Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

02/06/2013

En 1879, le maire de Paris était noir

mairenoir.jpgÀ l'occasion des 165 ans du décret de l'abolition de l'esclavage, le 27 avril 1848, Paris sait-il qu'il y a moins de cent cinquante ans son maire était noir?

Le livre, Ce mulâtre que Paris fit maire et la République ministre*, du professeur émérite à l'université de Paris-VIII Paul Estrade, retrace le parcours de Severiano de Heredia, tombé aux oubliettes de la IIIe République française.

Franc-maçon, ce fils d'esclaves affranchis d'origine cubaine et cousin direct du poète José Maria de Heredia, représentait à l'époque la modernité et l'évolution de la pensée contemporaine. «Il marchait aux côtés des défenseurs de la presse libre et il soutenait l'effort de la révolution industrielle. Il partageait aussi les idées de Jules Ferry pour la laïcité dans la vie publique», rappelle Paul Estrade.

Severiano de Heredia avait réussi à séduire les politiques. Le 13 avril 1873, il est nommé au Conseil municipal des Ternes. Il est ensuite élu à la tête du Conseil de Paris en 1879, devenant ainsi l'équivalent du maire de l'époque. Il accéda même à la Chambre des députés après avoir été élu en 1881. Mais son plus important mandat fut celui de ministre des Travaux publiques, débuté le 30 mai 1887.

Il se retire de la vie politique en 1893

«Le colonialisme a conduit Heredia à sa perte», annonce l'auteur. «Alors que l'on justifie les conquêtes africaines pour civiliser les populations noires, il était assez contradictoire d'avoir un mulâtre au sein du gouvernement français», ajoute-t-il dans son livre. Son déclin a commencé à se préciser durant l'Exposition coloniale de 1886 au jardin d'Acclimatation, où les populations indigènes étaient exposées comme des animaux.

Après ses échecs aux élections législatives de 1889 et de 1893, il se retire de la scène politique, pour se consacrer à la littérature. Le colonialisme et la Première Guerre mondiale font alors tomber dans l'oubli celui qui fut le premier ministre «non blanc européen». Il meurt le 9 février 1901 à son domicile parisien de la rue de Courcelles, sans avoir jamais été décoré de la Légion d'honneur. Il n'est même pas mentionné sur la stèle des célébrités du cimetière des Batignolles, où il est enterré. Le site de l'Assemblée nationale lui consacre néanmoins une courte biographie.

* Paul Estrade, Severiano de Heredia. Ce mulâtre cubain que Paris fit «maire», et la République, ministre. Éditions Les Indes savantes, 2011, 162 pages, 21 euros.

Le maire de Paris oublié

Paris eut un maire noir au XIXe siècle. Qui le savait jusqu’à ce que l’historien Paul Estrade (*) 
ne ressuscitât ce fait historique que l’histoire avait enfoui dans un tiroir de l’oubli ? Severiano de Heredia naquit en 1836 à La Havane dans une famille de  «mulâtres libres».

Il débarque à Paris en 1845 en compagnie de sa mère adoptive, Madeleine Godefroy. Le jeune Severiano reçoit une solide éducation au collège (aujourd’hui lycée) Louis-Le-Grand. Après avoir obtenu 
la nationalité française en 1870, il se présente aux élections municipales sous l’étiquette de la majorité républicaine radicale.

 En 1879, il est élu président du conseil municipal de Paris, en d’autres termes maire de la capitale. Il occupera cette fonction les six mois en usage à l’époque. 
Il poursuivra sa carrière politique sur les bancs 
de la Chambre des députés en 1881 et deviendra ministre des Travaux publics en 1887. En cette fin du XIXe siècle, âge d’or du colonialisme, Heredia était déjà la cible des racistes qui fustigeaient dans la presse réactionnaire ce «nègre 
du ministère» ou ce  «ministre chocolat».

Articles publiés par le Figaro et l'Humanité

02/05/2013

ALVARO CUNHAL, ARTISTE ET LEADER COMMUNISTE PORTUGAIS

portugal, théâtre, alvaro cunhal, parti communisteLe leader communiste portugais aurait cent ans cette année. Une pièce et une exposition évoquent ses combats.

