusent cette fois-ci de démissionner sauf... Mandela.
Le principal de Fort Hare lui demande de revoir sa position. Il refuse. Le gong des vacances sauve l'étudiant Mandela qui devra livrer une réponse définitive à la rentrée. Il ne la donnera jamais.
Car, entre temps, le retour à Mqhekezweni est amer. Convoqué avec Justice par le régent qui leur annonce : " J'ai arrangé des mariages pour vous deux. ". Les deux jeunes hommes ne disent mot, bouclent leurs valises, et le soir tombé, s'enfuient.
Nelson Mandela s'en expliquera plus tard : " · cette époque, j'avais des idées plus avancées sur le plan social que sur le plan politique. Alors que je n'aurais pas envisagé de lutter contre le système politique des Blancs, j'étais prêt à me révolter contre le système social de mon propre peuple. ". Bientôt, les choses seront inversées...
L’EVEIL A LA POLITIQUE
A quoi servirait une fuite si elle n'était extrême ? Dès lors, rien de tel que la planète Mars, c'est-à-dire Johannesburg, ou eGoli, la cité de l'or. Voyage de nuit, arrivée à l'aube. Les bureaux de Crown Mines constituent la première étape des deux fugueurs.
Uniforme, paire de bottes neuves, casque, lampe de poche, sifflet et knobkerrie (long bâton) : Mandela devient veilleur de nuit... pour une journée, le temps pour le régent de retrouver leurs traces et de les faire renvoyer.
De proche en proche, Nelson Mandela atterrit chez un homme trentenaire, originaire du Transkeï comme lui, qui dirigeait une agence immobilière spécialisée dans les propriétés pour Africains : Walter Sisulu. Première rencontre entre deux hommes qui ne se quitteront plus.
Sisulu le fait engager comme stagiaire par l'avocat Lazar Sidelsky, activité qu'il marie avec la poursuite de ses études pour obtenir une licence de droit.
Il fait rapidement la connaissance de Gaur Radebe et de Nat Bregman, tous deux membres de l'ANC et du Parti communiste sud-africain (SACP), qui l'invitent dans de nombreuses soirées où se côtoient Blancs, Noirs, Indiens, Métis ; où s'échangent toutes les idées que la gauche africaine compte ; où se préparent des lendemains fraternels. Nelson Mandela connaît sa deuxième circoncision - politique, celle-ci - et pénètre petit à petit dans le monde anti-apartheid.
Quand devient-il un " combattant pour la liberté " ? Lui-même se refuse à répondre : " Je suis incapable d'indiquer exactement le moment où je suis devenu politisé, le moment où j'ai su que je consacrerais ma vie à la lutte de libération.
Òtre Africain en Afrique du Sud signifie qu'on est politisé à l'instant de sa naissance, qu'on le sache ou non. Un enfant africain naît dans un hôpital réservé aux Africains, il rentre chez lui dans un bus réservé aux Africains, il vit dans un quartier réservé aux Africains, et il va dans une école réservée aux Africains, si toutefois il va à l'école.
Quand il grandit, il ne peut occuper qu'un emploi réservé aux Africains, louer une maison dans une township réservé aux Africains, voyager dans des trains réservés aux Africains et on peut l'arrêter à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit pour lui donner l'ordre de présenter un pass, et s'il ne peut pas, on le jette en prison. Sa vie est circonscrite par les lois et les règlements racistes qui mutilent son développement, affaiblissent ses possibilités et étouffent sa vie.
Je n'ai jamais connu d'instant exceptionnel, pas de révélation, pas de moment de vérité, mais l'accumulation régulière de milliers d'affronts, de milliers d'humiliations, de milliers d'instants oubliés, a créé en moi une colère, un esprit de révolte, le désir de combattre le système qui emprisonnait mon peuple. Il n'y a pas eu de jour particulier où j'aurai dit : à partir de maintenant, je vais me consacrer à la libération de mon peuple ; à la place je me suis simplement retrouvé en train de le faire sans pouvoir m'en empêcher.
Naissance d'un militant : 1944-1952.
Voilà comment, sans pouvoir s'en empêcher, il participe à sa première manif en août 1943 contre l'augmentation des tarifs de bus (" De façon modeste, j'avais quitté mon rôle d'observateur pour devenir participant ") ; comment il s'" abonne " à la maison de Walter Sisulu, " La Mecque des militants et des membres de l'ANC " ; comment il participe à la création de la Ligue de la jeunesse un dimanche de Pâques 1944 en compagnie notamment de Sisulu, Oliver Tambo et Anton Lembede ; comment il renoue avec les principes fondateurs de l'ANC contre les maîtres de l'organisation devenus des barons amorphes ; comment il accepte sa première responsabilité à l'ANC - membre du Comité exécutif de l'ANC du Transvaal - en 1947...
Malgré son engagement croissant, Nelson Mandela trouve le temps de tromper sa femme - la politique - pour épouser une maîtresse, Evelyn Mase, déménager au 8115, Orlando West à Soweto ; et avoir deux enfants : un fils Madiba Thembekile, et une fille Makaziwe.
Vient alors 1948, l'année horrible. · la surprise générale, le Parti national remporte les élections blanches, sur la peur du " Swart Gevaar " (le " péril noir ") et sur son programme : " Die kaffer op sy plek " (" Le nègre à sa place "). Le premier ministre, un ancien pasteur de l'Eglise réformée hollandaise, le Dr Daniel Malan, construit immédiatement, brique par brique, loi par loi, le mur du " grand apartheid " (en opposition à l'" apartheid mesquin " qui prévalait jusque-là).
Face à cette terrible entreprise, les " jeunes loups " de l'ANC veulent transformer le mouvement en véritable organisation de masse. En 1949, ils prennent le pouvoir.
Walter Sisulu est élu secrétaire général. Oliver Tambo et Nelson Mandela deviennent membre de la direction nationale. Le 26 juin 1950, l'ANC organise une journée de protestation contre l'assassinat de dix-huit Africains le 1er mai et contre le vote de la loi sur l'interdiction du communisme. Pourtant, Mandela et les siens refusent toujours une alliance quelconque avec les communistes. Méfiance. Peur. Méconnaissance.
Moses Kotane, secrétaire général du Parti communiste sud-africain (SACP) ne cesse de lui poser la question : " Nelson, qu'est-ce que tu as contre nous ? Nous combattons le même ennemi. " " · la fin, je n'avais plus de réponses satisfaisantes à opposer à ses arguments ", avoue Mandela. Le barrage cède.
Le SACP deviendra un partenaire de l'ANC, modifiant le rapport des forces en Afrique du Sud. Mais Mandela aime, peut-être par-dessus tout, connaître les autres. " J'ai acheté les ouvres complètes de Marx et d'Engels, de Lénine, de Staline, de Mao Zedong et d'autres, et j'ai exploré la philosophie du matérialisme historique et dialectique. J'avais peu de temps pour étudier correctement. Le Manifeste du parti communiste m'a stimulé, mais le Capital m'a épuisé. ".
En 1952, la campagne de défi (non-respect des lois d'apartheid) qui dure plusieurs mois, rencontre un énorme succès. · tel point que le 30 juillet 1952, Mandela est arrêté par la police. Il est condamné, avec d'autres camarades, à neuf mois de travaux forcés, mais la sentence reste suspendue pendant deux ans. Nelson Mandela devient dangereux pour le pouvoir. C'est bon signe. La lutte a changé d'échelle. Elle changera d'époque avec le " Plan M " puis avec l'adoption de la Charte de la liberté.
M comme Mandela : 1952-1962.
Le " Plan M " pour Mandela. Devenu l'un des quatre vice-présidents de l'ANC en 1952, Nelson Mandela est chargé secrètement de préparer un plan permettant à l'organisation de travailler clandestinement.