Lisbonne (Portugal), envoyée spéciale Le 2 mai 1950, cinq heures durant, sans aucune note, Alvaro Cunhal, seul face à ses juges, a plaidé sa cause. Incarcéré depuis plus d’un an dans les bagnes du dictateur Salazar où la torture était monnaie courante, le dirigeant communiste résiste à des conditions d’enfermement épouvantables. Jusqu’à son arrestation, Cunhal est passé par toutes les étapes de la clandestinité : déguisements, faux papiers, déménagements incessants dès lors que les agents de la Pide, la tristement célèbre police de Salazar, se rapprochaient de lui.

Lourdement condamné, il s’évadera en 1960 de la prison de la Péniche dans des conditions rocambolesques. Jusqu’à la « révolution des œillets » le 25 avril 1974, il ne connaîtra que l’exil entre Prague, Moscou et Paris. Son retour, triomphal, le lendemain de la chute du régime dictatorial marque la levée de l’interdiction du PCP depuis 1932.

Des convictions Inflexibles, politiquement intransigeant

Cunhal était un personnage hors norme. Inflexible dans ses convictions, intransigeant politiquement, souvent qualifié d’orthodoxe, animé par l’idéal communiste et les valeurs de l’internationalisme… Un homme de grande envergure, iconoclaste, secret, au charisme incontestable dont la vie s’apparente, parfois, à un roman. Fin lettré, il traduit en prison le Roi Lear de Shakespeare, rédige une thèse pour le droit à l’avortement. Il écrit, sous le pseudonyme de Manuel Tiago, des romans et poèmes, et peint, là aussi sous un autre pseudonyme (Antonio Vale). à la fin de sa vie il révélera ses pseudonymes….

Comme en Espagne, le Portugal a pratiqué une amnésie historique collective, jetant un voile de silence sur plus de quarante ans de dictature qui ont maintenu le pays dans un état de peur dont les plus anciens éprouvent encore les symptômes. Mais voilà qu’une nouvelle génération, née après la « révolution des œillets », s’intéresse de près à ce passé, à cette histoire.

C’est le cas de Rodrigo Francisco, jeune metteur en scène qui a fait ses classes aux côtés de Joaquim Benite – grande figure du théâtre portugais, militant communiste disparu cet hiver –, qui a pris la relève en lui succédant au théâtre d’Almada. En créant Un jour, votre tour sera venu d’être jugés, subtile reconstitution de la plaidoirie de Cunhal, il donne à entendre une parole théâtrale politique forte, rare, précieuse. Avec trois fois rien (n’oublions pas qu’il souffle un vent mauvais sur la création ces temps-ci au Portugal…), mais grâce à une direction d’acteurs précise qui met à distance grandiloquence et véhémence laissant la parole, presque atone, libérer les mots et la pensée de Cunhal ; grâce à un jeu de lumières subtil de Guilherme Frazao ; grâce à un chœur d’enfants (du Conservatoire de Lisbonne) qui donne à la chanson populaire de résistance de Fernando Lopes-Graça, Acordai, une tonalité christique ; grâce à la générosité de toute une équipe, d’un théâtre populaire au cœur de la cité ouvrière où le linge sèche aux fenêtres.

La pièce sera en tournée dans 
tout le Portugal. Pour plus de renseignements :www.ctalmada.pt

(1) À Lisbonne, une très belle exposition riche de documents inédits célèbre le centenaire de Cunhal jusqu’au 2 juin, Patio da Galé, rua do Arsenal.

Marie-José Sirach pour l’Humanité

Dessin Xesko

BIOGRAPHIE

portugal, théâtre, alvaro cunhal, parti communisteÁlvaro Barreirinhas Cunhal (10 novembre 1913 - 13 juin 2005), dit Alvaro Cunhal, est un leader historique du Parti communiste portugais (PCP).

Il adhère au PCP en 1931, alors que le parti est encore clandestin. En 1949, il est arrêté par la Pide, la police politique de Salazar et s'évade, avec plusieurs de ses compagnons, en 1960 de la prison de Péniche lors d'une spectaculaire évasion. Il vit alors en exil à Moscou et Prague et est nommé en 1961 secrétaire général du PCP.