Le noyau dirigeant se prépare déjà à l'éventualité d'une interdiction, donc d'un travail clandestin, mais pas encore de la lutte armée.
1952 toujours. " Mandela et Tambo ". Dans Chancellor House, face au tribunal de Johannesburg, les deux amis ouvrent le premier cabinet d'avocats noirs. Le gouvernement n'aura de cesse de multiplier les obstacles à l'exercice de leur profession, sans toutefois en faire sa priorité puisqu'il a plus important à faire : raser Sophiatown, la township rebelle de la banlieue de Jo'burg. Malgré la résistance de la population, Sophiatown sera rayée de la carte le 9 février 1955. Mais ses habitants emporteront avec eux leur révolte dans leur nouvelle ville, baptisée d'après son emplacement géographique : South West Townships : Soweto.
Pour Mandela, c'est la preuve que la résistance pacifique a montré ses limites. La preuve aussi de son sens de l'anticipation. Dès 1953, en effet, il affirme que le temps de la résistance passive est terminé, la non-violence est une stratégie vaine, elle ne renversera jamais une minorité.
La direction réprimande sévèrement l'impétrant qui s'excuse pour ses propos déplacés et... demande à Walter Sisulu, en partance pour le Festival de la jeunesse et des étudiants pour la paix à Bucarest, d'aller en Chine et d'y évoquer avec les dirigeants l'acheminement d'armes.
Les 25 et 26 juin 1955, à Kliptown, l'ANC adopte la Charte de la liberté, véritable manifeste politique au long cours. Pour la première fois, l'organisation ne se contente pas de critiquer les lois d'apartheid, mais propose l'avènement d'une Afrique du Sud démocratique et non-raciale. Autre visée. Autre portée. Autre réaction du pouvoir.
" Mandela, nous avons un mandat d'arrêt. Suivez-moi ! " Nelson Mandela regarde le mandat. Son sang se glace à la lecture d'un mot : " Hoogverraad ", haute trahison. Il est passible de la peine de mort. Nous sommes le 5 décembre 1955. Le jour se lève sur Soweto. Quatre-vingt-onze autres membres de l'ANC sont accusés. Le procès de la trahison débute.
Il s'achèvera le 29 mars 1961. Mandela sera de toutes les audiences... sauf une. Le 14 juin 1958, il se marie avec Nomzamo Winnifred Madikizela. Le père de cette dernière l'avait pourtant prévenue : " Mais tu épouses un gibier de potence. " Cette même année, le Parti national se voit reconduit au pouvoir.
Le 21 mars 1960, c'est le massacre de Sharpeville. Dans cette petite township à 50 kilomètres au sud de Johannesburg, la police ouvre le feu contre des manifestants. Bilan : soixante-neuf morts. La communauté internationale condamne et certains pays adoptent des sanctions.
Le procès de la trahison tourne à la démonstration de la part des accusés. Le tribunal de Pretoria devient une sorte de tribune permanente pour l'ANC. Les avocats de la défense tournent plus d'une fois les procureurs en ridicule. La presse internationale s'en fait l'écho. Le pouvoir préfère arrêter les frais. Le 29 mars 1961, le juge Rumpff conclut : " Les accusés sont déclarés non coupables et acquittés. ".
Nelson Mandela sort libre du tribunal mais entre immédiatement dans la clandestinité.
En juin 1961, l'ANC tient une réunion secrète, l'une des plus importantes de son histoire. Sur proposition de Mandela, et après des heures de débat houleux, le mouvement anti-apartheid décide de se lancer dans la lutte armée en créant une organisation militaire. Son nom : Umkhonto we Sizwe (la lance de la nation). Son chef : Nelson Mandela. Son siège : la ferme de Liliesleaf, à Rivonia, " une banlieue bucolique au nord de Johannesburg ". C'est là que Mandela lit De la guerre de von Clausewitz, la Révolte de Menahem Begin ; qu'il se documente sur les armées de guérilla du Kenya, d'Algérie et du Cameroun avant de se rendre sur place au cours de l'année 1962 ; qu'il met au point des explosifs ; de là qu'il dirige les premières opérations armées.
C'est là que le " Black Pimpernel " (le mouron noir) est de nouveau arrêté par la police, le 5 août 1963, suite à la dénonciation de voisins. Il a quarante-quatre ans. Il ne ressortira de prison que vingt-sept ans et cent quatre-vingt-dix jours plus tard. Au cours du procès de Rivonia, Mandela, dans un prétoire glacé et silencieux, fait une déclaration retentissante et historique, véritable manifeste pour les siens ; son testament, espère le régime raciste.
" Au cours de ma vie, je me suis entièrement consacré à la lutte du peuple africain. J'ai lutté contre la domination blanche, et j'ai lutté contre la domination noire. Mon idéal le plus cher a été celui d'une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient en harmonie et avec des chances égales. J'espère vivre assez longtemps pour l'atteindre. Mais si cela est nécessaire, c'est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir. " Le 11 février 1990, à peine libéré de prison, au balcon de l'hôtel de ville du Cap, ses premiers mots d'homme libre seront les mêmes, exactement les mêmes.
Un homme libre en prison : 1963-1982.
" Aller à Robben Island équivalait à passer dans un autre pays. " Un autre pays où " chaque jour est semblable à la veille ; chaque semaine ressemble à la précédente, et les mois et les années finissent par se mélanger ".
Entre deux travaux forcés - couture de vieux pull-overs, cassage de pierres - Mandela s'efforce de construire son propre calendrier rythmé par les rares visites de Winnie ; la construction d'une amitié avec un gardien, James Gregory (3); les discussions politiques avec ses codétenus, et surtout le maintien du contact avec l'extérieur, grâce à l'aide d'un prisonnier de droit commun surnommé Joe my Baby, qui fait entrer et sortir en fraude des messages de la prison.
" Nous considérions la lutte en prison comme une version réduite de la lutte dans le monde. " Alors, forcément le moral épouse la " vie du dehors " avec ses moments sombres - le démantèlement de l'ANC et l'indifférence de la communauté internationale dans les années soixante -; ceux un peu plus lumineux - la révolte de Soweto en 1976, puis l'embrasement généralisé des townships dans les années quatre-vingt. En prison, Nelson Mandela continue son combat pour la liberté.
Parler avec l'ennemi : 1982-1990.
" Mandela, je veux que vous rangiez vos affaires. ". " Pourquoi ? ". " Nous vous transférons. ". " Où ? ". " Je ne peux pas le dire. ".
En mars 1982, Nelson Mandela est transféré à la prison de Pollsmoor et bénéficie d'un " régime de faveur ". Il devine la stratégie du pouvoir, qui devient claire le 31 janvier 1985. Ce jour-là, P. W. Botha, le premier ministre, propose de libérer le plus vieux détenu politique du monde s'il rejette " de façon inconditionnelle la violence politique ".
Le détenu matricule 466/64 refuse, puis sentant la faiblesse du pouvoir, écrit à Kobie Coetsee, ministre de la Justice, pour lui proposer " des pourparlers à propos des pourparlers ". Après de multiples relances, il finit par accepter. Les réunions se multiplient alors, au cours desquelles les ennemis se jaugent et se jugent, apprennent à se connaître. Les " pourparlers " durent des années, et s'accélèrent avec le " putsch " des dirigeants éclairés du Parti national, emmenés par Frederik de Klerk.
Nelson Mandela a pris la décision d'engager des négociations avec le pouvoir seul, il les mène seul, il les assume seul. Le 11 février 1990, il est libéré. Son premier geste : lever le poing en signe de victoire. " Madiba " (du nom de son clan xhosa) sait qu'il a gagné son pari.
Monsieur le Président : 1990-1999.