Il retourne dans son pays cinq jours après la Révolution des œillets du 25 avril 1974 qui l'avait surpris à Paris. Il est alors quelque temps ministre sans portefeuille des quatre premiers gouvernements provisoires et est élu député en 1975.

En 1989, il est reçu à Moscou par Mikhail Gorbatchev et reçoit le prix Lenine pour la paix (accordé à des citoyens étrangers à l'URSS pour leur contributions pour la « cause de la paix).

Partisan d'une stricte orthodoxie marxiste-léniniste, il abandonne le poste de secrétaire général à Carlos Carvalhas, puis son siège de député en 1992 et se retire progressivement de la vie publique en raison de la dégradation de son état de santé.

Père d'une fille, il est l'auteur de nombreux ouvrages politiques. En 1995 il reconnaît avoir écrit quatre œuvres de fiction sous le pseudonyme de Manuel Tiago. Son livre "Cinq jours, cinq nuits" a été adapté au cinéma en 1995 par José Fonseca E Costa (avec Paulo Pires et Victor Norte). Il relate comment un jeune homme persécuté par le régime de Salazar s'évade de prison et rejoint le Nord du Portugal, où un contrebandier lui fait passer la frontière.

Il est aussi le créateur, sous le nom d'Antonio Vale, de gravures et d'œuvres plastiques.

Source Wikipédia

19/04/2013

Madeleine Riffaud : des toits de Paris 
aux rizières du Vietnam

série des journalistes et des combats, madeleine riffaudRésistante, 
devenue journaliste, la grand reporter de l’Humanité a couvert les guerres coloniales. Poète, écrivain, 
elle a été la première femme à repousser aussi loin les limites 
de l’investigation.

Lorsque Madeleine Riffaud devient journaliste, Elsa Triolet lui donne ce conseil : « Pour ce métier, pas besoin d’aller à l’école, mais il faut lire deux textes, Choses vues, de Victor Hugo, et le Nouveau Testament. » C’est la Libération. La fin de la clandestinité est douloureuse pour celle qui se faisait appeler Rainer au sein de la Résistance.

En 1940, l’adolescente, fille unique d’un instituteur revenu amputé de la boucherie de 1914-18, se fait agresser par des soldats allemands. Un soudard aux gestes déplacés l’humilie en public. « C’était la première fois qu’un acte violent était commis sur moi par un soldat ennemi. Je ne l’ai pas admis. » Elle rejoint les FTP et écrit ses premiers poèmes. « En parachutage, on recevait des armes et, sur papier bible, des poèmes d’Éluard. La poésie de cette époque a su se rendre tellement persuasive qu’elle nous poussait en avant. »

Début 1944, elle entre en même temps au Parti communiste et dans la lutte armée. Elle apprend le massacre d’Oradour-sur-Glane, village de sa jeunesse. « Je pensais à cela quand je pédalais dans Paris, aux brûlés vifs que je connaissais. Éluard parlait des “armes de la douleur”. C’était exactement cela. J’ai roulé jusqu’à ce soldat allemand sur le pont de Solferino. J’ai voulu qu’il me regarde. Il a tourné son visage vers moi. À ce moment-là, je lui ai tiré deux balles dans la tempe gauche. » Le 23 juillet, ce visage d’ange qui n’a pas encore vingt ans exécute un officier SS en plein Paris.

Un milicien la rattrape et la livre inconsciente à la Gestapo. Elle se réveille rue des Saussaies. « Un endroit dont on ne peut pas parler tranquillement », confie-t-elle encore aujourd’hui, et qui décidera du reste de son existence. Privée de sommeil, soumise à des décharges électriques, elle assiste aux tortures de ses camarades. Elle est promise au poteau, puis à la déportation, avant d’être libérée in extremis grâce à un échange d’otages. Sitôt libérée, elle participe à la libération de Paris.

Loin des clichés sur l’euphorie de la liberté retrouvée, la sortie de la clandestinité s’avère douloureuse pour Madeleine Riffaud. Les souvenirs des geôles nazies la hantent. « Après ça, j’ai essayé de vivre comme tout le monde mais je n’ai pas pu », confie-t-elle au réalisateur Philippe Rostan, dans le documentaire qu’il lui a consacré en 2010. Durant ces mois difficiles, elle comprend que seules l’intéressent désormais « les situations limites et l’extrême danger ». Jusqu’à ce jour où on la présente à un certain Paul Éluard. « Il m’a soulevé le menton et m’a dit : “Tu veux bien me regarder ?” Ce qu’il a vu dans mes yeux, c’était une détresse sans borne. Il m’a tendu une carte de visite.