Pour tout le monde, c'est un chef d'Etat qui revient à la liberté. Dans les esprits, il est déjà président. Et c'est en tant que tel qu'il mène les négociations ouvertes avec le NP de Frederik de Klerk et négocie la sortie de l'apartheid. Les 27 et 28 avril 1994, pour la première fois de leur histoire, tous les Sud Africains sont appelés à voter pour leur président. L'ANC est plébiscité (65 %). " Mandela for President. ".
Un président qui sillonne le pays pour appeler à la réconciliation et à la constitution d'une nation arc-en-ciel. Un président qui, avant de quitter la scène, effectue un tour du monde afin de remercier ceux qui ont soutenu dans la lutte anti-apartheid, y compris pendant les heures les plus dures. Mandela s'en va.
Il retourne vivre à Qunu. Comme on dit dans son village, " Rolihlahla n'a jamais été un tshipa ", (une personne qui oublie ses racines). La parole à l'écrivain sud-africain Breyten Breytenbach : " Un vieil homme quitte la prison. Il y était entré comme militant, c'est un mythe qui en ressort. Il se fait du souci pour sa prostate, pour ses notes. Un horizon s'illumine, il apporte l'espoir, et il n'a jamais connu le monde, ni la douce caresse de journées vides sous les nuages qui passent.
Si cela est arrivé, il ne s'en souvient plus. Peut-être que maintenant notre obscur passage sur la terre a un peu plus de sens. Il a maintenant ensemble l'âme et le corps, avec orgueil et l'impossibilité de l'amour. Il réussira. Il échouera. Il vit Il mourra. Nelson Mandela ouvre une porte. ".
Ainsi a vécu Nelson Rolihlahla Mandela, fils de Gadla Henry Mphakanyiswa et de Noseki Fanny, membre de la maison royale des Thembus, et premier président d'une Afrique du Sud démocratique.
Il ne se représente pas à l'élection présidentielle de juin 1999, qui voit la victoire de son "dauphin" Thabo Mbeki.
Christophe Deroubaix. (l'Humanité)
(1) Le peuple xhosa est l'un des plus importants d'Afrique du Sud avec les Zoulous.
(2) In Un long chemin vers la liberté. Nelson Mandela. Editions Fayard. 658 pages.
(3) Chaque Noël, Nelson Mandela rend visite à son ancien gardien.
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01/12/2013
Louis-Antoine Saint-Just, la conscience de la Révolution
1767-1794 . Par son désir d’un ordre social juste, par son talent d’orateur, par l’acuité de sa pensée, Louis-Antoine Saint-Just mérite bien mieux que cette image d’Épinal de nostalgiques de la monarchie qui ont brossé de lui le portrait d’un « archange de la mort ».
Souvent, Saint-Just est représenté sous les traits d’un exalté. D’une sorte de vampire assoiffé de sang, ou, dans le meilleur des cas, d’un puriste à la limite de la folie et de la neurasthénie. Exemple avec le Danton, de Wajda, ou encore avec le personnage de Lambert Wilson dans les Chouans.
Pourtant, hormis sa jeunesse, rien dans le parcours éclair de Louis-Antoine Saint-Just ne justifie cette iconographie. Fougueux, le jeune homme l’était sans doute : à tout juste vingt-cinq ans, en 1792, il est le plus jeune député de la Convention. Il en est aussi l’un de ses orateurs les plus brillants. Une sorte de rêveur, pour qui la Révolution est un moyen de concrétiser une utopie : une société plus équitable. En le tuant, la Convention s’est privée de celui qui aura incarné l’avenir.
On possède peu d’éléments sur sa vie avant la Révolution. On sait qu’il est né le 25 août 1767 à Decize, dans la Nièvre. Son père était un ancien militaire, qui avait obtenu le grade de capitaine et la distinction de chevalier de l’ordre de Saint-Louis en récompense de ses services. Lorsqu’il quitte l’armée, en 1777, il prend possession, avec sa famille (deux filles et Louis Antoine), d’une demeure dont il vient d’hériter, à Blérancourt, dans l’Aisne.
Mais il meurt alors que son fils n’est encore qu’un enfant de douze ans. La mère de l’adolescent l’envoie en pension chez les Oratoriens de Soissons, avant qu’il ne fasse son droit à Reims, à la même époque que Brissot et Danton.
Jusque-là, son parcours était plutôt linéaire. Mais lorsqu’il revient à Blérancourt, tout bascule : en 1787, tout juste âgé de vingt ans, et désoccupé, le jeune homme fait une fugue à Paris en « empruntant » l’argenterie familiale. Ce qui n’est guère du goût de sa mère : elle obtient une lettre de cachet qui le fait interner durant quelques mois dans la maison de correction de Picpus. C’est peut-être là, selon les historiens, qu’est née chez lui la haine de l’arbitraire et de la toute-puissance.
En prison, en 1789, il écrit son premier ouvrage Organ, une sorte de poème érotico-blasphématoire qui condamne, déjà, la monarchie. Ce qui n’est pas anodin dans un système où le roi a un pouvoir absolu. Même si les huit mille vers d’Organ restent anecdotiques, ils dénotent déjà un tempérament prompt à la rébellion.
Quand éclate la révolution, Saint-Just a à peine vingt-deux ans, il est aux premières loges, à Paris. Lorsqu’il regagne Blérancourt, il s’engage à fond : dès juillet 1789, il est lieutenant-colonel de la Garde nationale. Et il fera partie de l’escorte qui raccompagne le roi de Varenne à Paris. Mais les frontières de sa province ne lui suffisent pas. En1790, il écrit à Robespierre une lettre de supplique où il l’informe de problèmes d’impôts à Blérancourt. Mais une lettre aussi qui transpire l’admiration et qui ne laisse pas Maximilien Robespierre indifférent.
Qui commence par « Vous que je ne connais comme Dieu que par des merveilles, je m’adresse à vous. » L’engagement de Saint-Just est tel qu’il est élu, en septembre 1791, à l’Assemblée législative. Mais il est trop jeune et doit reprendre le chemin de sa province. C’est l’année suivante simplement, en 1792, qu’il est élu député de l’Aisne à la Convention nationale. Il rallie aussitôt les Montagnards, dont il devient très vite un des plus brillants orateurs. C’est le procès du roi, en novembre 1792, qui rend Saint-Just célèbre. Alors que le débat fait rage, Saint-Just, avec ses formules lapidaires, le ramène à l’essentiel : « Pour moi, je ne vois point de milieu : cet homme doit régner ou mourir », dit-il. « On ne peut régner innocemment : la folie en est trop évidente. Tout roi est un rebelle et un usurpateur », continue-t-il. « Lorsqu’un peuple est assez lâche pour se laisser mener par des tyrans, la domination est le droit du premier venu, et n’est pas plus sacrée ni plus légitime sur la tête de l’un que sur celle de l’autre », assène-t-il devant un auditoire médusé et vite conquis. Sa conclusion est presque visionnaire sur la façon dont on nous fait pleurer depuis deux cents ans sur Louis XVI et Marie-Antoinette : « Louis a combattu le peuple : il est vaincu. C’est un barbare, c’est un étranger prisonnier de guerre. Vous avez vu ses desseins perfides ; vous avez vu son armée ; le traître n’était pas le roi des Français, c’était le roi de quelques conjurés. (…) Il doit être jugé promptement : c’est une espèce d’otage que conservent les fripons. On cherche à remuer la pitié. On achètera bientôt des larmes ; on fera tout pour nous intéresser, pour nous corrompre même. Peuple, si le roi est jamais absous, souviens-toi que nous ne serons plus dignes de ta confiance et tu pourras nous accuser de perfidie. »