Ma vie en a été changée. » Pour son premier recueil de poèmes, le Poing fermé, Picasso lui tire le portrait pour la couverture du livre. On lui suggère le journalisme, elle y voit l’occasion de partir au bout du monde. C’est lui qui vient à elle pour la conférence de Fontainebleau, en 1946. On la présente à Hô Chi Minh.

série des journalistes et des combats, madeleine riffaudC’est le début d’une longue histoire avec le Vietnam. Et l’Oncle Hô de lui dire : « Si tu viens dans mon pays, je te recevrai comme ma fille. » Ce qu’il fera. Devenue grand reporter pour l’Humanité, après avoir travaillé à la Vie ouvrière et Ce soir, elle couvre la fin de la guerre d’Indochine, puis du Vietnam. Elle est la première à dénoncer, dès 1955, un an après leur signature, la violation des accords de Genève par les États-Unis.

Car, à partir de 1964, Madeleine Riffaud devient Chi Tam, la 8e sœur. Elle est l’une des rares occidentales à être acceptée dans les maquis viêt-cong, et devient une combattante à part entière de la résistance vietnamienne. « Ce que j’ai vu au Sud-Vietnam » affiche la une de l’Humanité en novembre 1970, dont le reportage révèle au monde l’horreur de la répression. « Con Son, Tan Hiep, Thu Duc, Chi Hoa… Il nous faut retenir ces noms car, jadis, pour les résistants victimes des nazis, l’enfer a duré cinq ans. Or au Sud-Vietnam, le même enfer dure depuis quinze ans », écrit-elle en 1972, au cœur d’un papier qui dénonce les atrocités commises par l’administration américaine. « Voilà la démocratie de Nixon, conclut-elle. Voilà la paix que les vaincus, en s’en allant, voudraient accorder à des hommes, des femmes estropiés à vie par les tortures sans fin… » Et elle sait de quoi elle parle : « Le drame est d’être passée de la Résistance aux guerres coloniales.

J’ai été correspondante de guerre pour dire mon horreur des conflits. » « On disait des Viêt-cong : ce sont des hommes sans visage. » Ces combattants de l’ombre retrouvent le sourire devant l’objectif de Madeleine Riffaud, qui s’attache à leur redonner une identité. Dans ces déluges de violences qu’elle décrit, la poésie n’est jamais loin, derrière une description des rizières vietnamiennes ou des images de typhons, autant de métaphores de la mort, omniprésente. La couverture de la guerre d’Algérie la ramène rue des Saussaies, où la police française torture les militants du FLN, là même où elle a connu l’enfer.

série des journalistes et des combats, madeleine riffaudLe 7 mars 1961, l’Humanité sort avec une page blanche, marquée en son centre de ce seul mot : « Censuré ». À l’origine de la saisie, un article de Madeleine Riffaud sur les tortures pratiquées à Paris, qui déclenche la fureur du préfet de police, Maurice Papon, qui porte plainte en diffamation et demande des dommages et intérêts. Elle réchappe de peu à un attentat de l’OAS et passe plusieurs mois à l’hôpital.

En 1973, Madeleine Riffaud emprunte une nouvelle identité et repousse toujours plus loin les limites de l’investigation. Elle devient Marthe, se fait embaucher dans un hôpital parisien comme aide-soignante. Elle récure les sols, prodigue les soins aux patients, veille la nuit des mourants anonymes.

De cette expérience, elle en tire un récit lucide et tendre sur l’univers hospitalier, les Linges de la nuit, sur ce qui se joue sous les draps blancs, quand l’imminence de la mort rebat les cartes des rapports humains. Car comme le disait d’elle Jean Marcenac, « Madeleine Riffaud est un poète qui a pris résolument le parti de s’exprimer par le journal… Elle a toute seule créé ce qu’il faut bien nommer un genre et, finalement, elle a parfaitement réussi ».

Article publié par l'Humanité dans la série : des journalistes et des combats