Il joue ensuite un rôle important dans la rédaction de la Constitution de 1793. Membre du Comité de salut public, avant Robespierre, il travaille à un projet montagnard de Constitution. En s’opposant frontalement à Condorcet et Héraut de Seychelles. « Tous les tyrans avaient les yeux sur nous, lorsque nous jugeâmes un de leurs pareils : aujourd’hui que, par un destin plus doux, vous méditez la liberté du monde, les peuples, qui sont les véritables grands de la Terre, vous contemplent à leur tour », dit-il à la Convention en avril 1793. « Si vous vous voulez la République, attachez-vous au peuple et ne faites rien que pour lui. La forme de son bonheur est simple, et le bonheur n’est pas plus loin des peuples qu’il n’est loin de l’homme privé. Un gouvernement simple est celui où le peuple est indépendant sous des lois justes et garanties, et où le peuple n’a pas besoin de résister à l’oppression, parce qu’on ne peut point l’opprimer », préconise-t-il. La Constitution de l’An I, finalement, ne sera jamais appliquée. Mais d’emblée Saint-Just essaie de lui donner une inflexion sociale et égalitaire très forte. Avec Robespierre et Couthon, il forme au sein du Comité de salut public une sorte de triumvirat. C’est d’ailleurs le même Comité de salut public qui l’envoie sur le front comme représentant aux armées du Rhin et du Nord. L’année 1793 a été épouvantable pour les Français : la Vendée s’est soulevée, les Anglais ont pris Toulon… et la France est en très mauvaise posture.
À Strasbourg, il montre à la fois son courage physique, et ses aptitudes militaires. La situation est périlleuse. Le Comité de salut public a une devise : vaincre ou mourir. Saint-Just va se montrer inflexible : il fait fusiller les déserteurs, il congédie les officiers responsables de défaites. Il galvanise les troupes, aussi. À Strasbourg, il applique la terreur mais fait aussi arrêter l’accusateur public. Les victoires militaires de Landau, puis de Fleurus (26 juin 1794), lui doivent beaucoup.
Dans le même temps, Saint-Just se retrouve dans tous les procès des factions de l’époque, des Girondins aux Hébertistes et aux Indulgents. C’est cet acharnement qui lui vaut le nom d’ange exterminateur. C’est oublier un peu rapidement que le même homme préconisait de redistribuer les fortunes des riches aux plus indigents, comme il propose dans ses deux ouvrages, l’Esprit de la révolution et les Fragments sur les institutions républicaines. Michel Vovelle estime à son sujet qu’il « est l’un de ceux qui poussent le plus loin la réflexion sociale de la Montagne ».
Il présente d’ailleurs le 8 ventôse an II des lois pour redistribuer les biens des suspects aux indigents : « Les malheureux sont les puissances de la Terre, ils ont le droit de parler en maîtres aux gouvernements qui les négligent. » C’est Robespierre qui rappelle Saint-Just à Paris, pendant ses campagnes militaires. Le jeune homme trouve son ami très isolé au sein du Comité. Il tente des réunions de conciliation, en vain. Il prend alors le parti de Robespierre.
Le 9 Thermidor, il tente de lire à l’Assemblée un texte beaucoup moins sévère que celui prononcé la veille par Robespierre. Il est interrompu au bout de deux paragraphes et n’essaie même pas de reprendre la parole. Il reste d’ailleurs d’un calme olympien et d’un mutisme total jusqu’à l’échafaud le lendemain. Il avait laissé, dans le préambule de ses fragments, une sorte de défi : « Je méprise la poussière qui me compose et qui vous parle. On pourra la persécuter et faire mourir cette poussière ! Mais je défie que l’on m’arrache cette vie indépendante que je me suis donnée dans les siècles et les cieux. » Ni ange de la mort ni forcené, Saint-Just était juste un homme qui a mis sa vie au service de la Révolution. Un utopiste idéaliste ?
Pour qui « la révolution doit s’arrêter à la perfection du bonheur ».
Caroline Constant, pour l'Humanité
17:15 Publié dans Biographie, Révolution | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : saint just, robespierre, révolution française | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook |